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Date : 19990125

A-282-96

OTTAWA (ONTARIO), le 25 janvier 1999

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SEXTON

E n t r e :

     THE CADILLAC FAIRVIEW CORPORATION LIMITED,


appelante,


-et-


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


JUGEMENT

     L'appel est rejeté avec dépens.

                             " A.J. Stone "                      J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


Date : 19990125

A-282-96

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SEXTON

E n t r e :

     THE CADILLAC FAIRVIEW CORPORATION LIMITED,


appelante,


-et-


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.

Audience tenue à Toronto (Ontario) les 18 et 19 novembre 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 25 janvier 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE McDONALD

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE SEXTON


Date :19990125


A-282-96

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE McDONALD

         LE JUGE SEXTON

E n t r e :

     THE CADILLAC FAIRVIEW CORPORATION LIMITED,


appelante,


-et-


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE McDONALD

[1]      La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si un contribuable peut réclamer la déduction d'une perte en capital déductible en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) au titre des pertes qu'il a subies sur des garanties qu'il a données à l'égard de prêts consentis à une filiale dans le but de tirer un revenu de dividendes de cette filiale.

Les faits

[2]      L'appelante est une importante compagnie ouverte canadienne dont l'entreprise principale consiste à acheter, mettre en valeur, louer et gérer des immeubles destinés au commerce de détail et des immeubles commerciaux, industriels et résidentiels, et à vendre des immeubles résidentiels. Cette entreprise est exploitée par l'appelante directement et par l'intermédiaire de ses filiales, dont bon nombre sont situées au Canada et aux États-Unis. Un des aspects de l'entreprise de l'appelante consiste à fournir à ses filiales une aide en matière de gestion et de finances. Ces services sont en règle générale fournis gratuitement. L'appelante prévoit toutefois tirer un revenu de dividendes de ses filiales.

[3]      Le présent appel porte en particulier sur les opérations effectuées par l'appelante et par cinq de ses filiales américaines, à savoir : CF Parkside Inc., CF Cleveland Inc., CF Jocelyn Inc., CF Prospect Inc. et CF Society Hill Inc. (les filiales CF). La structure de la propriété des filiales CF était la suivante :

     a) L'appelante était propriétaire de CFI Properties B.V. (CFI), une compagnie des Antilles néerlandaises;

     b) CFI était propriétaire de Cadillac Fairview U.S. Inc. (CFUS);

     c) CFUS était propriétaire de Cadillac Fairview Residential Holdings Inc. (CF Holdings);
      d) CF Holdings était propriétaire de Cadillac Fairview Residential Properties Inc. (CF Properties);
     e) CF Properties était propriétaire des filiales CF.

a. Opérations des filiales CF

     1.      CF Society Hill

[4]      En décembre 1979, CF Society Hill a constitué avec Greenwood Properties Inc. (Greenwood) une société en nom collectif appelée Independence Place Associates (IPA) dans le but de construire, d'aménager et de vendre à Philadelphie deux logements en copropriété. IPA a emprunté 53 000 000 $ US à la succursale new-yorkaise de la Banque de Montréal. L'appelante a accordé une garantie inconditionnelle continue au titre du prêt, à la fois en tant que garant et en tant qu'obligé principal. Greenwood a donné une garantie semblable.

[5]      Le 1er mars 1983, CF Society Hill a conclu avec les autres parties une entente qui lui permettait de se retirer d'IPA. Cette entente prévoyait essentiellement la restructuration des mécanismes financiers d'IPA. Aux termes de l'entente de restructuration, CF Society Hill devait faire un apport de 3 266 324 $ dans la société IPA. Cette somme devait servir à réduire le capital du solde du prêt consenti par la Banque de Montréal. L'entente de restructuration stipulait que le prêt ne serait pas en souffrance. Le 19 juillet 1983, l'appelant a versé la somme de 3 266 324 $ au nom de CF Society Hill et le lendemain, la Banque de Montréal a libéré l'appelante de sa garantie.

     2.      CF Prospect, CF Parkside, CF Jocelyn et CF Cleveland

[6]      En décembre 1979, CF Parkside, CF Jocelyn et CF Cleveland ont chacune créé formé une société de personnes distincte avec Chateau Corporation (Chateau) pour acquérir dans la région de Washington des bâtiments destinés à être convertis en condominiums à vendre. Ces sociétés de personnes étaient Parkside Associates (PA), Jocelyn House Associates (JHA) et Cleveland Terrace Associates (CTA). Chacune d'entre elles a emprunté les sommes suivantes à la First National Bank of Chicago (FNBC) pour financer son entreprise immobilière :

     a) PA -- 48 512 600 $ US;
     b) JHA -- 2 387 400 $ US;
     c) CTA -- 3 200 000 $ US.

[7]      Une des conditions des prêts était que l'appelante et les principaux actionnaires de Chateau (les actionnaires de Chateau) garantissent solidairement les prêts. Le 25 juin 1982, PA a été dissoute et CF Parkside et Chateau sont devenues des coentrepreneurs. CF Parkside a alors assumé 50 pour 100 du solde du prêt que PA devait jusque là rembourser et elle est devenue responsable exclusive de ce solde. L'appelante est devenue le seul garant de ce prêt.

[8]      Le 22 janvier 1980, CF Prospect a constitué avec Chateau une société en nom collectif appelée Prospect House Associates (PHA) en vue d'acquérir en Virginie un bâtiment pour le convertir en condominium à vendre. PHA a emprunté 26 000 000 $ US à la Banque de Nouvelle-Écosse. Les actionnaires de Chateau et l'appelante ont respectivement garanti 50 pour 100 de ce prêt.

[9]      Ces entreprises immobilières ont toutes connu de sérieux problèmes financiers. Pour minimiser les pertes, les administrateurs de l'appelante ont décidé de retirer leur participation dans ces projets. Pour réaliser cet objectif, CF Properties, la société mère immédiate des filiales CF, devait vendre aux actionnaires de Chateau les actions qu'elle détenait dans les compagnies en question.

[10]      En ce qui concerne les prêts consentis à PA, JHA et CTA, le contrat de prêt prévoyait qu'il y avait défaut si la totalité des actions émises et en circulation du capital-actions de CF Parkside, CF Jocelyn ou de CF Cleveland cessaient d'être détenues par l'appelante, ou par une filiale possédée en propriété exclusive par l'appelante, sauf si la banque donnait son consentement à la vente. Or, la banque n'a pas donné son consentement à la vente et les parties ont été forcée de négocier de nouvelles dispositions pour réaliser le retrait de la participation économique de l'appelante dans les entreprises.

[11]      Initialement, les actionnaires de Chateau devaient payer 10 500 000 $ pour la totalité des actions de CF Parkside. CF Properties devait acquitter la totalité du solde impayé dû par PA aux termes de l'emprunt que l'appelante avait garanti. À la suite du refus de la banque de donner son consentement à cette opération, l'entente a été modifiée. Aux termes des nouvelles modalités, Chateau s'engageait à verser 1 000 $ à CF Properties pour les actions, et à payer 10 499 000 $ au prêteur en règlement partiel du solde impayé du prêt. L'appelante devait acquitter toute autre somme qui demeurait impayée en règlement du prêt. L'appelante a finalement payé 4 994 500,86 en règlement du prêt consenti à PA.

[12]      Toutes les actions de CF Cleveland et de CF Jocelyn ont été vendues aux actionnaires de Chateau pour la somme d'un dollar. CF Properties devait payer 1 700 000 $ sur la somme due à la banque aux termes du prêt que l'appelante avait garanti. Les actionnaires de Chateau étaient responsables de toute autre somme impayée au titre du prêt. Après que la banque eut refusé de donner son consentement, cette entente a été modifiée : le prix d'achat des actions a été fixé à 1 000 $ et l'appelante s'est engagée à verser au prêteur la somme de 1 701 000 $ en règlement partiel du solde impayé du prêt. Les actionnaires de Chateau devaient payer le solde impayé du prêt. Le 23 mars 1983, l'appelante a payé une somme totale de 1 701 000 $ " 1 194 400 $ relativement à l'emprunt de CTA, et 506 600 $ relativement à celui de JA.

[13]      Aux termes de chacune des conventions d'achat d'actions, l'appelante renonçait à toute réclamation, par subrogation ou autrement, qu'elle pouvait avoir contre CF Parkside, CF Jocelyn et CF Cleveland immédiatement après avoir payé la banque.

[14]      Aux termes d'un projet d'entente, les actionnaires de Chateau devaient acheter les actions de CF Prospect pour un dollar et régler le solde impayé dû aux prêteurs diminué d'une somme convenue qui devait être payée par CF Properties. Le 19 avril 1983, la Banque de Nouvelle-Écosse a indiqué qu'elle ne donnerait pas son consentement à la convention d'achat des actions telle qu'elle était libellée et elle a réclamé aux garants le remboursement intégral du prêt. En réponse, la convention d'achat des actions a été modifiée pour y ajouter d'autres personnes, dont l'appelante.

[15]      Les actions de CF Prospect ont finalement été vendues à SEEF Corp. (CF Parkside a changé sa raison sociale pour celle de SEEF Corp. lors de son acquisition par Chateau). L'appelante a versé à la banque une somme de 3 797 177,57 $ qui devait être affectée au remboursement du prêt. Aux termes de l'entente, l'appelante renonçait à toute réclamation qu'elle pouvait avoir contre CF Prospect immédiatement après avoir effectué ce paiement. CF Properties devait aussi payer une somme de 3 756 000 $, mais elle ne l'a de toute évidence pas fait.

[16]      Au moment où l'appelante a effectué les paiements à l'égard de chacun des entreprises, aucune des filiales ne disposait des ressources nécessaires pour rembourser son prêt. Au procès, l'appelante n'a produit aucun élément de preuve pour démontrer comment les diverses sommes qui avaient été négociées avaient été calculées.


b. Prétentions et moyens de l'appelante

[17]      L'appelante a déduit 7 926 000 $ à titre de perte en capital déductible lors de son année d'imposition 1984. Cette somme correspondait à 50 pour 100 de la somme de 15 852 000 $ qu'elle avait payée pour retirer sa participation dans les entreprises immobilières infructueuses des filiales CF. L'appelante affirme que ces sommes ont été payées en exécution des garanties de prêt qu'elle avait données relativement aux filiales en question. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé cette déduction au motif que les garanties n'avaient pas été consenties dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien et qu'en conséquence, la perte subie était réputée nulle en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, dont voici le texte :

     40.(2)g) Est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :         

     [...]

                     (ii)      une perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n'est pas un revenu exonéré) d'une entreprise ou d'un bien, ou en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui le contribuable n'avait aucun lien de dépendance [...]                     

[18]      L'appelante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Le juge qui a entendu l'affaire a pris sa retraite avant de rendre son jugement. Le dossier a été assigné à un autre juge, qui a rejeté l'appel interjeté par l'appelante à partir de la transcription des témoignages et du débat1.

[19]      Le juge de la Cour de l'impôt s'est dit d'avis qu'il ne suffisait pas que les capitaux aient été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise. La question, à son sens, était celle de savoir si l'appelante avait disposé d'un bien ou était réputée avoir disposé d'un bien dans des circonstances donnant lieu à une perte en capital. Il a répondu à cette question par la négative dans le cas de CF Prospect, CF Parkside, CF Jocelyn et CF Cleveland en déclarant :

     [...] Je ne pense pas qu'elle [l'appelante] soit devenue détentrice d'une créance sur les corporations Jocelyn, Cleveland, Parkside ou Prospect. Dans le cadre de la convention en vertu de laquelle elle a pris part à la vente, par la corporation Properties, des actions de ces compagnies à la corporation Chateau, elle devait payer des sommes pouvant être reliées aux garanties. Les paiements étaient cependant attribuables aux arrangements beaucoup plus complexes en vertu desquels l'appelante a aidé sa filiale Properties à se dégager des diverses entreprises immobilières dans lesquelles ses filiales s'étaient lancées. Le paiement de ces sommes garanties ne résultait pas de quelque manquement de la part des sociétés de personnes. Il était lié à une condition de la convention conclue avec la Banque voulant qu'un manquement soit réputé se produire si les actions des filiales étaient vendues sans le consentement de la Banque, mais ce fait était secondaire par rapport à l'opération globale. Le déclenchement du manquement réputé, le paiement des sommes négociées et la renonciation simultanée à tous droits de subrogation (si de fait quelque droit de subrogation pouvait avoir vu le jour autrement, étant donné que le manquement a été occasionné par une opération de la corporation Properties, filiale du garant, soit une opération à laquelle l'appelante elle-même était liée) faisaient partie d'une série d'opérations interdépendantes qui ont permis d'atteindre l'objectif économique global consistant à dégager l'organisation Cadillac Fairview des entreprises américaines. Cela ne faisait pas que l'appelante acquérait, par subrogation, quelque créance dont il pouvait être disposé en vertu de l'article 50 ou autrement. La renonciation, par l'appelante, de quelque droit de subrogation en tant que partie intégrante de l'opération globale empêchait qu'une telle créance voie le jour. Je n'accepte pas l'argument de l'appelante voulant qu'elle ait acquis par subrogation des créances sur les filiales en payant les sommes convenues en vertu des conventions d'achat d'actions modifiées, puis qu'elle ait disposé de ces créances par suite de sa renonciation. Les termes [TRADUCTION] " renoncera à toute réclamation, par subrogation ou autrement, qu'elle peut avoir contre la CF " indiquent une renonciation par anticipation qui visait à empêcher et qui a effectivement empêché que quelque droit de subrogation voie le jour. Il est clair que toute l'opération était structurée pour faire en sorte que, par suite du paiement, l'appelante n'acquière par subrogation aucun droit exécutable contre l'une quelconque des filiales dont on vendait les actions. Il est inexact et simpliste d'y voir un paiement ordinaire, c'est-à-dire la satisfaction, par un garant, d'une obligation du débiteur principal suivie d'une renonciation, sans contrepartie, à la créance acquise par subrogation. La renonciation était un élément essentiel de l'opération globale, et même si j'acceptais l'analyse de l'appelante (ce qui n'est pas le cas) voulant qu'elle ait acquis une créance à laquelle elle a renoncé, la contrepartie de cette renonciation ne peut, en droit ou selon le bon sens commercial, être considérée comme étant nulle. Le prix payé pour le rôle de l'appelante dans cette affaire, y compris le paiement à la banque et la renonciation, était la participation de la corporation Chateau à l'opération consistant à permettre à l'organisation Cadillac Fairview de se dégager d'un fiasco2.         
     [Non souligné dans l'original.]

[20]      L'appelante interjette appel devant notre Cour.

Analyse

[21]      Il ressort du libellé des articles 38 [gain en capital imposable et perte en capital déductible] et 39 [signification de " gain en capital " et de " perte en capital "] de la Loi qu'une perte en capital ne peut être déduite que lorsqu'il y a eu disposition réelle ou réputée d'un bien. Ainsi que le juge de la Cour de l'impôt l'a conclu, le simple fait d'effectuer un paiement de capital n'est pas suffisant en soi pour donner lieu à une perte en capital.

[22]      Suivant les règles de droit régissant la subrogation, lorsqu'une garantie est donnée pour garantir l'exécution de l'obligation du débiteur principal et qu'en vertu de la garantie, le garant est tenu de payer et paie effectivement le créancier, le garant est normalement subrogé aux droits du créancier. Lorsque le garant n'a pas expressément ou implicitement renoncé à ces droits de subrogation, le débiteur principal devient obligé envers le garant pour le plein montant qui a été payé en exécution de la garantie3.

[23]      Si le débiteur principal ne peut rembourser sa créance subrogée au garant, la créance peut être considérée comme étant devenue " irrécouvrable ". Voici, à cet égard, les dispositions pertinentes de l'article 50 de la Loi :

             50.(1) Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :             
                     a) un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition [...] s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;                     
                                         
             le contribuable est réputé avoir disposé de la créance [...] à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année, à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.             

Si le garant exerce le choix prévu à l'article 50, la créance " irrécouvrable " qu'il a acquise par subrogation sera réputée avoir fait l'objet d'une disposition à la fin de l'année d'imposition et avoir été acquise immédiatement après à un coût nul. Ainsi, par l'effet combiné des règles de droit en matière de subrogation et de l'article 50 de la Loi, la disposition nécessaire pour pouvoir demander la déduction d'une perte en capital s'opère. La question qui se pose est celle de savoir si les circonstances de la présente espèce sont suffisantes pour établir que l'appelante a acquis une créance par subrogation et qu'elle en a disposé en vertu de l'article 50 ou autrement. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que ce n'est pas le cas.

[24]      Le juge de la Cour de l'impôt a estimé qu'il fallait répondre par l'affirmative aux questions suivantes pour pouvoir conclure que l'appelante avait subi une perte en capital déductible au sens de la Loi :

     a) Les obligations des filiales envers les banques étaient-elles garanties par l'appelante ?
     b) Le paiement des montants en question, par l'appelante, a-t-il été fait en vertu de l'obligation prévue dans les garanties ?
     c) L'appelante a-t-elle acquis par subrogation une créance correspondant à la dette des filiales CF ?
     d) L'appelante a-t-elle disposé de cette créance dans l'année (à un coût nul) ?
     e) La créance a-t-elle été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien de l'appelante ? Plus précisément, les garanties ont-elles été données en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ?

Il n'est pas contesté que l'appelante a garanti les prêts consentis aux filiales CF. En conséquence, seules les quatre dernières questions se posent dans le cadre du présent appel.

a. Le paiement des montants en question a-t-il été fait en vertu de l'obligation prévue dans les garanties ?

[25]      Notre Cour a déjà statué que, pour pouvoir bien qualifier une opération qui est censée donner lieu à une perte dans le cadre d'un prêt ou d'une garantie, il faut examiner l'opération en question " d'un point de vue commercial pratique pour déterminer l'intention dans laquelle l'argent a été avancé "4. Il s'agit d'une conclusion de fait.

[26]      Il ressort des circonstances du présent appel que l'appelante a garanti les prêts consentis à ses filiales à l'égard de cinq entreprises immobilières aux États-Unis. Lorsque les entreprises immobilières ont échoué, l'appelante a essayé de tirer ses filiales du bourbier et de limiter ainsi sa responsabilité. À cette fin, l'appelante (ou ses filiales) ont pris des dispositions qui obligeaient l'appelante à payer certaines sommes. Dans le cas des transferts d'actions, les ententes qui ont été conclues prévoyaient expressément que les sommes ainsi payées devaient être affectées à l'exécution des garanties. Dans le cas de CF Society Hill, l'appelante a payé des sommes d'argent pour le compte de ses filiales et la banque a accepté ces sommes en exécution des obligations que l'appelante avait contractées aux termes de la garantie.

[27]      Il ressort de la preuve que les ententes complexes que CF Prospect, CF Parkside, CF Jocelyn et CF Cleveland ont négocié en ce qui concerne le transfert des actions abordaient bien d'autres questions que celle des garanties fournies par l'appelante. Les entreprises immobilières pour lesquelles les prêts avaient été consentis éprouvaient des difficultés économiques. Les filiales CF n'avaient pas encore manqué à leurs engagements, mais la date d'échéance de chacun des emprunts approchait. Dans chaque cas, la date d'échéance a été repoussée pour accommoder les parties. Les filiales CF ne disposaient pas de suffisamment d'éléments d'actif pour rembourser leur emprunt. Dans ces conditions, il était logique de la part de l'appelante d'envisager un éventuel défaut ou une éventuelle mise en demeure et d'essayer de conclure une entente qui limiterait les obligations qu'elle avait contractées aux termes des garanties. Les conventions qui ont été signées lui ont permis d'obtenir ce résultat.

[28]      Si l'on examine les opérations globalement, il est par ailleurs évident que c'est en réponse aux garanties qu'elle avait données que l'appelante a payé les sommes en question. En d'autres termes, l'appelante n'a pas payé ces sommes exclusivement pour satisfaire aux obligations qu'elle avait contractées aux termes des garanties. Les garanties sont de toute évidence le principal facteur qui a motivé les modifications qui ont été apportées aux conventions d'achat des actions après que le banque eut refusé de donner son consentement. Bien que l'appelante n'ait présenté aucun élément de preuve pour démontrer comment les paiements négociés avaient été calculés, il y a suffisamment d'éléments de preuve pour établir que les paiements ont été effectués conformément aux garanties et aux obligations que l'appelante avait contractées aux termes de ces garanties. Je suis convaincu que chaque paiement a été fait pour remplir une des obligations stipulées dans les garanties.

[29]      En ce qui concerne CF Society Hill, le juge de la Cour de l'impôt a apprécié les témoignages et les éléments de preuve documentaires pertinents et a conclu que la preuve ne démontrait pas que le paiement avait été effectué pour satisfaire aux obligations contractées par CF Society Hill aux termes de la garantie qu'elle avait consentie à la banque. Le juge a souligné le fait que la convention de refinancement prévoyait dans les termes les plus nets que le paiement devait être fait au nom de CF Society Hill pour s'acquitter des obligations de CF Society Hill. Pour tirer cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt a constaté ce qui suit :

     [...] Je ne pense pas que le fait que l'appelante ait honoré l'obligation de Society Hill prévue dans la convention du 1er mars 19083 constituait une façon de s'acquitter de l'obligation qu'elle-même avait en vertu de la garantie qu'elle avait donnée à la Banque. De plus, aucun élément du dossier n'indique que l'appelante a déjà traité Society Hill comme lui étant redevable, par subrogation, de la somme ainsi payée ou que Society Hill se soit déjà considérée comme ayant quelque responsabilité envers l'appelante. M Wood a témoigné qu'à la fin de l'année d'imposition 1984, l'appelante n'a pas indiqué dans ses états financiers quelque somme due par qui que ce soit au titre des montants payés à la Banque de Montréal. Les 3 266 324 $ payés par l'appelante étaient un paiement fait par cette dernière au nom de Society Hill et représentait le prix à payer pour que Society Hill puisse se dégager de la société de personnes IPA.         
     Aucun élément au dossier n'indique que l'appelante a ainsi acquis une créance sur Society Hill qui pouvait se révéler être une créance irrécouvrable au sens de l'article 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu ou une créance dont l'appelante avait disposé5.         

Je ne constate aucune erreur qui justifierait de modifier ces conclusions.

b. L'appelante a-t-elle acquis par subrogation une créance correspondant à la dette des filiales CF ?

[30]      Ainsi que je l'ai déjà souligné, lorsque le garant paie la dette du débiteur principal, il a le droit d'être subrogé aux droits du créancier. La somme que le garant a le droit de recouvrer est limitée aux sommes qu'il a effectivement été payées en exécution de la garantie6. En l'espèce, l'appelante a versé des sommes pour honorer ses garanties avant que les sommes ne deviennent effectivement dues et que les prêteurs en exigent le paiement, mais cette situation n'a pas nécessairement pour effet d'invalider sa subrogation7. La question est donc celle de savoir si l'appelante a perdu ses droits de subrogation, notamment par suite d'une renonciation.

[31]      En ce qui concerne CF Prospect, CF Parkside, CF Cleveland et CF Jocelyn, la question centrale est celle de savoir si l'appelante a perdu ses droits de subrogation en raison des dispositions de renonciation des conventions d'achat des actions. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les dispositions relatives à la subrogation se traduisaient par une " renonciation simultanée à tous droits de subrogation " et qu'elles constituaient " une renonciation par anticipation qui visait à empêcher [...] que quelque droit de subrogation voie le jour ". En toute déférence, je ne suis pas de cet avis.

[32]      La renonciation [TRADUCTION] " présuppose l'existence d'un droit auquel on renonce "8. Par conséquent, il ne pouvait y avoir renonciation tant que le paiement n'avait pas été effectué et que l'appelante n'avait pas acquis la créance par subrogation. Les droits de subrogation de l'appelante sont nés au moment où le paiement a été effectué9. De plus la disposition est claire : [TRADUCTION] " Immédiatement après le paiement " l'appelante renonçait à toute réclamation, par subrogation ou autrement, qu'elle pouvait avoir contre ses filiales. La renonciation de l'appelante est survenue après la subrogation des créances et elle constituait un désistement de son droit de recouvrer les créances en question. En conséquence, la disposition relative à la renonciation emportait abandon, par l'appelante, de ses droits de subrogation, mais il ne s'agit pas d'une renonciation péremptoire aux droits en question. La disposition relative à la renonciation qui était stipulée dans chacune de ces conventions d'achat d'actions n'empêche pas l'appelante d'acquérir par subrogation la créance détenue par le prêteur. Les dispositions en question prévoient que l'appelante ne peut recouvrer aucune des créances qu'elle a acquises en vertu des paiements qu'elle a effectués conformément aux conventions en question.

c. L'appelante a-t-elle disposé de la créance dans l'année (à un coût nul) ?

[33]      Bien qu'il ne fasse aucun doute que l'appelante a disposé de la créance qu'elle avait acquise en vertu des conventions d'achat d'action par l'effet des dispositions relatives à la renonciation, ce facteur n'est pas déterminant pour ce qui est de la question en litige. Ainsi que je l'ai déjà signalé, l'appelante a manifestement garanti les prêts consentis à ses filiales. La vente des actions de ces filiales par CF Properties constituait de toute évidence une tentative visant à limiter sa responsabilité au titre des garanties en question en se dégageant des opérations immobilières infructueuses. La vente des filiales de l'appelante aux actionnaires de Chateau était assortie de conditions qui prévoyaient que l'appelante s'engageait à verser des sommes pour s'acquitter des obligations qu'elle avait contractées aux termes des garanties et à renoncer à toute réclamation qu'elle pouvait avoir contre ses filiales relativement aux sommes ainsi payées. Aux termes des conventions, Chateau se portait effectivement acquéreur des compagnies en question, c'est-à-dire les filiales, libre de toute dette.

[34]      Il est évident que, sans les dispositions relatives à la renonciation, Chateau n'aurait jamais signé cette entente. Sans la renonciation, l'appelante aurait pu demander à ses filiales (qui appartenaient désormais à Chateau) de la rembourser de la totalité des sommes qu'elle avait versées aux prêteurs conformément aux conventions d'achat. Il vaut la peine de répéter ici ce que le juge de la Cour de l'impôt a déclaré à cet égard :

     Il est inexact et simpliste d'y voir un paiement ordinaire, c'est-à-dire la satisfaction, par un garant, d'une obligation du débiteur principal suivie d'une renonciation, sans contrepartie, à la créance acquise par subrogation. La renonciation était un élément essentiel de l'opération globale [...] et la contrepartie de cette renonciation ne peut, en droit ou selon le bon sens commercial, être considérée comme étant nulle. Le prix payé pour le rôle de l'appelante dans cette affaire, y compris le paiement à la banque et la renonciation, était la participation de la corporation Chateau à l'opération consistant à permettre à l'organisation Cadillac Fairview de se dégager d'un fiasco10.         
     [Non souligné dans l'original.]

[35]      Comme l'appelante a disposé de ses droits de subrogation moyennant une contrepartie valable, elle ne peut se prévaloir des éventuels avantages fiscaux conférés par le sous-alinéa 40(2)g)(ii). L'argent qui a été avancé moyennant contrepartie valable dans le but de permettre à une filiale de se retirer d'une société de personnes insatisfaisant, ne constitue pas une perte en capital sur le plan fiscal11.

d. La créance a-t-elle été acquise en vue de tirer un revenu ?

[36]      Compte tenu des conclusions que j'ai déjà tirées, il n'est pas nécessaire de trancher cette question dans le cas qui nous occupe.

Conclusion

[37]      L'appelante a garanti les emprunts contractés par des filiales qui avaient participé à des opérations immobilières aux États-Unis. Lorsque ces opérations ont mal tourné, l'appelante a essayé de se dégager et de dégager ses filiales de ces opérations et de limiter sa responsabilité au titre des garanties. Des ententes complexes ont été négociées par les parties pour faciliter le retrait de la participation de l'appelante dans les entreprises infructueuses. Ces ententes se sont soldées par les quelques paiements que l'appelante a effectués pour désintéresser les créanciers des filiales CF, ainsi que par la vente à Chateau de quatre des filiales. Compte tenu de la nature de ces opérations, l'appelante n'a pas acquis, par subrogation ou autrement, une créance dont elle aurait pu disposer dans l'année comme l'exige le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi. L'appelante n'a pu acquis de droits de subrogation en raison : a) soit de la structure de l'opération elle-même; b) soit de sa renonciation expresse, moyennant contrepartie valable, aux droits en question. En conséquence, l'appel ne peut être accueilli.


Dispositif

[38]      Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

                         " F.J. McDonald "

                                             J.C.A.

" Je suis du même avis.

Le juge A.J. Stone "

" Je suis du même avis.

Le juge J. Edgar Sexton "

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION D'APPEL

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              A-282-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      THE CADILLAC FAIRVIEW CORPORATION LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      18 et 19 novembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge McDonald le 25 janvier 1999

                     avec l'appui des juges Stone et Sexton
ONT COMPARU :     
Mes Michael D. Templeton                      pour l'appelante

et Lisa Wong

Me Susan Van Der Hout                      pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan Binch                          pour l'appelante

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                      pour l'intimée

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Voir The Cadillac Fairview Corporation Limited c. Sa Majesté la Reine, 97 D.T.C. 405 (C.C.I.) [Cadillac Fairview].

2 Ibid., aux pages 411 et 412.

3 Voir K. McGuinness, The Law of Guarantee, Toronto, Carswell, 1996, p. 146.

4      Bosa Bros. Construction Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 96 D.T.C. 6193 (C.F. 1re inst.), à la p. 6209. Voir également Easton c. Sa Majesté la Reine, 92 D.T.C. 6218 (C.F. 1re inst.), à la p. 6221.

5 Cadillac Fairview, supra note 1, à la page 409.

6 McHale c. M.R.N., 92 D.T.C. 1781 (C.C.I.), à la p. 1783.

7 Drager v. Allison, (1959) D.L.R. 431 (C.S.C.), aux pages 435 et 436.

8 Voir l'arrêt Turney v. Zhilka, [1959] R.C.S. 578, à la p. 584.

9 Voir McHale, supra, note 6.

10Cadillac Fairview, supra, note 1, à la p. 412.

11 Voir Bosa Bros., supra , note 4, aux pages 6209 et 6210.

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