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Date : 20030702

Dossier : A-553-02

Référence : 2003 CAF 293

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                           JOZO (JOE) KOVACEVIC

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 juin 2003.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                        LE JUGE NOËL

                                                                                                                                       LE JUGE SEXTON


Date : 20030702

Dossier : A-553-02

Référence : 2003 CAF 293

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                           JOZO (JOE) KOVACEVIC

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 La question en litige dans le présent appel provenant de la Cour canadienne de l'impôt est : lorsque, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi), il est nécessaire que le ministre du Revenu national (le ministre) envoie un avis par courrier recommandé, quelle preuve d'expédition doit-il obtenir pour se conformer à la Loi?


Les faits et la preuve

[2]                 Le 31 octobre 1996, l'appelant a reçu, en sa qualité d'administrateur d'une société, un avis de cotisation lui imputant, en vertu de la Loi, une responsabilité personnelle concernant certaines obligations de la société relatives à la TPS. Le ou vers le 15 décembre 1996, l'appelant a déposé un avis d'opposition. Le 8 mai 1998, le ministre affirme qu'un avis de décision rejetant l'opposition et confirmant la cotisation a été expédié à l'appelant par courrier recommandé.

[3]                 L'appelant affirme qu'il n'a pas reçu l'avis de décision. Selon lui, ce n'est que le ou vers le 4 mai 2001 qu'un agent de perception du ministre l'a informé qu'il était personnellement responsable, en tant qu'administrateur, des obligations de la société relatives à la TPS.

[4]                 Dans un avis de décision daté du 22 novembre 2001, le ministre a rejeté l'appel de l'appelant visant à obtenir une prorogation de délai pour la contestation de la cotisation.

[5]                 Dans son avis d'appel daté du 21 décembre 2001, l'appelant a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt.

[6]                 Le ou vers le 22 mai 2002, le ministre a déposé un avis de requête en rejet de l'appel de l'appelant au motif qu'il a été interjeté hors délai.


[7]                 Dans sa décision datée du 25 juillet 2002, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a accueilli la requête du ministre et a rejeté l'appel de l'appelant.

[8]                 L'appelant en appelle maintenant de cette décision devant la Cour.

La décision de la Cour canadienne de l'impôt

[9]                 Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que le témoignage de l'appelant selon lequel il n'avait pas reçu l'avis de décision « n'a pas été mis en doute lors du contre-interrogatoire » . Il a également convenu que c'était le ministre qui avait le fardeau de prouver l'expédition. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a ensuite cité certains paragraphes de l'affidavit d'un représentant du ministre qui attestait le fait qu'il avait préparé l'avis de décision. Dans son affidavit, ce représentant affirmait que l'avis de décision avait été déposé dans le panier d'arrivée de son chef d'équipe, avait été approuvé par celui-ci et soumis ensuite au directeur adjoint des appels qui semblait avoir signé l'avis de décision le 15 mai 1998. L'affidavit atteste ensuite la ligne de conduite et la pratique de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence) au sujet de l'expédition de l'avis de décision :

[traduction]

10.           L'Agence a comme ligne de conduite et pratique de transmettre l'avis de décision à un commis qui se charge de l'envoyer par courrier recommandé. Le mode de livraison est indiqué par le mot « recommandé » dactylographié bien en vue au recto de l'avis de décision. Est annexée aux présentes comme pièce « C » une copie conforme de l'avis de décision daté du 15 mai 1998. Le mot « recommandé » est inscrit dans le coin supérieur gauche.


11.           L'Agence a comme ligne de conduite et pratique d'indiquer la date d'envoi par courrier recommandé de l'avis de décision au moyen d'un timbre dateur. Selon le timbre dateur apposé sur l'avis de décision, la date de mise à la poste est le 15 mai 1998. Est annexée aux présentes comme pièce « C » une copie conforme de l'avis de décision daté du 15 mai 1998 où la date du timbre dateur apparaît dans le coin supérieur gauche.

[10]            En ce qui a trait à la ligne de conduite et à la pratique de l'Agence, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est appuyé sur l'opinion incidente du juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint) dans la décision Schafer c. Canada, [1998] G.S.T.C. 60 (infirmée par [2000] G.S.T.C. 82 (C.A.F.)), selon lequel lorsque des documents doivent être expédiés par courrier ordinaire :

Dans une grande organisation comme un ministère, un cabinet d'avocats ou d'experts-comptables ou une société, où le courrier envoyé chaque jour est volumineux, il est pratiquement impossible de trouver un témoin pouvant jurer qu'il a déposé au bureau de poste une enveloppe adressée à telle ou telle personne. Le mieux qu'on puisse faire est de décrire en détail les étapes suivies, par exemple le fait d'adresser les enveloppes, d'y insérer des documents, d'apporter les enveloppes à la salle du courrier et de livrer le courrier au bureau de poste.

[11]            Bien que le juge de la Cour canadienne de l'impôt ait reconnu que le fonctionnaire n'avait pas une connaissance personnelle des faits survenus après qu'il eut placé l'avis de décision dans le panier d'arrivée de son chef d'équipe, il fut convaincu selon la prépondérance des probabilités que l'avis de décision avait été expédié, comme l'exige la Loi, le 15 mai 1998.

[12]            Il s'ensuivit que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté l'appel.

Analyse


[13]            Les dispositions qui traitent de la preuve d'expédition d'un avis de décision qui confirme une cotisation sont les paragraphes 301(5) et 335(1) de la Loi. L'avis doit être expédié par courrier recommandé ou certifié. La preuve de l'envoi de l'avis se fait par un affidavit auquel est joint comme pièce, le certificat de recommandation remis par le bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat :

301(5). Après avoir examiné de nouveau ou confirmé une cotisation, le ministre fait part de sa décision par avis envoyé par courrier recommandé ou certifié à la personne qui a fait opposition à la cotisation.

[...]

301(5). After reconsidering an assessment under subsection (3) or confirming an assessment under

subsection (4), the Minister shall send to the person objecting notice of the Minister's decision by registered or certified mail.

...

335(1). Lorsque la présente partie ou un règlement d'application prévoit l'envoi par la poste d'une demande de renseignements, d'un avis ou d'une mise en demeure, l'affidavit d'un fonctionnaire de l'Agence, souscrit en présence d'un commissaire ou autre personne autorisée à le recevoir, constitue la preuve de l'envoi ainsi que de la demande, de l'avis ou de la mise en demeure, s'il indique que le fonctionnaire est au courant des faits de l'espèce, que la demande, l'avis ou la mise en demeure a été envoyé par courrier recommandé ou certifié à une date indiquée à l'intéressé dont l'adresse est précisée et que le fonctionnaire identifie comme pièces jointes à l'affidavit, le certificat de recommandation remis par le

bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat et une copie conforme de la demande, de l'avis ou de la mise en demeure.

335(1). Where, under this Part or a regulation made under this Part, provision is made for sending by mail a request for information, a notice or a demand, an affidavit of an officer of the Agency, sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits, setting out that the officer has knowledge of the facts in the particular case, that such a request, notice or demand was sent by registered or certified mail on a named day to the person to whom it was addressed (indicating the address), and that the officer identifies as exhibits attached to the affidavit the post office certificate of registration of the letter or a true copy of the relevant portion thereof and a true copy of the request, notice or demand, is evidence of the sending and of the request, notice or demand.

[14]            En l'espèce, le certificat de recommandation remis par le bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat n'accompagne pas l'affidavit du représentant du ministre.


[15]            Le représentant du ministre a été contre-interrogé à ce sujet. Il a témoigné que, selon les renseignements qu'il a obtenus de la [traduction] « salle du courrier » , ces dossiers ne sont conservés que pendant [traduction] « un an ou deux et ils sont ensuite mis au rebut » . En l'espèce, environ trois ans s'étaient écoulés et ce représentant a dit que le personnel de la salle du courrier l'avait avisé qu'il n'y avait aucune trace du certificat de recommandation.

[16]            Je conviens que lorsque la loi exige qu'un document soit envoyé par courrier ordinaire par une grande organisation comme un ministère, mais qu'elle n'exige pas que ce soit fait par courrier recommandé ou certifié ou qu'il y ait une preuve d'un moyen d'envoi plus formel, la remarque du juge Bowman dans la décision Schafer est raisonnable. En général, il suffit donc d'énoncer dans un affidavit, souscrit par la dernière personne en autorité qui a traité le document avant qu'il soit soumis à la procédure normale d'envoi du bureau, la description de cette procédure. Cela ne sera toutefois pas le cas lorsque la loi exige que des documents soient expédiés par courrier recommandé ou certifié et que la loi prévoit la preuve d'expédition requise. En l'espèce, le paragraphe 335(1) prévoit qu'un certificat de recommandation remis par le bureau de poste doit être joint à l'affidavit du déposant.


[17]            Je ne dis pas que les exigences particulières du paragraphe 335(1) sont impératives. J'estime qu'une preuve équivalente et fiable suffirait également. Par exemple, si la personne qui est allée porter le document au bureau de poste affirmait sous serment qu'elle l'a envoyé par courrier recommandé à une date précise, qu'elle a obtenu un certificat de recommandation remis par le bureau de poste mais qu'elle l'a perdu et que la preuve demeure intacte après le contre-interrogatoire, cela pourrait suffire.

[18]            Le paragraphe 335(1) établit une norme de preuve d'expédition plus élevée que dans le cas où aucune exigence d'expédition formelle n'est prévue dans la loi. En l'espèce, cette norme n'a pas été respectée.

[19]            Il est inconcevable que l'Agence mette au rebut des certificats de recommandation après « un an ou deux » . Les avocats de l'intimée n'ont pas été en mesure de fournir une explication raisonnable de cette pratique. Il me semble que les cas comme celui-ci justifient justement que les dossiers soient conservés pendant une période plus longue que un ou deux ans. En ne les conservant pas, le ministre s'empêche lui-même de prouver l'envoi recommandé lorsque la loi prévoit que de tels dossiers sont requis.


[20]            La preuve en l'espèce indique que l'appelant a pris connaissance pour la première fois de la décision traitant de son avis d'opposition environ trois ans après que, selon le ministre, l'avis de décision eut été expédié. Les avocats du ministre ont laissé entendre que l'appelant avait une certaine obligation de vérifier auprès du ministre l'état de son avis d'opposition s'il ne recevait aucune nouvelle. Je n'accepte pas cet argument. Même si les intérêts s'accumulent, les contribuables n'ont aucune obligation de pousser le ministre à traiter leurs avis d'opposition. De toute manière, je ne vois aucune raison pour laquelle les registres du courrier recommandé ne devraient pas être conservés plus longtemps que « un an ou deux » .

[21]            L'indisponibilité du certificat de recommandation remis par le bureau de poste et l'absence d'un élément de preuve équivalent d'un envoi par courrier recommandé portent un coup fatal à la requête du ministre.

[22]            Je ferai deux autres remarques relativement aux faits particuliers de la présente affaire. La première est que la copie de l'avis de décision qui se trouve au dossier de la Cour porte la signature du directeur adjoint des appels. Je présume que la pratique normale est de signer le document à expédier et non la copie déposée au dossier. Les avocats du ministre n'ont pas affirmé que la pratique de l'Agence était de signer les copies déposées aux dossiers. Bien que ma décision soit fondée sur le fait que le ministre n'ait pas satisfait à l'exigence de la Loi concernant la preuve du courrier recommandé, la présence inexpliquée dans le dossier d'une copie signée de l'avis de décision peut constituer une indication que le document n'a pas vraiment été expédié.


[23]            Deuxièmement, l'affidavit déposé au nom du ministre n'a pas été souscrit par le directeur adjoint des appels, lequel a été le dernier à traiter l'avis de décision avant que celui-ci fasse l'objet de la procédure normale d'expédition de l'Agence. L'affidavit du représentant du ministre constitue en l'espèce du ouï-dire pour ce qui est des faits qui se sont produits après qu'il a vu le document pour la dernière fois lorsqu'il l'a déposé dans le panier de réception de son chef d'équipe. Le ouï-dire est recevable lorsque les critères de fiabilité et de nécessité sont respectés. Rien n'indique en l'espèce que le directeur adjoint des appels, qui est le dernier fonctionnaire à avoir traité l'avis de décision avant qu'il eût fait l'objet de la procédure d'expédition, n'était pas disponible et que le ouï-dire était nécessaire.

[24]            Il en découle que le ministre n'a pas réussi à prouver, selon les exigences prévues par la Loi, l'expédition de l'avis de décision qui confirmait la cotisation de l'appelant.

[25]            L'appelant demande que le présent appel soit accueilli et que son appel devant la Cour canadienne de l'impôt soit rejeté afin que l'affaire soit renvoyée au ministre pour qu'il prenne toutes les mesures qu'il estime appropriées au sujet de l'avis d'opposition de l'appelant. Je pense qu'il s'agit d'une manière appropriée de décider la présente affaire. Je veux cependant prendre ici toutes les précautions nécessaires pour qu'il soit clair que le rejet de l'appel de l'appelant devant la Cour canadienne de l'impôt ne fera pas en sorte que tout appel futur puisse être assujetti à la règle de la chose jugée.


[26]            Le présent appel devrait être accueilli, la décision de la Cour canadienne de l'impôt annulée et l'affaire renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle rejette l'appel de l'appelant au motif que le ministre n'a pas réussi à prouver, selon les exigences prévues par la Loi, l'expédition de l'avis de décision qui confirme la cotisation de l'appelant, et pour qu'elle renvoie l'affaire au ministre pour qu'il prenne les mesures qu'il considère appropriées au sujet de l'avis d'opposition de l'appelant.

[27]            L'appelant devrait avoir droit aux dépens pour un montant de 7 500 $, y compris les débours et la TPS.

                                                                                « Marshall Rothstein »            

                                                                                                             Juge                          

« Je souscris aux présents motifs

Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 A-553-02

INTITULÉ :              JOZO (JOE) KOVACEVIC c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 17 juin 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

DATE DES MOTIFS :                                     Le 2 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Howard W. Winkler                                             Pour l'appelant

Eleanor H. Thorn

Brent E. Cuddy                                                    Pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING, LAFLEUR HENDERSON LLP

Toronto (Ontario)                                                 Pour l'appelant

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               Pour l'intimée


Date : 20030702

Dossier : A-553-02

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                 JOZO (JOE) KOVACEVIC

                                                                                                     appelant

                                                         et

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                       intimée

                                              JUGEMENT

Le présent appel est accueilli, la décision de la Cour canadienne de l'impôt annulée et l'affaire renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle rejette l'appel de l'appelant au motif que le ministre n'a pas réussi à prouver, selon les exigences prévues par la Loi, l'expédition de l'avis de décision qui confirme la cotisation de l'appelant, et pour qu'elle renvoie l'affaire au ministre pour qu'il prenne les mesures qu'il considère appropriées au sujet de l'avis d'opposition de l'appelant.


L'appelant a droit aux dépens pour un montant de 7 500 $, y compris les débours et la TPS.

                                                                                « Marshall Rothstein »            

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

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