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Date : 20010402

Dossier : A-816-99

Référence neutre : 2001 CAF 92

Coram :            LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

Entre :

                                                      YVETTE MARCOUX

                                                                                                                               Appelante

ET

                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                     Intimé

Audience tenue à Montréal, Québec, le mardi 20 mars 2001

Jugement rendu à Ottawa, Ontario, le lundi 2 avril 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                  LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                LE JUGE DÉCARY

                                                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20010402

Dossier : A-816-99

Référence neutre : 2001 CAF 92

Coram :            LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

Entre :

                                                      YVETTE MARCOUX

                                                                                                                               Appelante

ET

                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                     Intimé

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une décision rendue par le juge Denault (la décision est répertoriée au 2000 D.T.C. 6010) par laquelle il rejeta la demande de contrôle judiciaire de l'appelante visant à faire annuler une demande péremptoire de paiement émise en vertu du paragraphe 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1) (la "Loi") exigeant de The Manufacturers Life Insurance Company ("la Financière Manuvie") qu'elle verse au Receveur général 30% du montant dû à l'appelante en vertu de son régime supplémentaire de rente de retraite.


[2]                La dette qui a donné lieu à la demande péremptoire est issue d'un avis de cotisation émis en juin 1997 à l'encontre de l'appelante au montant de 1 992,53 $ pour l'année d'imposition 1996. Cette dette demeurant impayée, le ministre du Revenu émit en date du 5 mars 1998 une demande formelle de paiement à la Financière Manuvie pour la saisie d'une portion de 30% du montant dû à l'appelante.

[3]                La Financière Manuvie a respecté cette obligation à partir du 1er avril 1998 et la dette de l'appelante pour l'année d'imposition 1996 a été payée en totalité. Une deuxième demande de contrôle judiciaire fut intentée par l'appelante relativement à une deuxième demande formelle de paiement visant l'année fiscale 1998. Cette demande a cependant fait l'objet d'une ordonnance de suspension jusqu'à ce qu'un jugement final soit rendu dans le présent dossier.

[4]                L'appelante a contesté cette demande alléguant l'insaisissabilité des sommes visées aux termes du paragraphe 553(7) du Code de procédure civile et des articles 2377 et 2378 du Code civil du Québec.

[5]                Le premier juge conclut dans un premier temps que les faits de la présente affaire ne donnaient pas ouverture à l'application des articles 2377 et 2378 du Code civil. Il conclut aussi que l'appelante n'avait pas démontré que son employeur avait cotisé à son régime de rente comme l'exige le paragraphe 553(7) du Code de procédure civile.


[6]                L'appelante a concédé devant nous que les dispositions du Code civil ne peuvent trouver application à la lumière du dossier tel que constitué devant le premier juge. Les deux parties ont cependant plaidé leur cause en prenant pour acquis que le paragraphe 553(7) du Code de procédure civile pouvait trouver application malgré la conclusion à laquelle en est venu le premier juge. À cet égard, la preuve révèle que l'employeur a de fait cotisé au régime de retraite de l'appelante et que le premier juge ne pouvait écarter de façon préliminaire l'application du paragraphe 553(7) du Code de procédure civile (voir le paragraphe 8 de l'affidavit circonstancié de l'appelante, dossier d'appel, page 28).

[7]                Malgré sa conclusion préliminaire, le premier juge poursuivit son analyse et en vint à la conclusion qu'à tout événement, les exceptions d'insaisissabilité prescrites par le Code civil et le Code de procédure civile ne sont pas opposables à l'intimé. L'analyse des articles 224 et 225 de la Loi révèle, selon le premier juge, qu'il faut opérer une distinction entre une saisie portant sur des biens meubles et la saisie d'une somme d'argent en mains tierces. Selon le premier juge, le législateur fédéral a choisi de traiter ces deux modes de saisie différemment en excluant les règles d'insaisissabilité provinciales aux fins de l'article 224 et en les adoptant aux fins de l'article 225. Le juge de première instance ajouta en guise de conclusion que la Loi constitue un code complet qui possède une autonomie véritable par rapport au droit privé.

[8]                Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes:


Paragraphes 224(1), 225 (1) et (5) de la Loi

224 (1) S'il sait ou soupçonne qu'une personne est ou sera, dans les douze mois, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle-même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée "débiteur fiscal" au présent paragraphe et aux paragraphes (1.1) et (3)), le ministre peut exiger par écrit de cette personne que les fonds autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, sans délai si les fonds sont immédiatement payables, sinon au fur et à mesure qu'ils deviennent payables, au receveur général au titre de l'obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

225 (1) Lorsqu'une personne n'a pas payé un montant exigible en vertu de la présente loi, le ministre peut lui donner un avis au moins de 30 jours avant qu'il procède, par lettre recommandée à la dernière adresse connue de cette personne, de son intention d'ordonner la saisie et la vente des biens meubles de cette personne; si, au terme des 30 jours, la personne est encore en défaut de paiement, le ministre peut délivrer un certificat de défaut et ordonner la saisie des biens meubles de cette personne.

[...]

(5) Les biens meubles de toute personne en défaut qui seraient insaisissables malgré un bref d'exécution décerné par une cour supérieure de la province dans laquelle la saisie est opérée sont exempts de saisie en vertu du présent article.

224 (1) Where the Minister has knoweldge or suspects that person is, or will be within one year, liable to make a payment to another person who is liable to make a payment under this Act (in this subsection and subsections (1.1) and (3) referred to as the "tax debtor"), the Minister may in writing require the person to pay forthwith, where the moneys are immediately payable, and in any other case as and when the moneys become payable, the moneys otherwise payable to the tax debtor in whole or in part to the Receiver General on account of the tax debtor's liability under this Act.

225 (1) Where a person has failed to pay an amount as required by this Act, the Minister may give 30 days notice to the person by registered mail addressed to the person's latest known address of the Minister's intention to direct that the person's goods and chattels be seized and sold, and, if the person fails to make the payment    before the expiration of the 30 days, the Minister may issue a certificate of the failure and direct that the person's goods and chattels be seized.

...

(5) Exemptions from seizure. Such goods and chattels of any person in default as would be exempt from seizure under a writ of execution issued out of a superior court of the province in which the seizure is made are exempt from seizure under this section.

Paragraphe 553(7) du Code de procédure civile

553. Sont insaisissables:

7. Les prestations accordées au titre d'un régime complémentaire de retraite auquel cotise un employeur pour le compte de ses employés, les autres sommes déclarées insaisissables par une loi régissant ces régimes ainsi que les cotisations qui sont ou doivent être versées à ces régimes;

553. The following are exempt from seizure:

(7) Benefits payable under a supplemental pension plan to which an employer contributes on behalf of his employees, other amounts declared unseizable by an Act governing such plans and contributions paid or to be paid into such plans;

Analyse et décision


[9]                L'avocat de l'appelante a plaidé à bon droit que l'affaire St-Cyr c. La Société D'administration Et De Fiducie et al. And The King, 1951 D.T.C. 512, p.514 (C.S.Q.) ainsi que la jurisprudence qui en découle, dont Perron c. La Reine (T-1911-89, 14 mai 1990 C.F.), ne reflètent plus l'état du droit en la matière dans la mesure où elles se fondent sur l'article 9 du Code civil du Bas-Canada. En effet, l'article 9 du Code civil du Bas-Canada qui préservait la prérogative de la Couronne à moins de disposition expresse à l'effet contraire n'est plus en vigueur depuis l'entrée en vigueur du Code civil du Québec en date du 1er janvier 1994.


[10]            Celà étant dit, le débat tel qu'il fut présenté devant nous ne soulève en fin de compte qu'une simple question d'interprétation statutaire. En effet, l'avocat de l'appelante a concédé, comme il le fit devant le premier juge, que le Parlement du Canada possède l'autorité législative pour prélever des deniers « par tous les modes ou systèmes de taxation » (par. 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867) (R.-U), 30 & 31 Vict. ch. 3), que cette compétence inclut celle de recouvrer les impôts ainsi prélevés (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Transgas Ltd. c. Mid-Plains Contractors Ltd., [1994] 3 R.C.S. 753; Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481) et que l'article 224 s'inscrit dans le cadre de l'exercice légitime de ce pouvoir (Sun Life Assurance Company of Canada c. Canada, [1992] 4 W.W.R. 504).    Le procureur de l'appelante a aussi reconnu que le législateur fédéral dans l'exercice de ce pouvoir est libre d'écarter ou d'adopter les exceptions d'insaisissabilité décrétées par le droit provincial (Wainio c. Ontario Teachers' Pension Plan Board, [2000] O.J. No. 1175 (Q.L.) para. 6) de sorte que la seule question qui se pose en l'instance est celle de savoir si ces exceptions furent ou non écartées à l'égard de saisies effectuées en vertu de l'article 224.

[11]            L'avocat de l'appelante soumet que le premier juge a erré en répondant à cette question dans l'affirmative. Plus précisément il aurait erré en concluant que l'article 224, malgré son silence, a comme effet d'écarter les exceptions d'insaisissabilité décrétées par le Code de procédure civile. Il rappelle qu'au Québec, le Code civil et le Code de procédure civil constituent le corpus du droit privé et que les règles qu'on y retrouve ont vocation de droit supplétif en matière fédérale. Les paragraphes 24 à 59 des motifs du juge Décary dans Procureur général du Canada c. Constance St-Hiliaire, 2001 CAF 63 jugement inédit rendu le 19 mars 2001 (A-355-99) sont cités à cet égard.

[12]                        L'avocat de l'appelante ajoute que l'interprétation retenue par le premier juge crée un paradoxe dans la mesure où l'insaisissabilité des biens d'un débiteur fiscal serait fonction de la procédure de recouvrement choisie par le fisc. Il conclut que le silence de l'article 224 sur la question de l'insaisissabilité des biens visés par cet article doit être interprété comme un renvoi au droit privé applicable en la matière, en l'occurrence au Code civil et au Code de procédure civile.


[13]            Selon moi, cette attaque à l'encontre de la décision de première instance doit être rejetée puisque l'on ne peut ici parler de silence du législateur. Comme l'a souligné le juge Décary dans l'affaire St-Hilaire (précitée) au paragraphe 30 de ses motifs, le législateur fédéral demeure libre d'écarter le droit civil lorsqu'il légifère sur un sujet de droit qui relève de sa compétence. Or, l'article 224 lorsque lu avec l'article 225 démontre que le législateur fédéral en créant les modes de saisies prévus à ces articles avait à l'esprit les exceptions d'insaisissabilité décrétées par le droit privé, et qu'il a choisi d'en tenir compte à l'article 225 et de ne pas en tenir compte à l'article 224. Contrairement à ce qu'affirme l'avocat de l'appelante, le législateur s'est exprimé sur la question qui nous occupe.

[14]            De plus, aucun paradoxe ne découle de ce choix. Alors qu'il est vrai qu'une créance est un bien meuble et que la saisie d'une créance pourrait à première vue aussi s'effectuer en vertu de l'article 224, une lecture attentive révèle que l'utilisation du pouvoir prévu à l'article 225 est réservée à la saisie de meubles meublants alors que l'article 224 est réservé à la saisie de créances. Tout comme une créance ne saurait être assujettie à « la saisie et la vente de biens meubles » qu'autorise l'article 225, l'article 224 ne pourrait non plus être utilisé pour saisir des meubles meublants. Il est donc faux de dire que l'insaisissabilité des biens d'un débiteur fiscal est fonction de la procédure de recouvrement choisie par le fisc.


[15]            C'est donc à bon droit que le premier juge a conclu à la légalité de la saisie pratiquée en l'instance malgré l'exception d'insaisissabilité prévue au paragraphe 553(7) du Code de procédure civile.

[16]            Je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                        "Marc Noël"                     

                                                                                                     j.c.a.

"Je suis d'accord.

Robert Décary j.c.a."

Je suis d'accord.

Gilles Létourneau j.c.a."

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