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Date : 20020812

Dossier : A-191-01

Ottawa (Ontario), le 12 août 2002

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                          THOMAS GIFFORD

                                                                                                                                         défendeur

                                                                 JUGEMENT

L'appel est accueilli, la décision de la Cour de l'impôt est annulée et la cotisation établie par le ministre du Revenu national est confirmée. Le défendeur a droit à ses frais à l'égard de la demande de contrôle judiciaire présentée par Sa Majesté la Reine.

« A.J. Stone »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020812

Dossier : A-191-01

Référence neutre : 2002 CAF 301

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                          THOMAS GIFFORD

                                                                                                                                         défendeur

                                  Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 mai 2002.

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 août 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE STONE

                                                                                                                          LE JUGE SEXTON


Date : 20020812

Dossier : A-191-01

Référence neutre : 2002 CAF 301

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                          THOMAS GIFFORD

                                                                                                                                         défendeur

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION

        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre du Revenu national contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a accueilli, le 15 février 2001, (motifs publiés à 2001 D.T.C. 168) l'appel interjeté par le défendeur. Deux questions sont en litige :


1.          Le montant que le défendeur a versé à un collègue en vertu d'une convention d'achat de clientèle de conseiller financier constitue-t-il une dépense courante déductible ou un paiement non déductible au titre du capital, eu égard aux sous-alinéas 8(1)f)(iv) et (v) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

2.          Les intérêts sur le prêt que le défendeur avait contracté pour payer le montant prévu par la convention constituent-ils une dépense déductible ou s'agit-il d'un paiement non déductible au titre du capital, eu égard aux sous-alinéas 8(1)f)(iv) et (v)?

LES FAITS

        Le défendeur et Scott Bentley étaient des employés de Midland Walwyn, à North Bay (Ontario). Chacun agissait à titre de conseiller financier et avait son propre groupe de clients. M. Bentley voulait quitter Midland Walwyn et le défendeur voulait servir les clients de M. Bentley. Le 10 décembre 1995, les deux employés ont conclu une « Convention d'achat de clientèle de conseiller financier » en vertu de laquelle M. Bentley convenait des dispositions suivantes :

1.          il s'engageait à faire savoir par écrit à chacun de ses clients inscrit sur une liste de clients qu'il appuyait le défendeur;


2.          il s'engageait à ne pas donner de conseils en matière d'investissements mobiliers individuels aux clients inscrits sur la liste de clients, et ce, pour une période de 30 mois;

3.          il s'engageait à ne pas fournir à qui que ce soit, des renseignements importants au sujet de la liste de clients sans le consentement du défendeur;

4.          il s'engageait à demander à Midland Walwyn de transférer au défendeur les dossiers des clients inscrits sur la liste de clients.

De son côté, le défendeur convenait des dispositions ci-après énoncées :

1.          il s'engageait à verser à M. Bentley la somme de 90 000 $ à la date de la clôture;

2.          il s'engageait à verser à M. Bentley, le 8 avril 1996, un montant maximum additionnel de 10 000 $, ce montant devant être réduit selon une formule fondée sur l'érosion des actifs des fonds mutuels.

        Le gérant de la succursale de Midland Walwyn dans laquelle M. Bentley et le défendeur travaillaient a facilité la convention afin de s'assurer que les clients de M. Bentley continuent à traiter avec la succursale.


        Le défendeur avait l'impression que, dans son année d'imposition 1996, il pouvait déduire un montant représentant 7 p. 100 de 75 p. 100 du montant de 100 000 $, soit 5 250 $, à l'égard du montant versé à M. Bentley; c'est ce qu'il a fait. Le défendeur a également déduit la somme de 8 608,07 $ qui avait été payée au titre des intérêts et de l'assurance se rapportant au prêt qu'il avait contracté afin de payer M. Bentley. Le ministre du Revenu national a refusé ces déductions.

        Devant la Cour, l'avocat du défendeur a expliqué que le montant de 5 250 $ avait été déduit par erreur. La somme de 90 000 $ avait été payée dans l'année d'imposition 1995 du défendeur et elle n'était pas déductible dans son année d'imposition 1996. Selon l'avocat, le montant que le défendeur aurait dû déduire en 1996 était le paiement additionnel de 10 000 $ qui avait été effectué le 8 avril 1996. (L'avocat a expliqué que, selon la formule prévue dans la convention à l'égard de l'érosion des actifs des fonds mutuels, le montant précis était peut-être inférieur. La Cour ne connaissait pas le montant exact.) L'avocat a déclaré que si son client a gain de cause dans la présente demande, il communiquera avec le ministre pour discuter des dispositions à prendre au sujet des 90 000 $ que le défendeur a versés à M. Bentley en 1995.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES


        Le paragraphe 8(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu énumère les éléments que les employés peuvent déduire dans le calcul de leur revenu imposable tiré d'un emploi. L'alinéa 8(1)f) énonce les éléments qui peuvent être déduits par un employé dont l'emploi est lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats. Aux fins de la présente affaire, ces employés ont le droit de déduire les sommes qu'ils ont dépensées pour gagner le revenu. Toutefois, les paiements au titre du capital ne sont pas déductibles. L'alinéa 8(1)f) prévoit notamment ce qui suit :

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

          [...]

f) lorsque le contribuable a été, au cours de l'année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

(i) [...]

(ii) [...]

(iii) [...]

(iv) [...]

les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année pour gagner le revenu provenant de son emploi [...] dans la mesure où ces sommes n'étaient pas :

8. (1) In computing a taxpayer's income for a taxation year from an office or employment, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

         [...]

(f) where the taxpayer was employed in the year in connection with the selling of property or negotiating of contracts for the taxpayer's employer, and

(i) [...]

(ii) [...]

(iii) [...]

(iv) [...]

amounts expended by the taxpayer in the year for the purpose of earning the income from the employment [...] to the extent that those amounts were not

(v) des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa j),

(vi) [...]

(vii) [...]

[Je souligne]

v) outlays, losses or replacements of capital or payments on account of capital, except as described in paragraph (j),

(vi) [...]

(vii) [...]

[Emphasis added]         

Le ministre concède qu'à l'exception du sous-alinéa (v), le défendeur satisfait à toutes les exigences de l'alinéa 8(1)f). Il affirme que le montant versé à M. Bentley ainsi que les montants payés au titre des intérêts et de l'assurance constituent des paiements au titre du capital visés au sous-alinéa (v) et qu'ils ne sont donc pas déductibles.


PREMIÈRE QUESTION

        Il s'agit en premier lieu de savoir si le montant qui a été versé à M. Bentley constitue une dépense en capital, auquel cas ce montant n'est pas déductible, ou s'il constitue une dépense courante, auquel cas il est déductible.

ANALYSE DE LA PREMIÈRE QUESTION

Décision du juge de la Cour de l'impôt

        En déterminant si le montant versé à M. Bentley constituait une dépense en capital ou une dépense courante, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le montant n'avait pas été versé à M. Bentley pour obtenir un actif ou avantage profitant à une entreprise de façon durable. Le juge a conclu qu'aucune immobilisation n'avait été acquise ou créée et qu'aucun avantage permanent n'avait été obtenu. Au paragraphe 13, le juge a dit que le paiement faisait « partie des frais qu'il faut sans cesse engager pour gagner le revenu et qu'il faut payer en se servant des recettes générées » et qu'il s'agissait de frais de commercialisation courants.


        En concluant que le paiement effectué en faveur de M. Bentley était une dépense courante plutôt qu'une dépense en capital, le juge de la Cour de l'impôt a fait une distinction entre l'affaire ici en cause et la série de décisions selon lesquelles les montants payés pour les listes de clients sont considérés comme des paiements au titre du capital, en se fondant sur le fait que M. Bentley et le défendeur étaient des employés et qu'ils n'exploitaient pas eux-mêmes une entreprise. À son avis, le défendeur, en sa qualité d'employé, ne pouvait pas acheter une liste de clients à M. Bentley parce que ce dernier n'avait pas de liste à vendre. Le juge estimait que les faits de l'affaire ne ressemblaient pas à ceux des affaires dans lesquelles les montants payés par des entreprises pour des listes de clients avaient été considérés comme des paiements au titre du capital. Au paragraphe 3 de ses motifs, le juge a dit ce qui suit :

Il est à noter que l'on ne peut dire qu'un client « appartient » à quelqu'un. Un client n'est pas un produit pouvant être acheté ou vendu sur le marché libre. Il n'est pas peu fréquent que des gens d'affaires vendent une liste de clients, mais il est évident que les clients faisant partie de cette liste ne sont pas eux-mêmes vendus. Dans de nombreuses causes, les tribunaux ont examiné la question de savoir si les paiements effectués pour obtenir de telles listes de clients correspondaient à des frais d'exploitation ou à des dépenses en capital, ou la question de savoir si de tels paiements correspondaient à des dépenses en capital admissibles. Telle n'est pas la situation en l'espèce. M. Gifford ne pouvait acheter une liste de clients à M. Bentley, car ce dernier n'avait aucune liste de clients à vendre.

Au paragraphe 8, le juge a donné des précisions à ce sujet :

L'hypothèse selon laquelle l'appelant acquérait une liste de clients et selon laquelle la convention citée précédemment comportait l'acquisition d'une immobilisation est à mon avis erronée. Ce que M. Gifford obtenait, c'était l'engagement de M. Bentley à appuyer M. Gifford auprès de ses clients (énumérés dans la liste) et à ne pas leur donner de conseils en matière d'investissements. M. Gifford n'achetait pas une liste de clients. Les clients de M. Bentley étaient des clients de Midland Walwyn. Comme l'a expliqué le gérant de succursale, M. Greco, il existait une procédure par laquelle des clients pouvaient être « cédés » par un conseiller financier à un autre. Le verbe « céder » (assign) n'est guère approprié en ce qu'il laisse supposer qu'une personne cédait des droits de propriété ou des droits légaux à une autre personne. Tout ce que cela signifie, c'est que Midland Walwyn informait un client que ce serait désormais une autre personne qui s'occuperait de son compte. Le client était libre de faire affaire avec qui il voulait, qu'il s'agisse ou non de Midland Walwyn. La convention n'indique en fait nulle part que M. Bentley vend une liste de clients à M. Gifford, bien qu'elle s'intitule « Convention d'achat de clientèle » . La liste de clients n'appartenait pas à M. Bentley, qui ne pouvait donc la vendre.


La norme de contrôle

      Dans les décisions rendues avant l'arrêt Johns-Manville c. la Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, la question de savoir si un paiement constitue une dépense courante ou une dépense en capital avait presque toujours été considérée comme une question de droit. Or, dans l'arrêt Johns-Manville, page 62, Monsieur le juge Estey a conclu qu'il s'agissait d'une question de fait et de droit.

      Je retiens les faits de l'affaire ici en cause comme étant ceux que le juge de la Cour de l'impôt a constatés (sans pour autant adopter toutes les remarques que le juge a faites au sujet des clients en général). Il s'agit uniquement de savoir si, en arrivant à sa conclusion, le juge a appliqué les décisions et critères pertinents. Je déterminerai maintenant, selon la norme de la décision correcte, si le juge a appliqué les décisions et critères pertinents.

Les décisions concernant les listes de clients


      La décision de la Cour qui fait autorité en ce qui concerne le traitement fiscal d'une liste de clients est la décision Cumberland Investments Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] C.T.C. 439. Dans cette affaire-là, le contribuable avait versé 150 000 $ pour la liste de clients d'un commerce d'agence de surveillance d'assurance. À la suite de la vente, le vendeur s'engageait à cesser de faire concurrence au contribuable. Le vendeur s'engageait également à envoyer à ses clients une lettre dans laquelle il appuyait le contribuable. Au paragraphe 23, Monsieur le juge Urie a conclu que la vente avait pour effet d'augmenter la machinerie productive de revenu du contribuable et que cela constituait un paiement au titre du capital. Au paragraphe 4, Monsieur le juge Thurlow (tel était alors son titre), dans des motifs concordants, a conclu que la liste de clients constituait un actif acheté en vue de profiter au commerce et qu'il s'agissait donc d'un paiement au titre du capital.

      La Cour a réexaminé la question de la liste de clients dans la décision Canada c. Farquhar Bethune Insurance Ltd., [1982] C.T.C. 2282. Dans cette affaire, les faits étaient semblables à ceux de l'affaire Cumberland, précitée, en ce sens qu'une compagnie d'assurance avait acheté une liste de clients à une autre compagnie. L'acte d'achat comprenait une clause de non-concurrence et le vendeur s'engageait à appuyer l'acheteur auprès de ses clients. L'élément distinctif de l'affaire Farquhar, précitée, était que la liste de clients et l'engagement restrictif se rapportaient uniquement à l'assurance-incendie et à l'assurance risques divers, de sorte que le vendeur continuait à offrir ses services dans d'autres domaines d'assurance. Monsieur le juge Heald a malgré tout conclu, page 287, que la décision Cumberland, précitée, s'appliquait et il a qualifié l'achat de la liste de clients de dépense en capital.

      Monsieur le juge Rouleau est arrivé à la même conclusion dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Tomemson Inc., [1986] 2 C.F. 413 (1re inst.).


      Ce n'est pas uniquement dans le domaine de l'assurance que l'achat d'une liste de clients est considéré comme une dépense en capital. Voir par exemple : Aliments CA-MO Foods Inc. c. Sa Majesté la Reine, 80 D.T.C. 6043 (C.F. 1re inst.) (achat de la liste de clients d'un marchand de viande en gros); Rigid Box Company Ltd. c. le ministre du Revenu national, 91 D.T.C. 1173 (C.C.I.) (achat de la liste de clients d'une entreprise de fabrication de boîtes rigides); Walter J. Burlan c. Sa Majesté la Reine, 76 D.T.C. 6444 (C.F. 1re inst.) (achat de la liste de clients d'un cabinet d'experts-comptables), 901659 Ontario Inc. (Dicola Petroleum) c. Canada, [1997] A.C.I. 1110 et R. Bruce Graham Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 86 D.T.C. 1256 (C.C.I.) (achat des listes de clients d'une entreprise de livraison d'huile de chauffage), et Today's Business Products Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 91 D.T.C. 148 (C.C.I.) (achat d'une liste de clients d'une entreprise de fourniture d'articles en papier).

      Il a été conclu qu'une ancienne décision de la Commission d'appel des impôts dans laquelle un montant payé pour une liste de clients était considéré une dépense courante, Halliday Fuels Ltd. c. MNR, 60 D.T.C. 541, n'était pas convaincante étant donné les décisions contraires rendues par la suite à un palier supérieur. Voir par exemple R. Bruce Graham Ltd., précité, pages 1263 à 1266, et Rigid Box Company Limited, précité, page 1175. Dans la décision Aliments CA-MO Foods, précitée, Monsieur le juge Dubé a fait la remarque suivante, page 6045 :

Pour ce qui a trait à l'achat de listes des clients, une jurisprudence abondante et presque constante veut que cette dépense en soit une à titre de capital [...]


Cette observation est encore valable, malgré les vingt-deux années qui se sont écoulées et les nombreuses décisions qui ont été rendues depuis lors.

Application de la jurisprudence à la présente affaire

      Je ne puis faire aucune distinction importante entre l'affaire qui nous occupe et l'affaire Cumberland, précitée, ou toute autre décision faisant autorité. Il a toujours été conclu, dans la jurisprudence, et ce, dans diverses situations, que le montant payé pour une liste de clients constitue une dépense en capital. L'acquisition est souvent accompagnée d'une clause de non-concurrence et le vendeur appuie l'acheteur auprès de ses clients. Or, telles sont les circonstances en l'espèce.

      Je ne puis pas non plus dire que la décision Cumberland ou les autres décisions sont erronées et que les montants payés pour les listes de clients, les lettres d'appui et les ententes relatives à la non-concurrence devraient être considérés comme une dépense courante plutôt que comme une dépense en capital. Comme le juge de la Cour de l'impôt, je mentionnerai l'arrêt Johns-Manville c. la Reine, précité, pages 56 à 62, qui résume certains des critères que l'on emploie pour faire une distinction entre une dépense en capital et une dépense courante. Toutefois, je n'arrive pas à la même conclusion que le juge de la Cour de l'impôt au sujet de l'application de ces critères en l'espèce.


      Au départ, je reconnais que, dans les décisions mentionnées dans l'arrêt Johns-Manville, il y a un certain nombre d'énoncés neutres ayant pour effet de donner au juge qui préside l'audience une latitude considérable lorsqu'il s'agit de déterminer si une dépense particulière doit être traitée comme une dépense ou comme un paiement au titre du capital. Ainsi :

1.          À la page 56, les cas limites pourraient être réglés en tirant à pile ou face (citant British Salmson Aero Engines, Ltd. c. Commissioner of Inland Revenue (1937), 22 T.C. 29, page 43 (C.A.));

2.          À la page 56, aucun critère à lui seul n'est déterminant (citant Minister of National Revenue c. Algoma Central Railway, [1968] S.C.R. 447, page 449);

3.          À la page 56, la décision dépend des faits (citant Algoma Central Railway, précité, page 449);

4.          À la page 57, c'est une appréciation saine qui doit déterminer l'importance à accorder à un critère particulier (citant BP Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224, pages 264 et 265 (C.L.));

5.          À la page 59, les expressions employées dans les décisions sont descriptives plutôt que définitoires (citant Commissioner for Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd., [1964] A.C. 948, page 959 (C.L.)).


      Toutefois, presque tous les autres critères pertinents qui sont mentionnés dans l'arrêt Johns-Manville, précité, étayeraient la décision Cumberland et les autres décisions susmentionnées, le montant versé à M. Bentley étant considéré comme imputable au capital :

1.          À la page 57, citant B.P. Australia, précité, page 271. Le montant est-il payé à l'égard de l'entreprise qui devait générer les profits? Le défendeur obtiendra des clients qu'il n'avait pas auparavant et touchera des commissions à leur égard. Cela ressemble énormément à l'acquisition d'un actif servant à générer un revenu;

2.          À la page 58, citant B.P. Australia, précité, page 273. Le paiement est-il effectué dans le cadre de l'effort soutenu qui est déployé en vue d'obtenir des clients? Je reconnais qu'il s'agit ici d'un paiement effectué pour obtenir des clients, mais rien ne montre que ce type de paiement soit récurrent. Il s'agit d'un paiement unique qu'un courtier verse à un collègue pour avoir accès aux clients de celui-ci. Cela ne ressemble en rien au cas où l'on invite régulièrement un client à déjeuner pour essayer de s'assurer sa loyauté continue;


3.          À la page 58, citant Hallstroms Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634, page 647 (H.C. Aust.). S'agit-il de l'acquisition des moyens de production ou de leur utilisation? Dans la mesure où l'analogie s'applique, la présentation unique et l'appui représentent l'acquisition prévue des clients plutôt que la prestation continue de services aux clients moyennant le paiement d'une commission;

4.          À la page 58, citant Hallstroms, précité, page 647. S'agit-il de l'établissement ou de l'extension de l'entreprise ou de son exploitation? S'agit-il de l'établissement de l'entreprise ou de l'effort soutenu de ceux qui en font partie? L'analogie n'est pas directe, mais dans la mesure où elle s'applique, il me semble que l'obtention de la liste de clients, avec l'appui du vendeur, se rapproche davantage de l'établissement d'une entreprise que d'un effort soutenu qu'une personne fait pour toucher des commissions ou de fait des efforts soutenus qu'une personne fait pour que les clients continuent à être satisfaits - par exemple, en invitant les clients et en discutant avec eux de leurs objectifs en matière de placements ou d'achats particuliers ou encore de la vente d'actions ou d'obligations;


5.          À la page 58, citant Sun Newspapers Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337, page 363 (H.C. Aust.). L'avantage obtenu a-t-il un caractère durable? Il est vrai que les clients peuvent s'envoler comme le juge de la Cour de l'impôt l'a signalé. Toutefois, le défendeur n'a certes pas payé 100 000 $ pour une chose qu'il croyait éphémère. En effet, comme le montre la preuve, le défendeur croyait que les clients de M. Bentley étaient loyaux, qu'ils seraient à l'aise avec lui et qu'ils avaient besoin de peu de services. Au moment où il a conclu la convention, le défendeur ne croyait pas que les clients disparaîtraient, comme le montre le fait qu'il n'a retenu que 10 000 $ à l'égard de l'érosion possible de la clientèle. En d'autres termes, tout en reconnaissant que les clients peuvent s'envoler, le défendeur a tenu compte de la chose. Le fait qu'il n'a retenu qu'un montant de 10 000 $ indique qu'il croyait que la plupart des clients ne disparaîtraient pas.

Bien sûr, la valeur de la liste de clients et de l'appui peut être d'une brève durée parce que, si le défendeur ne fournit pas de services adéquats aux clients, ces derniers feront appel à une autre personne. Cependant, il me semble que la convention et le paiement visent à permettre au défendeur d'avoir accès à une clientèle en obtenant la liste de clients de M. Bentley et l'appui de celui-ci. Si, après avoir obtenu les clients, le défendeur effectue des dépenses en faisant des efforts continus pour satisfaire les clients, ces dépenses seraient certes déductibles. Toutefois, cela est différent des frais qu'une personne engage pour obtenir en premier lieu toute la clientèle. Par contre, le fait d'inviter à déjeuner un investisseur qui n'est pas un client pour voir s'il est possible de le recruter comme client constituerait une dépense parce que cela fait partie des frais récurrents que comporte le maintien d'une clientèle. Toutefois, cela ne revient pas à payer quelqu'un pour l'achat d'une liste complète de clients avec l'appui du vendeur;


6.          À la page 58, citant Sun Newspapers, précité, page 363. S'agit-il d'un paiement unique ou le paiement est-il l'un de plusieurs paiements périodiques continus? À coup sûr, il s'agit d'une dépense unique. Toutefois, j'admets que, dans certains cas, il est reconnu qu'un paiement unique peut être une dépense, de sorte que je ne crois pas que ce critère soit de quelque façon utile;

7.          À la page 59. S'agit-il d'un paiement visant à assurer la cessation de la concurrence? Le défendeur a obtenu une entente selon laquelle M. Bentley ne donnerait pas de conseils en matière d'investissements mobiliers aux clients inscrits sur la liste, et ce, pendant trente mois;

8.          Puisque chaque cas doit être réglé selon les faits qui lui sont propres, convient-il de faire une analogie avec les décisions antérieures? Dans l'arrêt Johns-Manville, précité, page 71, le juge Estey cite les remarques que lord Wilberforce a faites dans l'arrêt Tucker c. Granada Motorway Services Ltd., [1979] 2 All E.R. 801, page 804 :

[TRADUCTION] Il arrive souvent dans les cas qui soulèvent la question de savoir si un paiement doit être considéré comme une dépense d'exploitation ou comme une dépense de capital que les indices soient contradictoires. En fin de compte, les tribunaux ne peuvent faire beaucoup mieux que de se former une opinion quant au côté où la balance penche. La jurisprudence mentionne un certain nombre de critères utiles à appliquer, mais nous avons été avertis plus d'une fois de ne pas chercher automatiquement à appliquer à un cas des termes ou formules jugés utiles dans un autre ... Cependant la jurisprudence est le meilleur outil que nous ayons, même s'il est parfois rudimentaire. [C'est le juge Estey qui souligne.]


Je reconnais qu'il ne convient pas d'appliquer automatiquement à un cas des termes ou des formules simplement parce qu'ils ont été jugés utiles dans un autre cas. Toutefois, je crois que cette mise en garde a été faite dans le contexte de décisions antérieures, dont les faits sont sensiblement différents de ceux de l'affaire ici en cause. J'estime que, lorsque l'affaire en cause est à toutes fins utiles presque identique à une série de décisions qui vont uniquement dans un sens, il faut suivre ces décisions. Autrement, le principe du stare decisis est remis en question. En l'espèce, la jurisprudence antérieure indique qu'un paiement du type ici en cause doit être traité comme une dépense en capital; or, compte tenu de la preuve disponible en l'espèce, rien ne permet de déroger à cette approche;


9.          Aux pages 60 et 61, citant British Insulated and Helsby Cables, [1926] A.C. 205, pages 213 et 214 (C.L.). S'agit-il de l'acquisition d'un actif ou d'un avantage pour le bénéfice durable d'une entreprise? Le juge de la Cour de l'impôt a conclu par la négative. Je ne puis souscrire à son avis. La convention stipule expressément que M. Bentley ne fera pas concurrence au défendeur, et ce, pendant trente mois. Cela laisse implicitement entendre que le défendeur doit avoir accès aux clients de M. Bentley et conserver ces clients avec l'appui de M. Bentley. Il est vrai que le défendeur devrait fournir des services aux clients pour les conserver à plus long terme, mais il n'aurait même pas eu cette possibilité s'il n'avait pas d'abord obtenu les clients de M. Bentley avec l'appui de ce dernier. Le montant versé à M. Bentley ne représentait pas une dépense courante de commercialisation revenant chaque année. Ce montant visait à l'obtention d'un avantage profitant de façon durable au défendeur sur le plan de son revenu d'emploi.

      L'application des critères résumés dans l'arrêt Johns-Manville, précité, me fait conclure que la décision Cumberland, précitée, et les décisions qui l'ont suivie, étaient correctes et que, cela étant, le paiement devrait être traité dans ce cas-ci comme une dépense en capital plutôt que comme une dépense courante.

La relation employeur-employé exige-t-elle une approche différente?

      Même s'il était d'avis qu'un client n'appartient à personne, le juge de la Cour de l'impôt, au paragraphe 2 de ses motifs, a reconnu que les clients ici en cause, tout en étant des clients de Midland Walwyn, étaient également des clients du défendeur et de M. Bentley :

Chacun d'eux [M. Bentley et le défendeur] avait son propre groupe de clients à qui il donnait des conseils financiers ou au nom de qui il achetait ou vendait des valeurs. Ces clients seraient assurément qualifiés de clients de Midland Walwyn, et nul doute qu'ils étaient aussi des clients du conseiller financier particulier, c'est-à-dire M. Gifford ou M. Bentley.


      Je conviens avec le juge de la Cour de l'impôt qu'un client n'appartient à personne et que les clients sont libres de faire affaire avec qui bon leur semble. Toutefois, c'est normalement ce qui se produit, et ce, que la personne fournissant les services aux clients soit un employé ou qu'elle exploite sa propre entreprise. Je ne puis suivre le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt, qui laisse entendre qu'une dépense qui pourrait être imputable au capital si M. Bentley et le défendeur exploitaient leurs propres entreprises constitue une dépense de commercialisation parce que ceux-ci étaient des employés. Une fois qu'il est reconnu que M. Bentley avait un groupe de clients, même si ces derniers pouvaient également être considérés comme les clients de Midland Walwyn, et même si les clients n'appartiennent à personne, je ne puis constater aucune distinction utile entre la présente affaire et les affaires dans lesquelles une entreprise a vendu une liste de clients à une autre entreprise, le vendeur appuyant l'acheteur et l'entente prévoyant que, pendant une période déterminée, aucune concurrence ne serait faite à l'égard des clients en cause.

      En l'espèce, le seul aspect de l'opération qui pourrait être considéré comme donnant lieu à une distinction par rapport à la vente d'une liste de clients entre entreprises se rapporte au fait que l'employeur Midland Walwyn exerçait un certain contrôle sur les clients. Midland Walwyn n'était pas partie à la convention et, au vu du document, elle n'était pas liée par la convention.


      Toutefois, je ne crois pas que la participation de Midland Walwyn soit importante en ce qui concerne la question capital-dépense. La détermination de la question est fondée sur l'opération entre les parties au moment de sa conclusion. Voir La Reine c. Baine Johnstone & Co. Ltd., 77 D.T.C. 5394, page 5397 (C.F. 1re inst.). Le fait que les clients peuvent s'envoler à une date ultérieure, de leur propre chef ou parce que le gérant de la succursale les transfère à un autre courtier, est un risque accepté par l'acheteur de la liste de clients. Cela ne change rien à la nature du paiement.

      En outre, selon la preuve existant en l'espèce, le gérant de la succursale de Midland Walwyn a facilité la convention. Il y a été témoin. En effet, il voulait que la succursale conserve les clients de M. Bentley et il croyait que la meilleure façon de le faire consistait à faciliter la convention. Eu égard à ces circonstances en particulier, je ne vois pas comment la participation de Midland Walwyn, ou le fait que Midland Walwyn contrôlait en fin de compte l'attribution des clients aux conseillers, change quoi que ce soit à la nature du paiement et en fasse une dépense plutôt qu'un paiement au titre du capital. De fait, même s'il n'est pas nécessaire de trancher la question, eu égard aux faits de l'espèce, il se peut bien que, parce qu'elle a facilité la convention et qu'elle était au courant du paiement que le défendeur avait effectué en faveur de M. Bentley, Midland Walwyn ne puisse pas attribuer les clients du défendeur à d'autres courtiers de la succursale en violation de la convention.

      En somme, les clients n' « appartiennent » jamais à qui que ce soit et la participation de Midland Walwyn, ou le fait que M. Bentley et le défendeur étaient des employés, ne transforme pas en une dépense un paiement qui serait imputable au capital si deux entreprises étaient en cause.


Conclusion relative à la première question

      Pour ces motifs, je dois conclure que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur et que le paiement qui a été effectué en faveur de M. Bentley était imputable au capital. Je me rends bien compte que ce résultat est dur. En effet, le défendeur ne peut pas faire reconnaître aux fins de l'impôt sur le revenu le paiement effectué en faveur de M. Bentley même s'il a de toute évidence effectué ce paiement pour gagner un revenu. Une entreprise pourrait déduire le paiement. Je ne vois pas pourquoi des employés devraient être traités différemment en ce qui concerne la déductibilité de pareils paiements. Toutefois, s'il doit être remédié à la situation, c'est au législateur qu'il incombe de le faire.

DEUXIÈME QUESTION

      Il s'agit en second lieu de savoir si les intérêts sur le prêt que le défendeur a contracté pour payer M. Bentley constituent une dépense déductible ou s'il s'agit d'un paiement non déductible au titre du capital.

ANALYSE DE LA DEUXIÈME QUESTION

La norme de contrôle

      En l'espèce, la question de la déductibilité des intérêts est une question de droit à examiner selon la norme de la décision correcte.


Décision du juge de la Cour de l'impôt

      En ce qui concerne les intérêts sur le prêt que le défendeur a contracté pour payer M. Bentley, le juge de la Cour de l'impôt a examiné des arrêts de la Cour suprême du Canada, des arrêts de l'Australie et du Conseil privé ainsi que des articles de théoriciens et d'autres auteurs. Il a tenu compte de quatre considérations :

1.          il a conclu que les intérêts n'étaient pas intrinsèquement ou en tant que tels imputables au capital;

2.          il a conclu que le paiement effectué en faveur de M. Bentley constituait une dépense courante plutôt qu'une dépense en capital. En se fondant sur la thèse selon laquelle les intérêts devraient être considérés comme une dépense courante ou comme une dépense en capital selon l'emploi qui est fait de l'argent emprunté, l'emploi des fonds ici en cause, soit une dépense courante, permettrait de traiter les intérêts comme une dépense courante;

3.          après avoir examiné la jurisprudence pertinente de la Cour suprême, le juge a conclu qu'il pouvait conclure que les intérêts étaient une dépense courante;


4.          le juge s'est demandé si l'alinéa 8(1)j) de la Loi de l'impôt sur le revenu, concernant les véhicules à moteur et les aéronefs utilisés pour gagner un revenu, occupe tout le champ de déductibilité des intérêts dans le cas des employés et exclut implicitement la déductibilité des intérêts non expressément reconnus en vertu de la disposition en question. Le juge a conclu que ce n'était pas le cas.

Le juge a conclu que le défendeur pouvait déduire les intérêts.

      Comme le juge de la Cour de l'impôt, je me suis également fortement inspiré de la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire Wharf Properties Ltd. c. Commissioner of Inland Revenue, [1997] 2 W.L.R. 334, et de la décision rendue par la Haute cour australienne dans l'affaire Steele c. Deputy Commissioner of Taxation (1999), 161 A.L.R. 201. Je me suis également inspiré de l'article de Brian J. Arnold intitulé « Is Interest a Capital Expense? » (1992), 40 Can. Tax J. 533, de l'article de Joel Nitikman intitulé « Is interest a Current Expense? » (2000), 48 Can. Tax J. 133, et de l'article de Joseph Frankovic intitulé « Why Interest Should be Considered a Current Expense » (2002), 49 Can. Tax J. 859. L'ouvrage du professeur Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (6e éd.), m'a également aidé ainsi que les arguments écrits et oraux présentés par Me Templeton et par Me Bourgeois au sujet de la question controversée de savoir si les intérêts constituent une dépense en capital ou une dépense courante.

      Compte tenu de ces sources et de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, j'ai conclu ce qui suit :


1.          dans les décisions de la Cour suprême du Canada, qui me lient, il a été statué qu'en l'absence de dispositions spéciales prévoyant la déductibilité, comme les alinéas 8(1)j) ou 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les intérêts constituent une dépense en capital et ne sont pas déductibles en tant que dépense dans le calcul du revenu aux fins de l'impôt sur le revenu; le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant le contraire;

2.          de toute façon, la Loi de l'impôt sur le revenu est un code exhaustif portant sur la déductibilité d'intérêts et empêcherait la déduction de pareils frais dans ce cas-ci; le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant le contraire.

      Si ce n'était de la jurisprudence de la Cour suprême et du code exhaustif figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il n'y a selon moi rien d'inhérent aux intérêts qui en fait une dépense en capital. Il s'agit plutôt habituellement d'une dépense courante, quoique l'objet de l'emprunt pendant la période pertinente doive toujours être pris en considération. En l'espèce, s'il m'avait été loisible de le faire, j'aurais conclu que les intérêts payés par le défendeur représentent une dépense courante.

Jurisprudence de la Cour suprême


      À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en concluant que la jurisprudence de la Cour suprême ne l'empêchait pas de considérer les intérêts dans ce cas-ci comme une dépense courante. Selon l'interprétation que je donne aux décisions pertinentes, en l'absence de dispositions législatives permettant la déduction des intérêts, ces frais sont considérés comme une dépense en capital non déductible. Dans l'arrêt Shell Canada Limitée c. la Reine (1999), 99 D.T.C. 5669, Madame le juge McLachlin (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, page 5681 :

En outre, il importe de souligner que les frais d'intérêts versés à l'égard de fonds utilisés pour produire un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien sont seulement réputés, au sous-al. 20(1)c)(i), être des dépenses courantes et que, en l'absence de cette disposition, ils seraient considérés comme des dépenses en capital : Canada Safeway, précité, le juge Rand, à la p. 727. Aucune des parties au présent pourvoi n'a demandé à notre Cour de modifier cette qualification des frais d'intérêts. Ceux-ci demeurent donc des dépenses en capital qui sont réputées, suivant le sous-al. 20(1)c)(i), être déductibles du revenu brut de Shell malgré l'interdiction générale de toute déduction d'une dépense en capital prévue au par. 18(1). [Non souligné dans l'original.]

      Dans l'arrêt Canada Safeway Limited c. ministre du Revenu national (1957), 57 D.T.C. 1239, Monsieur le juge Rand a dit ce qui suit, page 1244 :

Il importe de se rappeler que, en l'absence d'une autorisation législative expresse, les intérêts payables sur une dette au titre du capital ne sont pas déductibles comme frais d'exploitation.

      Dans l'arrêt La Reine c. Bronfman Trust 87 D.T.C. 5059, Monsieur le juge en chef Dickson a dit ce qui suit, page 5064 :

Il est peut-être superflu de souligner dès le départ que, à défaut d'une disposition telle que l'al. 20(1)c), qui autorise expressément que les intérêts payés soient dans certaines circonstances déduits du revenu, le contribuable ne peut en règle générale bénéficier d'aucune déduction de ce genre. Les intérêts sur les emprunts contractés pour augmenter les immobilisations ou le fonds de roulement relèveraient de l'interdiction de déduire tout « paiement à titre capital » , prévue à l'al. 18(1)b). [Non souligné dans l'original.]


Dans l'arrêt Shell Canada, précité, il est statué qu'en l'absence des dispositions législatives permettant leur déduction, les intérêts doivent toujours être considérés comme une dépense en capital. Même si l'on était porté à considérer que les remarques du juge McLachlin doivent être interprétées comme imputant les intérêts au capital seulement lorsque l'emprunt est contracté à des fins de capital, l'arrêt Bronfman Trust semble donner à entendre que même les intérêts sur les emprunts contractés aux fins de l'obtention d'un fonds de roulement, ce qui comprendrait certainement les emprunts visant à couvrir les dépenses courantes, doivent être considérés comme un paiement au titre du capital.

      Le juge de la Cour de l'impôt semble avoir interprété les remarques du juge McLachlin, à savoir que dans l'affaire Shell, la Cour suprême n'était pas invitée à modifier la qualification des intérêts en tant que dépense en capital, comme une invitation aux tribunaux d'instance inférieure de le faire. Je ne puis interpréter ainsi les remarques du juge McLachlin.


      Dans l'arrêt Tennant c. Sa Majesté la Reine 96 D.T.C. 6121, page 6125, Monsieur le juge Iacobucci dit clairement que la Cour suprême sait fort bien que les théoriciens et les praticiens laissent entendre que l'arrêt Canada Safeway, précité, et implicitement les décisions qui l'ont suivi, sont mal fondés. À mon avis, le juge McLachlin reconnaissait qu'il était peut-être opportun pour la Cour suprême de reconsidérer la question de la qualification des intérêts en tant que dépense en capital ou en tant que dépense courante. Toutefois, je n'interprète pas l'avis que le juge a exprimé dans l'arrêt Shell, précité, comme donnant à entendre que tant que pareil réexamen n'aura pas lieu, la common law telle qu'elle a été élaborée par la Cour suprême à ce jour ne doit pas être respectée par les tribunaux d'instance inférieure.

      Je sais également que certains auteurs ont soutenu, comme l'a fait Me Templeton devant la Cour, que les décisions de la Cour suprême qui ont mené à l'arrêt Canada Safeway, précité, et les décisions subséquentes, n'étayaient pas la proposition selon laquelle les intérêts doivent toujours être traités comme une dépense en capital ou que, si elles étayaient cette proposition, ces décisions étaient erronées. Voir Arnold, précité, page 536 et pages suivantes et Nitikman, précité, page 134 et pages suivantes. Néanmoins, la jurisprudence la plus récente, à savoir les arrêts Shell et Bronfman Trust, précités, semble statuer qu'en l'absence de dispositions législatives contraires, les intérêts doivent toujours être considérés comme une dépense en capital. Or, je suis lié par les arrêts Shell et Bronfman Trust.

      Compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême, je ne puis voir comment la Cour de l'impôt ou la présente Cour auraient la latitude voulue pour adopter toute autre approche que celle voulant qu'en l'absence de dispositions législatives traitant les intérêts comme une dépense courante, les intérêts soient traités comme une dépense en capital.


      Le juge de la Cour de l'impôt était d'avis que les intérêts prennent le caractère de l'objet de l'emprunt - si l'emprunt se rapportait à une dépense en capital, les intérêts seraient considérés comme un paiement au titre du capital; si l'emprunt visait au paiement de dépenses courantes, les intérêts seraient considérés comme une dépense courante. Même si le juge de la Cour de l'impôt a raison, cela n'aiderait pas le défendeur dans ce cas-ci. J'ai conclu que le paiement que le défendeur a effectué en faveur de M. Bentley était une dépense en capital. Les fonds que le défendeur a empruntés en vue de payer M. Bentley étaient donc imputables au capital et les intérêts sur l'emprunt seraient également considérés comme une dépense en capital.

      Par conséquent, je suis amené à conclure qu'aux fins de la présente affaire, où les intérêts ne sont pas déductibles en vertu de quelque disposition spéciale de la Loi de l'impôt sur le revenu, ces frais doivent être traités comme une dépense en capital qui, en l'espèce, n'est pas déductible en raison du sous-alinéa 8(1)f)(v) de la Loi. Le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant le contraire.

La Loi de l'impôt sur le revenu renferme-t-elle un code exhaustif en ce qui concerne le traitement des intérêts aux fins de l'impôt sur le revenu?


      Si la présente affaire était portée en appel et si la Cour suprême devait conclure que les intérêts n'ont pas nécessairement à être qualifiés de dépense en capital, pareille conclusion autoriserait-elle le défendeur à déduire les intérêts sur les fonds qu'il a empruntés pour payer M. Bentley? Plus précisément, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit-elle qu'en l'absence de dispositions expresses contraires, les intérêts doivent toujours, du moins lorsque l'emprunt se rapporte à une dépense en capital, être considérés comme une dépense en capital plutôt que comme une dépense courante?

      Le juge de la Cour de l'impôt était d'avis que la loi n'éliminait pas la possibilité de déduire les intérêts si les tribunaux statuaient qu'il s'agit d'une dépense courante plutôt que d'une dépense en capital. Pour arriver à cette conclusion, le juge a tenu compte de l'alinéa 8(1)j) de la Loi, qui prévoit la déduction des intérêts sur l'agent emprunté qui sert à l'acquisition d'un véhicule à moteur ou d'un aéronef par un employé. Le sous-alinéa 8(1)j) est ainsi libellé :

j) lorsqu'un montant est déductible en application des alinéas f), h) ou h.1) dans le calcul du revenu que le contribuable tire d'une charge ou d'un emploi pour une année d'imposition :

(i) les intérêts payés par le contribuable au cours de l'année soit sur de l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un véhicule à moteur utilisé dans l'exercice des fonctions de sa charge ou de son emploi ou un aéronef nécessaire à cet exercice, soit sur un montant payable pour l'acquisition d'un tel véhicule ou aéronef [...]

     (A) à un véhicule à moteur utilisé        dans l'exercice des fonctions de sa         charge ou de son emploi,

     (B) à un aéronef qui est nécessaire à l'exercice de ces fonctions;

(j) where a deduction may be made under paragraph 8(1)(f), 8(1)(h) or 8(1)(h.1) in computing the taxpayer's income from an office or employment for a taxation year,

(i) any interest paid by the taxpayer in the year on borrowed money used for the purpose of acquiring, or on an amount payable for the acquisition of, property that is

(A) a motor vehicle that is used, or

(B) an aircraft that is required for            use in the performance of the duties of the taxpayer's office or employment [...]


      Le juge de la Cour de l'impôt a reconnu que l'alinéa 8(1)j) dérogeait à l'interdiction concernant la déduction de dépenses en capital prévue au sous-alinéa 8(1)f)(v). Comme il en a ci-dessus été fait mention, je crois que le juge estime que les intérêts doivent être considérés comme une dépense en capital lorsque les fonds empruntés sont utilisés à des fins de capital. Selon cette approche, les intérêts sont assimilés à l'objet de l'emprunt. Le juge a conclu que, parce que les intérêts pourraient être considérés comme une dépense en capital ou comme une dépense courante, selon l'utilisation des fonds, le sous-alinéa 8(1)j) était nécessaire en vue de permettre expressément la déduction des intérêts lorsque l'emprunt visait l'acquisition d'un véhicule à moteur ou d'un aéronef, qui étaient considérés comme des dépenses en capital. Toutefois, lorsque les intérêts sont payés ou sont payables sur des fonds empruntés à l'égard de dépenses courantes, les intérêts ne sont pas en tant que tels imputables au capital et seraient déductibles en vertu du sous-alinéa 8(1)f). Au paragraphe 44, le juge a dit ce qui suit :

L'alinéa 8(1)f) prévoit que des sommes qui ont été dépensées pour gagner un revenu de commissions provenant d'un emploi sont déductibles dans la mesure où elles ne sont pas des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa 8(1)j). Donc, l'alinéa 8(1)j) est une dérogation par rapport à l'interdiction de la déduction de dépenses en capital prévue au sous-alinéa 8(1)f)(v). Le sous-alinéa 8(1)f)(v) n'est nécessaire que lorsque les frais d'intérêts représentent une dépense en capital. Pour cette raison, l'alinéa 8(1)j) n'est pas un code exclusif concernant la déduction d'intérêts; il est nécessaire parce que des frais d'intérêts sont parfois une dépense en capital en raison du fait qu'ils sont assimilés à la fin à laquelle les fonds sont empruntés. Les frais d'intérêts sur de l'argent emprunté ne représentent intrinsèquement ni des frais d'exploitation ni une dépense en capital; il s'agit simplement du prix payé pour l'utilisation de l'argent emprunté.


      Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite comparé l'alinéa 8(1)j) et l'alinéa 20(1)c) de la Loi à l'égard de la déduction des intérêts se rapportant à un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Le juge a conclu que l'alinéa 20(1)c) n'était pas l'unique façon de déduire les intérêts en tant que dépense d'entreprise ou de dépense relative à un bien. À cause de la possibilité plus restreinte de déduire des intérêts en vertu de l'alinéa 8(1)j), le juge a conclu que cette disposition n'empêchait pas de déduire, en vertu de l'alinéa 8(1)f), des intérêts qui n'étaient pas imputables au capital. Au paragraphe 48, le juge a conclu ce qui suit :

Il s'ensuit que, si l'alinéa 20(1)c) n'exclut pas la déductibilité d'intérêts en vertu de l'article 9, a fortiori, la déduction extrêmement restreinte d'intérêts sur une forme particulière de dette au titre du capital qui est prévue à l'alinéa 8(1)j) ne supplante pas la déductibilité, selon l'alinéa 8(1)f), d'intérêts qui ne représentent pas une dépense en capital.

      Je ne souscris pas à l'analyse que le juge de la Cour de l'impôt a effectuée sur ce point, mais je reconnais, aux fins de la présente question, que les intérêts prennent le caractère de la fin pour laquelle le principal a été emprunté. Si tel est le cas, j'ai conclu qu'en l'espèce, le principal avait été emprunté à des fins de capital, c'est-à-dire que le paiement effectué en faveur de M. Bentley constituait une dépense en capital plutôt qu'une dépense courante. Par conséquent, les intérêts ici en cause seraient considérés comme un paiement au titre du capital. Étant donné qu'il ne se rapporte pas à un véhicule à moteur ou à un aéronef, le paiement n'est pas visé par l'exception prévue à l'alinéa 8(1)j) en ce qui concerne la non-déductibilité des paiements au titre du capital prévue au sous-alinéa 8(1)f)(v). En l'espèce, les intérêts ne seraient donc pas déductibles.


      D'une façon plus générale, je crois que le libellé employé par le législateur au sous-alinéa 8(1)f)(v) et à l'alinéa 8(1)j) donne à entendre qu'en ce qui concerne les déductions qui sont effectuées sur le revenu d'emploi, le législateur considère les intérêts, du moins lorsque les fonds sont empruntés à des fins de capital, comme un paiement au titre du capital.

      Le sous-alinéa 8(1)f)(v) interdit la déduction des paiements au titre du capital, « exception faite du cas prévu à l'alinéa j) » . Or, l'alinéa j) permet la déduction des intérêts payés sur de l'argent emprunté et utilisé pour acquérir certains actifs précis seulement - un véhicule à moteur ou un aéronef. Ces deux dispositions sont de toute évidence liées l'une à l'autre, l'une empêchant la déduction de paiements au titre du capital, sauf de la façon prévue par l'autre disposition, et l'autre autorisant pareille déduction dans des circonstances restreintes, notamment lorsqu'un véhicule à moteur ou un aéronef est en cause. Si la disposition générale et la disposition restrictive sont considérées ensemble, la disposition générale semble empêcher la déduction des intérêts dans toutes les autres circonstances, du moins lorsque l'emprunt a été contracté pour des fins de capital autres qu'un véhicule à moteur ou un aéronef.


      Je crois que la même conclusion s'appliquerait à la déductibilité des intérêts dans le cas d'une entreprise ou d'un bien. Comme le sous-alinéa 8(1)f)(v), l'alinéa 18(1)b) empêche la déduction des paiements au titre du capital « sauf ce qui est expressément permis par la présente partie » . L'alinéa 20(1)c), qui est dans « la présente partie » prévoit que, malgré l'alinéa 18(1)b), sous réserve de conditions précises, les intérêts qui sont payés ou qui sont payables à l'égard de l'année sont déductibles. Encore une fois, si les alinéas 18(1)b) et 20(1)c) sont considérés ensemble, il semble que, sauf ce qui est prévu à l'alinéa 20(1)c), du moins lorsque l'emprunt est contracté pour des fins de capital, les intérêts soient considérés comme une dépense en capital et ne soient pas déductibles.


      Par conséquent, les alinéas 8(1)j) et 20(1)c) ainsi que les autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu se rapportant aux intérêts, constituent un code exhaustif relatif à la déductibilité des intérêts en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, du moins lorsque l'emprunt est contracté pour des fins de capital. Je crois que cet avis est étayé par le fait qu'en édictant de nouveau ces dispositions et en les modifiant, le législateur n'a jamais répudié la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle, sauf disposition contraire de la Loi, les intérêts ne sont pas déductibles en tant que paiements au titre du capital. Je reconnais qu'on ne saurait assimiler nécessairement l'inaction du législateur à l'adoption de la jurisprudence de la Cour suprême (voir le paragraphe 45(4) de la Loi d'interprétation), mais je crois qu'il est possible de faire une inférence en ce sens le cas échéant. (Voir R. Sullivan, éd., Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (London : Butterworths, 1994), page 477; et Studer c. Cowper, [1951] S.C.R. 450, pages 453 et 454). Il n'existe probablement aucune loi fédérale qui fait, sur une base continue, l'objet d'autant de mesures législatives que la Loi de l'impôt sur le revenu. Le législateur modifie souvent la Loi à la suite de décisions rendues par la Cour suprême et même par des tribunaux d'instance inférieure. Je crois qu'il est raisonnable d'inférer que le législateur a eu une possibilité réelle de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de façon à prévoir que, malgré la jurisprudence de la Cour suprême, les intérêts ne devraient pas être traités comme un paiement au titre du capital. Or, il ne l'a pas fait. Je crois donc qu'il est raisonnable de conclure que l'intention du législateur est, conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, que les intérêts constituent un paiement au titre du capital plutôt qu'une dépense déductible, sauf disposition expresse contraire de la Loi de l'impôt sur le revenu telle que les alinéas 8(1)j) et 20(1)c).

Les intérêts constituent-ils intrinsèquement une dépense en capital ou une dépense courante?

      J'ai exprimé l'avis selon lequel la Loi de l'impôt sur le revenu renferme un code exhaustif relatif à la déductibilité des intérêts, mais je reconnais que ma décision est en bonne partie fondée sur une inférence, à savoir que le législateur a souscrit à la façon dont la Cour suprême du Canada a qualifié les intérêts, ceux-ci étant toujours imputables au capital. Si cette inférence n'est pas correcte, et au cas où l'affaire serait portée en appel, je profiterai de l'occasion pour motiver l'avis que j'exprime, soit que les intérêts, par leur nature, constituent en général une dépense courante, bien qu'il faille toujours tenir compte de l'objet de l'emprunt. Toutefois, je tiens à souligner que ces remarques se rapportent à la nature intrinsèque des intérêts et qu'elles sont faites sans qu'il soit tenu compte de dispositions telles que les alinéas 8(1)j) ou 20(1)c), qui servent de fondement législatif à l'égard de la déductibilité des intérêts.


      Je crois que les intérêts constituent habituellement une dépense courante, mais je conviens également qu'il faut tenir compte de l'objet de l'emprunt ou de l'emploi des fonds au cours de la période pertinente. Dans l'arrêt Wharf Properties Ltd. c. Commissioner of Inland Revenue, précité, lord Hoffmann a succinctement expliqué cette approche comme suit, page 338 :

[TRADUCTION] La contrepartie immédiate de chaque paiement d'intérêts est évidemment l'utilisation de l'argent durant la période visée par le paiement, mais, comme l'argent n'est rien de plus qu'un moyen d'échange pouvant représenter une dépense au titre du capital ou au titre du revenu, on ne peut répondre à la question qu'en déterminant à quelle fin on avait besoin du prêt durant la période pertinente.

Toutefois, je ne crois pas que l'arrêt Wharf Properties, précité, étaye la thèse énoncée par le juge de la Cour de l'impôt, selon laquelle les intérêts sur les fonds employés à des fins de capital doivent toujours être traités comme une dépense en capital alors que les intérêts sur les fonds servant à des dépenses courantes doivent toujours être traités comme une dépense courante. Lorsqu'une règle aussi générale est énoncée, on peut croire à tort que, parce qu'un emprunt est contracté aux fins de l'acquisition et de la possession d'un actif destiné à être utilisé dans une entreprise, les intérêts devraient toujours être considérés comme une dépense en capital.


      Selon l'interprétation que je donne à l'arrêt Wharf Properties, précité, je crois qu'il faut faire une distinction entre les fonds empruntés en vue de créer un actif qui est en fin de compte destiné à produire un revenu d'une part, et les fonds empruntés en vue de posséder un actif pendant la période où cet actif est destiné à produire un revenu d'autre part. Dans l'arrêt Wharf Properties, précité, lord Hoffmann fait une analogie avec les salaires payés pour la construction d'un immeuble par opposition à l'entretien de l'immeuble, en faisant remarquer que les salaires payés aux fins de la construction de l'immeuble seraient imputables au capital, alors que les salaires payés aux fins de l'entretien de l'immeuble, une fois achevés les travaux de construction, constitueraient une dépense courante. À la page 338, lord Hoffmann a dit ce qui suit :

[TRADUCTION] Toutefois, la réponse à la question de savoir si de tels paiements sont des paiements au titre du capital ou au titre du revenu dépend de leur objet. Le salaire d'un électricien travaillant à la construction d'un immeuble pour un propriétaire qui entend conserver l'immeuble comme investissement en capital fait partie du coût en capital de l'immeuble. Par contre, le salaire d'un électricien employé par une société de construction ou d'un électricien employé par le propriétaire d'un immeuble aux fins de l'entretien de l'immeuble une fois celui-ci achevé et loué représente des frais d'exploitation.

Par analogie, les intérêts payés pendant la construction de l'immeuble seraient imputables au capital, mais une fois les travaux de construction achevés, et une fois que l'immeuble peut produire un revenu, les intérêts sur les fonds empruntés afin de continuer à posséder l'immeuble constitueraient une dépense courante. À la page 339, lord Hoffmann a donné les explications suivantes :

[TRADUCTION] [...] l'objet du prêt durant la période visée par le paiement d'intérêts est essentiel pour déterminer s'il s'agit d'une dépense en capital ou de frais d'exploitation. En l'espèce, durant l'ensemble de la période de deux ans en question, le prêt était clairement utilisé pour acquérir et créer une immobilisation plutôt que pour conserver une immobilisation en tant qu'investissement productif de revenus. Il s'ensuit que les intérêts ont été payés pour une fin relative au capital.

Et à la page 340, lord Hoffmann a dit ce qui suit :


[TRADUCTION] Chaque paiement d'intérêts doit être considéré par rapport à l'objet de l'emprunt au cours de la période où les intérêts sont payés. Une fois que l'actif a été acquis ou créé et qu'il produit un revenu, les intérêts font partie du coût de production de ce revenu et constituent donc des frais d'exploitation.

      Dans son article, précité, Frankovic explique que les intérêts devraient être traités comme une dépense courante même si l'emprunt visait à financer la possession d'un actif. Frankovic fait remarquer qu'en général une dépense en capital est une dépense qui a une utilité ou une valeur au-delà de l'année pendant laquelle elle est effectuée. Une dépense en capital ne diminue pas la richesse d'un contribuable; elle change uniquement la forme de cette richesse. Toutefois, si la valeur d'une dépense est consommée au cours de l'année où la dépense est effectuée, la dépense devrait être traitée comme une dépense courante parce qu'elle représente une diminution de la richesse du contribuable au cours de l'année en cause. Frankovic dit que la diminution de la richesse découlant du fait que des intérêts sont payés ou sont payables est indépendante de l'objet de la dépense qui est effectuée à l'aide des fonds empruntés. En d'autres termes, que l'emprunt ait pour objet un investissement de capitaux ou le paiement de dépenses courantes, les intérêts sont un coût qui diminue la richesse du contribuable et ils devraient donc être considérés comme une dépense courante.


      Je souscris dans l'ensemble à cette analyse. Toutefois, à mon avis, il peut y avoir des exceptions. Ainsi, lorsque les fonds sont empruntés pour créer un actif, je crois que l'approche adoptée par lord Hoffmann dans l'arrêt Wharf Properties, précité, est convaincante. En pareil cas, les intérêts, comme les autres dépenses effectuées pour créer l'actif, seraient imputables au capital. Le coût de l'actif représente toutes les dépenses qui ont été effectuées pour le créer, y compris les dépenses relatives aux intérêts. En pareil cas, lorsque la valeur finale de l'actif représente le coût de celui-ci, y compris son coût au titre des intérêts, les intérêts sont transformés en une richesse sous la forme de l'actif. Ils ne représentent pas une diminution de richesse et ils devraient donc être traités comme une dépense au titre du capital.

      Dans son argumentation, Me Templeton a fait une analogie entre les intérêts et un loyer. Le loyer payé pour la location de locaux utilisés en vue de gagner un revenu constitue généralement une dépense se rapportant à l'année pendant laquelle elle est effectuée. Les intérêts payés sur les fonds utilisés pour gagner un revenu devraient être traités de la même façon. En d'autres termes, le loyer payé pour l'utilisation des locaux est essentiellement le montant payé pour emprunter les locaux du propriétaire pendant la période visée par le loyer. Il s'agit d'une dépense attribuable à cette période. Les intérêts constituent le montant payé pour emprunter les fonds d'une autre personne pendant la période visée par les intérêts. Ils devraient être considérés comme une dépense attribuable à cette période. Encore une fois, je souscris à cette analyse, sauf en ce qui concerne les intérêts payés pour créer un actif, par opposition à la possession de l'actif destiné à permettre de gagner un revenu.


      Je ne dis pas que les intérêts devraient uniquement être traités comme une dépense en capital lorsqu'ils sont engagés pendant la période de création d'un actif et avant que l'actif puisse servir à gagner un revenu. Comme lord Hoffmann l'a signalé dans l'arrêt Wharf Properties, précité, c'est l'objet de l'emprunt pour la période à laquelle les intérêts sont attribuables qui déterminera si les intérêts constituent une dépense courante ou une dépense en capital. Toutefois, on ne saurait déterminer l'objet en se demandant simplement si le principal emprunté se rapporte à une dépense en capital ou au paiement de dépenses courantes. Par conséquent, lorsque le principal est payé aux fins de l'acquisition et de la possession d'un actif destiné à permettre de gagner un revenu, même si l'objet se rapporte à un actif, les intérêts constituent une dépense courante.

      Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour suprême n'a pas eu l'occasion d'examiner les questions que j'ai abordées dans cette partie des présents motifs et, en particulier, elle n'a pas eu l'occasion de tenir compte de l'arrêt Wharf Properties, précité.


      En l'espèce, j'ai conclu que le paiement que le défendeur a effectué en faveur de M. Bentley était une dépense en capital. Le défendeur a emprunté les fonds en vue d'obtenir un avantage d'une valeur durable - à savoir, la liste de clients de M. Bentley, l'appui de M. Bentley et son engagement à ne pas faire concurrence au défendeur pour une période de trente mois. L'emprunt visait à permettre au défendeur de gagner un revenu dès qu'il aurait acquis la liste de clients de M. Bentley. Par conséquent, si la Loi de l'impôt sur le revenu ne constitue pas un code exhaustif relatif à la déductibilité des intérêts et si la Cour suprême devait conclure que les intérêts ne constituent pas toujours, par leur nature, une dépense en capital, les intérêts payés par le défendeur dans ce cas-ci devraient être traités comme une dépense courante et devraient être déductibles de son revenu d'emploi.

CONCLUSION

      Je comprends le résultat auquel est arrivé le juge de la Cour de l'impôt, mais je ne puis souscrire à ce résultat parce que, à mon avis, il n'est pas conforme à la jurisprudence de la Cour suprême et aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. J'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision de la Cour de l'impôt et je confirmerais la cotisation établie par le ministre du Revenu national. Conformément à l'article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. 51 (4e supp.), article 5, le défendeur devrait avoir droit à ses frais à l'égard de la demande de contrôle judiciaire présentée par Sa Majesté la Reine.

« Marshall Rothstein »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

A.J. Stone, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      A-191-01

INTITULÉ :                                                                     Sa Majesté la Reine

c.

Thomas Gifford

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 16 mai 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT :                                      le juge Rothstein

Y ONT SOUSCRIT :                                                     le juge Stone

le juge Sexton

DATE DES MOTIFS :                                                  le 12 août 2002

COMPARUTIONS:

M. Daniel Bourgeois                                                          pour la demanderesse

M. G. Tetrault

M. Gregory J. DuCharme                                                 pour le défendeur

M. Michael Templeton

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Morris Rosenberg                                                        pour la demanderesse

Sous-procureur général du Canada

McLachlan Froud et DuCharme                                       pour le défendeur

North Bay (Ontario)

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