Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date : 19990601


Dossier : A-571-95

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROTHSTEIN


ENTRE :

MARGUERITE TRUSSLER,


appelante

(demanderesse),


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée

(défenderesse).


Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 1er juin 1999.

Motifs du jugement exposés à Edmonton (Alberta), le 1er juin 1999.



MOTIFS DU JUGEMENT EXPOSÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN






Date : 19990601


Dossier : A-571-95

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROTHSTEIN


ENTRE :


MARGUERITE TRUSSLER,


appelante

(demanderesse),


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée

(défenderesse).



MOTIFS DU JUGEMENT

(Exposés à l"audience à Edmonton (Alberta), le 1er juin 1999.)


LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Le débat, dans le présent appel d"une décision du juge suppléant John J. Urie de la Cour canadienne de l"impôt, porte sur la validité d"un règlement adopté en vertu de la Loi de l"impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) 5e suppl., ch. 1, qui a pour effet de limiter le montant que les juges peuvent déduire de leur revenu, à des fins fiscales, relativement à leur contribution à un régime enregistré d"épargne-retraite ("RÉER")1. Le juge suppléant Urie a formulé des motifs approfondis soutenant la validité du règlement. Le juge en chef est en accord pour l"essentiel avec les motifs du juge suppléant Urie et il rejetterait l"appel pour ce seul motif. Le juge Décary et moi sommes aussi d"accord avec les motifs du juge suppléant Urie et nous ajouterons seulement quelques remarques quant aux arguments qui ont été plaidés devant la Cour en appel.

[2]      Avant 1992, les juges avaient le droit de déduire de leur revenu les contributions faites à leur régime de pension en vertu de la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1. Ils avaient aussi le droit de déduire leur contribution à un RÉER jusqu"à concurrence de 12 500 $. Pour les années 1992 et suivantes, le règlement 8309(2), édicté par C. P. 1991-2540, en date du 23 décembre 1991, a limité à 1 000 $ la contribution maximum déductible d"un juge à un RÉER. C"est ce règlement limitant la contribution maximum des juges à un RÉER qui est contesté par l"appelante.

[3]      La contestation se fonde premièrement sur l"article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 , 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.). L"article 100 prévoit :

Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.

[4]      L"appelante plaide que la réduction de la contribution maximum des juges à leur RÉER de 12 500 $ à 1 000 $ constitue une réduction des salaires, allocations et pensions des juges qui doivent être fixés et payés par le Parlement du Canada et non par le gouverneur en conseil au moyen d"un règlement. Nous ne pouvons souscrire à l"idée que la possibilité de déduire de leur revenu les contributions à un RÉER à des fins fiscales fasse partie de la fixation et du paiement des salaires, allocations et pensions des juges. Les mots " fixés et payés " visent la rémunération ou les allocations versées effectivement aux juges et non un report variable de l"impôt sur le revenu résultant d"une contribution discrétionnaire des juges à un RÉER. Ce report de l"impôt n"est pas visé par les termes de l"article 100.

[5]      L"article 100 repose sur le principe de l"indépendance judiciaire et nous ne répéterons pas tout ce qui a été écrit à ce sujet. Il suffit de dire que toute tentative de modifier par règlement les salaires, allocations ou pensions des juges sera jugée ultra vires de l"article 100 de la Loi constitutionnelle . Dans l"arrêt La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, le juge en chef Dickson écrit, à la page 77 :

Je tiens à nuancer ce que je viens tout juste de dire. Le pouvoir du Parlement de fixer les traitements et les pensions des juges des cours supérieures n"est pas illimité. S"il y avait un indice qu"une loi fédérale traitant de ces questions avait été adoptée dans un but malhonnête ou spécieux, ou si les juges étaient traités d"une manière discriminatoire par rapport aux autres citoyens, de graves questions se poseraient alors concernant l"indépendance judiciaire et la loi en question pourrait très bien être jugée ultra vires de l"article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 .

Le règlement 8309(2) n"est pas une tentative de modifier les salaires, allocations ou pensions des juges. Il n"est pas allégué non plus en l"espèce de but malhonnête ou spécieux. En fait, le but poursuivi par le règlement était de ramener le traitement des juges, quant au RÉER, au traitement qui est accordé à presque, sinon à tous les autres contribuables qui gagnaient un salaire comparable à celui des juges. Le règlement 8309(2) n"est pas incompatible avec l"article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 et n"est donc pas ultra vires pour cette raison.

[6]      L"appelante a ensuite plaidé que le règlement 8309(2) est ultra vires parce que la disposition habilitante est trop imprécise. L"alinéa 221(1)a ) de la Loi de l"impôt sur le revenu prévoit :

Le gouverneur en conseil peut, par règlement :
a) prendre les mesures réglementaires prévues par la présente loi;2

[7]      La définition de " maximum déductible au titre des RÉER " au paragraphe 146(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu prévoit :

" maximum déductible au titre des RÉER " Le maximum déductible au titre des régimes enregistrés d"épargne-retraite d"un contribuable, pour une année d"imposition, calculé selon la formule suivante :
         A + B - C
où :
A      représente les déductions inutilisées au titre des RÉER du contribuable à la      fin de l"année précédente;
B      l"excédent éventuel du moins élevé du plafond RÉER pour l"année et de      18 % du revenu gagné du contribuable pour l"année d"imposition      précédente sur le total des montants dont chacun représente le facteur      d"équivalence du contribuable pour l"année d"imposition précédente quant      à un employeur, ou le montant prescrit quant au contribuable pour l"année;
C      le facteur d"équivalence pour services passés net du contribuable pour      l"année.

Le pouvoir réglementaire se trouve à la fin de l"élément B :

" ou le montant prescrit quant au contribuable pour l"année ".

[8]      Il est clair que l"alinéa 221(1)a ) donne au gouverneur en conseil le pouvoir de prescrire tout ce qui doit être prescrit par la Loi de l"impôt sur le revenu et qu"un des éléments du calcul du maximum déductible au titre des RÉER peut être un " montant prescrit ". En conséquence, le gouverneur en conseil a le pouvoir de prescrire cet élément par règlement.

[9]      La question est maintenant de savoir si les mots " montant prescrit quant au contribuable pour l"année ", selon la définition de " maximum déductible au titre des RÉER " au paragraphe 146(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu sont, comme l"allègue l"appelante, trop imprécis pour permettre l"adoption du règlement 8309(2). L"argument de l"appelante est que le pouvoir de réglementer n"est pas limité quant à ce sur quoi peut porter le règlement ni quant aux personnes qui peuvent être visées.

[10]      Aucune jurisprudence n"a été citée quant au degré de précision exigé relativement à la Loi de l"impôt sur le revenu ou aux règlements qui en découlent. Quoi qu"il en soit, les mots qui font l"objet de notre attention doivent être lus dans leur contexte. Ils donnent le pouvoir au gouverneur en conseil de prescrire un montant qui réduit la déduction maximum possible au titre des RÉER. Ils suivent immédiatement un renvoi au " facteur d"équivalence d"un contribuable ", qui est aussi un montant pouvant être déduit de la déduction maximum possible au titre des RÉER. Nous ne croyons pas qu"il soit nécessaire d"aller plus loin. Laisser entendre que le pouvoir de réglementer est illimité et que de ce fait il ne peut être utilisé pour prescrire un règlement tel que le règlement 8309(2) revient à le lire en dehors de son contexte. Ce qui peut être prescrit est uniquement un montant qui réduit la déduction maximum possible au titre des RÉER. Les règlements doivent porter sur la contribution à un RÉER et sur des choses comme le facteur d"équivalence. Les autres Canadiens n"ont pas la possibilité de contribuer à un régime de pension et de contribuer à un RÉER jusqu"au montant maximum. Tel que nous l"avons mentionné, le règlement 8309(2) avait pour but de ramener le traitement accordé aux juges au même niveau que celui accordé aux autres Canadiens. En conséquent, nous ne pouvons être en accord avec la prétention de l"appelante voulant que le règlement soit ultra vires pour ce motif.

[11]      Le troisième argument de l"appelante est une variante du deuxième; le règlement 8309(2) impose un impôt et les termes de la définition de la " déduction maximum possible au titre des RÉER " ne sont pas suffisamment clairs pour déléguer au gouverneur en conseil le pouvoir d"imposer un impôt. Sans nous prononcer sur la question de savoir si le règlement impose ou non un impôt, nous sommes d"avis, pour les motifs déjà énumérés, que les termes de la loi sont suffisants pour permettre l"adoption du règlement.

[12]      En dernier lieu, l"appelante soutient que le règlement est nul parce qu"ambigu. L"appelante dit qu"il est possible de le lire de deux façons : primo - pour remplacer l"élément B en entier dans la définition de " déduction maximum possible au titre des RÉER "; et secundo - pour correspondre uniquement au " montant prescrit ". Il n"y a rien à ajouter aux motifs du juge suppléant Urie sur ce point, qui dit que le règlement ne peut refléter que le " montant prescrit " étant donné que c"est le seul pouvoir de réglementer cédé par le Parlement dans la définition même de la " déduction maximum possible au titre des RÉER ". Il n"y a aucune ambiguïté et le règlement n"est pas nul pour ce motif.

[13]      L"appel est rejeté. Conformément à l"entente survenue entre les avocats, il n"y aura pas d"adjudication de dépens.


" Marshall E. Rothstein "

J.C.A.


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  A-571-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Marguerite Trussler c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L"AUDIENCE :              Edmonton (Alberta)

DATE DE L"AUDIENCE :              Le 1er juin 1999




MOTIFS DU JUGEMENT EXPOSÉS PAR :      (Le juge en chef, les juges                                      Rothstein et Décary)


MOTIFS EXPOSÉS À L"AUDIENCE PAR :          Le juge Rothstein



ONT COMPARU :

Donald Cherniawsky                  pour l"appelante

Carman McNary                      pour l"intimée


AVOCATS AU DOSSIER :

Felesky Flynn                          pour l"appelante

Avocats

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                      pour l"intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      [1996] 1 C.T.C. 2355

2      L"alinéa a ) est en sus de la " clause générale " habituelle que l"on retrouve dans les dispositions habilitantes des lois. Cette disposition est l"alinéa 221(1)j ) et se lit : " prendre, de façon générale, les mesures nécessaires à l"application de la présente loi ".

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.