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CORAM:      LE JUGE DENAULT
         LE JUGE DÉCARY
         LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

     A-999-96

ENTRE:      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

         et:
         ALFREDO D'ASTOLI

     Intimé

Audience tenue à Montréal, Québec, le mercredi 8 octobre 1997

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le vendredi 24 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DENAULT

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE CHEVALIER

     A-999-96

OTTAWA, CE 24 OCTOBRE 1997

CORAM:      L'HONORABLE JUGE DENAULT
         L'HONORABLE JUGE DÉCARY
         L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER
ENTRE:      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

         et:
         ALFREDO D'ASTOLI

     Intimé

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DENAULT

     En l'espèce, s'appuyant sur un récent arrêt de cette Cour dans l'affaire Thibault1 qui a écarté une certaine interprétation de l'affaire Venditelli2, l'avocate du requérant demande de casser la décision du juge-arbitre qui, accueillant l'appel du prestataire, a jugé, comme dans Venditelli, que la décision du ministre du Revenu sur l'assurabilité de l'emploi emportait implicitement la conclusion que le prestataire, au moment où il a réclamé des prestations, exerçait un emploi et n'était donc pas un entrepreneur indépendant.

     J'estime que c'est l'interprétation donnée par cette Cour dans l'affaire Thibault qui doit maintenant prévaloir et qu'en conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

     L'affaire mérite cependant qu'on s'y attarde vu que le procureur de l'intimé suggère que de toute façon, la Cour devrait revenir à la règle établie dans Venditelli. Je ne partage pas cet avis et je m'en explique.

     Voyons brièvement les faits. Actionnaire à 25% et seul administrateur de Tuiles, Terrazzo, Marbre A. D'Astoli Inc., le prestataire s'occupe de son entreprise à plein temps. Il n'est pas contesté que son entreprise le tient occupé à l'année longue. Il a cependant déposé une demande de prestations d'assurance-chômage le 16 mars 19923 alléguant un manque de travail. (Dossier du requérant (D.R.) p.31-33). Dans une déclaration faite à la Commission, il a affirmé "... avoir des dettes et c'est pour cela qu'il retire des prestations de chômage" (D.R. p.38). Le 1er décembre 1992, la Commission a décidé que le prestataire n'avait pas occupé un emploi assurable entre le 25 mars 1991 et le 13 mars 1992 aux termes de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage (la Loi) et l'a avisé qu'il pouvait interjeter appel de cette décision auprès du ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 61(3) de la Loi (Dossier de l'intimé (D.I.)p.4). Le 22 juillet 1993, par son représentant, le ministre a décidé que l'emploi était assurable pour la période de référence du 25 mars 1991 au 13 mars 19924 vu qu'il existait une relation employé/employeur entre le prestataire et Tuiles, Terrazzo, Marbre A. D'Astoli Inc. (D.R. p.100). Il n'y a pas eu appel de cette décision.

     Le 15 novembre 1993, la Commission avisait l'intimé qu'il n'était pas admissible à des prestations pour sa période de prestations ayant commencé le 16 mars 1992 parce qu'il exploitait une entreprise à son compte ou à titre d'associé, qu'il faisait une semaine entière de travail et n'était pas en chômage (D.R. p.94). Pour ce faire, la Commission se fondait sur l'article 8 et les paragraphes 10(1) et 40(1) de la Loi et sur l'alinéa 43(1)a) du Règlement (D.R. p.94). Le prestataire en a appelé devant le conseil arbitral qui a maintenu la décision de la Commission. Il a toutefois obtenu gain de cause devant le juge-arbitre; c'est de cette décision dont le requérant demande le contrôle judiciaire.

     Devant le juge-arbitre, le procureur de l'intimé a plaidé que la Commission ne pouvait se fonder sur l'article 43 du Règlement et conclure que le prestataire était un travailleur indépendant ou exploitait une entreprise à son compte une fois que le ministre avait décidé, en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi, que le prestataire exerçait un emploi assurable qui "... contenait implicitement la conclusion que l'intimé exerçait un emploi...". C'est ce que la Cour avait statué dans Venditelli:

     La Commission d'assurance-chômage, conformément au paragraphe 75(3) [maintenant le paragraphe 61(3)] de la Loi sur l'assurance-chômage, a demandé au ministre du Revenu national de régler la question de savoir si l'intimé exerçait un emploi assurable. L'avocat du requérant a admis que la décision a été que tel était le cas. Le règlement de cette question contenait implicitement la conclusion que l'intimé "exerçait un emploi" ce qui signifie qu'il était un "employé". En conséquence, on ne pouvait conclure qu'il était engagé dans les affaires pour son propre compte. La Commission n'a pas interjeté appel du règlement de la question par le ministre et, à notre avis, la Commission est liée par sa décision. En conséquence, compte tenu des faits non contestés de l'affaire, l'intimé avait droit à une décision favorable quant à sa demande de prestations.

     C'est sur la base de cette décision que le juge-arbitre a donné raison au prestataire. Il a en effet estimé que "... cette décision du ministre emporte implicitement la conclusion voulant que le prestataire exerçait au moment pertinent un emploi ce qui exclut la possibilité qu'il ait été au même moment entrepreneur indépendant". Se disant alors lié par la décision de cette Cour, le juge-arbitre a conclu "... qu'il n'était pas loisible à la Commission et partant, au conseil arbitral, de conclure que le prestataire était entrepreneur indépendant au moment pertinent" (D.R. p.13). Or, c'est précisément cette interprétation qui a été répudiée récemment dans l'affaire Thibault où, sous la plume du juge Hugessen, cette Cour a décidé ainsi:

     Le requérant prétend que parce qu'il occupait, à titre d'exploitant d'entreprise, un emploi assurable, la Commission ne pouvait pas appliquer l'art. 43(1) du Règlement à son cas afin de l'exclure du bénéfice des prestations. Cet argument n'est pas recevable. L'assurabilité de l'emploi constitue, bien sûr, une condition essentielle à l'admissibilité, mais elle n'en est pas la garantie. Si la décision de cette Cour dans l'affaire Venditelli est susceptible d'une telle interprétation (ce dont nous doutons), elle ne devra pas être suivie.

     Ainsi donc, le procureur de l'intimé plaide que la décision du ministre du Revenu national quant à l'assurabilité de l'emploi du prestataire lie la Commission quant à son admissibilité à des prestations, à tout le moins en regard de son état de chômage (articles 8 et 10 de la Loi et paragraphe 43(1) du Règlement) et qu'il y a lieu de revenir à la règle établie dans Venditelli.

     J'estime que cette interprétation résulte d'une méconnaissance de la Loi et de son fonctionnement. Précisons d'abord, en forme abrégée, qu'à l'égard d'une personne qui demande des prestations d'assurance-chômage, la Commission doit procéder à deux opérations différentes: vérifier si le prestataire a exercé un emploi assurable durant sa période de référence, et établir à son profit une période de prestations durant laquelle on vérifiera son admissibilité.

     En effet, aux termes de la Partie I de la Loi, des prestations d'assurance-chômage sont payables à un assuré qui remplit les conditions requises pour recevoir ces prestations (article 6). Il doit, entre autres conditions, avoir d'abord exercé, au cours de sa période de référence, un emploi assurable pendant un certain nombre de semaines. Dès que se pose cependant, lors d'une demande de prestations, une question relativement à l'assurabilité de l'emploi du prestataire, il faut alors s'en reporter à la Partie III de la Loi. Aux termes du paragraphe 61(3) de la Loi, la Commission, l'employé en cause ou l'employeur peut demander au ministre du Revenu national de déterminer entre autres s'il y a eu exercice d'un emploi assurable et la durée de celui-ci (article 52). Cette décision est sujette à appel devant la Cour canadienne de l'impôt (article 70). Précisons qu'en l'espèce, le ministre a décidé, à la demande du prestataire, que celui-ci avait exercé un emploi assurable du 25 mars 1991 au 12 mars 1992. Une fois cette question réglée, la Commission doit établir au profit du prestataire la période de prestations et des prestations lui sont dès lors payables pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période (article 8). L'article 10 précise qu'une semaine de chômage est une semaine pendant laquelle le prestataire n'effectue pas une semaine entière de travail, et l'article 43 du Règlement crée une présomption qu'un travailleur qui exploite une entreprise à son compte ou à titre d'associé ou de co-intéressé est censé travailler une semaine entière à moins qu'il établisse consacrer si peu de temps à cet emploi qu'il ne saurait normalement compter sur celui-ci comme principal moyen de subsistance.

     Tel qu'il appert de ce bref exposé, l'assurabilité d'un emploi et l'admissibilité à des prestations constituent deux éléments que la Commission doit évaluer relativement à deux périodes distinctes. Le législateur a cependant voulu soumettre l'analyse de chacun de ces éléments à des régimes distincts qui ne doivent pas être confondus, "le processus de détermination de l'assurabilité d'un emploi... [étant] étranger à celui de l'admissibilité aux prestations"5. Alors que la question de l'assurabilité relève du ministre du Revenu national - et de la Cour canadienne de l'impôt s'il y a appel - et vise la période de référence, par ailleurs lorsqu'une question d'admissibilité aux prestations se présente, elle relève de la Commission elle-même - et du conseil arbitral et du juge-arbitre s'il y a appel - et vise la période de prestations. La décision rendue sur l'assurabilité ne saurait donc lier la Commission que sur cette question, et non lorsqu'elle a à décider de l'admissibilité à des prestations.

     Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du juge-arbitre et je retournerais le dossier au juge-arbitre en chef pour qu'il en soit décidé en tenant pour acquis que la décision du conseil arbitral approuvant la décision de la Commission doit être rétablie.

J.C.F.C.

"J'y souscris

         Robert Décary, j.c.a."

"J'y souscris

         François Chevalier, j.s."

     A-999-96

OTTAWA, CE 24 OCTOBRE 1997

CORAM:      L'HONORABLE JUGE DENAULT
         L'HONORABLE JUGE DÉCARY
         L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER
ENTRE:      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

         et:
         ALFREDO D'ASTOLI

     Intimé

     J U G E M E N T

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge-arbitre est annulée et le dossier est retourné au juge-arbitre en chef pour que lui-même ou un autre juge-arbitre qu'il désignera la reconsidère en tenant pour acquis que la décision du conseil arbitral approuvant la décision de la Commission doit être rétablie.

J.C.F.C.

__________________

1      Robert Thibault c. La Commission de l'emploi et de l'immigration (non rapporté), 1er mai 1997, dossier A-247-96 (CUB 32697).

2      Le Procureur général du Canada c. Louis Venditelli (non rapporté), 1er juin 1982, dossier A-860-81 (CUB 7015).

3      Il a aussi réclamé des prestations le 28 décembre 1989 (dossier A-1000-96), et le 11 janvier 1991 (dossier A-1001-96).

4      Dans la même décision, le représentant du ministre a aussi décidé de l'assurabilité de l'emploi du 14 février 1989 au 22 décembre 1989 (dossier A-1000-96) et du 15 janvier 1990 au 7 décembre 1990 (dossier A-1001-96).

5      Jocelyne Daoust c. Ministre du Revenu national, A-108-96, 1er octobre 1996 (non rapporté).


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:

A-999-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:

Procureur général du Canada

c. Alfredo D'Astoli

LIEU DE L'AUDIENCE:

Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE:

le mercredi 8 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:

Denault j.

Y ONT SOUSCRIT:

Décary j.c.a.

Chevalier j.s.

EN DATE DU:

le vendredi 24 octobre 1997

COMPARUTIONS:

Me Carole Bureau

pour la partie requérante

Me Robert Pillo

pour la partie intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

pour la partie requérante

Me Robert Pillo

Montréal, Québec

pour la partie intimée

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