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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (C.A.) [2003] 1 C.F. 475

Date : 20020709

Dossier : A-391-00

Référence neutre : 2002 CAF 288

CORAM :         LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE SEABIRD ISLAND

appelant

et

BC TEL

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 mai 2002.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                         LE JUGE LINDEN

Y A SOUSCRIT :                                                                          LE JUGE DESJARDINS

MOTIFS DE DISSIDENCE :                                                     LE JUGE NOËL


Date : 20020709

Dossier : A-391-00

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2002.

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

            L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE SEABIRD ISLAND

                                                                                                                                            appelant

                                                                            et

                                                                      BC TEL

                                                                                                                                              intimée

                                                                 JUGEMENT

Cet appel est accueilli, la décision du juge des appels est infirmée et l'appel interjeté à l'encontre de la Commission de révision de la bande indienne de Seabird Island est rejeté, les dépens étant adjugés à l'appelant, et ce, tant en appel qu'en première instance.

                                       « Alice Desjardins »                                    

Juge                                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L


Date : 20020709

Dossier : A-391-00

Référence neutre : 2002 CAF 288

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

            L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE SEABIRD ISLAND

                                                                                                                                            appelant

                                                                            et

                                                                      BC TEL

                                                                                                                                              intimée

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LINDEN

I. INTRODUCTION


[1]         Dans cet appel, il s'agit de savoir si une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, agissant en vertu de l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et de l'article 60 du Seabird Island Indian Assessment By-Law, en date du 25 septembre 1992, laquelle a été rendue avant que la Cour suprême du Canada fasse connaître sa décision dans l'affaire Bande indienne d'Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] A.C.S. no 82, peut être maintenue compte tenu de cette dernière décision. À mon avis, elle ne peut pas l'être.

[2]         Cet appel découle de l'établissement de cotisations relatives à un réseau de câbles de fibre optique, qui appartient à Telus Communications (Telus ou l'intimée, autrefois BC Tel) et traverse la réserve indienne de Seabird Island (la réserve). L'évaluateur de la bande indienne de Seabird Island (l'appelant) a imposé le réseau de câbles en 1997 et en 1998, conformément aux règlements administratifs de la bande indienne (la bande). L'intimée a interjeté appel contre les cotisations devant la Commission de révision de la bande indienne de Seabird Island (la Commission), en alléguant que le réseau de câbles n'était pas installé sur des terres situées « dans la réserve » au sens de l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. La Commission a décidé que les terres et le réseau de câbles étaient situés « dans la réserve » et que l'appelant les avait donc à juste titre imposés. L'intimée a interjeté appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Dans une décision qui est maintenant publiée sous l'intitulé BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island, [2000] 4 C.F. 350, le juge des appels, un juge de la Section de première instance de cette cour, qui n'avait pas à sa disposition les enseignements récents de la Cour suprême dans l'arrêt Osoyoos, précité, a accueilli l'appel et a statué que les biens en question n'étaient pas situés « dans la réserve » et que la bande ne pouvait donc pas les taxer.


[3]         La question de savoir si le réseau de câbles de fibre optique est « dans la réserve » dépend principalement de l'interprétation donnée au décret C.P. 1956-1659 de 1956 (le décret ou le décret Seabird), par lequel le gouverneur en conseil autorisait la province de la Colombie-Britannique à prendre des terres de la réserve, où se trouve maintenant le réseau de câbles, pour les fins d'une route.

LES FAITS

[4]         Il importe au départ de dire qu'un grand nombre des faits de la présente espèce sont remarquablement semblables à ceux de l'affaire Osoyoos, précitée. Toutefois, malheureusement, comme dans l'affaire Osoyoos, le contexte factuel est pour le moins obscur. La chose est peut-être attribuable à l'étrange fait que la province de la Colombie-Britannique n'est pas partie au litige. Il semble plutôt curieux que la province ait laissé l'intimée, une entité privée, défendre ce qui semble dans une certaine mesure mettre en cause ses intérêts et ceux des institutions municipales de la province. Néanmoins, les faits saillants de l'affaire sont ci-dessous énoncés.

[5]         La réserve a été mise de côté en 1879 pour les bandes indiennes de Hope, d'Ohamil, de Peters, de Popkum, de Skawahlook, d'Union Bar et de Yale en commun. Elle couvre l'ensemble de Seabird Island, dont la superficie est de quatre mille cinq cent onze acres et demi, sauf peut-être pour le corridor d'une largeur de cent pieds qui est ici en cause, lequel s'étend sur quarante-quatre acres et quinze centièmes. Comme il en a été fait mention, cette cour est ici saisie de la question de savoir si ces terres font maintenant partie de la réserve.


[6]         Le 18 février 1958, le comité du Conseil privé a officiellement créé la bande indienne de Seabird Island en fusionnant les bandes existantes qui résidaient sur l'île.

[7]         Le 7 novembre 1956, avant la fusion des anciennes bandes, le gouverneur en conseil a pris le décret qui est au coeur de cet appel. Le décret Seabird est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE le ministre de la Voirie, province de la Colombie-Britannique, a demandé les terres ci-après décrites, qui constituent une partie de la réserve indienne de Seabird Island, dans ladite Province, pour les fins d'une route;

ATTENDU QUE la somme de 5 282 $ a été reçue de ladite Province en paiement complet des terres requises conformément à une évaluation approuvée par le Conseil de la bande indienne de Seabird Island le 14 octobre 1954 et par les représentants de la Direction des affaires indiennes.

À CES CAUSES, il plaît par les présentes à Son Excellence le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en application de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de possession desdites terres par la Province de la Colombie-Britannique et d'en céder l'administration et le contrôle à Sa Majesté du chef de la Province de la Colombie-Britannique.

Description

L'ensemble d'un droit de passage, dans la réserve indienne de Seabird Island, dans le district de Yale, dans la province de la Colombie-Britannique, ledit droit de passage ayant une superficie de quarante-quatre acres et quinze centièmes plus ou moins, tel qu'il est représenté, liséré en rouge sur le plan enregistré no Rd quatre mille deux cent vingt et un des registres d'arpentage des Affaires indiennes, à Ottawa, dont une copie est déposée au bureau d'enregistrement des droits immobiliers du district de New Westminster, à New Westminster, sous le numéro seize mille deux cent quatre-vingt-un.

Sous réserve de la servitude pour le droit de passage d'une ligne de transmission conférée en 1953 à British Columbia Electric Company Limited tel qu'il est représenté sur le plan B.C. 1129 desdits registres d'arpentage, à Ottawa.

Sous réserve de toute mine et de tout minerai sous forme solide, liquide ou gazeuse pouvant être trouvés dans, sur ou sous ces terres ainsi que du plein pouvoir d'exploiter pareille mine et pareil minerai et, à cette fin, sous réserve du droit d'entrer sur tout ou partie desdites terres, de les utiliser et de les occuper dans la mesure où la chose est nécessaire de le faire afin d'exploiter et d'extraire lesdits minerais d'une façon efficace.


[8]         Ce décret est remarquablement semblable au décret 1957-577 (le décret Osoyoos), qui a été pris l'année suivante et qui a en fin de compte été examiné dans l'arrêt Osoyoos, précité. La Cour suprême a reproduit le décret Osoyoos, qui est ainsi libellé (pour plus de commodité, j'ai souligné les différences) :

[TRADUCTION]

ATTENDU que le ministre de l'Agriculture de la province de la Colombie-Britannique a demandé, pour les besoins d'un canal d'irrigation, les terres décrites ci-après, faisant partie de la réserve indienne numéro un de la bande indienne d'Osoyoos, dans ladite province;

ET ATTENDU que la somme de 7 700 $ a été reçue de la province de la Colombie-Britannique à titre de paiement complet des terres demandées, conformément à l'évaluation approuvée par le conseil de la Bande indienne d'Osoyoos le 30 mars 1955 et par les fonctionnaires de la Division des Affaires indiennes;

À CES CAUSES, il plaît à Son Excellence le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et conformément aux dispositions de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de ces terres par la province de la Colombie-Britannique et d'en céder la gestion et la maîtrise à Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique :

DESCRIPTION

L'ensemble des droits de passage, dans la réserve numéro un de la bande indienne d'Osoyoos, dans la province de la Colombie-Britannique, lesdits droits de passage s'étendant sur une superficie d'environ cinquante-six acres et neuf centièmes, tels qu'ils sont représentés, lisérés de rouge, sur le plan enregistré numéro lrr deux mille cent trente-quatre des registres d'arpentage des Affaires indiennes à Ottawa; à l'exception toutefois de toute la portion située à l'intérieur des limites du droit de passage servant à une route, ce droit de passage étant représenté, liséré de rouge, sur le plan enregistré sous le numéro Rd trois mille six cent quatre-vingt de ces registres, dont une copie est déposée au bureau d'enregistrement des droits immobiliers du district de Kamloops à Kamloops, sous le numéro A mille trois cent soixante-dix-sept; également à l'exception de toutes les routes réservées par la province de la Colombie-Britannique, au moyen du décret provincial numéro mille trente-six, et aussi sous réserve d'une servitude existante relative à une ligne de haute tension, octroyée à West Kootenay Power and Light Company Ltd., au moyen du décret C.P. 143, daté du 25 janvier 1937, pour une période de trente ans, ce droit de passage ayant une superficie d'environ 22 acres et deux dixièmes, et est représenté sur un plan d'arpentage préparé par R.P. Brown, B.C.L.S., en date du 16 novembre 1936 et inscrit au registre de la Division des Affaires indiennes sous le numéro de plan M.2691.


Le tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter. [Le décret Seabird renferme d'autres dispositions, réservant également le droit d'entrer sur lesdites terres ainsi que le droit de les utiliser et de les occuper aux fins de l'exploitation des mines et minerais].

[9]         Il y a entre les deux décrets quelques différences qui doivent être notées. Selon le décret Osoyoos, c'était le ministre de l'Agriculture, et non le ministre de la Voirie, qui acquérait un droit sur les terres de la réserve indienne et c'était un canal d'irrigation qui était en cause plutôt qu'une route. La province de la Colombie-Britannique avait payé une somme plus élevée pour les terres visées par le décret Osoyoos, dont la superficie était légèrement supérieure à celle des terres visées par le décret Seabird. Bien sûr, les dates, les numéros des plans enregistrés et l'identité des bureaux d'enregistrement des droits immobiliers sont différents dans chaque décret. Le décret Osoyoos établissait une exception à l'égard des routes déjà réservées par la province et, comme le décret Seabird, une réserve à l'égard d'une servitude existante relative à une ligne de haute tension. La plupart des différences entre les descriptions figurant dans ces décrets se rapportent à des détails relatifs à ces exceptions. Enfin, la réserve relative aux mines et minerais figurant dans le décret Seabird est un peu plus détaillée. À part ces différences, et à part plusieurs différences sur le plan de la syntaxe qui ne sont clairement pas pertinentes, les dispositions des décrets sont presque identiques. La principale différence sur laquelle se fonde l'intimée se trouve dans la législation provinciale en vertu de laquelle les droits afférents aux terres, qui seront ci-dessous décrits, ont été pris.


[10]       Après la prise du décret Seabird, le ministère de la Voirie de la Colombie-Britannique a créé, la date précise n'étant pas connue, un corridor d'une largeur de 100 pieds à travers la réserve. La province a en fin de compte construit l'autoroute Lougheed, une route importante entre Vancouver et Hope (Colombie-Britannique), au milieu du corridor. La partie asphaltée de la route mesure trente-huit pieds de largeur et de chaque côté il y a un accotement, un fossé et une zone tampon. Selon la Commission, l'autoroute a exclusivement et continuellement été utilisée par la province pendant plus de quarante ans.

[11]       Une servitude en faveur de British Columbia Electric Company Limited existe le long de la limite nord du corridor. La création de cette servitude a été autorisée par le comité du Conseil privé le 14 janvier 1953. L'octroi de la servitude n'est pas ici en cause, mais il vaut la peine de reproduire ici le texte s'y rapportant étant donné qu'il peut préciser le contexte aux fins de l'interprétation du décret qui est maintenant en litige.

[TRADUCTION]

Le comité du Conseil privé a devant lui un rapport en date du 6 janvier 1953 du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, dans lequel il est déclaré ce qui suit :

British Columbia Electric Company Limited, dont le siège social est situé dans la ville de Vancouver (Colombie-Britannique), société autorisée en vertu de la loi à prendre ou à utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, a demandé à utiliser les diverses parcelles de terrain décrites dans l'annexe ci-jointe, lesquelles font partie des cinq réserves indiennes ci-après désignées et sont situées dans le district de Yale, dans ladite province, parcelles dont British Columbia Electric Company Limited a besoin afin d'y installer une ligne de transmission d'énergie électrique;

Ladite société a convenu de payer la somme de 2 042,25 $ en vue d'utiliser lesdites terres, dans la mesure où elle en a besoin aux fins susmentionnées conformément à l'évaluation effectuée à cet égard par les fonctionnaires de la Direction des Affaires indiennes et par les divers conseils des bandes indiennes respectives à l'usage et au profit desquelles les terres ont été mises de côté, cette somme se répartissant comme suit :

Réserve indienne de Seabird Island                    -    607,74 $

Réserve indienne de Ruby Creek no 2                 -    125,00 $

Réserve indienne de Skawehlook no 1              -    177,00 $

Réserve indienne de Chawutben (Katz) no 4    -1 063,00 $

Réserve indienne de Lukseetsis-sum no 9         -      69,50 $

TOTAL                    2 042,25 $


À ces causes, sur recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, le comité conseille à Son Excellence, conformément aux dispositions de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à ce que British Columbia Electric Company Limited exerce les pouvoirs légaux susmentionnés à l'égard des terres décrites dans l'annexe jointe aux présentes et d'autoriser l'octroi d'une servitude en faveur de British Columbia Electric Company Limited pour un droit de passage relatif à une ligne de transmission d'énergie électrique sur lesdites terres sur paiement de la somme susmentionnée de 2 042,25 $ et aux autres conditions que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [illisible] juge nécessaires et indiquées.

L' « Annexe » renferme les descriptions techniques de l'emplacement précis des parcelles de terrain assujetties à la servitude mentionnée dans ce document.

[12]       À l'audience, l'appelant a présenté une requête en vue de soumettre de nouveaux éléments de preuve factuels montrant que l'autoroute Lougheed est en partie située sur des terres pour lesquelles la province ne possède pas de droit de propriété absolu, cette dernière étant plutôt titulaire d'un bail, initialement conclu avec Canadien Pacifique Limitée et maintenant conclu avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada. J'examinerai ci-dessous la requête de l'appelant plus à fond, mais j'en fais ici mention parce que, si la requête est accueillie, cette preuve vient s'ajouter au contexte factuel sous-tendant l'appel.


[13]       Une entente en date du 26 septembre 1961 entre Sa Majesté, représentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, et British Columbia Electric Company Limited, permettait, sur consentement de la bande, la construction et l'entretien de poteaux d'électricité, de communication et de télévision sur l'île. Dans l'entente et dans le formulaire de consentement de la bande, il est reconnu que l'entente était nécessaire parce que les poteaux devaient être érigés sur des « terres de réserve » au sens de l'ancienne Loi sur les Indiens. La chose pourrait être considérée comme un aveu, en 1961, de l'existence d'un droit autochtone sur les terres. Toutefois, on ne sait pas trop si la zone particulière décrite dans le formulaire de consentement est de fait située dans le corridor.

[14]       L'intimée Telus est une société de prestation de services téléphoniques et de télécommunications. Le 2 novembre 1994, le ministère des Transports et de la Voirie de la Colombie-Britannique a accordé à l'intimée un permis autorisant celle-ci à construire, utiliser et entretenir des poteaux et dispositifs d'ancrage le long de l'autoroute Lougheed. Conformément à ce permis, l'intimée a installé un réseau de câbles de fibre optique d'une longueur de huit kilomètres et quatre cents mètres, lequel est fixé aux poteaux situés juste à l'intérieur de la limite nord du corridor, à vingt-cinq pieds de la route elle-même. On ne sait pas trop si le câble de l'intimée est fixé sur des poteaux nouvellement érigés ou sur des poteaux qui existaient conformément à l'entente de 1961. Toutefois, les deux parties conviennent que le réseau de câbles de l'intimée n'est pas installé là où se trouve la servitude octroyée à British Columbia Electric Company Limited.


[15]       Conformément à l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, la bande a pris des règlements administratifs en matière d'évaluation et d'imposition de taxes, lesquels ont dûment été approuvés par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. L'appelant a ensuite établi une cotisation à l'égard de l'intimée pour l'utilisation des terres de réserve et a délivré des avis de cotisation pour les années d'imposition 1997 et 1998. Le district de Kent, en Colombie-Britannique, a également imposé le réseau de câbles de l'intimée. Par conséquent, l'intimée a fait l'objet de deux cotisations. Toutefois, la cotisation établie par le district de Kent est en suspens en attendant l'issue de la présente affaire.

III. CONTEXTE LÉGISLATIF

[16]       Avant de poursuivre, il est utile d'énoncer les dispositions législatives qui régissent les questions qui se posent dans cet appel. La Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, renfermait les dispositions suivantes au moment de la prise du décret Seabird :

2.(1) Dans la présente loi, l'expression

[...]

o) « réserve » signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande;

18.(1)       Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.

35.(1)       Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d'une législature provinciale, Sa Majesté du chef d'une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d'utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu'il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

(2)      À moins que le gouverneur en conseil n'en ordonne autrement toutes les matières concernant la prise ou l'utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

(3)      Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l'exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu que la province, l'autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.


(4)      Tout montant dont il est convenu ou qui est accordé à l'égard de la prise ou de l'utilisation obligatoire de terrains sous le régime du présent article ou qui est payé pour un transfert ou octroi de terre selon le présent article, doit être versé au receveur général du Canada à l'usage et au profit de la bande ou à l'usage et au profit de tout Indien qui a droit à l'indemnité ou au paiement du fait de l'exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1).

[17]                    Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens actuelle, L.R.C. (1985), ch. I-5, sont ainsi libellées :

83.(1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l'article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l'approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l'imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d'occupation, de possession et d'usage;

[...]

(2) Toute dépense à faire sur les fonds prélevés en application du paragraphe (1) doit l'être sous l'autorité d'un règlement administratif pris par le conseil de la bande.

(3) Les règlements administratifs pris en application de l'alinéa (1)a) doivent prévoir la procédure de contestation de l'évaluation en matière de taxation.

88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale, toutes les lois d'application générale et en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou règlement administratif pris sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou sous son régime.

[18]                                 Les dispositions pertinentes de la Highway Act, R.S.B.C. 1948, ch. 144, telle qu'elle s'appliquait au moment où le décret Seabird a été pris, étaient ainsi libellées :

[TRADUCTION]

5. Sauf indications contraires, le titre de propriété du fonds de terre et de la voie publique est détenu par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs.


8.(1) Le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu de construire des voies publiques [...] et de prendre possession, au moment où la voie est construite ou annoncée ou à tout moment ultérieur, de terrains supplémentaires se trouvant au-delà de la largeur de la voie ainsi établie lorsque cela est nécessaire pour l'usage ou pour les fins du ministère des Travaux publics [...]; et à ces fins personnellement ou par l'entremise de ses mandataires et préposés, sans préavis au propriétaire ou à l'occupant du terrain ou à toute personne détenant ou faisant valoir un domaine, droit, titre ou intérêt à l'égard dudit terrain et sans le consentement de ces personnes, de prendre possession de tout chemin privé et de tout terrain, d'en déterminer les limites requises [...] ainsi que de prendre possession de tout immeuble afin d'ériger et d'entretenir des paraneiges ou d'installer les drains jugés nécessaires, ou afin d'en retirer le gravier, le bois, la roche et les autres matériaux nécessaires à la construction ou à l'entretien d'une route.

9. L'entrée par le ministre, ses mandataires, ses fonctionnaires et ses préposés, comme dans l'article susmentionné, en vue de la prise de possession de toute route ou de tout terrain a pour effet d'éteindre entièrement tout titre et toute revendication relativement aux routes et aux terrains ayant fait l'objet de cette prise de possession.

11. Le ministre peut en tout temps, sur avis publié dans la Gazette, [...] abandonner et fermer en tout ou en partie une route [...]. Les terres d'une route abandonnée ou fermée peuvent être cédées en propriété au propriétaire du terrain dont elles faisaient originalement partie ou au propriétaire du terrain adjacent aux terres cédées, elles peuvent être louées par le ministre à l'un ou l'autre de ces propriétaires, elles peuvent être vendues, louées ou aliénées par voie de vente aux enchères publiques ou par voie d'appel d'offres lancé en vertu du pouvoir du lieutenant-gouverneur en conseil, et elles peuvent, en vertu de ce pouvoir, être louées ou cédées au gouvernement du Dominion. [...]

IV. DÉCISIONS ANTÉRIEURES

La Commission de révision de la bande indienne de Seabird Island

[19]       Le 4 août 1998, la Commission a rejeté l'appel de l'intimée et a ratifié les cotisations établies par l'appelant pour les années 1997 et 1998 en se fondant sur le fait que la province avait uniquement le droit d'utiliser les terres cédées pour les besoins d'une route et qu'elle n'avait pas la pleine propriété de ces terres. La Commission a conclu que si les terres qui avaient été cédées cessaient d'être utilisées pour les fins d'une route, elles reviendraient à la bande. Par conséquent, elle a conclu que si la province cessait d'utiliser une partie des terres cédées, si elle les utilisait à d'autres fins ou si quelqu'un d'autre occupait et utilisait une partie de ces terres, les terres ne seraient plus utilisées aux fins pour lesquelles elles avaient été octroyées et elles reviendraient à la bande.


[20]       La Commission a ensuite conclu que les terres sur lesquelles était installé le réseau de câbles de fibre optique de l'intimée n'étaient pas utilisées pour les fins d'une route et que, par conséquent, même si les terres avaient été retirées de la réserve par le décret de 1956, elles revenaient à la bande puisqu'elles n'étaient pas utilisées aux fins pour lesquelles elles avaient été octroyées. Selon la Commission, le réseau de l'intimée était donc situé dans la réserve et il pouvait être évalué et taxé par la bande.

[21]       Conformément à l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et à l'article 60 des règlements administratifs de la bande en matière d'évaluation, l'intimée a interjeté appel le 18 septembre 1998 contre la décision de la Commission devant la Section de première instance de la Cour fédérale.

La Section de première instance de la Cour fédérale

[22]       Le juge des appels a accueilli l'appel et a conclu que les terres transférées sur lesquelles les câbles de fibre optique étaient installés ne faisaient pas partie de la réserve et qu'elles n'étaient donc pas assujetties à la taxation de la part de l'appelant.


[23]       Le juge des appels a indiqué que pour que le droit de la bande sur les terres de la réserve soit éteint, l'intention de la Couronne doit être « claire et expresse » , comme l'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, et cette cour dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Bande indienne de Matsqui (1998), 162 D.L.R. (4th) 649. Le juge a conclu qu'étant donné qu'en l'espèce le transfert dépendait de ce que la province voulait prendre, il fallait déterminer l'intention de la province pour savoir ce à quoi le gouvernement fédéral avait consenti. Le juge des appels a examiné les articles 5, 8 et 9 et 11 de la Highway Act de la Colombie-Britannique, tels qu'ils s'appliquaient en 1956, et il a conclu que la province avait l'intention d'acquérir la pleine propriété. De fait, le juge des appels n'était pas convaincu qu'un droit moindre que la pleine propriété aurait pu permettre à la province de construire et d'entretenir une route. Le juge des appels a également mentionné que la bande n'avait jamais tenté d'exercer un contrôle sur le corridor. Dans l'ensemble, il a conclu que le libellé du décret ne contenait aucun élément qui fasse douter de l'intention de la province d'acquérir un titre absolu.

[24]       Le juge des appels a ensuite rejeté l'argument selon lequel les terres n'étaient plus utilisées pour les fins d'une route. Il a noté que le corridor continue à être utilisé pour les fins d'une route malgré la présence du réseau de câbles de fibre optique sur les terres qui avaient été cédées. Il a néanmoins statué que les terres ne reviendraient pas à la bande même si elles avaient cessé d'être utilisées pour les fins d'une route.

V. LES POINTS LITIGIEUX


[25]       Dans cet appel, il s'agit fondamentalement de savoir si le réseau de câbles de fibre optique de l'intimée a été imposé d'une façon appropriée conformément aux règlements administratifs de la bande. Les appelants soulèvent deux questions accessoires à cet égard. Premièrement, le décret 1956-1659, qui a été pris conformément à l'article 35 de la Loi sur les Indiens, a-t-il éteint tout le droit autochtone sur les terres situées dans le corridor, de sorte que le corridor dans lequel se trouve l'autoroute Lougheed n'est plus « dans la réserve » au sens de l'alinéa 83(1)a)? Dans l'affirmative, les terres sur lesquelles le réseau de câbles de fibre optique est installé ont-elles cessé d'être utilisées pour les fins d'une route et, par conséquent, reviennent-elles à la bande et redeviennent-elles des terres situées « dans la réserve » au sens de l'alinéa 83(1)a)?

VI. ANALYSE

A. Requête visant la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel

[26]       Comme il en a ci-dessus été fait mention, l'appelant a présenté une requête, à l'audience, en vue de soumettre de nouveaux éléments de preuve factuels en appel. L'article 351 des Règles de la Cour fédérale (1998) est ainsi libellé :

351. Nouveaux éléments de preuve -- Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

Étant donné que cette requête influe directement sur les faits dont la Cour est saisie, il convient de l'examiner brièvement au début de l'analyse.


[27]       Dans sa requête, l'appelant a cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve tendant à montrer que, malgré les dispositions de la Highway Act de la Colombie-Britannique, l'autoroute Lougheed est en partie située sur des terres qui ont été louées, initialement au Canadien Pacifique Limitée et maintenant à Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Selon l'appelant, le fait que la province de la Colombie-Britannique a construit et entretient maintenant l'autoroute Lougheed sur des terres louées réfute d'une façon concluante la conclusion du juge des appels et l'argument de l'intimée, à savoir qu'en vertu de la loi de la Colombie-Britannique, il fallait absolument détenir les terres en pleine propriété pour construire et entretenir une autoroute importante.

[28]       En général, une cour d'appel peut examiner de nouveaux éléments de preuve factuels s'il n'était pas possible de les découvrir plus tôt en faisant preuve d'une diligence raisonnable, s'ils sont pour ainsi dire déterminants quant à une question dans l'appel et, bien sûr, s'ils sont crédibles (Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Bd.), [1992] A.C.S. no 110, paragraphe 6 (Q.L.); Frank Brunckhorst Co. et al. c. Gainers Inc. et al. [1993] A.C.F. no 874, paragraphe 2 (C.A.) (Q.L.)). Rien ne m'amène à douter de la crédibilité de cette preuve, que l'intimée n'a pas remise en question. Je suis également convaincu qu'aucune des parties n'était au courant de l'existence de ces éléments de preuve lors de l'instruction et que ces éléments n'auraient pas raisonnablement pu être découverts plus tôt. Il s'agit uniquement de savoir si ces éléments de preuve sont pour ainsi déterminants.


[29]       Comme Madame le juge Sharlow l'a expliqué dans l'arrêt Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 22, paragraphe 20, il faut se demander si la preuve « pourrait raisonnablement avoir un effet sur le résultat du procès » . Je n'interprète pas cette remarque comme signifiant qu'il faut que les éléments de preuve en question soient déterminants quant au résultat du procès ou qu'ils changent le résultat du procès, mais comme signifiant plutôt qu'ils influeraient probablement sur la décision. En l'espèce, l'une des questions fondamentales est de savoir s'il fallait éteindre complètement le droit autochtone afférent aux terres pour réaliser la fin publique qu'était la construction et l'entretien de l'autoroute Lougheed. Les éléments de preuve que l'on cherchait à présenter établiraient qu'un intérêt à bail, par opposition à la propriété pleine et absolue du terrain, était et est suffisant à cette fin. Selon moi, il est clairement raisonnable de croire que la preuve de ce fait aurait influé sur la conclusion que le juge des appels a tirée au paragraphe 30, à savoir que « [l]a Court n'est toutefois pas convaincue qu'un droit moindre que la pleine propriété en 1956 aurait pu permettre à la province de construire et d'entretenir l'une de ses autoroutes les plus importantes » . Il est impossible de savoir avec exactitude si cela changeait quoi que ce soit au résultat du procès, mais je ne doute aucunement que, selon l'analyse juridique correcte, cette preuve aurait été précieuse, qu'elle aurait eu une influence et qu'elle « pourrait raisonnablement avoir un effet sur le résultat du procès » (Chippewas, précité, paragraphe 20).

[30]       En outre, même si l'appelant n'avait pas satisfait au critère à trois volets ci-dessus énoncé, il est bien établi que cette cour conserve un pouvoir discrétionnaire primordial lorsqu'il s'agit d'admettre de nouveaux éléments de preuve. Ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé en vue d'éviter d'imposer un fardeau trop lourd à des ressources judiciaires restreintes et de « permettr[e] [...] de compléter le dossier des appels, dissipant ainsi tout doute que pourrait éprouver la Cour concernant les circonstances de l'affaire » (Glaxo Wellcome PLC c. Canada (Ministre du Revenu national -- MRN), [1998] A.C.F. no 358, paragraphe 12 (C.A.) (Q.L.), voir également Amchem, précité, paragraphe 7).


[31]       À mon avis, il s'agit également d'un cas dans lequel cette cour devrait exercer ce pouvoir discrétionnaire. Dans cet appel, le contexte factuel est quelque peu insuffisant, et l'interprétation d'un document remontant à près de cinquante ans dépend en bonne partie des facteurs contextuels qui peuvent jeter la lumière sur son adoption. De fait, l'intimée affirme elle-même que l'affaire dépend du contexte dans lequel les terres visées par le décret ont été octroyées. Il serait sans doute intéressant pour la Cour d'avoir à sa disposition la version des faits, circonstances et événements la plus complète possible afin de faciliter sa tâche sur le plan de l'interprétation.

[32]       La requête que les appelants ont présentée en vue de soumettre ces éléments de preuve est donc accueillie, les dépens étant adjugés, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.

B. Le cadre d'interprétation : l'arrêt Osoyoos


[33]       Je commencerai l'analyse juridique en définissant le cadre dans lequel il convient d'aborder ces questions. À cette fin, il est utile d'examiner plus ou moins en détail la décision que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans l'affaire Osoyoos, précitée. Dans cet arrêt-là, Monsieur le juge Iacobucci, au nom de la majorité, a statué que le décret Osoyoos, dont le libellé était presque identique à celui du décret Seabird, accordait un droit inférieur à un intérêt en fief simple et que le canal d'irrigation en cause était donc encore situé « dans la réserve » . Le juge Iacobucci ne contestait pas qu'au besoin, la pleine propriété des terres pouvait être obtenue conformément à l'article 35 de la Loi sur les Indiens. Toutefois, la majorité a fondamentalement statué que, si la pleine propriété des terres ou quelque droit inférieur permettaient tous les deux de réaliser la fin d'intérêt publique pour laquelle les terres avaient été prises et si le décret était ambigu, il fallait recourir à l'interprétation qui portait le moins possible atteinte au droit de la bande. Monsieur le juge Gonthier, au nom des juges minoritaires, croyait que l'article 35 permettait l'expropriation de la pleine propriété des terres. Étant donné que la pleine propriété était raisonnablement requise pour les besoins d'un canal d'irrigation et puisque, de l'avis du juge, le décret Osoyoos n'était pas ambigu, la pleine propriété était accordée.

[34]       Au moins deux thèmes fondamentaux, dans le contexte d'opérations relatives à un droit autochtone sur les terres de réserve, influencent l'issue de cet appel.


[35]       Selon le premier principe fondamental, que tous les juges de la Cour suprême du Canada ont accepté, la Couronne a envers la bande une obligation de fiduciaire lorsqu'elle participe à la prise des terres d'une réserve. Par conséquent, dans le contexte de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, la Couronne devrait concilier l'intérêt public et l'intérêt de la bande en consentant à transférer uniquement les terres nécessaires pour la réalisation de la fin d'intérêt public (Osoyoos, précité, paragraphes 47, 51 à 55). Le juge Gonthier, au nom de la minorité, était d'avis que l'obligation de fiduciaire, dans l'affaire Osoyoos, ne comprenait pas l'obligation de préserver le pouvoir d'imposition de la bande parce que, comme c'est ici le cas, ce pouvoir n'avait été conféré qu'après la prise du décret (ibid., paragraphe 135). Toutefois, je ne crois pas que cela change vraiment quoi que ce soit à l'obligation de la Couronne de porter le moins possible atteinte aux droits autochtones afférents aux terres de réserve.

[36]       Il importe de noter que les juges Iacobucci et Gonthier ont tous les deux mentionné les remarques que Monsieur le juge La Forest avait faites dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, page 143, à savoir :

[...] [i]l est clair que dans l'interprétation d'une loi relative aux Indiens, et particulièrement de la Loi sur les Indiens, il convient d'interpréter de façon large les dispositions qui visent à maintenir les droits des Indiens et d'interpréter de façon restrictive les dispositions visant à les restreindre ou à les abroger. [...]

En même temps, je n'accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu'il peut être vraisemblable que les Indiens la préférerait à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

Par conséquent, les dispositions visant à abroger les droits des Indiens devraient être interprétées le plus strictement possible, dans les limites qui s'imposent compte tenu des considérations de principe pertinentes. Cela me semble être une proposition incontestable et il n'est pas surprenant qu'elle soit largement acceptée.


[37]       Le deuxième thème se rapporte au caractère sui generis du droit autochtone afférent aux terres de réserve (Osoyoos, précité, paragraphes 41 à 47, juge Iacobucci). Ce droit est fondamentalement semblable au titre aborigène, étant donné que les deux types de droit sont inaliénables sauf en faveur de la Couronne, qu'ils constituent des droits d'usage et d'occupation et qu'ils sont détenus collectivement. Par conséquent, les principes traditionnels du droit des biens en common law peuvent ne pas s'avérer utiles pour donner effet à l'objet véritable des opérations relatives aux terres de réserve (ibid., paragraphe 43). Il importe également de noter qu'une bande indienne ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres (ibid., paragraphe 45), et qu'un droit foncier autochtone est plus qu'un simple bien fongible parce qu'il comporte un aspect culturel important et unique (ibid., paragraphe 46). Ces principes, avec les obligations de fiduciaire de la Couronne, exigent qu' « il [y ait] une intention claire et nette pour que l'on puisse conclure que des terres ont été exclues d'une réserve » (ibid., paragraphe 47; voir également Matsqui, précité, paragraphe 27, juge Décary; Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, page 404, juge Hall, dissident). Cette proposition a également été retenue dans la présente espèce par le juge des appels, dont le juge Iacobucci a cité les motifs.


[38]       Toutefois, cet avis n'était pas partagé par tous les juges de la Cour suprême. Le juge Gonthier a dit que la prémisse fondamentale qui sous-tend un droit ancestral protégé par la Constitution, comme un titre aborigène, n'influe pas sur un droit autochtone afférent aux terres de réserve qui découle purement de la loi (Osoyoos, précité, paragraphes 158 à 174). Le juge croyait que si l'existence d'un droit autochtone sur les terres de réserve découlait entièrement de la législation moderne, ce droit ne pouvait pas être fondé, contrairement aux autres droits ancestraux, sur un rapport avec le territoire existant avant l'affirmation de la souveraineté (ibid., paragraphes 166 et 167, mentionnant R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101 et Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010). Ce droit n'appartient donc pas à la catégorie de droits qui sont protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi sur de 1982 le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[39]       Pourtant, le seul fait qu'un simple droit autochtone sur les terres de réserve ne se voit peut-être pas conférer la qualité constitutionnelle spéciale reconnue aux autres droits ancestraux ne me convainc pas qu'il s'ensuit nécessairement que pareil droit peut être éteint à moins qu'il n'existe une intention claire et nette de le faire. Étant donné les principes énoncés par le juge Iacobucci et l'obligation de fiduciaire qui incombe à la Couronne en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, il est logique que seule une intention claire et nette puisse éteindre ce droit. Quoi qu'il en soit, cette cour est liée par les motifs énoncés par la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Osoyoos, précité.

[40]       Il s'agit ensuite de savoir, à la lumière de ces principes, si le décret Seabird est ambigu ou s'il démontre une intention claire et nette d'éteindre complètement le droit que possède la bande dans le corridor.

C. Interprétation du décret

1. But de l'interprétation


[41]       Il faut avant tout faire certaines remarques au sujet de l'article 83(1)a) de la Loi sur les Indiens en vue de déterminer ce qu'il faut chercher en interprétant le décret. Selon la Cour suprême du Canada, l'alinéa 83(1)a) devrait être interprété largement et, « à moins que le droit que possède la bande ne soit entièrement exclu de la réserve, les terres continuent de faire partie de la réserve pour l'application de l'al. 83(1)a) » (Osoyoos, précité, paragraphes 49 et 50, non souligné dans l'original).

[42]       Dans la présente instance et dans l'arrêt Osoyoos, précité, les mot « pleine propriété » , « fief simple » et « servitude » ont régulièrement été employés en vue de décrire le droit qui pouvait être cédé à la province par le gouverneur en conseil. Toutefois, ce qui est réellement cédé entre les Couronnes fédérale et provinciale n'est pas un transport ordinaire de titre en « fief simple » , mais la gestion et la maîtrise des terres (ibid., paragraphe 88, juge Iacobucci, et paragraphe 181, juge Gonthier, citant G.V. La Forest, Natural Resources and Public Property Under the Canadian Constitution, (Toronto : University of Toronto Press, 1969), pages 18 et 19).

[43]       Nous devons être prudents en utilisant les notions de « fief simple » et de « servitude » du droit des biens en common law, non seulement à cause de la nature spéciale de la propriété publique, mais aussi parce que ce transfert se rapportait à un droit autochtone sur des terres de réserve (Osoyoos, précité, paragraphes 43 et 44 ainsi que 70). En outre, étant donné que l'interprétation du décret vise uniquement à permettre de déterminer si la bande conserve un droit « dans la réserve » pour l'application de l'alinéa 83(1)a), il importe de ne pas oublier la question à laquelle il faut répondre en interprétant le décret.


[44]       La question ne consiste pas à savoir si le décret octroyait un fief simple ou une servitude à la province, mais plutôt si le gouvernement fédéral avait l'intention d'éteindre complètement tout le droit autochtone dans la réserve. Comme l'a dit le juge Iacobucci, pour l'application de l'alinéa 83(1)a), il s'agit de savoir si « le droit que possède la bande est entièrement exclu » (Osoyoos, précité, paragraphe 50). Il s'agit d'une différence subtile, mais importante, en ce sens que la question essentielle ne se rapporte pas à ce que la province détient, mais à ce que la bande conserve. Il est trop facile de s'égarer si l'on met l'accent sur les intérêts de la province, tels qu'il en est fait mention dans la législation provinciale, plutôt que sur les intérêts véritables du public et de la bande. De plus, étant donné que le décret a été pris avant que les diverses bandes indiennes soient fusionnées pour former la bande de Seabird, la question se rapporte en théorie à ce que les prédécesseurs de la bande ont conservé.

2. Le libellé du décret

[45]       Ceci dit, il est naturel de commencer par apprécier le libellé du décret afin de découvrir une intention claire et nette d'éteindre tout le droit autochtone de la bande. Comme il en a ci-dessus été fait mention, le libellé du décret Seabird est remarquablement semblable à celui du décret Osoyoos, que la majorité de la Cour suprême du Canada a jugé ambigu. Selon moi, le fait que la clarté du décret, dans l'affaire Osoyoos, précitée, est en litige comme c'est également ici le cas, et que les juges de la Cour suprême du Canada ne s'entendaient pas sur le sens du décret Osoyoos, donne à entendre que l'intention de la Couronne, telle qu'elle est exprimée dans le libellé du décret dans ce cas-ci, n'est pas claire et nette. Je donnerai ici des précisions.


[46]       Compte tenu de la similarité des deux décrets, je n'examinerai pas à fond les diverses interprétations possibles de chaque mot et de chaque expression qui s'y trouve, mais je mettrai plutôt en évidence les principales sources d'ambiguïté telles qu'elles ont été examinées par la Cour suprême dans l'arrêt Osoyoos, précité.

[47]       La Cour suprême a fait remarquer que certaines expressions figurant dans le décret Osoyoos donnent à entendre que tout le droit autochtone a été éteint, alors que d'autres laissent entendre le contraire. Pour commencer, l'utilisation du mot « terres » est en soi ambigu puisque ce mot est presque toujours défini comme comprenant les « droits sur celles-ci » (ibid., paragraphe 87). Par conséquent, comme la Cour suprême l'a dit, « [l]'utilisation du mot « terres » n'est pas déterminante quant à la portée du droit cédé » (ibid.). En l'espèce, il n'y a rien du tout qui permette de faire une distinction à l'égard de la conclusion tirée par la Cour suprême sur ce point.


[48]       De plus, l'expression « une partie de la réserve indienne de Seabird Island » pourrait légitimement être interprétée comme se rapportant au faisceau de droits formant le droit de propriété relatif à la réserve (Osoyoos, précité, paragraphe 81, juge Iacobucci). Comme la Cour suprême l'a fait remarquer, « [un] droit d'utiliser les terres à une fin donnée est un élément du faisceau de droits formant le droit de propriété relatif à la réserve et il peut, de ce fait, être décrit comme étant "une partie" de la réserve » . Par ailleurs, cette désignation pourrait simplement indiquer ce qui était transféré (ibid., paragraphe 177, juge Gonthier). En ce qui concerne le décret Seabird, je ne puis trouver aucun élément de preuve favorisant une interprétation plutôt que l'autre, et, par conséquent, cette expression est selon moi ambiguë.

[49]       L'expression « droit de passage » est-elle aussi ambiguë. Comme l'a dit le juge Iacobucci, « le contexte dans lequel cette expression est utilisée dans le décret n'indique pas clairement si elle fait nécessairement référence à une servitude traditionnelle ou à un intérêt supérieur sur une bande de terre » (ibid., paragraphe 82, juge Iacobucci), et ce, parce que, même si en common law, l'acquisition d'un « droit de passage » ne donne pas à son détenteur un intérêt en fief simple, ni un droit à la possession exclusive, cette expression aurait pu simplement viser à donner une description physique de la bande de terrain (ibid., voir également les paragraphes 182 à 187, juge Gonthier). Étant donné que les deux interprétations sont étayées par la Cour suprême du Canada, l'emploi de ce libellé jette en outre peu de lumière ou ne jette aucune lumière sur l'intention du gouvernement fédéral.

[50]       La Cour suprême a également souligné que le mot « prise « peut indiquer la propriété ou un droit inférieur au droit de propriété absolu (ibid., paragraphes 85 et 86, juge Iacobucci, paragraphe 180, juge Gonthier). Ce mot ne se rapporte pas nécessairement à l'acquisition du titre de propriété absolu et à l'extinction de tous les autres droits. Cela ne permet donc pas d'éclaircir le sens du décret dans son ensemble.


[51]       Quant aux mots « gestion et maîtrise » , la Cour suprême a statué que ce libellé n'a pas en soi pour effet d'exclure les terres d'une réserve (ibid., paragraphe 88). Comme il en a ci-dessus été fait mention, pareil libellé est communément employé pour décrire le transfert de la maîtrise administrative par une émanation de la Couronne en faveur d'une autre (ibid.). Ce type de transfert n'éteint pas automatiquement tout le droit autochtone sur les terres. Comme le juge Iacobucci l'a expliqué, « [d]es terres de réserve peuvent être -- et dans bien des cas sont -- détenues par une province au profit d'une bande indienne » (ibid.). Par conséquent, ce libellé est peu utile lorsqu'il s'agit d'éclaircir l'intention du gouvernement fédéral.

[52]       Le libellé, en ce qui concerne la réserve relative aux mines et aux minerais en faveur de la bande, est quelque peu différent, dans le décret Seabird et dans le décret Osoyoos. Dans l'arrêt Osoyoos, précité, la Cour suprême a statué qu'une telle réserve était devenue une disposition type et qu'elle n'était donc pas concluante quant à l'intention véritable du gouvernement fédéral à la lumière des autres facteurs de l'affaire (ibid., paragraphe 79, juge Iacobucci). Toutefois, dans ce cas-ci, la réserve renferme d'autres détails ainsi qu'une réserve relative au droit d'entrer sur les terres situées dans le corridor et le droit d'utiliser et d'occuper ces terres afin d'extraire des minerais. Le juge des appels a fait remarquer, au paragraphe 28, que pareille réserve n'aurait un sens que si le décret prévoyait le transfert du titre absolu des droits de superficie (voir également ibid., paragraphe 187, juge Gonthier). Je reconnais que la réserve relative aux mines et aux minerais en l'espèce est un facteur qui donne à entendre que le droit autochtone s'était peut-être éteint de quelque autre façon, mais compte tenu des préoccupations exprimées par la Cour suprême, je ne suis pas convaincu que ce facteur soit déterminant.


[53]       En somme, les dispositions du décret Seabird ne sont pas suffisamment différentes de celles du décret Osoyoos pour qu'il soit possible de conclure qu'elles indiquent une intention claire et nette d'éteindre complètement tout le droit autochtone dans le corridor.

[54]       Toutefois, l'argument invoqué par l'intimée est fondamentalement que la preuve contextuelle en l'espèce est suffisante pour inférer pareille intention. Comme le juge Iacobucci l'a fait remarquer, « pour exprimer son intention claire et nette à cet effet, la Couronne n'a pas nécessairement à utiliser des mots faisant explicitement état de l'extinction de droits ancestraux » (Osoyoos, précité, paragraphe 57, citant R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, paragraphe 34). Pourtant, comme on l'a expliqué d'une façon plus détaillée dans l'arrêt Osoyoos, précité, paragraphe 84, « [b]ien que la présence de termes explicites ne soit pas strictement nécessaire, les tribunaux ne doivent pas retirer un droit foncier aux Autochtones par voie d'implication nécessaire, à moins que cette conclusion ne ressorte de façon claire et nette du contexte » . Je ferai donc de mon mieux pour examiner le contexte puisque la preuve est peu abondante.

3. Le contexte du décret


[55]       L'un des facteurs contextuels primordiaux à prendre en compte est la législation provinciale en vertu de laquelle le transfert de terres a été autorisé, étant donné que le gouvernement fédéral ne pouvait pas « octroyer un droit supérieur à celui que la province avait le pouvoir de prendre en vertu de ses propres lois » (Osoyoos, précité, paragraphe 62). Dans l'affaire Osoyoos, précitée, les paragraphes 21(1) et (2) de la Water Act, R.S.B.C., 1948, ch. 361, autorisaient d'une façon générale la province de la Colombie-Britannique à acquérir les terres « raisonnablement requises » pour les besoins d'un canal d'irrigation. En l'espèce, c'est la Highway Act qui autorisait d'une façon générale la province à prendre ou à utiliser les terres.

[56]       La disposition cruciale de la Highway Act est l'article 8 qui, au moment pertinent, était ainsi libellé :

[TRADUCTION]

8.(1) Le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu de construire des voies publiques [...] et de prendre possession, au moment où la voie est construite ou annoncée ou à tout moment ultérieur, de terrains supplémentaires se trouvant au-delà de la largeur de la voie ainsi établie lorsque cela est nécessaire pour l'usage ou pour les fins du ministère des Travaux publics [...]; et à ces fins personnellement ou par l'entremise de ses mandataires et préposés, sans préavis au propriétaire ou à l'occupant du terrain ou à toute personne détenant ou faisant valoir un domaine, droit, titre ou intérêt à l'égard dudit terrain et sans le consentement de ces personnes, de prendre possession de tout chemin privé et de tout terrain, d'en déterminer les limites requises [...] ainsi que de prendre possession de tout immeuble afin d'ériger et d'entretenir des paraneiges ou d'installer les drains jugés nécessaires, ou afin d'en retirer le gravier, le bois, la roche et les autres matériaux nécessaires à la construction ou à l'entretien d'une route. [Non souligné dans l'original.]

[57]       Les articles 5, 9 et 11 de la Highway Act, qui étaient alors libellés comme suit, sont également pertinents :

[TRADUCTION]

5. Sauf indications contraires, le titre de propriété du fonds de terre et de la voie publique est détenu par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs.

9. L'entrée par le ministre, ses mandataires, ses fonctionnaires et ses préposés, comme dans l'article susmentionné [article 8], en vue de la prise de possession de toute route ou de tout terrain a pour effet d'éteindre entièrement tout titre et toute revendication relativement aux routes et aux terrains ayant fait l'objet de cette prise de possession.


11. Le ministre peut en tout temps, sur avis publié dans la Gazette, [...] abandonner et fermer en tout ou en partie une route [...]. Les terres d'une route abandonnée ou fermée peuvent être cédées en propriété au propriétaire du terrain dont elles faisaient originalement partie ou au propriétaire du terrain adjacent aux terres cédées, elles peuvent être louées par le ministre à l'un ou l'autre de ces propriétaires, elles peuvent être vendues, louées ou aliénées par voie de vente aux enchères publiques ou par voie d'appel d'offres lancé en vertu du pouvoir du lieutenant-gouverneur en conseil, et elles peuvent, en vertu de ce pouvoir, être louées ou cédées au gouvernement du Dominion. [...] [Non souligné dans l'original].

[58]       L'intimée se fonde fortement sur le libellé des dispositions de la Highway Act qui, souligne-t-elle, est fort différent du libellé de la loi provinciale en cause dans l'affaire Osoyoos, précitée. Le juge des appels a statué que, conjointement, les dispositions de la Highway Act rendent claire et expresse l'intention de la province d'éteindre tout droit et de se transférer la pleine propriété relativement aux terrains pris en possession pour les fins d'une route. Le juge a statué (paragraphe 25) que « [v]u la clarté avec laquelle l'ancienne Highway Act mettait en évidence l'intention de la province quant au transfert de la pleine propriété, [...] la question pertinente est de savoir si le décret contient quelque élément faisant douter de cette intention » . À cet égard, selon la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Osoyoos, précitée, le juge des appels a commis une erreur.


[59]       En corrigeant une erreur identique commise par la majorité de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Osoyoos Indian Band c. Oliver (Town), 1999 BCCA 297 (C.A.C.-B.), la Cour suprême du Canada a fait remarquer que « cette approche est contraire au critère de l'intention claire et nette applicable en matière d'extinction » (Osoyoos, précité, paragraphe 84). L'erreur commise par le juge des appels était de supposer que les conditions du transfert étaient à première vue fixées par le libellé de la législation provinciale. Comme on l'a expliqué dans l'arrêt Osoyoos, précité, paragraphe 69, « la portée du pouvoir légal de céder des droits fonciers est circonscrite par les dispositions de la [législation provinciale] » [non souligné dans l'original]. Le gouverneur en conseil ne peut pas octroyer un droit supérieur à celui que la province a le pouvoir de prendre, mais il peut octroyer un droit inférieur (Osoyoos, précité, paragraphes 62, 69 et 136).

[60]       Le libellé de la législation provinciale n'est pas déterminant et n'établit pas une présomption au sujet de l'intention du gouvernement fédéral. Comme le juge Iacobucci l'a expliqué (ibid., paragraphe 80), la seule intention pertinente dans le cadre de l'analyse est celle du concédant du droit. L'article 35 de la Loi sur les Indiens confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu d'établir les modalités du transfert, et il faut donc dégager l'intention du gouverneur en conseil telle qu'elle est constatée par le décret. Le juge Gonthier a également mentionné qu' « [i]l lui [au gouvernement] appartient [...], conformément à ses obligations de fiduciaire, de décider de la superficie qu'il convient de transférer et de la nature du droit foncier qu'il transfère » (Osoyoos, précité, paragraphe 134). Le gouvernement fédéral a une obligation de fiduciaire envers les Autochtones plutôt qu'envers la province. Il n'est donc pas correct de présumer, en l'absence d'une indication contraire, que le gouvernement fédéral avait l'intention d'octroyer à la province ce qu'elle voulait. Bref, la province ne peut pas avoir reçu ce que sa législation l'aurait normalement autorisée à prendre dans le contexte de droits fonciers non autochtones.


[61]       La Cour suprême a clairement dit que l'obligation de fiduciaire qui incombe à la Couronne en vertu de l'article 35 exige que le gouverneur en conseil « n'exproprie que le droit minimal requis pour réaliser [la] fin d'intérêt public » (Osoyoos, précité, paragraphes 52 à 55). L'intérêt public ne correspond peut-être pas toujours au libellé de la législation provinciale. Il est essentiel de reconnaître que les conditions du transfert sont influencées par l'intérêt public plutôt que par le libellé de la législation provinciale ou par l'intention de la province. La présomption, le cas échéant, est donc que le gouvernement fédéral avait l'intention de n'octroyer que le droit minimal requis pour réaliser la fin d'intérêt public, comme l'indique souvent la législation provinciale. C'est ainsi que la Couronne harmonise ses obligations et celles du public et de la bande (ibid.).

[62]       Ceci dit, le libellé de la Highway Act est bel et bien pertinent. Le juge des appels a eu raison de consulter la législation provinciale, qui est l'un des facteurs contextuels susceptibles d'indiquer l'intention du gouvernement fédéral. En effet, le libellé de la législation provinciale n'est certes pas déterminant quant aux intentions du gouvernement fédéral, et n'établit pas une présomption favorable à la position prise par l'intimée, mais il s'agit néanmoins d'une preuve contextuelle qui peut éclaircir les conditions de l'octroi décrit dans le décret. À cet égard, le libellé de la Highway Act est l'un des facteurs qui favorise une interprétation donnant à entendre que l'octroi avait pour effet d'éteindre entièrement le droit autochtone dans le corridor (article 9). Toutefois, je ne crois pas que le libellé législatif en soi établisse une intention claire et nette et il n'est donc pas déterminant.


[63]       Un autre élément de preuve contextuel sur lequel l'intimée se fonde fortement est le fait que l'autoroute Lougheed n'était pas encore construite au moment de l'octroi à la province. Selon l'intimée et le juge des appels, cela indique que la Couronne avait l'intention d'éteindre complètement le droit autochtone dans le corridor. Toutefois, pareille conclusion est fondée sur le caractère correct de l'hypothèse selon laquelle rien de moins ne pourrait être suffisant pour les fins de la construction et de l'entretien de la route. Le juge des appels n'était « pas convaincu qu'un droit moindre que la pleine propriété [...] aurait pu permettre à la province de construire et d'entretenir l'une de ses autoroutes les plus importantes » (paragraphe 30).

[64]       Toutefois, je note qu'aucun élément de preuve n'est et n'a été soumis à l'appui de cette position. Comme le juge Iacobucci l'a fait remarquer, « notre Cour doit en règle générale hésiter à retirer des droits fonciers en l'absence de preuve concluante » (Osoyoos, précité, paragraphe 65). Cela est incompatible avec le principe de l'atteinte minimale et il ne convient donc pas d'exiger que la bande présente une preuve pour réfuter une présomption selon laquelle la province devait posséder un droit de propriété absolu. Le cas échéant, il incombe à l'intimée d'établir que seule l'extinction absolue du droit autochtone dans le corridor conviendrait.


[65]       De fait, la seule preuve contextuelle en l'espèce, y compris les nouveaux éléments de preuve soumis à cette cour, donne à entendre qu'il n'était pas nécessaire d'éteindre complètement le droit de la bande dans le corridor aux fins de la construction et de l'entretien de l'autoroute Lougheed. La Cour suprême du Canada a conclu qu'un droit inférieur à un titre absolu peut certainement suffire pour les fins de l'exploitation et de l'entretien d'un canal et, fait plus important, pour les fins de la construction et de l'entretien d'un chemin de fer (voir Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1998] 2 R.C.S. 654, page 671; et Osoyoos, précité). En l'absence de preuves contraires, il en va de même dans le cas d'une route.

[66]       En outre, les terres situées dans le corridor sont assujetties à divers autres droits, dont aucun n'empêche la province de satisfaire d'une façon adéquate au besoin public, aux fins de la construction et de l'entretien de la route. Ainsi, le corridor était, au moment de la construction de la route, et est encore, assujetti à la servitude octroyée à British Columbia Electric Company Limited. De toute évidence, la province n'estimait pas nécessaire d'éteindre ce droit. La province accepte volontiers de partager le corridor avec le réseau de câbles de fibre optique de l'intimée. Il existe également de nouveaux éléments de preuve importants, lesquels ont été admis en appel, indiquant qu'une route importante peut du moins en partie être située sur les terres d'une compagnie ferroviaire qui sont simplement louées. Enfin, la Highway Act elle-même permet au ministre de [TRADUCTION] « prendre possession de tout terrain » afin de permettre la [TRADUCTION] « construction ou l'entretien d'une route » , ce qui veut selon moi dire qu'il n'est pas strictement nécessaire à cette fin d'éteindre tous les autres droits afférents aux terres. Étant donné qu'il n'existe pas le moindre élément de preuve étayant la position contraire, il est clairement erroné de soutenir qu'il fallait éteindre complètement le droit autochtone afin de construire et d'entretenir la route.


[67]       L'intimée soutient que pareille extinction absolue était nécessaire, et ce, pour des raisons fondées sur la Constitution. En effet, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement fédéral une compétence exclusive sur les réserves indiennes. L'intimée soutient que si le droit autochtone n'était pas entièrement éteint, les lois provinciales, y compris la Highway Act, ne s'appliqueraient pas à ces terres sur le plan constitutionnel. Selon l'intimée, la province ne pourrait donc pas construire et entretenir l'autoroute Lougheed. Je ne puis retenir cet argument. L'article 88 de la Loi sur les Indiens tel qu'il est maintenant libellé (et l'article 87 de la Loi telle qu'il était libellé en 1952) prévoit expressément que toutes les lois sont applicables aux terres de réserve sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la Loi ou sauf si la question est déjà prévue par la Loi.

[68]       Des facteurs contextuels additionnels peuvent également aider à éclaircir le décret. L'intimée soutient que si le gouvernement fédéral avait eu l'intention d'octroyer à la province moins qu'un droit absolu sur les terres, il aurait employé un libellé semblable à celui qu'il a employé dans le décret C.P. 1953-30 (le décret de 1953), par lequel une servitude était octroyée à British Columbia Electric Company Limited. Selon l'intimée, le décret Seabird aurait permis [TRADUCTION] « l'utilisation desdites terres aussi longtemps qu'elles étaient nécessaires aux fins susmentionnées » comme l'avait fait le décret de 1953. De l'avis de l'intimée, en employant un libellé différent dans chacun de ces décrets, le gouvernement fédéral voulait en arriver à un résultat différent.


[69]       À première vue, cette preuve favorise l'intimée. D'autre part, en utilisant ce raisonnement, il faut conclure que si le gouvernement fédéral voulait, dans ce cas-ci, octroyer à la province de la Colombie-Britannique un droit différent de celui qu'il a octroyé dans l'affaire Osoyoos, précitée, il aurait employé un libellé différent dans chacun des décrets; or, il ne l'a pas fait. Le corollaire nécessaire de l'argument invoqué par l'intimée est qu'en employant le même libellé dans des décrets différents, le gouvernement fédéral voulait en arriver au même résultat. Si c'est de fait le cas, le décret Seabird doit être considéré comme conférant un droit identique à celui qui était conféré par le décret Osoyoos.

[70]       Toutefois, je note que le décret Osoyoos, comme le décret Seabird, était assujetti à [TRADUCTION] « une servitude existante relative à une ligne de haute tension » . Je ne sais pas trop si le libellé précis de l'octroi antérieur a été produit en preuve devant la Cour suprême, mais les remarques ci-après énoncées du juge Iacobucci sont pertinentes eu égard aux circonstances. Le juge a expliqué, au paragraphe 83 de l'arrêt Osoyoos, précité, que l'octroi antérieur d'une servitude existante « ne fait pas nécessairement par voie d'analogie des deux autres droits de passage autre chose qu'une servitude » . Ces remarques ont été faites dans le contexte de l'analyse comparative du libellé même du décret Osoyoos. Les remarques du juge sont d'autant plus pertinentes lorsque le libellé de deux documents distincts est comparé. Le décret de 1953 constitue un exemple d'un type de libellé qui peut être employé pour transférer un droit inférieur à un droit absolu sur une terre, mais il ne s'ensuit pas de façon claire et nette qu'un libellé différent ne permet pas d'atteindre un résultat similaire. Par conséquent, le décret de 1953 est peut-être pertinent, mais il n'est pas déterminant.


[71]       En outre, se fonder sur des éléments de preuve indirects, tels que le libellé d'un décret antérieur, m'obligerait non seulement à interpréter le décret Seabird, mais aussi à interpréter d'abord le décret antérieur en vue d'établir un cadre de comparaison. Ce n'est qu'alors qu'il serait possible de s'inspirer du libellé d'un décret en déterminant l'intention manifestée dans l'autre. Compte tenu des faits dont fait état le dossier dans cet appel, la Cour ne peut pas entreprendre cette analyse. Je ne suis donc pas convaincu qu'il existait une intention claire et nette d'éteindre entièrement le droit autochtone afférent aux terres.

[72]       Les parties n'ont pas insisté sur la question, mais il convient de faire certaines remarques au sujet de l'entente de 1961 par laquelle British Columbia Electric Company Limited était autorisée à [TRADUCTION] « construire [...] et [à] entretenir dans la réserve des poteaux [...] et une ligne ou des lignes de transmission d'énergie électrique ainsi que des lignes de communication et de télévision » . Toutes les parties à cette entente se sont expressément rendues compte qu'une autorisation était nécessaire parce que les terres étaient [TRADUCTION] « des terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens » telle qu'elle était alors libellée. Si l'autorisation était demandée et obtenue à l'égard des terres situées dans le corridor, les parties à cette entente admettraient presque incontestablement, selon moi, que ces terres sont assujetties au droit dont la bande est titulaire. Il s'agit donc de savoir si cette entente s'applique expressément aux terres situées dans le corridor.


[73]       Selon l'entente, la réserve est [TRADUCTION] « située sur Seabird Island » . Toutefois, l'entente ne stipule pas que la réserve comprend Seabird Island dans son ensemble. On ne sait donc pas trop si l'entente s'applique à l'ensemble de l'île ou uniquement à la majeure partie de l'île, à l'exclusion de la partie dont était composé le corridor de l'autoroute Lougheed. Il pourrait être possible d'inférer que si les parties à cette entente prévoyaient que l'entente ne s'appliquait pas au corridor de l'autoroute Lougheed puisque ces terres n'étaient pas des « terres de réserve » , elles auraient pu le dire. Subsidiairement, il est possible d'inférer à partir de pareille omission que la chose était tellement évidente qu'il n'était pas nécessaire d'en faire mention. Chacune des deux inférences est selon moi légitime.

[74]       Il est fait mention de terres particulières dans la résolution du conseil de la bande, qui prévoit expressément que l'entente visait spécifiquement à permettre l'installation d'une ligne de transmission d'énergie électrique [TRADUCTION] « le long de la route à Seabird Island attenante au Maria Slough, tel que l'indique le plan Pole no 24239 en date du 15 juin 1961 » . Ce plan n'a pas été produit en preuve, et rien n'indique si la route en question est située dans le corridor ou près du corridor. Étant donné qu'il n'est pas clair que cette entente indique en fait qu'il est concédé que le corridor de l'autoroute Lougheed faisait partie des « terres de réserve » et qu'il était donc assujetti au droit de la bande, il s'agit d'un facteur neutre en ce qui concerne l'interprétation du décret Seabird.

4. Conclusion


[75]       Bref, même si le libellé du décret et le contexte de la présente affaire sont presque identiques à ceux de l'affaire Osoyoos, précitée, il y a plusieurs différences. Premièrement, le libellé exprès de la réserve relative aux mines et aux minerais est légèrement différent. Deuxièmement, le libellé de la législation provinciale est différent. Troisièmement, la route n'était pas construite alors que le canal l'était déjà. Quatrièmement, dans le libellé du décret antérieur, il était expressément fait mention de [TRADUCTION] l' « utilisation » des terres. Enfin, dans une entente de 1961, il était reconnu qu'il fallait obtenir l'autorisation du gouvernement fédéral pour ériger les lignes de transmission d'énergie électrique sur les terres de la réserve. Il s'agit donc avant tout de savoir si les légères différences existant dans les conditions de transfert, auxquelles vient s'ajouter une preuve contextuelle additionnelle qui n'existait pas dans l'affaire Osoyoos, établissent une intention claire et nette d'éteindre complètement le droit autochtone dans le corridor.

[76]       Je ne puis dire qu'il en est ainsi. Il n'y a dans la présente espèce rien qui soit suffisant pour la distinguer de l'affaire Osoyoos, précitée, de façon à établir une intention « claire et nette » d'éteindre complètement le droit autochtone dans le corridor. Le libellé du décret Seabird, comme celui du décret Osoyoos, est réellement ambigu. La législation provinciale ne peut pas être déterminante, mais il s'agit uniquement d'une contrainte imposée à la Couronne pour que cette dernière octroie uniquement un droit qui est visé par l'étendue du pouvoir qui est reconnu à la province par la loi. En outre, je ne suis pas convaincu que la construction et l'entretien du corridor exigeaient nécessairement une extinction absolue du droit autochtone. De fait, les circonstances donnent à entendre le contraire. Le libellé du décret de 1953 constitue simplement l'une des façons, mais certainement pas l'unique façon, pour le gouvernement fédéral de transférer un droit inférieur à un droit absolu sur les terres. L'entente de 1961 n'ajoute pas grand-chose et même n'ajoute rien à l'analyse.


[77]       En conclusion, comme on l'a expliqué dans l'arrêt Osoyoos, précité, paragraphe 68, « il faut retenir [l'interprétation] qui porte atteinte de façon minimale aux droits des Indiens, dans la mesure où l'ambiguïté est réelle » . En adoptant ce principe, j'ai conclu, comme je suis tenu de le faire, que parce qu'il est réellement ambigu, le décret Seabird doit être interprété de façon à donner à entendre que le droit autochtone dans le corridor où est située l'autoroute Lougheed n'était pas éteint au complet. Comme l'a dit le juge Iacobucci, je ne puis donc pas dire que « le droit que possède la bande est entièrement exclu » et, par conséquent, que « les terres continuent de faire partie de la réserve pour l'application de l'al. 83(1)a) » (Osoyoos, précité, paragraphe 50). Étant donné que la bande conserve son droit sur les terres situées « dans la réserve » , je n'ai pas à définir avec précision le droit conféré à la province. Il suffit de dire que le décret n'a pas pour effet d'éteindre complètement tout le droit de la bande et, par conséquent, que la bande peut à bon droit exercer les pouvoirs conférés à l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens. La décision du juge des appels ne peut donc pas être maintenue à la lumière de l'arrêt Osoyoos, précité.


[78]       Je dois enfin traiter de l'idée erronée possible selon laquelle le fait que le corridor est situé « dans la réserve » pour l'application de l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens permet à la bande de nuire fortement à l'entretien et à l'exploitation de la route elle-même ou à tout autre droit existant dans le corridor. De fait, tel n'est pas le cas. En effet, l'appelant reconnaît qu'il n'a pas le droit de taxer la province à l'égard des terres situées dans le corridor. De plus, même en vertu de la Loi sur les Indiens, la bande ne possède pas un droit inconditionnel de prendre des règlements administratifs qui sont incompatibles avec le droit créé en application de l'article 35 (arrêt Osoyoos, précité, paragraphe 75). De fait, le résultat, en ce qui concerne l'intimée en particulier, est simplement que celle-ci doit verser ses taxes à la bande plutôt qu'au district de Kent.

D. Réversion à la bande

[79]       Étant donné que, pour l'application de l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, le droit que possède la bande dans le corridor où est située l'autoroute Lougheed n'a pas été entièrement retiré de la réserve, je n'ai pas à me demander si les terres reviendraient à la bande dans le cas où le droit autochtone serait complètement éteint.

VII. DISPOSITIF

[80]       Cet appel devrait être accueilli, la décision du juge des appels devrait être infirmée et l'appel interjeté à l'encontre de la Commission d'évaluation de la bande indienne de Seabird Island devrait être rejeté, les dépens étant adjugés à l'appelant en appel et en première instance.

                                                                                                                                « A.M. Linden »                

                                                                                                                                                    Juge                         

« Je souscris à cet avis.

     Le juge Aline Desjardins. »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.



LE JUGE NOËL(motifs dissidents)

[81]       À mon avis, le raisonnement que la Cour suprême a fait dans l'arrêt Bande indienne d'Osoyoos, précité, étaye la conclusion que le juge des appels a tirée en l'espèce.

[82]       Je souscris à l'avis selon lequel le décret qui est ici en cause est remarquablement similaire à celui que la Cour suprême a examiné dans l'arrêt Osoyoos. Toutefois, il y a deux différences cruciales qui, à mon avis, auraient amené la majorité à en arriver à un résultat différent dans l'arrêt Osoyoos.

[83]       Je mentionnerai d'abord le passage de la décision majoritaire figurant sous le titre « La nature du droit cédé en vertu de l'art. 35 dans la présente affaire » , que je reproduis en entier :

58. L'article 35 permet clairement la prise de terres de réserve pour cause d'utilité publique. De plus, il est clair et net que cet article autorise la prise et l'utilisation d'un large éventail de droits fonciers, y compris même un intérêt en fief simple. Cette conclusion ressort du sens ordinaire et grammatical des mots utilisés dans cette disposition. Toutefois, la question plus fondamentale qui se pose est de savoir si l'art. 35 de la Loi sur les Indiens permettait que, dans les circonstances de l'espèce, des terres soient exclues de la réserve et soustraites à l'application de l'al. 83(1)a).

59. Lorsqu'elle a voulu exproprier des terres de réserve en vertu du par. 35(1) de la Loi sur les Indiens, la province n'était habilitée qu'à prendre ou utiliser les terres que ses lois l'habilitaient à prendre. Le paragraphe 35(1) prévoit ce qui suit:

35. (1) Lorsque, par une loi [. . .] d'une législature provinciale, Sa Majesté du chef d'une province [. . .] a le pouvoir de prendre ou d'utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil [. . .] être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent. [Je souligne.]

Les mots « ce pouvoir » renvoient clairement au pouvoir prévu par la loi provinciale visée au début du par. 35(1). Par conséquent, la province pouvait exercer uniquement « [l]e pouvoir » qui lui était conféré par la loi provinciale pertinente.


60. Les parties concèdent que le ministre de l'Agriculture a demandé le transfert des terres en cause en vertu de l'art. 21 de la Water Act, comme permettent de le supposer les extraits suivants du préambule du décret : « le ministre de l'Agriculture [. . .] a demandé les terres [. . .] pour les besoins d'un canal d'irrigation » . L'article 21 de la Water Act est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

21. (1) Dans le présent article et dans les trois suivants, le mot « terres » s'entend également des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs à celles-ci.

(2) Les détenteurs de permis ont le droit d'exproprier les terres raisonnablement requises pour la construction, l'entretien, l'amélioration ou l'exploitation de tout ouvrage autorisé par leur permis . . . [Je souligne.]

61. En vertu de l'article 21 de la Water Act, le ministre de l'Agriculture ne pouvait donc exproprier « que les domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs » aux « terres raisonnablement requises » à l'égard du canal, sans plus. La province ne pouvait pas, au moyen du par. 35(1) de la Loi sur les Indiens, contourner les limites intrinsèques des pouvoirs que lui accorde la Water Act et exproprier un droit supérieur à celui qui était raisonnablement requis pour le canal.

62. De même, bien que le par. 35(3) de cette loi autorisât le gouverneur en conseil à passer outre à la procédure d'expropriation officielle, ce dernier ne pouvait pas non plus éluder les limites du pouvoir d'expropriation de la province et octroyer un droit supérieur à celui que la province avait le pouvoir de prendre en vertu de ses propres lois. Le paragraphe 35(3) prévoit ce qui suit :

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l'exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province [. . .], il peut, au lieu que la province [. . .] prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil. [Je souligne.]

63. Compte tenu du renvoi aux « « pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) » » , le par. 35(3) n'autorise le gouverneur en conseil à octroyer ou à transférer que « [l] les terres » que la province aurait pu prendre en vertu de la loi pertinente, en l'occurrence la Water Act. En d'autres termes, le gouverneur en conseil ne pouvait octroyer « que les domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs » » qui étaient « « raisonnablement requi[s] » pour les besoins du canal. Cette interprétation est non seulement compatible avec le sens ordinaire de l'art. 35, mais elle est également étayée par le principe d'interprétation qui favorise l'interprétation stricte des lois restreignant les droits des Indiens (voir, plus loin, le par. 67).

64. Par conséquent, étant donné que, dans les circonstances de la présente affaire, la Water Act est la source du pouvoir d'expropriation, le pouvoir discrétionnaire d'octroyer des « terres » en vertu du par. 35(3) se limitait aux terres ou aux droits y afférents « raisonnablement requi[s] » pour le canal.


65. Cette conclusion soulève la question de savoir quel type de droits est raisonnablement requis pour le canal. La preuve dont dispose notre Cour est insuffisante pour apporter une réponse claire. Les intimées prétendent que, comme le canal constitue une structure permanente, elles doivent détenir le droit exclusif d'utiliser et d'occuper les terres visées. Bien que le canal semble être une structure permanente sur les terres visées, il ne faut pas exagérer l'importance de ce fait. Il n'a été présenté aucun élément de preuve indiquant quel genre de structure est le canal. Essentiellement, il s'agit d'une tranchée en béton. Qui plus est, il est possible d'inférer qu'un fief simple sur les terres en cause n'était pas requis pour la construction du canal puisqu'il n'y a eu aucun transfert de titre au moment de la construction. En outre, étant donné que le canal était déjà construit lorsque le transfert a eu lieu, le droit en question est celui qui est raisonnablement requis uniquement pour l'exploitation et l'entretien du canal. De plus, il est évident que le fief simple n'est pas nécessaire pour l'exploitation et l'entretien du canal, puisque ces activités sont actuellement la responsabilité de la ville d'Oliver, qui semble détenir un certain intérêt à bail sur les terres. Un canal est, de par sa nature, assimilable à un chemin de fer en ce qu'il s'agit de deux structures permanentes aménagées sur le sol et qui impliquent des activités d'exploitation et d'entretien, et notre Cour a jugé que l'octroi d'une servitude légale peut suffire pour la construction et l'entretien d'un chemin de fer : voir Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, à la p. 671. Comme il a été mentionné plus tôt, notre Cour doit en règle générale hésiter à retirer des droits fonciers en l'absence de preuve concluante justifiant une telle mesure. [Non souligné dans l'original.]

[84]       Ce raisonnement était suffisant pour régler l'appel dans l'affaire Osoyoos. La Cour, qui avait conclu qu'il n'avait pas été démontré qu'un droit supérieur à un intérêt à bail ou à une servitude était « raisonnablement requis » pour les fins de la construction, de l'exploitation ou de l'entretien du canal au sens de la Water Act, était tenue de conclure que le décret ne cédait pas un droit supérieur (Osoyoos, précité, paragraphe 69). Indépendamment de toute autre considération, le gouvernement provincial ne pouvait pas prendre plus, et le gouvernement fédéral ne pouvait pas octroyer plus, que ce que la Water Act autorisait.


[85]       Or, en l'espèce, il n'existe aucune restriction de ce genre. Au contraire, la Highway Act, telle qu'elle était libellée au moment pertinent, prévoyait que « [s]auf indications contraires, le titre de propriété du fonds de terre et de la voie publique [était] détenu par Sa Majesté [...] » (article 5). Il n'est pas surprenant que dans ce cas-ci la Loi prévoie d'une façon générale la prise de possession de la pleine propriété des terres plutôt que d'un droit moindre. On peut imaginer qu'il est possible de construire et d'exploiter une route sur des terres louées, ou sur des terres assujetties à un simple droit de passage, mais l'idée de construire une autoroute importante sur des terres détenues par un tiers n'avait pas plus de sens en 1956 qu'elle en aurait aujourd'hui. La conclusion du juge des appels (motifs, paragraphes 23, 24 et 30) est fondée sur le libellé de la Highway Act et sur le simple bon sens.

[86]       Les nouveaux éléments de preuve qui ont été admis par mes collègues ne changent rien à la conclusion tirée par le juge des appels sur ce point. Ils montrent qu'exceptionnellement, la province avait obtenu du Canadien Pacifique un droit inférieur à l'égard d'une bande restreinte située dans le corridor, d'une largeur de 100 pieds, traversant une partie de la réserve. Le dossier montre clairement que le Canadien Pacifique ne voulait pas que les terres situées le long de son emprise soient dévolues à la province pour les fins d'une route (dossier de la requête, pages 10 et 11). La Highway Act prévoit expressément que la province peut prendre possession d'un droit inférieur s'il y a des [TRADUCTION] « indications contraires » (article 5).

[87]       Je ne crois pas qu'en tirant la conclusion susmentionnée, le juge des appels se soit fondé sur le fait que la législation provinciale était à première vue déterminante quant aux conditions du transfert (juge Linden, paragraphe 58); les motifs du juge montrent clairement que la seule intention pertinente est celle de la Couronne agissant à titre de gouvernement fédéral. Toutefois, en déterminant cette intention, le juge a conclu qu'il était utile d'examiner la demande à laquelle le concédant répondait (motifs, paragraphes 16, 17 et 18).


[88]       Je ne puis déceler aucune erreur dans l'approche adoptée par le juge des appels. De fait, dans l'arrêt Osoyoos, la majorité mentionne expressément les paragraphes 13 à 19 des motifs prononcés par le juge des appels en l'espèce comme représentant l'approche qu'il convient d'adopter dans des cas comme celui-ci (Osoyoos, paragraphe 47). Le juge des appels ne s'écarte jamais de ce cadre d'analyse. En fin de compte, seule une intention claire et expresse de la part du gouvernement fédéral peut étayer une conclusion selon laquelle des terres ont été retirées d'une réserve (motifs, paragraphe 19).

[89]       L'autre différence cruciale entre les deux décrets se rapporte à la dernière clause, qui traite des droits miniers. Dans l'arrêt Osoyoos, la majorité des juges, en se fondant sur une conclusion de Monsieur le juge Lambert, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, a statué que la réserve relative aux droits miniers était une disposition type et qu'elle ne dénotait donc pas l'intention du concédant (Osoyoos, paragraphe 79).

[90]       Une disposition type est une clause qui est systématiquement reproduite, habituellement mot pour mot, dans une série d'instruments ayant le même objet (Black's Law Dictionary, sixième édition, page 175). Le fait que pareilles clauses sont automatiquement incluses semble avoir amené la majorité, dans l'arrêt Osoyoos, à statuer que, bien que l'argument se rapportant à la réserve relative aux droits miniers fût par ailleurs « fort instructif » , on ne pouvait pas se fonder sur cette réserve.

[91]       Le libellé exact de la clause, dans l'affaire Osoyoos, était le suivant :


[TRADUCTION]

Le tout sous réserve des mines et des minéraux et du droit de les exploiter.

[92]       Par contre, la clause figurant dans le décret ici en cause prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Sous réserve de toute mine et de tout minerai sous forme solide, liquide ou gazeuse pouvant être trouvés dans, sur ou sous ces terres ainsi que du plein pouvoir d'exploiter pareille mine et pareil minerai et, à cette fin, sous réserve du droit d'entrer sur tout ou partie desdites terres, de les utiliser et de les occuper dans la mesure où il est nécessaire de le faire afin d'exploiter et d'extraire lesdits minerais d'une façon efficace.

[93]       Si je reconnais comme je dois le faire que la clause dans l'affaire Osoyoos était une disposition type au sens habituel de cette expression, la clause dont il est ici question ne peut aucunement être qualifiée de la même façon. La comparaison des deux décrets montre clairement qu'en l'espèce, le gouvernement fédéral, qui tentait de toute évidence de concilier l'intérêt public exigeant que les terres en cause soient utilisées pour les fins de la route d'une part, et son obligation de fiduciaire (telle qu'il l'interprétait alors) de porter atteinte le moins possible aux droits des Indiens sur les terres de réserve d'autre part, a minutieusement exclu du droit conféré à la province le droit de propriété relatif aux mines et minerais et a conféré le droit [TRADUCTION] d' « entrer sur tout ou partie desdites terres, de les utiliser et de les occuper dans la mesure où il est nécessaire de le faire afin [...] » d'exploiter ces mines et minerais (comparer Osoyoos, paragraphes 52 à 55).


[94]       Comme le juge des appels l'a conclu, cette séparation, si elle est considérée à la lumière du pouvoir illimité de la province de prendre des terres pour les fins envisagées par la Highway Act, ne peut indiquer qu'une chose, à savoir qu'après avoir tenu compte des intérêts contradictoires, le gouverneur en conseil a autorisé le transfert des terres en question sous réserve de l'exception mentionnée (motifs, paragraphes 28 et 29).

[95]       Le principe de l'atteinte minimale fait pencher la balance du côté des droits des Indiens dans tous les cas où il existe une ambiguïté « réelle » dans l'intention du gouvernement fédéral tel qu'en fait foi le document de transfert (Osoyoos, paragraphe 68). Pour qu'il y ait ambiguïté réelle, il ne doit subsister aucun doute réel au sujet de la nature et de l'étendue du droit qui est cédé. En l'absence de doute, il incombe aux tribunaux judiciaires de donner effet à l'intention claire et nette du gouvernement fédéral.

[96]       À mon avis, s'il est tenu compte des motifs prononcés par la Cour suprême dans l'arrêt Osoyoos, il n'a pas été démontré qu'il existe en l'espèce une ambiguïté réelle ou que le juge des appels a commis une erreur en concluant qu'il ressortait manifestement du décret que le gouvernement fédéral avait cédé à la province un droit de propriété absolu sur les terres en cause à l'exception des mines et minerais qui se trouvaient dans, sur ou sous ces terres.


[97]       Je rejetterais également les moyens subsidiaires d'appel. À mon avis, le juge des appels, pour les motifs qu'il a exprimés, a correctement conclu que l'expression « pour les besoins d'une route » figurant dans les attendus du décret ne rendait pas extinguible la pleine propriété (motifs, paragraphe 38). Il n'a pas non plus été démontré que le juge des appels a commis une erreur en statuant que le corridor dans lequel était située l'autoroute Lougheed continue à être utilisé « pour les fins d'une route » (motifs, paragraphes 36 et 37).

[98]       Je rejetterais l'appel avec dépens.

                                                                                                                                   « Marc Noël »                         

          Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                           SECTION D'APPEL

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               A-391-00

INTITULÉ :                                                              Évaluateur de la bande indienne de Seabird Island

c.

BC Tel

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   le 29 mai 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                                le juge Linden

Y A SOUSCRIT :                                                     le juge Desjardins

MOTIFS DISSIDENTS :                                       le juge Noël

DATE DES MOTIFS :                                        le 9 juillet 2002

COMPARUTIONS :

M. Gary Snarch/                                                         POUR L'APPELANT

Mme Fiona Anderson

M. Ron Skolrood/                                                     POUR L'INTIMÉE

M. J. Olynyk

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Snarch et Allen                                                           POUR L'APPELANT

Vancouver

Lawson et Lundell                                                     POUR L'INTIMÉE

Vancouver

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