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Date: 20021210

 

Dossier : A‑771‑00

 

Référence neutre : 2002 CAF 485

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

 

 

ENTRE :

 

 

                     LA PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE NAWASH,

PAUL JONES et LE CHEF RALPH AKIWENZIE 

                                                                                                                                appelants

 

                                                                       et

 

SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et par

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU

NORD CANADIEN

 

                                                                                                                                    intimés

 

 

                           Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 novembre 2002.

 

                            Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2002.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE LINDEN

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE SEXTON

                                                                                                             LE JUGE SHARLOW


 

 

Date : 20021210

 

Dossier : A‑771‑00

 

Référence neutre : 2002 CAF 485

 

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

 

 

                     LA PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE NAWASH,

PAUL JONES, et LE CHEF RALPH AKIWENZIE 

 

                                                                                                                                appelants

 

                                                                       et

 

                                                                       

SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et par

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU

NORD CANADIEN

                                                                                                                                    intimés

 

 

 

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LINDEN

 

INTRODUCTION

 


[1]               Il s’agit d’un appel de la décision de première instance par laquelle Madame le juge Dawson (le juge de première instance) a rejeté la demande dans laquelle les appelants alléguaient qu’il y avait eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte) et manquement à l’obligation fiduciaire incombant au gouvernement fédéral par suite de leur exclusion d’un programme fédéral, la Stratégie relative aux pêches autochtones (la SPA).

 

[2]               En l’espèce, il s’agit principalement de savoir si le gouvernement peut exclure la Première nation des Chippewas de Nawash de la SPA sans contrevenir au paragraphe 15(1) de la Charte. Les parties se sont entendues pour plaider uniquement la question fondée sur le paragraphe 15(1), en reportant à plus tard la question des dommages‑intérêts et les arguments fondés sur l’article premier, au besoin.

 

LES FAITS

[3]               L’appelante, la Première nation des Chippewas de Nawash (le peuple Nawash ou les Nawash), est une bande composée d’Indiens Ojibwés dont la réserve occupe le cap Croker, qui avance dans la baie Georgienne, lac Huron, sur la péninsule Bruce, en Ontario. Les appelants individuels sont membres du peuple Nawash. Le chef Akiwenzie est chef des Nawash depuis 1989. Paul Jones réside dans la réserve; on le présente comme un pêcheur de longue date.

 


[4]               Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien intimé est le ministre fédéral responsable de l’administration de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5. Le ministre des Pêches et des Océans intimé administre la SPA contestée pour le compte du gouvernement fédéral.

 

[5]               Le territoire ancestral du peuple Nawash comprend le cap Croker et un certain nombre d’îles de pêche situées au large des côtes. Le peuple Nawash pratique la pêche dans la baie Georgienne depuis des temps immémoriaux; la pêche demeure une activité très importante pour la collectivité, et ce, pour des raisons économiques et culturelles. Les intimés ne contestent pas qu’en plus de leur droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles (droit reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075), le peuple Nawash possède un droit ancestral de pratiquer la pêche commerciale dans la baie Georgienne (droit reconnu dans la décision R. c. Jones (1993), 14 O.R. (3d) 421 (Div. prov. Ont.)).

 

[6]             Le 29 juin 1992, le ministre des Pêches et des Océans a annoncé un programme fédéral, appelé la SPA, destiné à [TRADUCTION] « stabiliser la pêche et à accroître les perspectives économiques des Premières nations ». La SPA constituait la base de ce que le ministre a appelé un nouveau « contrat social » conclu entre le gouvernement, les peuples autochtones et les groupes de pêcheurs non autochtones après que le jugement eut été prononcé dans l’affaire Sparrow.

 


[7]               La SPA vise à accroître les perspectives des peuples autochtones dans le domaine des pêches canadiennes tout en assurant le caractère prévisible, la stabilité et une rentabilité accrue pour toutes les personnes participant à ces pêches. La SPA devait initialement coûter 140 millions de dollars sur une période de quatre ans. Toutefois, en 1996, après un examen du programme qui montrait qu’au moyen d’ententes de partenariat conclues avec les autorités autochtones chargées de la pêche, la gestion de la pêche autochtone s’était grandement améliorée, le gouvernement a décidé de continuer le programme aux mêmes conditions. À l’heure actuelle, aucune date d’expiration n’est prévue pour la SPA.

 

[8]               Les appelants se sont vu refuser l’accès au financement accordé dans le cadre de la SPA, comme ce fut le cas pour d’autres groupes autochtones qui se livrent à la pêche intérieure. Presque tous les fonds de la SPA ont été alloués en vue d’aider des personnes et des groupes autochtones qui pêchent dans les eaux de marée, 70 p. 100 des fonds étant mis de côté pour la Colombie‑Britannique et le reste pour la région de l’Atlantique et pour le Nord.

 


[9]               Le 16 février 1993, des fonctionnaires du ministère fédéral des Pêches et des Océans (le MPO) ont expliqué à des représentants des Nawash qu’ils n’étaient pas admissibles à un financement dans le cadre de la SPA parce que la SPA ne s’appliquait pas à la pêche dans les eaux continentales situées à l’intérieur des frontières provinciales. Le gouvernement fédéral a délégué la gestion de ces pêches aux provinces au début du siècle.

[10]           La Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 & 31 Vict., ch. 3 (la Loi constitutionnelle de 1867) a été interprétée comme prévoyant que la compétence sur la pêche intérieure est partagée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Le paragraphe 91(12) de cette loi confère au gouvernement fédéral la compétence sur la pêche côtière et la pêche intérieure. Le paragraphe 92(13) confère aux provinces la compétence sur la propriété et les droits civils. Dans leur exposé conjoint des faits, les parties énoncent l’origine de la délégation par le gouvernement fédéral du pouvoir qui lui est conféré sur les pêches intérieures :

 

[TRADUCTION] Saisi en 1894 d’un renvoi constitutionnel formé par le gouverneur général du Canada, le Comité judiciaire du Conseil privé britannique s’est penché, dans l’arrêt Procureur général du dominion du Canada c. Procureur général des provinces de Québec, d’Ontario et de la Nouvelle‑Écosse, [1898] A.C. 700, sur le droit de propriété et la compétence respectives du gouvernement fédéral et des législatures provinciales sur les pêches. À la suite de cette décision, dans une note de service datée du 27 février 1899 et soumise à l’approbation du gouverneur général du Canada, le ministre fédéral de la Marine et des Pêches demandait que l’on se passe des services de certains agents fédéraux des pêches en Ontario et que l’on confie l’administration de certaines questions relatives à la pêche en Ontario aux autorités provinciales (doc. 4 du ministère public). Vers le 8 mai 1926, un décret fédéral a été pris en vue de transférer à la Couronne provinciale de l’Ontario certaines écloseries appartenant au gouvernement fédéral (doc. 5 du ministère public).

 


Certaines attributions relatives à la gestion des pêches intérieures en Ontario ont été déléguées au ministre des Ressources naturelles de l’Ontario aux termes du Règlement de pêche de l’Ontario, DORS/89‑93 et du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93‑332. Par conséquent, en vertu de l’entente administrative de 1899, l’Ontario gère depuis plus d’un siècle presque tous les aspects de ses propres pêches en eaux sans marée. Le MPO fédéral s’est réservé un rôle modeste en ce qui concerne la gestion des pêches dans les eaux sans marée de l’Ontario.

 

[11]           Les parties conviennent que les appelants se sont vu refuser des fonds dans le cadre de la SPA uniquement parce qu’ils exploitent une pêche autochtone dans une région où la gestion des pêches intérieures est réputée avoir été déléguée à la province d’Ontario par le gouvernement fédéral.

 

[12]           Les appelants ont intenté une action devant la Cour fédérale en vue d’obtenir, entre autres, un jugement déclaratoire portant que la SPA viole l’article 15 de la Charte en privant le peuple Nawash de l’égalité devant la loi, en lui refusant la protection égale de la loi et en faisant preuve de discrimination à son endroit en raison de son emplacement géographique.

 


[13]           Monsieur le protonotaire Hargrave a ordonné, sur consentement, que la présente affaire porte uniquement sur la question de savoir s’il y a eu violation des droits à l’égalité reconnus aux appelants ou s’il y a eu manquement à une obligation fiduciaire. Par conséquent, l’affaire a été plaidée en première instance sans qu’il soit tenu compte de l’article premier de la Charte. Il a été convenu que si la question des dommages‑intérêts était soulevée, elle serait examinée dans le cadre d’un renvoi, à la suite du procès. De même, il a été convenu qu’au besoin, une analyse fondée sur l’article premier serait effectuée sur renvoi.

 

[14]           Le juge de première instance a appliqué le cadre d’analyse énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, aux fins de l’analyse relative au paragraphe 15(1) de la Charte et a conclu que ni la SPA ni l’exclusion du peuple Nawash du champ d’application de la SPA ne contrevenaient au paragraphe 15(1) de la Charte.

 

LE PARAGRAPHE 15(1)

[15]           Avant d’examiner les trois questions générales nécessaires aux fins du règlement d’une affaire de discrimination, le juge de première instance a correctement dit que l’objet du paragraphe 15(1) (tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Law, au paragraphe 51) est « d’empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux ».

 

[16]           Le critère à trois volets, énoncé au paragraphe 88 de l’arrêt Law, fait entrer en ligne de compte les questions suivantes :

                                (A) La loi contestée: a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

 

(B) Le demandeur fait‑il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?


(C) La différence de traitement est‑elle discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

 

 

 

Je traiterai de chacune de ces questions à tour de rôle après avoir examiné la façon dont le juge de première instance a traité le groupe de comparaison en l’espèce.

 

Le groupe de comparaison

 

[17]           Le juge de première instance a reconnu que la garantie d’égalité prévue au paragraphe 15(1) de la Charte est un concept comparatif et que la réponse à chacune des trois questions doit reposer sur une comparaison avec un ou plusieurs autres groupes pertinents. Le demandeur choisit généralement l’élément comparateur, mais le tribunal peut préciser la comparaison soumise par le demandeur lorsqu’il estime justifié de le faire.

 


[18]           Au procès, les appelants ont proposé comme élément comparateur les collectivités autochtones de pêcheurs qui peuvent bénéficier des avantages de la SPA ou qui y sont admissibles. Les intimés ont soutenu que le groupe de comparaison devrait être limité aux peuples autochtones qui sont en mesure de remplir la condition préalable nécessaire suivant laquelle ils sont disposés à conclure une entente de cogestion avec le MPO et qui se trouvent dans une région relevant du pouvoir de gestion de la pêche du MPO. Néanmoins, le juge de première instance n’était pas convaincu qu’il était nécessaire de préciser le groupe de comparaison proposé par les appelants.

 

[19]           Toutefois, les appelants ont soutenu devant la Cour que le juge de première instance avait commis une erreur en n’appliquant pas d’une façon appropriée le bon groupe de comparaison. Les appelants affirment que, même si le juge de première instance a accepté le groupe de comparaison qu’ils avaient soumis, aux étapes cruciales de l’analyse relative à l’article 15, le juge est effectivement revenu au groupe de comparaison fondé sur la compétence que l’intimée a proposé. Selon eux, c’est ce qui est arrivé lorsque le juge a conclu que, même si la SPA exclut les collectivités autochtones qui pratiquent la pêche dans les eaux intérieures, le programme n’est pas discriminatoire parce que les appelants ne pourraient pas obtenir une entente dans le cadre de la SPA puisque le gouvernement fédéral n’aurait apparemment pas compétence pour réglementer la pêche intérieure.

 

[20]           Les appelants nous ont reportés à la décision que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans l’affaire Lavoie c. Canada, 2002 CSC 23, à l’appui de la thèse selon laquelle une analyse relative au partage des pouvoirs n’a pas sa place de nos jours dans un examen fondé sur l’article 15. Monsieur le juge Bastarache, qui parlait au nom de la majorité dans cette décision‑là, a mentionné les remarques que Monsieur le juge Iacobucci avait faites dans l’arrêt Law, précité, au sujet de la nécessité de trouver le groupe de comparaison approprié; voici ce qu’il dit, au paragraphe 40 :


[...] Non seulement il appartient habituellement au demandeur de choisir le groupe de comparaison approprié, mais le tribunal ne doit s’immiscer que lorsque « [l]a différence de traitement peut ne pas s’effectuer entre les groupes cernés par le demandeur, mais plutôt entre d’autres groupes » [...]. À l’opposé, le genre d’analyse préconisée par les intimées -- le choix de groupes de comparaison selon des considérations de compétence -- ne s’appuie ni sur Law ni sur aucun autre arrêt relatif au par. 15(1). Au contraire, l’essence même d’une déclaration constitutionnalisée des droits comme la Charte est de définir une différence de traitement en fonction des droits à l’égalité, et non du partage des pouvoirs fédéraux et provinciaux.

 

Dans l’affaire Lavoie, qui portait sur la constitutionnalité d’une disposition législative favorisant les Canadiens aux fins de l’emploi dans la fonction publique fédérale, les intimées avaient soutenu que les non‑citoyens et les citoyens (soit les groupes de comparaison proposés par les appelantes) ne pouvaient pas faire l’objet d’une comparaison valable pour l’application du paragraphe 15(1) parce que les non‑citoyens en tant que tels n’étaient pas sur un pied d’égalité avec les citoyens en raison de la législation fédérale en matière de citoyenneté et de la Constitution et que, cela étant, ils ne méritaient pas un traitement égal. Dans cet arrêt‑là, le juge Bastarache a dit qu’il était préférable d’examiner la question de savoir si les citoyens constituent un groupe de comparaison approprié en tant que facteur contextuel en vertu du troisième volet de l’analyse préconisée dans l’arrêt Law, mais il a ensuite conclu que la disposition contestée violait le paragraphe 15(1) précisément parce qu’une distinction y était faite entre les citoyens et les non‑citoyens dans le contexte de l’obtention d’un emploi.

 


[21]           Les principes émanant de l’arrêt Lavoie constituent certains des enseignements les plus récents de la Cour suprême du Canada pour ce qui est de la façon dont il convient d’appliquer l’article 15, cela étant, ils sont ici pertinents. Toutefois, il ne faut pas les appliquer mécaniquement au cas qui nous occupe sans tenir compte des différences qui existent entre les faits des deux affaires. Compte tenu de cette mise en garde, il faut respecter la directive du juge Bastarache selon laquelle les allégations fondées sur l’égalité doivent être examinées au moyen d’une comparaison plutôt qu’au moyen d’une analyse de la compétence. Je dois donc déterminer si le groupe de comparaison réel utilisé par le juge de première instance va à l’encontre des remarques du juge Bastarache.

 

[22]           Comme je l’ai déjà dit, le juge de première instance a accepté le groupe de comparaison soumis par les appelants : les collectivités autochtones de pêcheurs qui peuvent bénéficier des avantages de la SPA ou qui y sont admissibles. Les appelants affirment que le juge a implicitement utilisé le groupe de comparaison préconisé par l’intimée en concluant que la SPA ne peut pas s’appliquer en Ontario et qu’elle n’est donc pas discriminatoire. En d’autres termes, les appelants soutiennent que le juge a examiné leur demande en comparant la situation du peuple Nawash à celle des peuples autochtones qui remplissent la condition préalable nécessaire suivant laquelle ils sont prêts à conclure une entente de cogestion avec le MPO et qui se trouvent dans un endroit où le MPO est autorisé à gérer la pêche.

 


[23]           En expliquant pourquoi la SPA n’est pas discriminatoire, le juge de première instance emploie des termes rappelant ceux qui sont utilisés dans une analyse relative au partage des pouvoirs. L’arrêt Lavoie enseigne que, dans une affaire où la Charte est en cause, des considérations de compétence ne devraient pas l’emporter sur les questions d’égalité, mais l’examen des questions de compétence que le juge de première instance a effectué ne constitue pas une erreur susceptible d’appel dans ce contexte parce que le juge a uniquement procédé à cet examen après avoir déterminé le résultat de l’allégation des appelants se rapportant au paragraphe 15(1).

 

[24]           Le juge de première instance a expressément rejeté le groupe de comparaison fondé sur la compétence proposé par les intimés et a reconnu que, telle qu’on l’a appliquée, la SPA a pour effet d’établir une distinction formelle entre les appelants et le groupe de comparaison. Toutefois, le juge a ensuite conclu, au paragraphe 52, « que la distinction établie par la SPA [n’]est [pas] fondée sur une caractéristique personnelle, en l’occurrence, l’attachement des demandeurs à la Première nation à laquelle ils appartiennent et au sein de laquelle ils vivent ». Un examen rapide de la décision de première instance permet de penser que le juge de première instance a incorporé les concepts de partage de pouvoirs dans l’analyse préconisée dans l’arrêt Law parce que, après avoir conclu que la distinction faite par la SPA n’est pas fondée sur une caractéristique personnelle, le juge a examiné la nature de la SPA (aux paragraphes 56 à 74) avant de réitérer que le peuple Nawash n’est pas exclu du champ d’application de la SPA en raison d’une caractéristique personnelle. Une lecture attentive de la décision de première instance révèle néanmoins que le juge a procédé à l’examen du fondement juridictionnel, aux fins de l’établissement d’une distinction entre les appelants et les groupes côtiers admissibles à la SPA, uniquement après avoir accompli la première étape de l’analyse préconisée dans l’arrêt Law.


 

[25]           En l’espèce, il a été jugé que la distinction n’est pas fondée sur une caractéristique personnelle puisque, de l’avis du juge de première instance, ce n’est pas la présence ou l’absence d’attachement ancestral à une Première nation particulière au sein de laquelle les Autochtones vivent qui détermine l’admissibilité à la SPA. Étant donné que cette décision mettait fin à l’analyse nécessaire puisque, pour être accueillie, une allégation fondée sur l’article 15 exige que l’on réponde par l’affirmative à la première question énoncée dans l’arrêt Law, le juge de première instance n’a donc pas eu à examiner la question de la compétence pour régler l’affaire. En outre, étant donné que la conclusion tirée par le juge de première instance au sujet de la première étape prévue par l’arrêt Law portait un coup fatal à l’argument de l’appelant relatif à la discrimination, les deuxième et troisième étapes prévues dans l’arrêt Law ont ensuite été appliquées simplement « par souci d’exhaustivité ». Cela étant, les remarques que le juge de première instance a faites au sujet de la question de savoir si la SPA établit une distinction fondée sur des motifs analogues, soit la deuxième étape, ou a pour effet d’établir des stéréotypes ou de créer de la discrimination envers les appelants, soit la troisième étape, constituent des remarques incidentes.

 


[26]           Les termes que le juge Dawson a employés pour décrire l’essence de la SPA posent des problèmes, mais ce sont en fait les appelants qui ont introduit ces termes au cours du procès. En effet, les appelants ont eux‑mêmes avancé des arguments fondés sur la compétence au sujet de la nature de la SPA, comme le juge de première instance l’a fait remarquer au paragraphe 76 :

Les demandeurs soutiennent que la compétence du législateur fédéral sur les besoins en conservation des eaux intérieures constitue un fondement solide qui justifie l’application de la SPA à la pêche intérieure ontarienne. Ils rappellent également la compétence sur les « Indiens » que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement fédéral.

 

 

Par conséquent, les appelants ne sauraient reprocher maintenant au juge de première instance de mentionner des considérations de compétence puisque, dans les arguments qu’ils ont invoqués au procès, ils ont préconisé ces considérations.

 

[27]           De plus, le professeur Peter Hogg a déclaré que le fédéralisme doit à tout le moins empêcher un argument qui comporte une comparaison entre le droit d’une province et le droit d’une autre province : le fédéralisme peut, dans une mesure restreinte, constituer une exception à la garantie d’égalité (voir Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition à feuilles mobiles, vol. 2 (Scarborough: Carswell Thomson Professional Publishing, 1997), aux pages 52 à 62).

 

[28]           Enfin, même si les motifs du juge de première instance étaient erronés en ce qui concerne les aspects liés à la compétence, je ne crois pas que cela influerait sur l’exactitude du résultat auquel le juge est arrivé parce que, comme le juge l’a correctement conclu, il n’y a pas de caractéristiques personnelles valables, de motifs analogues ou d’effet discriminatoire sur lesquels une allégation mettant en cause le paragraphe 15(1) de la Charte peut être fondée. 


 

A.        La SPA impose‑t‑elle un traitement différent aux appelants en raison de caractéristiques personnelles?

 

[29]           Comme je l’ai déjà fait remarquer, le juge de première instance a examiné la première question énoncée dans l’arrêt Law en concluant que les Nawash sont exclus du champ d’application de la SPA, mais non en raison de l’emplacement de leur réserve, ce qui, selon les appelants, constitue une caractéristique personnelle. Le juge de première instance a plutôt conclu que les Nawash sont exclus du champ d’application de la SPA parce que la province d’Ontario réglemente la pêche en question et que, cela étant, il n’y a pas, près de leur réserve, de pêche que le MPO peut répartir et gérer.

 

[30]           Les appelants ont soutenu que leur attachement ancestral profond à leur propre Première nation et leur résidence au sein de cette Première nation constituent une caractéristique personnelle qui a donné lieu à leur exclusion du champ d’application de la SPA. Toutefois, le juge de première instance a rejeté cet argument parce qu’elle a conclu que les collectivités autochtones qui sont admissibles à la SPA possèdent également cette caractéristique.

 


[31]           Les appelants déclarent que l’approche adoptée par le juge de première instance ne tient pas compte de l’importance particulière de la baie Georgienne et du lac Huron pour les Nawash et de la façon dont l’attachement à ces eaux et terres particulières forme à leurs yeux une caractéristique personnelle immuable ou considérée comme immuable. Ils affirment que l’emplacement et la résidence sont des éléments fondamentaux en ce qui concerne les droits de pêche ancestraux et issus de traités. Il ne s’agit pas de droits transférables, mais de droits qui sont intrinsèquement liés à la résidence. De plus, ils soutiennent que l’attachement d’un Autochtone aux terres et eaux ancestrales est une caractéristique personnelle de cet Autochtone : une chose qui est essentielle à l’identité de cet Autochtone.

 

[32]           Je souscris à la conclusion du juge de première instance lorsqu’elle dit qu’il n’y a pas de caractéristique personnelle sur laquelle on pourrait fonder la distinction formelle qui a été constatée entre la bande intérieure des appelants et les bandes côtières qui ont accès à la SPA. Les appelants ont invoqué deux possibilités en tant que caractéristique personnelle nécessaire sur laquelle on peut fonder une allégation mettant en cause le paragraphe 15(1) : (1) leur association ancestrale profonde à leur propre Première nation et leur résidence au sein de cette Première nation; et (2) leur attachement ancestral à un site particulier ou l’emplacement de leur résidence.

 


[33]           Je comprends fort bien la position des appelants et je reconnais le lien spécial qui existe entre les peuples autochtones et la terre – la terre constitue une bonne partie de leur identité en tant que peuple. Selon une croyance commune de nombreuses sociétés autochtones, le Créateur a placé les Autochtones sur cette terre pour une raison; la planète terre est leur mère et les animaux leurs parents spirituels. C’est ce qu’expliquent John Borrows et Leonard Rotman dans l’ouvrage intitulé Aboriginal Legal Issues: Cases, Materials and Commentary (Toronto : Butterworths, 1998), à 1‑3 :

 

[TRADUCTION] Le plus fondamental de ces droits est le droit à leur identité en tant qu’Autochtones. Étant donné que cette identité était en bonne partie tirée de la terre qu’ils utilisaient et occupaient avant l’arrivée des Européens, ils croyaient posséder – et ils croient encore posséder – certains droits à l’égard des terres, notamment le droit d’habiter sur ces terres et de les utiliser d’une façon continue pour la chasse, la pêche, le piégeage, la cueillette de produits végétaux et des plantes médicinales, ou à toute autre fin traditionnelle.

 

[34]           Toutefois, même si je reconnais l’importance qu’ont les terres pour les Autochtones, on n’a pas réussi à me convaincre que le juge de première instance a commis une erreur susceptible d’appel lorsqu’elle a conclu que les appelants ne sont pas exclus du champ d’application de la SPA en raison d’une caractéristique personnelle.

 

[35]           Pour régler cet appel, je n’ai pas à examiner l’application par le juge de première instance des deux autres étapes du critère énoncé dans l’arrêt Law parce qu’en confirmant la conclusion du juge en ce qui concerne la première étape énoncée dans l’arrêt Law, j’arrive à conclure que le gouvernement fédéral peut exclure les Nawash de la SPA sans enfreindre l’article 15 de la Charte. Toutefois, étant donné que les parties ont invoqué des arguments au sujet des conclusions tirées par le juge de première instance à l’égard des motifs analogues et de la discrimination, et puisque les conclusions tirées en première instance devraient être considérées à la lumière de l’arrêt Lavoie, je traiterai brièvement des deux autres étapes de l’analyse que le juge a effectuée conformément à l’arrêt Law.

 


B.         La distinction est‑elle fondée sur des motifs analogues? 

[36]           Le juge de première instance a conclu que les appelants n’avaient pas « subi un traitement différent en raison d’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues ». Les appelants ont affirmé que deux motifs de discrimination analogues distincts, mais reliés, étaient en cause : (1) l’autochtonité‑lieu de résidence; et (2) la province de résidence.

 

[37]           Quant au premier motif analogue, les appelants ont soutenu que la SPA établit une distinction entre les peuples autochtones dont les réserves et les bandes sont situées dans les provinces côtières et ceux dont les réserves et les bandes se trouvent ailleurs au Canada. Toutefois, le juge de première instance a souscrit à l’avis des intimés lorsqu’ils ont affirmé que dans l’arrêt Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour suprême du Canada n’a pas reconnu que l’autochtonité‑lieu de résidence constituait en soi un motif analogue, mais qu’elle a uniquement reconnu un sous‑ensemble, la « qualité de membres hors réserve ». Cela est exact. Le juge de première instance a également rejeté le deuxième motif analogue proposé par les appelants parce que la Cour suprême n’avait pas encore reconnu que la province de résidence constituait un motif analogue. Cela est également exact. Toutefois, il importe de noter que, dans l’arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, la Cour suprême n’a pas répondu à la question de savoir si la province de résidence pouvait constituer un motif analogue.

 


[38]           Dans l’arrêt Corbière, le jugement majoritaire, rédigé par Madame le juge McLachlin et par Monsieur le juge Bastarache, limitait le motif analogue de l’autochtonité‑lieu de résidence à la qualité de membre hors réserve. Dans l’affaire Corbière, la question litigieuse avait une portée restreinte : il s’agissait de savoir si une disposition législative qui empêchait les membres hors réserve d’une bande indienne de voter aux élections de la bande violait le paragraphe 15(1) de la Charte. La majorité souscrivait à la conclusion que Madame le juge L’Heureux‑Dubé avait tirée dans des motifs concordants, à savoir que l’autochtonité‑lieu de résidence est un motif analogue, mais il a bien été dit que cette conclusion ne devait pas être interprétée comme signifiant que la « résidence ordinaire » est un motif analogue. Aux paragraphes 14 et 15, voici ce que la majorité a dit :

 

Le juge L’Heureux‑Dubé conclut, en dernière analyse, que le facteur de l’«autochtonité‑lieu de résidence» constitue un motif analogue lorsqu’il se rapporte à la question de savoir si un membre d’une bande autochtone vit dans la réserve ou en dehors de celle‑ci. Nous sommes d’accord avec cette conclusion. Il ressort clairement des propos du juge L’heureux‑Dubé que la distinction se rapporte à une caractéristique personnelle essentielle de l’identité personnelle des membres des bandes indiennes, caractéristique qui est considérée immuable au même titre que la religion ou la citoyenneté. Les membres hors réserve d’une bande autochtone ne peuvent devenir des membres habitant la réserve qu’à un prix considérable, si tant est qu’ils le peuvent.

 

Deux brefs commentaires s’imposent au sujet de ce nouveau motif analogue. Premièrement, il ne faut pas confondre qualité de membre hors réserve et lieu de résidence. Les décisions que sont appelés à prendre les Canadiens en général relativement à leur «lieu de résidence» ne sauraient être comparées aux décisions lourdes de conséquences que prennent les membres des bandes autochtones lorsqu’ils choisissent de vivre dans les réserves ou à l’extérieur de celles‑ci, à supposer que ce choix soit possible.

 


[39]           La question de savoir si la région géographique, ou le lieu de résidence, constitue un motif analogue a également été récemment examinée par la présente Cour dans la décision Archibald c. Canada, [2000] 4 C.F. 479. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si la disposition relative à la mise en commun obligatoire de la Loi sur la Commission canadienne du blé, qui exige que les producteurs de blé habitant dans certaines régions du Canada vendent tout leur blé à la Commission canadienne du blé et qui interdit à ceux‑ci de vendre leur blé ou leur orge dans une autre province ou à l’extérieur du Canada, violait les droits constitutionnels des appelants. Monsieur le juge Rothstein, qui a rédigé les motifs dans la décision Archibald, n’était pas convaincu que le lieu de résidence constituait un motif analogue. En appliquant l’arrêt Corbière à l’affaire dont il était saisi, il a fait les remarques utiles ci‑après énoncées, au paragraphe 23 :

Il ressort de l’arrêt Corbière que la résidence doit être associée à autre chose qui est fondamentale à l’identité de quelqu’un, qui est immuable ou à tout le moins considérée immuable. Ainsi, il ne suffit pas pour les fins de l’identification du motif analogue que le lieu de la résidence et de l’exploitation agricole d’un individu soit à l’intérieur de la région désignée ou même à tout endroit au Canada. Il faut quelque chose de plus.

       


[40]           Dans l’arrêt Corbière, la Cour a bien dit que la conclusion qu’elle avait tirée au sujet de l’autochtonité‑lieu de résidence en tant que motif analogue ne devrait pas être étendue aux décisions prises par les Canadiens en général relativement à leur lieu de résidence, mais on ne saurait dire que les Nawash sont des Canadiens qui prennent des décisions ordinaires au sujet de leur résidence. Comme les demandeurs dans l’affaire Corbière, le lieu de résidence des Nawash se rapporte à l’essence de l’identité des membres de la bande. À cause du lien qui existe entre les Nawash et les terres et eaux particulières de leur région géographique, lien qui empêche ces Autochtones de quitter leur collectivité pour une collectivité côtière, cette caractéristique n’est pas moins considérée comme immuable que la religion ou la citoyenneté. C’est pourquoi il est concevable que le motif analogue de l’autochtonité‑lieu de résidence reconnu dans l’arrêt Corbière puisse être appliqué à la qualité de membre dans une réserve si les demandeurs peuvent démontrer qu’il y a « quelque chose de plus », par exemple le lien spécial existant entre les appelants et leur résidence particulière. Toutefois, étant donné la conclusion que le juge de première instance a tirée au sujet de la première question énoncée dans l’arrêt Law, conclusion que j’ai confirmée, je n’ai pas à me prononcer sur ce point.

 

C.        Le traitement différent est‑il discriminatoire?

[41]           Le juge de première instance, qui a reconnu que cette troisième étape de l’analyse exposée dans l’arrêt Law est à la fois subjective et objective, a examiné les quatre facteurs contextuels qui servent de fondement à cette étape de l’analyse relative à la discrimination pour finalement conclure que la SPA n’est pas un programme discriminatoire. Il s’agit des facteurs suivants : (i) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité; (ii) la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes; (iii) l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi, du programme ou de l’activité en cause eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société; et (iv) la nature et l’étendue du droit touché par l’activité gouvernementale contestée.

 


(i)  La préexistence d’un désavantage

[42]           En ce qui concerne le premier facteur contextuel, le juge de première instance n’était pas convaincu que la SPA repose sur des stéréotypes. Au paragraphe 112, le juge a plutôt conclu que les droits des appelants leur étaient uniquement « refusés pour des motifs qui traduisent bien la réalité du droit de l’Ontario de légiférer et de prendre des règlements sur la pêche en vertu de ses pouvoirs en matière de propriété et de droits civils ». Étant donné qu’il avait été statué que la SPA repose sur une cogestion des pêches autochtones par le MPO et par les collectivités autochtones locales, le juge a conclu que la SPA ne peut pas s’appliquer en Ontario. Elle a donc statué que la SPA n’a pas pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’opinion que les appelants sont moins capables ou sont moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains.

 

[43]           Dans l’arrêt Law, la Cour a fait remarquer l’appartenance du demandeur à un groupe historiquement défavorisé ne permet pas de conclure qu’il y a eu violation du paragraphe 15(1) lorsqu’un traitement différent a été établi. La question déterminante consiste plutôt à savoir si la distinction influe réellement et vraiment sur la dignité du demandeur.

 


[44]           Les appelants sont certes membres d’un groupe qui a toujours été victime de discrimination et défavorisé, mais je ne suis pas convaincu que la distinction en question influe vraiment sur leur dignité. Les appelants ne sont pas inclus dans le programme de la SPA parce qu’ils se trouvent dans une région géographique qui ne relève pas de la compétence fédérale et du secteur de réglementation du MPO. Cette exclusion qui peut, comme les appelants le soutiennent, sembler injuste, ne perpétue aucunement le stéréotype selon lequel les Nawash sont moins dignes. De fait, elle ne perpétue aucun des stéréotypes qui servaient de fondement à la discrimination à laquelle ont toujours fait face les peuples autochtones. Elle établit simplement une distinction fondée sur la pêche intérieure par opposition à la pêche côtière. Ce ne sont pas toutes les distinctions créées par la législation ou par un programme gouvernemental qui donnent lieu à la discrimination.

 

(ii)  Correspondance entre le programme et la situation propre au demandeur

[45]           Comme le juge de première instance l’a fait remarquer, il est plus facile d’établir qu’il y a eu discrimination lorsqu’un programme contesté ne tient pas compte de la situation véritable du demandeur. En analysant ce facteur contextuel, le juge de première instance a conclu que la SPA tient compte de la situation concrète des collectivités autochtones qui se trouvent dans des régions où la gestion de la pêche relève du MPO. Les appelants soutiennent que le juge de première instance aurait plutôt dû se demander si la SPA tient compte de leur situation particulière. Étant donné que la SPA est un programme ciblé améliorateur, concept sur lequel nous reviendrons ci‑dessous, il n’est pas raisonnable à mon avis de dire que le MPO aurait dû mettre en oeuvre le programme en tenant compte des besoins, de la situation et des capacités des Nawash.

 


(iii)  Objet d’amélioration

[46]           En ce qui concerne le troisième facteur contextuel, soit l’objet d’amélioration de la SPA, le juge Dawson a adopté l’analyse que la Cour suprême du Canada avait faite dans l’arrêt Lovelace c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 950 (C.S.C.) : le principe de l’objet d’amélioration devrait s’étendre aux situations où le désavantage, les stéréotypes, les préjugés ou une vulnérabilité caractérisent le groupe exclu. Selon ce principe, le fait d’exclure un groupe d’un programme ciblé ou établi en partenariat risque moins d’associer à ce groupe des stéréotypes ou de communiquer le message qu’il est moins digne de reconnaissance que le fait d’être exclu d’un programme prévoyant des avantages généraux. Dans l’arrêt Lovelace, la Cour explique, au paragraphe 60, qu’un programme ayant un objet améliorateur mais un champ d’application trop limitatif est compatible avec l’objet du paragraphe 15(1) :  

 

L’application de l’analyse relative à l’égalité réelle ne peut être réduite à de simples formules analytiques. Car, quoiqu’il soit souvent vrai que des distinctions peuvent être source de discrimination, il y a de nombreuses autres situations où l’égalité réelle exige que des distinctions soient faites pour tenir compte de la situation concrète d’individus vivant dans des conditions sociales politiques et économiques différentes. Voilà pourquoi notre Cour reconnaît depuis longtemps que le par. 15(1) a non seulement pour objet d’empêcher la discrimination mais aussi d’améliorer la situation des personnes défavorisées [...]. En conséquence, on reconnaît également depuis longtemps qu’une loi, un programme ou une activité ayant un objectif améliorateur mais un champ d’application trop limitatif peut porter atteinte au droit constitutionnel à l’égalité [...]. Jusqu’à tout récemment toutefois, notre Cour a limité son examen de la question du champ d’application trop limitatif au contrôle de régimes d’avantages universels ou généralement accessibles.

 


[47]           L’affaire Lovelace portait sur un programme appelé le Fonds des Premières nations (le FPN), dans le cadre duquel les fonds d’un projet de casino étaient distribués à toutes les bandes autochtones de l’Ontario inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans cette décision, qui a été rédigée par Monsieur le juge Iacobucci, le FPN est décrit comme un programme améliorateur ciblé fondé sur un partenariat entre le gouvernement et les représentants des Premières nations. Le juge Iacobucci met minutieusement l’accent sur la nature de partenariat du projet de casino pour le distinguer « des programmes d’avantages universels ou généralement accessibles ».

 

[48]           Le FPN était non seulement un programme améliorateur, mais il visait aussi à assurer que les activités de jeu commerciales dans le casino de la réserve soient conformes aux règlements stricts applicables à la supervision de pareilles activités. Par conséquent, dans l’affaire Lovelace, le FPN était fort semblable au programme de la SPA dont il est ici question. Comme le juge de première instance l’a conclu, la SPA a un objet améliorateur, à savoir améliorer la vie des Autochtones, en plus de réglementer et de gérer l’industrie de la pêche. Cela étant, il s’agit d’un programme ciblé fondé sur un partenariat plutôt que d’un programme conférant des avantages généraux. C’est pourquoi les faits du présent appel correspondent exactement à ceux de l’affaire Lovelace; le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en statuant que la SPA est un programme améliorateur semblable au programme qui a été confirmé dans l’arrêt Lovelace.

 


[49]           Dans l’affaire Lovelace, les appelants ont affirmé qu’ils avaient exactement le même besoin d’améliorer les piètres conditions sociales, culturelles et économiques existant dans leurs collectivités que les collectivités qui avaient accès au Fonds des Premières nations. Toutefois, la Cour a conclu qu’il faut prouver davantage que l’existence d’un besoin commun pour établir qu’un programme améliorateur crée de la discrimination, en violation du paragraphe 15(1). Bref, dans l’affaire Lovelace, les appelants, comme les appelants ici en cause, n’occupaient pas les terres qui étaient visées par le programme contesté.

 

[50]           L’arrêt Lovelace portait sur un cas, semblable à celui qui nous occupe, dans lequel les demandeurs et le groupe ciblé étaient également défavorisés. La Cour a donc jugé opportun d’étendre l’analyse relative à l’objet d’amélioration aux cas dans lesquels un désavantage, des stéréotypes, des préjugés ou une situation de vulnérabilité décrivent également la personne ou le groupe exclu. Ce faisant, la Cour a adopté la thèse selon laquelle le paragraphe 15(2) de la Charte confirme la portée du paragraphe 15(1) et vient s’ajouter aux dispositions du paragraphe 15(1), et sert d’outil d’interprétation du paragraphe 15(1). Par conséquent, le paragraphe 15(1) vise les programmes améliorateurs du genre de ceux qui sont envisagés au paragraphe 15(2), et ces programmes améliorateurs peuvent donc être inclus dans l’analyse relative au paragraphe 15(1) même si le groupe exclu n’est pas un groupe favorisé par rapport aux groupes visés par le programme améliorateur.

 


(iv) La nature du droit touché

[51]           En ce qui concerne le quatrième facteur contextuel, le juge de première instance a refusé de conclure que les appelants se trouvent dans une situation tellement différente de celle de leurs homologues des régions côtières qui ont le droit de participer à la SPA que leur exclusion du programme a eu sur eux des effets graves et localisés. Le juge a conclu que, contrairement à ce que les appelants soutenaient, les conséquences négatives de leur exclusion n’étaient pas « directes et considérables ». Selon l’interprétation que le juge de première instance a donnée à la preuve maintenant contestée qui a été soumise au sujet de la participation des appelants aux discussions portant sur la pêche dans le secteur de la péninsule Bruce, il n’était pas interdit aux appelants de conclure une entente au sujet de la cogestion de leur pêche et on ne leur avait pas refusé le droit de recevoir un financement public connexe.

 

Conclusion sur la discrimination

[52]           Après avoir appliqué les facteurs contextuels, le juge de première instance a conclu que la SPA n’était pas un programme discriminatoire. Le juge n’était pas convaincu qu’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle des Nawash conclurait que l’exclusion du champ d’application de la SPA avait porté atteinte à la dignité des appelants.

 


[53]           La différence de traitement ne constituera probablement pas de la discrimination au sens du paragraphe 15(1) lorsqu’elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine ou à la liberté d’une personne ou d’un groupe et, en particulier, lorsque le traitement différent aide également à améliorer la situation des personnes défavorisées au sein de la société canadienne. Dans l’arrêt Law, la Cour a défini la « dignité humaine » comme étant le sentiment de respect et d’estime de soi, la réalisation de l’autonomie personnelle et l’autodétermination. La Cour a donné des précisions au sujet de cette définition et, au paragraphe 53, elle a décrit diverses façons de porter atteinte à la dignité humaine :

 

Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous‑jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite‑t‑elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi?

 

En utilisant le concept de la dignité humaine qui a été expliqué dans l’arrêt Law, le juge de première instance a examiné à fond les facteurs contextuels en vue de déterminer si l’exclusion des appelants de la SPA a pour effet de porter atteinte à leur dignité. Le juge, qui reconnaissait que la portée de l’examen est à la fois subjective et objective, a examiné les facteurs du point de vue des appelants avant de conclure que, du point de vue de la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle des appelants, l’exclusion du champ d’application de la SPA n’avait pas porté atteinte à la dignité humaine des appelants.

 


[54]           Les facteurs contextuels doivent être appréciés subjectivement, mais selon les appelants, la Cour doit être convaincue que l’assertion du demandeur selon laquelle le traitement différent porte atteinte à sa dignité est étayée par une appréciation objective de la situation. Par conséquent, il faut tenir compte de toutes les caractéristiques de cette personne ou de ce groupe, de ses antécédents et de sa situation pour déterminer si une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur conclurait que le programme qui impose un traitement différent a pour effet de porter atteinte à sa dignité.

 

[55]           Dans l’arrêt Lavoie, la Cour a décrit comme suit, au paragraphe 47, le critère subjectif‑objectif :

Pour jauger l’expérience subjective de discrimination de chaque appelante à partir d’une norme objective, il est crucial de ne pas escamoter la distinction entre la charge de la preuve prima facie d’une atteinte au par. 15(1) qui incombe au demandeur et la charge de justifier l’atteinte en vertu de l’article premier qui incombe à l’État. Le paragraphe 15(1) oblige le demandeur à montrer que sa dignité humaine ou sa liberté est compromise. La dignité et la liberté ne sont pas des notions floues et, à mon avis, elles n’appellent pas le type de mise en balance de l’intérêt de la personne et de celui de l’État qu’exige l’article premier de la Charte. Au contraire, l’examen subjectif de la dignité humaine oblige le demandeur à établir le fondement rationnel de son expérience de discrimination en ce sens qu’une personne raisonnable vivant une situation semblable partagerait cette expérience.

 

 


[56]           Conformément à cette approche, l’expérience subjective du demandeur est examinée selon un point de vue objectif de sorte qu’il n’est pas conclu que le paragraphe 15(1) est violé chaque fois qu’un demandeur allègue que sa dignité a été bafouée. Même si le chef Akiwenzie a témoigné que son peuple a été mis à l’écart et oublié lorsqu’il a appris que la SPA ne s’appliquait pas à lui, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur, à mon avis, en concluant qu’une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du peuple Nawash ne croirait pas que l’exclusion de la SPA impose un traitement différent ayant pour effet de porter atteinte à sa dignité.

 

[57]           Comme le FPN, la SPA vise à améliorer la situation désavantageuse de groupes autochtones précis. Cet autre détail entre en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer si la dignité humaine est bafouée. Cela étant, je me reporterai au principe énoncé dans l’arrêt Lovelace, selon lequel le fait d’exclure un groupe d’un programme améliorateur n’est pas susceptible d’associer à ce groupe des stéréotypes ou des stigmates ou encore de communiquer le message qu’il est moins digne de reconnaissance et d’intégration au sein de la société dans son ensemble. L’arrangement ciblé et les circonstances dans lesquelles la SPA a été mise en oeuvre n’entraînent pas une absence de reconnaissance des appelants en tant que collectivité jouissant de l’autonomie gouvernementale. Ce facteur milite donc à l’encontre d’une conclusion selon laquelle la SPA a pour effet de porter atteinte à la dignité humaine des appelants.

 


[58]           Des précisions additionnelles doivent être données au sujet du fait que la SPA a un objet d’amélioration ainsi qu’au sujet de l’effet de cette conclusion. Plus précisément, lorsque l’objet ou l’effet d’amélioration d’un programme comme celui‑ci est conforme à l’objet du paragraphe 15(1) de la Charte, le fait d’exclure de ce programme un groupe comme celui des appelants n’est pas susceptible de violer la dignité humaine. Des groupes tels que les Nawash, qui se trouvent exclus de programmes ciblés comme la SPA, peuvent légitimement se sentir oubliés et tenus à l’écart du pouvoir, mais conclure que pareil programme viole les dispositions de la Charte relatives à l’égalité pourrait servir à décourager la création de programmes ciblés futurs destinés à améliorer la situation sociale et économique défavorisée des collectivités autochtones du Canada. L’article 15 est un outil destiné à encourager l’égalité en éliminant les lois ou pratiques gouvernementales discriminatoires qui privilégient d’une façon inéquitable un groupe de la société par rapport à un autre. La jurisprudence portant sur l’égalité prévue à l’article 15 a évolué depuis 1985; elle a reconnu des formes plus subtiles de discrimination et, même si la portée des motifs analogues sur lesquels la discrimination peut être fondée a été élargie, cette disposition n’était pas destinée à nuire aux programmes améliorateurs visant à éliminer un désavantage dans des cas particuliers. Cela ne veut pas dire que l’article 15 ne pourrait pas être utilisé pour remédier aux effets discriminatoires d’un programme dont le champ d’application est trop limitatif et qui est considéré comme allant à l’encontre de l’objet du paragraphe 15(1), mais la SPA n’est pas un tel programme.

 


[59]           En résumé, je conclus que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en appliquant l’arrêt Law à l’allégation des appelants fondée sur le paragraphe 15(1). Je souscris à la conclusion tirée par le juge, à savoir que la distinction établie par la SPA entre les bandes des régions intérieures comme les Nawash et les collectivités côtières de pêcheurs autochtones n’est pas fondée sur une caractéristique personnelle. Comme le juge de première instance, je me suis abstenu de déterminer si le motif analogue de l’autochtonité‑lieu de résidence reconnu dans l’arrêt Corbière doit s’appliquer de façon à inclure la qualité de membre dans une réserve. Enfin, je souscris à la conclusion du juge de première instance lorsqu’elle dit que la dignité des appelants n’a pas été bafouée du fait qu’ils ont été exclus du programme. Par conséquent, le juge de première instance a eu raison de conclure que la SPA n’est pas un programme discriminatoire allant à l’encontre du paragraphe 15(1).

 

[60]           J’examinerai maintenant brièvement les questions accessoires qui sont soulevées dans l’appel.

 

L’OBLIGATION FIDUCIAIRE


[61]           Les appelants ont soutenu devant le juge de première instance que la délégation de l’administration de la gestion des pêches à l’Ontario constituait un manquement à l’obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne parce que la Couronne avait traité de façon inégale des bénéficiaires comparables et avait favorisé ses propres intérêts administratifs et ses propres préoccupations économiques au détriment de ceux de ses bénéficiaires. Les intimés ont admis qu’il existait une relation fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada, mais ils ont soutenu que la Cour était tenue d’apprécier la relation spécifique dans le but de déterminer s’il existe des circonstances donnant lieu à une obligation fiduciaire. Le juge de première instance a retenu l’argument des intimés; après avoir examiné deux approches (les attentes raisonnables et la cession de pouvoir) à l’égard des obligations fiduciaires, elle a conclu qu’il n’existait aucune obligation fiduciaire envers les Nawash pour ce qui est de la SPA parce que rien ne montrait qu’une loi, un contrat, un engagement unilatéral ou une conduite indiquait qu’une relation fiduciaire était créée dans ce contexte.

 

[62]           En appel, les appelants ont soutenu que la preuve soumise en première instance établit qu’ils ont cédé leur pouvoir aux intimés et qu’il existait des attentes raisonnables que leurs droits de pêche soient protégés par le gouvernement fédéral plutôt que par le gouvernement provincial. Selon les appelants, la responsabilité de la Couronne fédérale pour ce qui est du bien‑être des peuples autochtones ne peut pas être subordonnée à un gouvernement provincial, et ce, indépendamment de l’endroit où les droits ancestraux et les droits issus de traités pourraient être exercés. Les appelants allèguent que lorsqu’un programme visant à faciliter ou à reconnaître des droits ancestraux au Canada est mis en oeuvre, la Couronne a l’obligation fiduciaire de s’assurer que le programme s’applique uniformément à tous les peuples autochtones qui sont titulaires de ces droits. Ils affirment que l’obligation fiduciaire a pris naissance simplement du fait que le programme de la SPA a été mis sur pied de façon à reconnaître les droits énoncés dans la décision Sparrow.

 


[63]           Les arguments des appelants ne sont pas étayés par la preuve qui a été soumise en première instance. La SPA est un programme destiné à faciliter la gestion de la pêche autochtone en ce qui concerne les pêches gérées par le MPO, de façon à assurer aux peuples autochtones un accès suffisant à la ressource halieutique pour satisfaire à leurs besoins alimentaires, sociaux et rituels ainsi qu’à leur désir d’assurer la gestion collective de leur pêche. Le juge de première instance a appliqué correctement la doctrine des « attentes raisonnables » et l’approche « cession de pouvoir‑vulnérabilité » pour déterminer s’il existe une obligation fiduciaire envers les appelants à l’égard de la SPA. La conclusion du juge selon laquelle il n’existe aucune obligation de ce genre dans le contexte de la SPA ne devrait donc pas être modifiée.

 

LA SPA EN ONTARIO

[64]           Les appelants soutiennent que le juge de première instance a mal apprécié la preuve et qu’elle a commis une erreur de droit en concluant que le gouvernement fédéral ne peut pas mettre en oeuvre la SPA en Ontario. Ils affirment que le gouvernement fédéral a refusé d’appliquer la SPA en Ontario non parce qu’il n’est pas compétent sur le plan constitutionnel ou législatif, mais pour des raisons de commodité administrative et financière.

 


[65]           Les intimés soutiennent que cet argument est un faux‑fuyant; j’ai tendance à souscrire à leur avis. En l’espèce, les appelants ont mis l’accent sur l’élément incitatif de la SPA en faisant peu de cas du fait qu’une bonne partie du programme comporte des négociations entre la Couronne et les collectivités autochtones participant au programme. L’effet de ces négociations est que l’accès autochtone à la pêche dans les collectivités participantes est réglementé et supervisé. Le juge de première instance a conclu que la SPA ne confère aucun avantage tant que l’entente relative à la pêche autochtone n’est pas négociée avec une collectivité particulière. La SPA gérée au palier fédéral s’applique donc uniquement aux bandes habitant dans des régions où le MPO exerce un contrôle sur l’allocation des ressources halieutiques. Étant donné que la province d’Ontario contrôle l’allocation des ressources halieutiques sur son territoire, le gouvernement fédéral empiéterait sur ce pouvoir délégué s’il devait tenter de mettre en oeuvre la SPA dans des régions non côtières comme la baie Georgienne. Sur le plan constitutionnel, il est peut‑être possible pour le gouvernement fédéral de modifier l’arrangement administratif auquel il est arrivé avec les provinces au sujet de la gestion des pêches intérieures, mais le paragraphe 15(1) ne les oblige pas à le faire.

 

DISCUSSIONS SOUMISES À LA MÉDIATION

[66]           Les appelants ont soutenu que les discussions qui ont été soumises à la médiation ne sont pas pertinentes aux fins de leur allégation fondée sur le paragraphe 15(1) et que le juge de première instance a fondamentalement commis une erreur en se fondant sur ces discussions. En outre, ils affirment que les intimés se sont fondés d’une façon inéquitable sur le document qu’on a désigné comme étant un [TRADUCTION] « projet établi sous toute réserve », qui a été jugé inadmissible, pour contre‑interroger le chef Akiwenzie. Ils affirment que cette preuve était tirée du projet de document, soit une utilisation secondaire qui, est‑il soutenu, serait prohibée.

 


[67]           Comme les intimés le soulignent, ce sont les appelants eux‑mêmes qui ont présenté en preuve la substance et le contenu des discussions soumises à la médiation. La preuve de ces discussions a été présentée au cours de l’interrogatoire principal du chef Akiwenzie et, avant même que le contre‑interrogatoire commence, le juge de première instance savait donc que des négociations en vue d’une entente de cogestion de la pêche commerciale entre les Nawash et la province d’Ontario étaient en cours. En outre, les appelants ne se sont pas opposés aux questions qui ont été posées au chef Akiwenzie pendant le contre‑interrogatoire.

 

[68]           Le juge de première instance s’est fondé sur la preuve des discussions soumises à la médiation en examinant le facteur contextuel de la « nature du droit touché » dans la dernière partie de l’analyse effectuée selon l’arrêt Law. Le juge a dit que, compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été soumis, elle n’était pas convaincue qu’il était interdit aux appelants de conclure une entente au sujet de la cogestion de leurs pêches. Je souscris à cette approche. En outre, je ne crois pas que le juge de première instance ait commis une erreur en tenant compte de la preuve relative aux discussions soumises à la médiation fournie par les appelants en vue de déterminer si l’exclusion des appelants du champ d’application de la SPA entraînait des conséquences localisées graves. Si un privilège se rattachait aux discussions soumises à la médiation, les appelants y ont renoncé en présentant la preuve.

 


CONCLUSION

[69]           L’appel devrait être rejeté avec dépens.

 

 

 

« A. M. Linden »

Juge

 

« Je souscris à ces motifs,

J. Edgar Sexton, juge »

 

« Je souscris à ces motifs,

K. Sharlow, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D’APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                     A‑771‑00

 

INTITULÉ :                                    Première nation des Chippewas de Nawash et autres

c.

La Reine

 

DATE DE L’AUDIENCE :            le 19 novembre 2002

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

MOTIFS DU JUGEMENT :         LE JUGE LINDEN

 

Y ONT SOUSCRIT :                      LES JUGES SEXTON ET SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                   le 10 décembre 2002

 

COMPARUTIONS :

 

M. Louis P. Strezos                                          POUR LES APPELANTS

M. Kent Roach

M. William B. Henderson

 

Mme Dale Yurka                                               POUR LES INTIMÉS

M. Peter Hajecek

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Louis P. Strezos                                          POUR LES APPELANTS

Toronto (Ontario)

 

M. Kent W. Roach

Toronto (Ontario)

 

M. William B. Henderson

Toronto (Ontario)

 

 

Mme Dale Yurka                                               POUR LES INTIMÉS

M. Peter Hajecek

Toronto (Ontario)

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