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Date : 20001116


Dossier : A-275-00

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS

ENTRE :

     JOANNE M. GAUCHER,

     appelante,

ET

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.









AUDIENCE tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 3 novembre 2000.

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 16 novembre 2000.






MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN.

ONT SOUSCRIT À CES MOTIFS, LES JUGES SEXTON ET EVANS.





Date : 20001116


Dossier : A-275-00

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS

ENTRE :

     JOANNE M. GAUCHER,

     appelante,

ET

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Il s'agit en l'espèce de décider si un contribuable imposé suivant une cotisation établie à titre dérivé en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu peut s'opposer à cette dernière en contestant la cotisation primaire sur laquelle se fonde la cotisation dérivée.

[2]      L'ancien mari de l'appelante a été imposé pour une somme s'élevant à environ 350 000 $. La cotisation a été confirmée par la Cour canadienne de l'impôt. Peu de temps avant que la Cour canadienne de l'impôt ne prononce cette confirmation, l'ancien mari de l'appelante a transféré la résidence à cette dernière. Quelques mois plus tard, l'ex-mari a fait faillite.

[3]      Le Ministre a par la suite imposé l'appelante en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon cette disposition, lorsqu'une personne transfère des biens à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance pour une somme moindre que sa contrepartie totale, le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement de l'impôt de ce dernier. Le texte du paragraphe 160(1) est ainsi rédigé :     

160. (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

(a) the person's spouse or a person who has since become the person's spouse,

(b) a person who was under 18 years of age, or

(c) a person with whom the person was not dealing at arm's length,

the following rules apply:

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor's tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted therefor, and

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

160. (1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes:

a) son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent:

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants:

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[4]      L'appelante fait maintenant valoir que le Ministre a établi la nouvelle cotisation relative à son ex-mari après l'expiration du délai de prescription de trois ans prévu au paragraphe 152(3.1). Elle souhaite donc invoquer la prescription comme moyen de défense à l'égard de la cotisation dont elle fait l'objet en application du paragraphe 160(1). Le Ministre soutient que l'appelante ne peut recourir à ce moyen de défense parce que la cotisation visant l'ancien mari, une fois confirmée par la Cour canadienne de l'impôt, ne peut être contestée. Le Ministre prétend que, comme il a établi la cotisation après le délai imparti, on doit présumer qu'il a allégué l'existence d'une présentation erronée des faits, que l'ancien mari de l'appelante n'a pas soulevé de défense fondée sur la prescription lors de son appel et que l'appelante ne peut maintenant invoquer ce moyen dans le cadre de son propre appel.

[5]      Le juge de la Cour canadienne de l'impôt est d'accord avec le Ministre. Voici ce qu'il a mentionné au paragraphe 10 de ses motifs :

En fin de compte, je conclus que l'appelante n'a pas le droit de présenter une défense fondée sur la prescription de la nouvelle cotisation de son ex-mari, puisque que la Cour canadienne de l'impôt a confirmé la nouvelle cotisation du ministre et que l'appelante ne peut modifier cette décision. Compte tenu des faits en cause, le juge Margeson a confirmé la cotisation du ministre; de plus, M. Haynes avait admis, au début de l'audience, qu'une partie des montants en litige avait été établie correctement dans la nouvelle cotisation.

[6]      J'estime pour ma part que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur lorsqu'il a tiré cette conclusion. Il existe une règle fondamentale relevant de la justice naturelle selon laquelle, sous réserve d'une disposition législative à l'effet contraire, une personne non partie à une instance ne saurait être liée par le jugement qui y est prononcé à l'égard d'autres parties. L'appelante n'était pas partie à l'instance intervenue entre le Ministre et son ex-mari au sujet de la nouvelle cotisation. Cette instance n'avait aucunement pour objet de lui imposer une obligation fiscale. Bien qu'elle ait pu être témoin dans cette instance, elle n'y était pas partie et ne pouvait donc pas y soulever des moyens de défense à l'égard de la cotisation de son ancien mari.

[7]      Lorsque le Ministre établit une cotisation à titre dérivé en application du paragraphe 160(1), il invoque une disposition législative particulière qui l'autorise à demander paiement à une seconde personne pour la cotisation d'impôt visant un premier contribuable. Cette seconde personne doit jouir d'un plein droit de défense pour contester la cotisation établie à son endroit, y compris celui d'attaquer la cotisation primaire sur laquelle se fonde la cotisation touchant la seconde personne.

[8]      Ce point de vue a été formulé par certains juges de la Cour canadienne de l'impôt. Voir, par exemple, les affaires Acton c. La Reine (1994), 95 D.T.C. 107, page 108, juge Bowman; Ramey c. La Reine (1993), 93 D.T.C. 791, page 792, juge Bowman; Thorsteinson c. M.R.N. (1980), 80 D.T.C. 1369, page 1372, juge Taylor. Bien que l'opinion contraire ait été mise de l'avant dans l'arrêt Schafer (A.) c. Canada, [1998] G.S.T.C. 7-1, pages 7 à 9 (appel rejeté pour cause de retard [30 août 1999], A-258-98 [C.A.F.]), je suis d'avis que cette opinion est erronée. Il me semble que cette approche omet de tenir compte du fait que se trouvent en litige deux cotisations distinctes établies par le Ministre à l'égard de deux contribuables différents. Dès lors que la cotisation visant le premier contribuable revêt un caractère définitif, que ce soit parce que le premier contribuable n'a pas interjeté appel de la cotisation ou que celle-ci a été confirmée par la Cour canadienne de l'impôt (ou un tribunal d'instance supérieure lors d'un appel subséquent), cette cotisation devient définitive et elle lie tant le premier contribuable que le Ministre. La cotisation fixée en application du paragraphe 160(1) à l'égard d'un second contribuable ne peut influer sur la cotisation établie par le Ministre relativement au premier contribuable.

[9]      En outre, comme le second contribuable en l'espèce n'était pas partie à l'instance entre le Ministre et le premier contribuable, il n'est pas lié par la cotisation visant le premier contribuable. Le second contribuable est autorisé à soulever tous les moyens de défense que le premier contribuable aurait pu invoquer à l'égard de la cotisation primaire. Il peut arriver que la cotisation du second contribuable soit annulée ou que le montant de celle-ci soit réduit à une somme moins élevée que celle fixée par la cotisation touchant le premier contribuable, mais ces mesures n'ont évidemment aucune incidence sur la cotisation relative au premier contribuable, à l'égard duquel la cotisation primaire était définitive et exécutoire.

[10]      Le Ministre prétend que la personne faisant l'objet d'une cotisation en application du paragraphe 160(1) n'est pas un « contribuable » et n'a donc pas le droit de contester la cotisation établie quant au premier contribuable. Je dois avouer que la logique de cet argument m'échappe complètement. La question en litige dans le cadre d'une cotisation fixée sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu vise l'impôt sur le revenu. La personne imposée doit sûrement être un contribuable. En tout état de cause, la définition du terme « contribuables » donnée au paragraphe 248(1) de la Loi porte :

"taxpayer" includes any person whether or not liable to pay tax.

« _contribuables_ » Sont comprises parmi les contribuables toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l'impôt.

     La personne imposée en application du paragraphe 160(1) est donc un contribuable.

[11]      Aucune raison n'empêche l'appelante de soulever le délai de prescription comme moyen de défense opposable à la cotisation établie à son égard en application du paragraphe 160(1).

[12]      Comme il est mentionné au paragraphe 4 plus haut, les éléments de preuve laissent entendre que le premier contribuable aurait éventuellement fait une présentation erronée des faits qui autoriserait le Ministre à invoquer le paragraphe 152(4) et à fixer un impôt après l'expiration de la période normale de cotisation. Le paragraphe 152(4) prévoit ce qui suit :

152. (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer's normal reassessment period in respect of the year only if

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act ...

152. (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants:

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration:

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi ...

Le cas échéant, les parties auront la possibilité de traiter de la question de la présentation erronée des faits en produisant des éléments de preuve à l'occasion de l'appel interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt.

[13]      Le présent appel sera accueilli avec dépens tant devant la présente Cour que devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision rendue par cette dernière sera annulée. Lors de l'appel visant la cotisation établie à son endroit en application du paragraphe 160(1), l'appelante pourra soulever devant la Cour canadienne de l'impôt tous les moyens de défense que son ancien mari aurait pu invoquer relativement à sa propre cotisation.


     « Marshall Rothstein »

« Je souscris à ces motifs. »      Juge

     Le juge J. Edgar Sexton

« Je souscrits à ces motifs. »

     Le juge John M. Evans




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER :      A-275-00


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Joanne M. Gaucher c. Sa Majesté la Reine


LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)


DATE DE L'AUDIENCE :      Le 3 novembre 2000


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR le juge Rothstein le 16 novembre 2000.


ONT SOUSCRIT À CES MOTIFS les juges Sexton et Evans.





ONT COMPARU :


John C. Drove

Rachael Fisher          POUR L'APPELANTE

Patricia Babcock          POUR L'INTIMÉE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

    

Edwards, Kenny & Bray

Vancouver (C.-B.)          POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)          POUR L'INTIMÉE





Dossier : A-275-00

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 16 NOVEMBRE 2000

CORAM :      LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

         LE JUGE EVANS

                            

ENTRE :

     JOANNE M. GAUCHER,

     appelante,

ET

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.


     JUGEMENT


     Le présent appel est accueilli avec dépens tant devant la présente Cour que devant la Cour canadienne de l'impôt. La décision rendue par cette dernière est annulée. Lors de l'appel visant la cotisation établie à son endroit en application du paragraphe 160(1), l'appelante pourra soulever devant la Cour canadienne de l'impôt tous les moyens de défense que son ancien mari aurait pu invoquer relativement à sa propre cotisation.

     « Marshall Rothstein »

     Juge



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

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