Date : 20180622
Dossier : A-439-16
Référence : 2018 CAF 121
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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ENTRE :
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TUSK EXPLORATION LTD.
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appelante
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 mars 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE NEAR
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Date : 20180622
Dossier : A-439-16
Référence : 2018 CAF 121
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
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ENTRE :
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TUSK EXPLORATION LTD.
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appelante
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1]
Le présent appel découle de l’application de la partie XII.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (LIR) assujettissant à l’impôt certains montants auxquels Tusk Exploration Ltd. (Tusk Exploration) a renoncés en faveur de personnes avec qui elle avait un lien de dépendance, selon ce qu’elle a indiqué. La Cour canadienne de l’impôt (2016 CCI 238) a rejeté l’appel interjeté par Tusk Exploration à l’égard des cotisations ou des nouvelles cotisations, établies pour ses années d’imposition 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006 et l’obligeant à acquitter cet impôt pour chacune de ces années, mais a accepté certains rajustements qui, selon la Couronne, s’imposaient.
[2]
La seule question soulevée par Tusk Exploration dans le présent appel est de savoir si la CCI a interprété correctement l’expression « censément renoncé »
figurant à l’article 211.91 de la LIR. L’article 211.91 est la seule disposition de la partie XII.6 de la LIR.
[3]
Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.
I.
Énoncé des faits
A.
Résumé des dispositions de la LIR relatives au présent appel
[4]
Les frais d’exploration au Canada (FEC) sont définis aux alinéas 66.1(6) a) à i) de la LIR. Les dépenses décrites aux alinéas j) à o) de cette définition ne constituent pas des FEC. En règle générale, les FEC sont les dépenses engagées en vue de déterminer l’existence, la localisation, l’étendue ou la qualité d’un gisement de pétrole ou de gaz naturel, ou l’existence, la localisation, l’étendue ou la qualité d’une ressource minérale et certaines autres dépenses énumérées dans cette définition. Les FEC engagés au cours d’une année sont ajoutés aux frais cumulatifs d’exploration au Canada (FCEC) (définis au paragraphe 66.1(6)). Tout solde de ce compte FCEC à la fin de l’année est déductible conformément aux paragraphes 66.1(2) et (3). Pour certaines sociétés exploitant une entreprise principale (au sens du paragraphe 66(15)) et pour toute personne qui n’est pas une société exploitant une entreprise principale, la déduction permise au titre des FEC est généralement le montant des FCEC de cette personne à la fin de l’année.
[5]
Puisque les FEC sont généralement engagés avant toute production commerciale de la ressource connexe, les petites sociétés exploitant des ressources qui veulent engager des FEC peuvent ne pas disposer des ressources financières pour le faire et avoir des dépenses supérieures à leurs revenus à ce moment. Le paragraphe 66(12.6) de la LIR permet à une société exploitant une entreprise principale qui a émis des actions accréditives (au sens du paragraphe 66(15)) de renoncer en faveur des détenteurs de ces actions certains montants inclus dans les FEC qui ont été engagés par cette société. Bien que le paragraphe 66(12.6) ne mentionne qu’une « société »
, puisque seule une « société exploitant une entreprise principale »
peut émettre une action accréditive (du fait de la définition de ce type d’actions), seule la société exploitant une entreprise principale peut renoncer aux FEC en application du paragraphe 66(12.6). En renonçant aux FEC en faveur des actionnaires qui ont acheté des actions accréditives, elle peut obtenir les fonds nécessaires aux travaux d’exploration.
[6]
Aux termes des paragraphes 66(12.6) et 66(12.61) de la LIR, les FEC auxquels une société a renoncé en faveur d’un actionnaire (détenteur d’actions accréditives) sont réputés être les FEC de cette personne. Ainsi, elle peut les ajouter à son compte FCEC, et à la fin de l’année, demander une déduction calculée en fonction du solde de ses FCEC. Le montant total des FEC auxquels on peut renoncer en faveur d’un actionnaire correspond, soit aux prix des actions accréditives, soit au solde des FCEC de la société à la date de prise d’effet de la renonciation, après déduction d’autres FEC auxquels on a renoncé en faveur d’autres actionnaires le même jour, selon celui des deux qui est le moins élevé.
[7]
De plus, aux termes du paragraphe 66 (12.66) de la LIR, une société est réputée avoir engagé certains FEC (énoncés à l’alinéa 66(12.66)b)) avant que ces FEC ne soient effectivement engagés, pourvu que certaines conditions soient réunies. Plus particulièrement, la société doit renoncer à ces FEC en application du paragraphe 66(12.6) au cours des trois premiers mois d’une année civile donnée (alinéa 66(12.66)e)), et tous les frais auxquels il est renoncé doivent avoir été engagés au plus tard à la fin de cette année civile (alinéa 66(12.66)a)). La Loi exige également que la société et la personne en faveur de qui la société renonce aux frais n’aient aucun lien de dépendance entre elles pendant l’année donnée (alinéa 66(12.66)d)). Les FEC auxquels s’applique le paragraphe 66(12.66) sont réputés avoir été engagés le dernier jour de l’année précédente. Les renonciations aux FEC effectuées en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66) de la LIR ont été qualifiées par la CCI de « renonciations rétrospectives »
.
[8]
L’effet conjugué des paragraphes 66(12.6) et (12.66) de la LIR est le suivant : les actionnaires seront réputés avoir engagé des FEC à la fin de l’année précédant l’année au cours de laquelle ces FEC auront été réellement engagés par la société. Le contribuable peut ainsi demander une déduction pour les FEC qui ont été engagés par une autre personne, mais aussi la demander à l’égard de l’année précédant celle où ils ont été réellement engagés.
[9]
La société qui a recours au paragraphe 66(12.66) de la LIR devra notamment payer l’impôt calculé selon la partie XII.6 à l’égard des FEC qui sont engagés après février de l’année donnée. Le montant de l’impôt prévu par la partie XII.6 est déterminé selon une formule énoncée au paragraphe 211.91(1). Ce paragraphe prévoit un impôt, calculé mensuellement, à compter de février, sur les FEC auxquels une société a censément renoncé et qui n’ont pas été engagés avant la fin de ce mois.
[10]
Si, à la fin de l’année civile donnée, la société n’a pas engagé tous les FEC auxquels elle avait censément renoncé au cours des trois premiers mois de l’année, la formule prévue au paragraphe 211.91(1) de la LIR donne lieu à un excédent, et la société est tenue de présenter un état aux termes du paragraphe 66(12.73). Le montant de la déduction pour l’année civile précédente sera ramené à celui des FEC qui auront véritablement été engagés par la société. Dans ce cas, bien que le montant de la déduction d’une année antérieure soit réduit pour cette année, un contribuable n’ayant aucun lien de dépendance avec la société n’aura pas à payer d’intérêt relativement aux FEC qui n’auront pas été engagés par la société. C’est que la définition du terme « conséquence fiscale future déterminée »
, qui figure aux paragraphes 248(1) et 161(6.2), joue alors, pourvu qu’il soit satisfait à toutes les conditions énoncées à la définition.
B.
Faits liés à Tusk Exploration
[11]
En l’espèce, Tusk Exploration ne savait pas que, pour bénéficier de l’avantage conféré par le paragraphe 66(12.66) de la LIR, la personne en faveur de qui la société renonçait aux FEC en application du paragraphe 66(12.6) ne pouvait avoir avec elle aucun lien de dépendance. Pendant plusieurs années, de 2002 à 2006, Tusk Exploration a déposé des formulaires indiquant qu’elle renonçait, en faveur d’actionnaires avec qui elle avait un lien de dépendance, à des FEC importants en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66). Au cours de ces années, Tusk Exploration a indiqué avoir renoncé à 6 350 000 $ en FEC, dont 6 185 000 $ (97 %) en faveur d’actionnaires avec qui elle avait un lien de dépendance.
[12]
Tusk Exploration devait produire une déclaration relativement à l’impôt dont elle était redevable en vertu de la partie XII.6, ce qu’elle n’a pas fait. Une vérification a révélé qu’elle avait renoncé à des FEC importants, en vertu du paragraphe 66(12.6) de la LIR par l’effet du paragraphe 66 (12.66) de la LIR, en faveur d’actionnaires avec qui elle avait un lien de dépendance. La vérification a également révélé que les FEC totaux engagés avant la fin de l’année civile au cours de laquelle Tusk Exploration avait déposé les formulaires indiquant qu’elle y renonçait étaient inférieurs aux FEC auxquels elle avait indiqué avoir renoncé.
[13]
Tusk Exploration a ensuite présenté l’état prévu au paragraphe 66(12.73) de la LIR pour ramener les frais auxquels elle avait renoncé aux termes du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66) aux frais réellement engagés au cours des années d’imposition pertinentes et auxquels elle avait renoncé en faveur d’actionnaires avec lesquels elle n’avait aucun lien de dépendance. Les actionnaires avec lesquels elle avait un lien de dépendance ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation ayant pour effet le rejet des déductions demandées relativement aux FEC auxquels la société avait renoncé aux termes du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66). Des intérêts ont été imposés sur le montant supplémentaire de la dette fiscale en découlant. Ces actionnaires ayant un lien de dépendance avec elle ont été autorisés à demander la déduction relative aux FEC pour l’année au cours de laquelle les FEC avaient été réellement engagés (à la condition que ces FEC aient été engagés dans les 24 mois suivant la conclusion de la convention relative à l’émission des actions accréditives (paragraphe 66(12.6)).
II.
Décision de la CCI
[14]
La juge V. Miller de la CCI, dans des motifs exhaustifs et réfléchis, a analysé les dispositions relatives au traitement des FEC et à la partie XII.6 et a conclu, suivant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la partie XII.6, que Tusk Exploration était redevable d’impôt, et ce même si les actionnaires avec qui elle avait un lien de dépendance ne pouvaient demander la déduction relative aux FEC durant l’année précédant celle pendant laquelle Tusk Exploration y avait censément renoncé en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66).
III.
Question en litige
[15]
La seule question en l’espèce concerne l’interprétation de l’expression « censément renoncé »
qui figure au paragraphe 211.91(1) de la LIR et consiste à savoir si Tusk Exploration avait censément renoncé aux FEC, en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66), en faveur d’actionnaires avec qui elle avait un lien de dépendance.
IV.
Norme de contrôle
[16]
La question en litige dans le présent appel fait intervenir l’interprétation législative et commande par conséquent un contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
V.
Analyse
[17]
L’expression « censément renoncé »
figure au paragraphe 211.91(1) de la LIR. Le paragraphe visé est ainsi libellé :
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[18]
La Cour suprême du Canada a énoncé la démarche d’interprétation des dispositions comme celle qui nous occupe en l’espèce dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :
10 Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.
[19]
Par conséquent, l’expression « censément renoncé »
doit être interprétée suivant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique. Tusk Exploration n’a pas interjeté appel des conclusions de la CCI concernant le sens ordinaire du mot « censément »
. Ces motifs porteront sur les arguments soulevés par Tusk Exploration dans le présent appel et sur le terme « renonciation »
dans la définition de « conséquence fiscale future déterminée »
, à laquelle Tusk Exploration a renvoyé dans son mémoire des faits et du droit et à l’audience devant nous.
[20]
Tusk Exploration fait valoir que l’expression « censément renoncé »
qui figure au paragraphe 66(12.73) de la LIR devrait éclairer le sens de la même expression au paragraphe 211.91(1). Je suis d’accord pour dire que l’emploi de cette expression au paragraphe 66(12.73) est pertinent, mais je ne souscris pas au sens que lui attribue Tusk Exploration.
[21]
Le paragraphe 66(12.73) de la LIR est rédigé en ces termes :
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[22]
De l’avis de Tusk Exploration, l’expression « censément renoncé »
au paragraphe 66(12.73) de la LIR a seulement pour objet de permettre au ministre de réduire le montant des déductions que les actionnaires peuvent demander à l’égard d’une année antérieure si la société n’engage pas, durant l’année civile donnée, tous les FEC auxquels elle avait indiqué avoir renoncé en faveur de ses actionnaires au cours des trois premiers mois de l’année.
[23]
Tusk Exploration soutient que, pour l’application des paragraphes 66(12.73) et 211.91(1) de la LIR, les montants auxquels la société a censément renoncé ne s’entendent que des [traduction] « montants auxquels elle a renoncé valablement durant l’année en question »
(paragraphe 43 du mémoire de Tusk Exploration, souligné par Tusk Exploration). Au paragraphe 46, Tusk Exploration affirme : [traduction] « une société ne peut censément renoncer à des montants par l’effet du paragraphe 66(12.66) que si toutes les exigences du paragraphe 66(12.66) sont remplies »
.
[24]
Les exigences du paragraphe 66(12.66) de la LIR sont les suivantes :
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[25]
La condition énoncée à l’alinéa 66(12.66)d) de la LIR exige que la société et la personne en faveur de qui la société renonce aux FEC n’aient aucun lien de dépendance entre elles. Selon Tusk Exploration, si cette condition n’est pas remplie, il n’y a pas de renonciation valide en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66), et les actionnaires avec lien de dépendance pourraient faire l’objet d’une nouvelle cotisation sans égard au paragraphe 66(12.73). Tusk Exploration soutient que le paragraphe 66(12.73) ne s’applique pas à une renonciation (y compris celle en l’espèce) qui est effectuée (ou qu’on a tenté d’effectuer) sans que les conditions du paragraphe 66(12.66) soient réunies. Du point de vue de Tusk Exploration, l’expression « censément renoncé »
au paragraphe 66(12.73) renvoie uniquement aux FEC, consignés dans les formulaires de renonciation, qui ne sont pas réellement engagés avant la fin de l’année civile applicable.
[26]
Cependant, il ressort de cet argument que le fait d’engager des FEC dans l’année applicable n’est pas également une condition du paragraphe 66(12.66) de la LIR. Aux termes de l’alinéa 66(12.66)a), « la société engage les frais au cours de l’année donnée »
. La condition est, non pas que la société prévoit engager ou a l’intention d’engager, mais que la société « engage »
les frais. Par conséquent, toute société qui n’engage pas les FEC auxquels elle renonce ne satisfait pas à la condition prévue à l’alinéa 66(12.66)a). Tusk Exploration soutient que le paragraphe 66(12.73) s’applique si une société n’engage pas, à la fin de l’année civile applicable, tous les FEC auxquels elle a renoncé au cours des trois premiers mois de l’année. Une société a donc « censément renoncé »
à un montant lorsqu’il n’est pas satisfait à la condition énoncée à l’alinéa 66(12.66)a). Si on peut dire qu’une société a « censément renoncé »
à un montant lorsque les exigences de l’alinéa 66(12.66)a) ne sont pas respectées, on peut logiquement dire qu’elle y a « censément renoncé »
lorsque celles de l’alinéa 66(12.66)d) ne sont pas remplies.
[27]
Pour l’application des alinéas 66(12.66)a) et d) de la LIR, il se peut que l’on ne sache pas, lorsque les renonciations sont effectuées (au cours des trois premiers mois d’une année donnée), s’il sera satisfait aux conditions de ces alinéas. Il est possible – et probable ‑ que tous les FEC admissibles n’aient pas été engagés à ce moment-là. L’alinéa 66(12.66)d) prévoit que « la société et la personne n’ont entre elles aucun lien de dépendance tout au long de l’année donnée »
. Il se peut aussi qu’un actionnaire n’ayant pas de lien de dépendance avec la société au moment où celle-ci effectue la renonciation en acquière le contrôle plus tard au cours de cette année. Pour déterminer si une société a censément renoncé à des FEC, il importe peu de savoir si la société savait (ou aurait dû savoir) au moment de la renonciation qu’il ne serait pas satisfait à la condition prévue à l’alinéa 66(12.66)d) ou si elle a constaté après cette date que cette condition ne serait pas remplie. Dans les deux cas, la société a déposé un formulaire indiquant qu’elle renonçait aux FEC (elle affirmait donc y renoncer), et la condition énoncée à l’alinéa 66(12.66)d) de la LIR n’était pas remplie. Dans les deux cas, la société a censément renoncé aux FEC.
[28]
Je ne suis pas d’accord avec Tusk Exploration sur l’interprétation qu’il faut donner à l’expression « censément renoncé »
qui figure au paragraphe 66(12.73) de la LIR. À mon avis, elle renvoie à un montant auquel la société a renoncé, comme elle l’a déclaré dans les formulaires qu’elle a déposés et, du coup, à un montant auquel elle a affirmé avoir renoncé. Serait visé un montant auquel elle a renoncé valablement et un montant auquel elle ne pouvait renoncer parce que l’une des conditions énoncées au paragraphe 66(12.66) n’était pas remplie. De plus, le paragraphe 66(12.73) mentionne à la fois un montant auquel une société a « censément renoncé »
et un montant auquel une société « pouvait renoncer »
. Par conséquent, le montant auquel une société a « censément renoncé »
ne saurait se limiter au montant auquel elle « pouvait renoncer »
. Si le législateur a employé deux expressions différentes, il ne pouvait entendre que les deux expressions soient synonymes.
[29]
Il convient également de noter que l’alinéa 66(12.73)d) de la LIR prévoit que la réduction des montants auxquels il a été renoncé ne joue pas sur le calcul de l’impôt à payer en vertu de la partie XII.6. Par conséquent, l’impôt visé à la partie XII.6 n’est pas touché par une modification du montant visé par la renonciation indiqué dans l’état présenté au ministre au titre du paragraphe 66(12.73).
[30]
En ce qui concerne l’objet du paragraphe 211.91(1) de la LIR, Tusk Exploration soutient que l’interprétation préconisée par la CCI entraînerait une double imposition. Tusk Exploration affirme que la partie XII.6 a pour objet d’indemniser l’État fédéral pour avoir permis aux contribuables de demander une déduction pour les FEC dans l’année précédant l’année au cours de laquelle ces dépenses sont engagées. Selon Tusk Exploration, l’impôt prévu à la partie XII.6 constitue bel et bien de l’intérêt pour la perte de recettes fiscales intervenue un an plus tôt que ce n’aurait autrement été le cas. La CCI a admis que « [c]omme le décrivent les notes explicatives, l’impôt consiste essentiellement en des frais d’intérêts »
(par. 55 des motifs de la CCI). Bien que la CCI ait fait référence aux notes techniques, Tusk Exploration renvoie pour sa part à une déclaration tirée du Plan budgétaire, que je cite ci-après.
[31]
Étant donné que les actionnaires avec lesquels Tusk Exploration avait un lien de dépendance se sont vu refuser la déduction relative aux FEC qu’ils avaient demandée à l’égard de l’année précédente, des intérêts ont été imposés sur le montant supplémentaire de l’obligation fiscale de ces actionnaires pour cette année-là. Étant donné que Tusk Exploration était également assujettie à l’impôt en vertu de la partie XII.6 de la LIR, elle a fait valoir qu’il y avait effectivement eu double imposition puisque les « intérêts »
seraient perçus deux fois.
[32]
Tusk Exploration a renvoyé aux déclarations faites par le ministre des Finances dans le Plan budgétaire déposé à la Chambre des communes le 6 mars 1996. L’extrait auquel Tusk Exploration fait référence est tiré de la page 182 du Plan budgétaire :
Le budget propose d’étendre cette règle de manière qu’un émetteur d’actions accréditives puisse renoncer, au cours d’une année civile, à des frais admissibles qu’il prévoit d’engager au cours de cette année. L’émetteur devra payer des droits mensuels déductibles à l’égard des fonds non dépensés. Les droits mensuels seront calculés, à partir du mois de février, en pourcentage de la partie des fonds procurés par les actions accréditives qui n’auront pas été consacrés à des dépenses admissibles à l’égard de ressources à la fin du mois considéré. Le pourcentage déterminé sera égal à 1⁄12 du taux d’intérêt (actuellement de 9 pour cent) qui sert à calculer les intérêts sur les remboursements aux termes de la Loi. Ces droits ont pour effet de compenser le manque à gagner que subit le gouvernement en autorisant une déduction avant l’engagement de la dépense correspondante.
(Non souligné dans l’original.)
[33]
Cet extrait révèle que l’impôt visé par la partie XII.6 de la LIR a pour effet de compenser les coûts pour le fisc découlant de la déduction accordée aux contribuables à l’égard des FEC pour l’année précédant celle où ils auraient autrement pu demander cette déduction. Tusk Exploration a soutenu que, puisque les actionnaires paient (ou ont payé) des intérêts relativement aux déductions qui ont été refusées au titre des FEC pour l’année précédente, il n’y a pas de coûts pour le fédéral en l’espèce.
[34]
Cependant, cet extrait du Plan budgétaire ne dit pas que les droits imposés en vertu de la partie XII.6 correspondent aux coûts pour le fisc découlant de la déduction accordée aux actionnaires à l’égard des FEC un an avant qu’ils ne soient autrement autorisés à la demander. Il indique seulement que ces droits compenseront effectivement ces coûts. À mon avis, bien que l’impôt prévu au paragraphe 211.91(1) de la LIR est calculé selon le taux d’intérêt prescrit, il ne s’agit pas du calcul des coûts pour le fisc découlant de la déduction accordée aux actionnaires à l’égard des FEC un an avant qu’ils ne puissent autrement la demander.
[35]
La déduction relative aux FEC accordée aux contribuables un an plus tôt qu’ils ne seraient autrement autorisés à la demander est, pour l’État, un coût fixe. Le montant de la déduction est connu, le montant des économies d’impôt pour un actionnaire donné est un montant fixe et la période entre le moment où la déduction est autorisée pour l’année précédente et le moment où elle aurait été autrement autorisée est également connue, soit un an. Par conséquent, le coût peut être calculé pour chaque contribuable, et ce montant ne changera pas selon le mois où les FEC sont réellement engagés. Les déclarations de revenus sont produites (et l’obligation fiscale est déterminée) sur une base annuelle, et non mensuelle.
[36]
Le calcul prévu au paragraphe 211.91(1) est effectué mensuellement à partir du montant des FEC que la société n’a pas engagés à la fin du mois. Plus la société engage les FEC tôt dans l’année et moins elle sera redevable d’impôt au titre de la partie XII.6. Par conséquent, bien que cet impôt « compense »
les coûts pour le fisc, il ne s’agit pas d’un calcul direct.
[37]
Rien n’indique non plus que le législateur avait l’intention de remettre les parties dans la situation où elles se seraient trouvées si les renonciations en faveur des actionnaires ayant un lien de dépendance n’avaient pas été faites. D’autres dispositions de la LIR concernant les parties ayant un lien de dépendance résulteraient en une double imposition. Par exemple, en vertu de l’alinéa 69(1)a), si un contribuable acquiert un bien auprès d’une personne avec laquelle ce contribuable a un lien de dépendance pour une somme supérieure à sa juste valeur marchande, le rajustement vise uniquement le contribuable qui acquiert le bien en question. Un rajustement unilatéral similaire est prévu à l’alinéa 69(1)b) pour la disposition de biens pour une contrepartie qui est inférieure à la juste valeur marchande de ces biens. Par conséquent, il pourrait y avoir double imposition si la personne qui a acquis le bien le vend ultérieurement à un prix plus élevé que le coût réduit (tel qu’il est déterminé en application de l’alinéa 69(1)a)) ou le coût réel (puisqu’il n’y a pas de rajustement pour l’acheteur qui paie un prix inférieur à la juste valeur marchande aux termes de l’alinéa 69(1)b)). Par conséquent, le risque de double imposition existe lorsque des opérations sont effectuées entre parties ayant entre elles un lien de dépendance. La possibilité d’une double imposition en l’espèce pourrait être réduite si Tusk Exploration pouvait bénéficier de la déduction dans le calcul de son revenu pour une année donnée prévue à l’alinéa 20(1)nn) pour tout impôt visé à la partie XII.6 payé relativement à cette année.
[38]
En ce qui concerne le contexte, Tusk Exploration a renvoyé à la définition de « conséquence fiscale future déterminée »
prévue au paragraphe 248(1) de la LIR, sans mentionner le terme « renonciation »
qui y figure. Cette définition est la suivante :
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[39]
Cette définition exige notamment que « les conditions énoncées aux alinéas 66(12.66)c) et d) de la LIR sont remplies en ce qui concerne la renonciation »
. Aux termes de l’alinéa 66(12.66)d), la société et les actionnaires en faveur de qui la société renonce aux FEC n’ont aucun lien de dépendance entre elles. Si, comme le laisse entendre Tusk Exploration, il n’y a pas de « renonciation »
si la condition énoncée à l’alinéa 66(12.66) d) n’est pas remplie, alors la condition énoncée à l’alinéa v) de la définition de « conséquence fiscale future déterminée »
serait dénuée de sens. Puisque le législateur ne parle pas en vain (R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, [2012] 1 R.C.S. 149, par. 31), la conclusion logique veut que le législateur ait envisagé qu’une renonciation inclurait une renonciation qu’une société prétend avoir effectuée en vertu du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66) en faveur des actionnaires avec lesquels cette société avait un lien de dépendance. Le sens attribué à l’expression « censément renoncé »
au paragraphe 211.91(1) de la LIR devrait être le même que celui qui est attribué à l’expression « renonciation »
dans cette définition.
VI.
Conclusion
[40]
Par conséquent, je suis d’accord avec la CCI sur l’interprétation qu’elle a donnée à l’expression « censément renoncé »
qui figure au paragraphe 211.91(1) de la LIR. Je conviens que Tusk Exploration avait censément renoncé aux montants qui sont en cause en l’espèce aux termes du paragraphe 66(12.6) par l’effet du paragraphe 66(12.66) en faveur des actionnaires avec lesquels elle avait un lien de dépendance au cours des années faisant l’objet de l’appel.
[41]
Je rejetterais l’appel, avec dépens.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
« Je suis d’accord
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Johanne Gauthier, j.c.a. »
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« Je suis d’accord.
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D. G. Near, j.c.a. »
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Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT
DATÉ DU 26 OCTOBRE 2016, NO 2013-3525(IT)G
DOSSIER :
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A-439-16
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INTITULÉ :
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TUSK EXPLORATION LTD. c.
SA MAJESTÉ LA REINE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 15 mars 2018
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE NEAR
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DATE DES MOTIFS :
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Le 22 juin 2018
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COMPARUTIONS :
Alistair G. Campbell,
Michelle N. Moriartey
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Pour l’appelante
TUSK EXPLORATION LTD.
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Matthew Turnell
Victor Caux
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Pour l’intimée
SA MAJESTÉ LA REINE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Legacy Tax & Trust Lawyers
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour l’appelante
TUSK EXPLORATION LTD.
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’intimée
SA MAJESTÉ LA REINE
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