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Date : 19980312


Dossier : A-288-97

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 12 MARS 1998.

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

         INDEPENDENT CONTRACTORS AND BUSINESS ASSOCIATION, KNAPPETT CONSTRUCTION LTD., CCM CONSTRUCTION LTD. et KINETIC CONSTRUCTION LTD.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

         LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR RÉGIONAL DU TRAVAIL, VANCOUVER ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés

     (intimés).

     JUGEMENT

[1]      L'appel des entrepreneurs est accueilli, l'ordonnance de la Section de première instance datée du 2 avril 1997 est annulée et le délai imparti aux entrepreneurs pour présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision du directeur régional datée du 6 décembre 1996 est prorogé de 21 jours à partir de la date du présent jugement.

[2]      L'appel de l'association est rejeté.

                                 A.J. STONE
                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


Date : 19980312


Dossier : A-288-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

         INDEPENDENT CONTRACTORS AND BUSINESS ASSOCIATION, KNAPPETT CONSTRUCTION LTD., CCM CONSTRUCTION LTD. et KINETIC CONSTRUCTION LTD.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

         LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR RÉGIONAL DU TRAVAIL, VANCOUVER ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés

     (intimés).

Audience tenue à Vancouver (C.-B.), le mardi 24 février 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 12 mars 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE STONE, J.C.A.

ONT SOUSCRIT :      LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

     LE JUGE ROBERTSON, J.C.A.



Date : 19980312


Dossier : A-288-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :

         INDEPENDENT CONTRACTORS AND BUSINESS ASSOCIATION, KNAPPETT CONSTRUCTION LTD., CCM CONSTRUCTION LTD. et KINETIC CONSTRUCTION LTD.,

     appelantes

     (requérantes),

     - et -

         LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR RÉGIONAL DU TRAVAIL, VANCOUVER ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés

     (intimés).

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE, J.C.A. :

[1]      L'appel vise l'ordonnance de la Section de première instance datée du 2 avril 1997 rejetant une requête en prorogation du délai imparti pour présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision rendue par le directeur régional du ministère du Travail, Vancouver (le " directeur régional ") en application du Règlement sur les justes salaires et les heures de travail , C.R.C. 1978, ch. 1015 (le " Règlement ").

[2]      Le Règlement a été pris en vertu de la Loi sur les justes salaires et les heures de travail, L.R.C. (1985), ch. L-4 (la " Loi "). Aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi, tout contrat conclu avec le gouvernement du Canada pour la construction, la restauration, la réparation ou la démolition de quelque ouvrage est assujetti à certaines conditions, notamment celle que les employés en cause touchent de " justes salaires "1. Ce terme est défini à l'article 2 de la Loi et s'entend des " salaires généralement réputés courants pour les ouvriers qualifiés dans le district où le travail est exécuté... ".

[3]      Le paragraphe 4(1) du Règlement habilite le directeur régional du ministère du Travail en poste à différents endroits au Canada à " s'assurer du paiement des taux de salaire généralement réputés courants pour les ouvriers qualifiés dans le district où le travail doit être exécuté par contrat, compte tenu de la nature ou de la catégorie du travail auquel seront affectés les ouvriers employés à l'ouvrage à être exécuté par contrat ".

[4]      Le libellé de l'article 5 du Règlement est le suivant :

                 5. Le Directeur peut établir un barème des taux de salaire déterminé par lui conformément au paragraphe 4(1) ou 4(2), mais les taux de salaire indiqués dans le barème ne doivent, en aucune circonstance, être inférieurs au salaire horaire minimum prescrit par la Partie III du Code canadien du travail.                 

[5]      La première appelante (l'" association ") est un regroupement bénévole d'entrepreneurs à atelier ouvert, c.-à-d. d'entrepreneurs qui ne sont pas agréés par les syndicats appartenant au conseil des métiers de la construction de la Colombie-Britannique et du Yukon. Elle se décrit elle-même, à l'article premier de son règlement intérieur, comme la représentante du secteur de la construction à atelier ouvert en Colombie-Britannique2. Les autres appelantes (les " entrepreneurs ") sont toutes membres de l'association.

[6]      Le 3 février 1995, le directeur régional en poste à Vancouver, W.R. (Bill) Ross, a écrit à l'adjudicateur fédéral en Colombie-Britannique relativement à l'application de la Skills Development and Fair Wage Act, S.B.C. 1994, ch. 22, de la Colombie-Britannique et lui a communiqué une modification apportée au barème des taux de salaire en vigueur depuis 1993. Dès lors, il allait utiliser le salaire horaire minimum dans la province pour déterminer les justes salaires à l'égard des projets auxquels s'appliquait la loi provinciale advenant le dépôt d'une plainte. Avant le 3 février 1995, le directeur régional consultait les entrepreneurs locaux pour déterminer les justes salaires aux fins du paragraphe 4(1) du Règlement.

[7]      À la fin de février ou au début de mars 1995, les membres de l'association se sont réunis et se sont mis en rapport avec le directeur régional pour le convaincre de revenir sur sa décision. Malgré le nombre considérable de documents qui lui a été présenté, le directeur régional n'a transmis aucune réponse écrite à l'association. Toutefois, en octobre 1996, l'association s'est rendue compte que la décision était appliquée. À peu près au même moment, les membres de l'association qui présentaient des soumissions à l'égard de projets de construction fédéraux ont été informés de la décision du 3 février 1995, bien que le texte de celle-ci ait dû accompagner les dossiers d'appel d'offres3. Le 28 octobre 1996, lors d'une rencontre avec le directeur régional, l'avocat de l'association a remis à ce dernier une lettre officielle d'opposition selon laquelle la décision du 3 février 1995 outrepassait les pouvoirs que conférait le Règlement au directeur régional. Un complément de documentation a été transmis à ce dernier le 29 octobre 1996 aux fins de le contraindre à reconsidérer la méthode adoptée pour déterminer les taux de salaire applicables à la grandeur de la Colombie-Britannique.

[8]      Dans une lettre datée du 6 décembre 1996, le directeur régional a informé l'association, en renvoyant expressément à la lettre de l'avocat datée du 28 octobre 1996, que conformément à l'article 4 du Règlement, il avait :

                 [TRADUCTION]                 
                 ... décidé que, pour les projets de construction qui respectent les conditions de la Skills Development and Fair Wages Act de la Colombie-Britannique (c.-à-d. des projets dont la valeur estimative est de 250 000 $ ou plus et qui ne sont pas visés par les exceptions prévues dans le Règlement), c'est le taux horaire (et non le taux des prestations) qui sera utilisé comme juste salaire et que la province de la Colombie-Britannique tiendra lieu de district.                 

[9]      L'avocat de l'association a transmis au directeur régional des lettres datées du 30 décembre 1996 et du 31 janvier 1997 pour l'informer de l'intention de sa cliente de demander le contrôle judiciaire de la décision du 6 décembre 1996 et, au besoin, la prorogation du délai de trente jours imparti pour le faire. La requête en prorogation fondée sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale a été produite le 25 février 1997.

[10]      Selon le juge des requêtes, la lettre du 6 décembre " n'est qu'une réponse de courtoisie réitérant l'essentiel de la décision du 3 février 1995 ". Il conclut par ailleurs, indépendamment de la date à laquelle la décision a été prise, soit le 3 février 1995 ou le 6 décembre 1996, que le délai ne devrait pas être prorogé, car les appelantes ne l'ont pas convaincu de leur intention véritable de demander un contrôle judiciaire dans le délai imparti au paragraphe 18.1(2) et n'ont fourni aucune explication valable pour justifier leur retard. Voici ce qu'il dit aux pages 2 et 3 de ses motifs :

                 ... je ne suis pas convaincu que les requérantes ont démontré qu'elles avaient véritablement l'intention de demander le contrôle judiciaire dans le délai de trente jours prescrit par la loi, et cette conclusion doit être maintenue que la date de la décision contestée soit fixée au mois de février 1995 ou au mois de décembre 1996. Qui plus est, les requérantes n'ont pas fourni d'explication raisonnable pour justifier le retard qui a précédé le dépôt de leur avis introductif de requête le 25 février 1997. S'il y avait eu des éléments de preuve indiquant que les parties essayaient de négocier, les requérantes auraient peut-être pu démontrer que ce retard était " raisonnable ". Cependant, aucun élément de preuve de ce genre n'a été produit. Il importe de signaler que deux lettres rédigées par l'avocat de l'ICBA et adressées au directeur Bill Ross n'ont jamais reçu de réponse.                 

[11]      Voici le libellé des dispositions législatives pertinentes, soit les paragraphes 18.1(1) et (2) et l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale :

18.1      (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

     (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

     (3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

...

b)      déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

[12]      J'examinerai tout d'abord les prétentions des entrepreneurs.

[13]      Le dossier n'établit pas clairement que l'un ou l'autre des entrepreneurs a présenté une offre relativement à un projet de construction fédéral en Colombie-Britannique depuis le changement apporté à la politique le 3 février 1995. Il révèle que chacun d'entre eux a soumissionné relativement à un tel projet dans le passé, qu'il compte continuer de le faire4 et qu'un d'entre eux - Kinetic Construction Ltd. - a présenté la soumission la plus basse à l'égard d'un projet de construction visé par la Loi, mais que le contrat ne lui a pas été adjugé avant le 13 février 19975.

[14]      Ces éléments me convainquent que chacun des entrepreneurs est " directement touché " par la décision et peut donc, suivant l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale , en demander le contrôle judiciaire en vue d'obtenir le redressement prévu à l'alinéa 18.1(3)b), à la condition de le faire dans le délai imparti. L'un des motifs pour lesquels un redressement peut être accordé sur le fondement du paragraphe 18.1(3) est, comme le précise l'alinéa 18.1(4)a), que l'office fédéral " a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer ".

[15]      Une personne directement touchée par une décision peut perdre le droit de demander un tel redressement si elle n'engage pas la procédure de contrôle judiciaire " dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance ". Le cas échéant, elle n'a d'autre choix que de demander une prorogation de délai sur le fondement du paragraphe 18.1(2).

[16]      Les circonstances dans lesquelles le directeur régional a pris sa décision sont inhabituelles dans la mesure où aucune des appelantes n'avait demandé la modification de la politique régionale applicable avant le 3 février 1995. En fait, non seulement les appelantes n'ont pas formulé une telle demande, mais elles se sont toutes opposées à la modification. Le directeur régional a simplement exercé le pouvoir qu'il estimait avoir de modifier la politique en vigueur avant le 3 février 1995. Bien que le directeur régional ait manifestement voulu que la décision s'applique de façon continue, cet élément ne permet pas de conclure que le délai de trente jours imparti au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale n'a pas expiré6.

[17]      L'article 6 prévoit la façon dont est communiquée la décision prise aux termes des articles 4 et 5 du règlement :

6.      (1) Tout adjudicateur doit, avant de solliciter des offres de soumission (sic) ou avant de passer un contrat, informer le Directeur, par écrit, de la nature du contrat qu'on se propose d'adjuger ainsi que des classifications d'emplois ou d'ouvrages que comportera probablement ledit contrat.

     (2) Sous réserve de l'article 7, le Directeur devra, sur réception d'un avis tel qu'il est indiqué dans le paragraphe (1), adresser à l'adjudicateur un barème de taux de salaire décrit à l'article 5, dûment applicable au contrat projeté.

     (3) Toute modification apportée au barème de taux de salaire dont il est fait mention dans le paragraphe (2) devra être communiquée par le Directeur à l'adjudicateur qui, dès sa réception, en adressera un exemplaire à chacun des entrepreneurs en cause.

[18]      Comme la Cour le signale dans l'arrêt Atlantic Coast Scallop Fishermen's Association et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1995), 189 N.R. 220, à la page 222, le paragraphe 18.1(2) exige de l'instance décisionnelle qu'elle accomplisse un acte positif quelconque pour communiquer ses décisions aux parties directement touchées. Toutefois, en l'espèce, ni la Loi ni le Règlement n'obligent le directeur régional à communiquer sa décision directement à chacun des entrepreneurs susceptibles d'être parties à un contrat de construction fédéral. Le paragraphe 6(3) du Règlement prévoit plutôt que c'est l'" adjudicateur " qui informe les entrepreneurs de toute modification apportée au barème de taux de salaire " en adress[ant] un exemplaire à chacun des entrepreneurs en cause ". Il ressort du dossier que l'adjudicateur s'acquitte habituellement de cette obligation en joignant le texte de la décision au dossier d'appel d'offres qui invite les entrepreneurs à soumissionner relativement à un projet de construction fédéral7.

[19]      Les appelantes font valoir qu'avant de déterminer la date de la " première communication " de la décision aux entrepreneurs, on doit tout d'abord déterminer la date de la décision. Elles soutiennent qu'elle a été prise le 6 décembre 1996, et non le 3 février 1995. Je suis d'accord. Il est évident que le directeur régional a décidé, le 3 février 1995, d'appliquer les taux de salaire provinciaux à l'égard des projets de construction fédéraux en Colombie-Britannique. Toutefois, on lui a demandé à l'hiver de 1995, puis à l'automne de 1996, de revoir sa décision à la lumière des documents présentés et de l'argument selon lequel la décision outrepassait sa compétence. C'est ce qu'il semble avoir fait avant de rédiger la lettre du 6 décembre 1996. Je me permets de citer à cet égard les propos du juge Noël dans la décision Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 101 F.T.R. 230, à la page 236 :

Chaque fois qu'une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue. [Comparer avec Peplinski c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1993), 58 F.T.R. 247 (C.F. 1re inst.)]. La question qui se pose est de savoir s'il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l'autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d'arguments dont elle n'avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

Voir également Soimu c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 83 F.T.R. 285, aux paragraphes 5 et 6.

[20]      En 1995, puis à nouveau en 1996, l'association a approché le directeur régional dans le but manifeste de promouvoir les intérêts de ses membres, dont elle se faisait le porte-parole. C'est ce qui ressort de la lettre de l'avocat datée du 28 octobre 1996, dont voici un extrait (à la page 7) :

[TRADUCTION]

Les membres de l'ICBA sont disposés à payer " les salaires généralement réputés courants pour les ouvriers qualifiés dans le district " relativement à des projets de construction fédéraux. Les membres de l'ICBA s'opposent toutefois à l'établissement d'un barème de taux de salaire arbitraire qui ne tient pas compte de la définition de " justes salaires " dans la Loi ou les contrats.8

     [Non souligné dans l'original.]

Dans ce contexte, il n'était pas nécessaire, selon moi, de communiquer à nouveau la nouvelle décision aux entrepreneurs de la façon prévue au paragraphe 6(3) du Règlement. Le dossier révèle qu'au moment de la rencontre d'octobre 1996, les membres de l'association, y compris les entrepreneurs, connaissaient la teneur de la décision du 3 février 1995. Pour quelle autre raison s'y seraient-ils opposés comme ils l'ont fait par l'entremise de leur intermédiaire?

[21]      Une décision nouvelle ayant été prise puis communiquée le 6 décembre 1996, il reste à déterminer si la Cour d'appel devrait intervenir dans ce qui, sans aucun doute, constitue l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au juge des requêtes. La Cour suprême du Canada a clairement statué que l'intervention était l'exception et non la règle dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass et autres, [1997] 3 R.C.S. 391, (1997), 218 N.R. 81, où elle dit ce qui suit aux pages 426 et 427 :

La suspension des procédures est une réparation discrétionnaire. Par conséquent, une cour d'appel ne peut pas intervenir à la légère dans la décision d'un juge de première instance d'accorder ou de ne pas accorder cette suspension. La situation en l'espèce ressemble à celle que notre collègue le juge Gonthier a évoquée dans l'arrêt Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367, à la p. 1375 : [U]ne cour d'appel ne sera justifiée d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance que si celui-ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.

     [Non souligné dans l'original.]

[22]      De même, dans l'arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, à la page 9, la Cour a statué que lorsqu'elle était appelée à examiner une ordonnance discrétionnaire, son rôle n'était pas de substituer l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui du tribunal inférieur, mais plutôt de déterminer si celui-ci avait commis ou non une erreur de droit.

[23]      Les appelantes prétendent que le juge des requêtes s'est trompé en refusant d'accorder une prorogation parce qu'elles n'avaient pas établi leur intention véritable de demander un contrôle judiciaire ni justifié leur retard.

[24]      L'arrêt charnière aux fins de déterminer s'il y a lieu d'accorder ou non une prorogation est celui de la Cour dans l'affaire Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 2 F.C. 263. À la page 272, le juge en chef Thurlow dit qu'on doit tout d'abord se demander si la prorogation du délai est nécessaire pour que " justice soit faite " entre les parties. Les facteurs normalement pris en considération aux fins de la réalisation de cet objectif sont résumés par le juge Strayer dans l'arrêt Nelson c. Le commissaire du Service correctionnel et al. (1996), 206 N.R. 180 (C.A.F.), à la page 181 :

Les principaux facteurs à prendre en considération pour examiner s'il y a lieu à prorogation sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour, savoir : la volonté, exprimée en temps voulu, d'engager la procédure; l'existence d'un dossier défendable; la cause et la longueur réelle du retard; et la question de savoir si le retard a été cause de préjudice.

Comme le dit le juge Hugessen, J.C.A. au nom de la Cour dans l'arrêt Council of Canadians et al. c. Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence et al. (1997), 212 N.R. 254 (C.A.F.), à la page 255 (texte anglais), bien qu'" il n'existe pas de liste de contrôle immuable à vérifier chaque fois qu'une demande de prorogation de délai est examinée ", la Cour se demande généralement si le requérant a un dossier défendable et s'il a justifié l'omission d'agir dans le délai imparti.

[25]      Dans ses motifs, le juge des requêtes ne fait aucune allusion à un préjudice susceptible d'être infligé aux intimés. Selon moi, il ne ressort pas du dossier que la contestation fructueuse de la décision du 6 décembre 1996 leur serait préjudiciable. La décision du juge des requêtes se fonde sur l'existence présumée d'une cause défendable quant au fond. Je signale que les entrepreneurs ne sont pas tenus de convaincre la Cour que leur demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Ils doivent seulement établir qu'ils ont une cause défendable. Au vu du dossier, j'estime qu'ils se sont acquittés de cette obligation. Ces conclusions étant tirées, je dois maintenant examiner les autres facteurs, soit la justification du retard et l'intention véritable de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[26]      Le retard de six semaines ne me paraît pas fatal dans les circonstances. Les appelantes ont expliqué la présentation tardive de leur avis de requête. Au nombre des motifs donnés, mentionnons la nécessité de réunir des éléments de preuve concernant les taux de salaire courants dans différents districts de la Colombie-Britannique en vue, sans aucun doute, d'étayer leur prétention selon laquelle la province entière ne saurait être considérée comme un seul district. Cela prend nécessairement beaucoup de temps, étant donné la géographie d'une province aussi vaste que la Colombie-Britannique. Cette explication me semble satisfaisante. Le juge des requêtes n'en fait aucune mention.

[27]      Je suis également convaincu que les lettres de l'avocat datées du 30 décembre 1996 et du 31 janvier 1997 établissent clairement l'existence d'une intention véritable de demander le contrôle judiciaire de la décision du 6 décembre 1996. Le fait que les deux lettres " n'ont jamais reçu de réponse " est jugé important par le juge des requêtes. La première de ces lettres énonce clairement l'intention de l'association de présenter une demande fondée sur l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en vue de faire annuler la décision. La deuxième, qui confirme la première, réitère l'intention de l'association de se prévaloir de la même disposition pour faire annuler la décision du 6 décembre 1996 et demande aux intimés s'ils s'opposeraient à une requête visant la prorogation du délai imparti à cet égard. À mon humble avis, l'omission des intimés de donner suite à ces deux communications explicites n'atténue en rien l'intention qui y est manifestée. Selon moi, les deux lettres sont l'indication d'une opposition continue et traduisent l'intention des appelantes de contester la décision devant la Cour.

[28]      J'arrive donc à la conclusion que la Cour est justifiée d'intervenir dans la décision rendue par le tribunal inférieur. Le délai imparti aux entrepreneurs pour présenter une demande de contrôle judiciaire devrait être prorogé d'une période supplémentaire de 21 jours à compter de la date du présent jugement.

[29]      J'examine enfin les prétentions de l'association.

[30]      L'association demande qu'une prorogation de délai lui soit accordée afin qu'elle puisse contester la décision du 6 décembre 1996. Or, sa requête doit être rejetée pour un motif encore plus fondamental, savoir qu'elle n'a tout simplement pas l'intérêt juridique nécessaire pour demander le contrôle judiciaire de la décision. Il ne s'agit pas d'une entreprise de construction et elle n'est donc pas en position de soumissionner relativement à des contrats publics fédéraux en Colombie-Britannique. Il s'ensuit que l'association n'est pas " directement touchée " par la décision du 6 décembre 1996 en ce que celle-ci ne lui confère aucun avantage et ne lui inflige aucun préjudice de façon directe.

[31]      Il est vrai que, dès le début, l'association a tenté de faire modifier la décision de son propre chef. Manifestement, toutefois, son intérêt à cet égard était celui des membres qui la composent, y compris les entrepreneurs. Pour reprendre les termes du juge Marceau, J.C.A. dans l'arrêt Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.F.), à la page 614, l'intérêt de l'association dans le règlement de l'affaire est " simplement indirect ou éventuel ". La plaidoirie écrite9 des intimés semble indiquer qu'ils ne s'opposeraient pas à une demande d'intervention de l'association dans le cadre de toute procédure que les entrepreneurs pourraient dûment engager. L'association pourra obtenir la qualité d'intervenante devant la Section de la première instance si elle en fait la demande.

[32]      Je suis d'avis d'accueillir l'appel des entrepreneurs, d'annuler l'ordonnance de la Section de première instance et de proroger d'une période supplémentaire de 21 jours à partir de la date du présent jugement le délai imparti aux entrepreneurs pour présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision du directeur régional datée du 6 décembre 1996. Je rejetterais l'appel de l'association.

A.J. STONE
J.C.A.

Je souscris.

Robert Décary, J.C.A.

Je souscris.

J.T. Robertson, J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    


Date : 19980312


Dossier : A-288-97

ENTRE :

INDEPENDENT CONTRACTORS AND BUSINESS ASSOCIATION, KNAPPETT CONSTRUCTION LTD., CCM CONSTRUCTION LTD. ET KINETIC CONSTRUCTION LTD.

- et -

LE MINISTRE DU TRAVAIL, LE DIRECTEUR RÉGIONAL DU TRAVAIL, VANCOUVER ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MOTIFS DU JUGEMENT

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              A-288-97

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DATÉE DU 2 AVRIL 1997 (DOSSIER 97-T-8).

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Independent Contractors and Business Association et al.
                     c. Le ministre du Travail et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          Mardi 24 février 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE STONE, J.C.A., auxquels souscrivent les juges Décary, J.C.A. et Robertson, J.C.A., en date du jeudi 12 mars 1998.

ONT COMPARU :

Me Robert W. Grant              pour les appelantes
Me Darlene Patrick              pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour les appelantes

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)              pour les intimés

__________________

1      Alinéa 3(1)a ) de la Loi.

2      Dossier d'appel, vol. 3, à la p. 545.

3      Affidavit supplémentaire de Philip Hochstein, en date du 28 février 1997, dossier d'appel, vol. 3, à la p. 540.

4      Affidavits de Bill Gyles, de John Knappett et de Bridget Cassidy, dossier d'appel, vol. 1, aux p. 39, 41 et 43.

5      Affidavit de Bill Gyles, ibid ., à la p. 39.

6      Voir Drolet c. Surintendant des faillites et al. (1996), 118 F.T.R. 147.

7      Affidavit de W.R. Ross, en date du 26 février 1997, dossier d'appel, vol. 1, à la p. 27.

8      Dossier d'appel, vol. 1, à la p. 57.

9      Exposé des points d'argument (intimés), aux paragraphes 27 à 29.

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