Date : 20180608
Dossiers : A-142-17
A-141-17
Référence : 2018 CAF 114
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
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Dossier : A-142-17
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ENTRE :
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1245989 ALBERTA LTD.
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appelante
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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Dossier : A-141-17
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ENTRE :
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PERRY WILD
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appelante
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 12 avril 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LA JUGE GLEASON
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Date : 20180608
Dossiers : A-142-17
A-141-17
Référence : 2018 CAF 114
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LA JUGE DAWSON
LA JUGE GLEASON
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Dossier : A-142-17
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ENTRE :
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1245989 ALBERTA LTD.
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appelante
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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Dossier : A-141-17
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ENTRE :
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PERRY WILD
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appelante
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE DAWSON
[1]
Le ministre du Revenu national a établi des avis de détermination conformément à l’article 245 et au paragraphe 152(1.11) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la Loi) concernant l’année d’imposition 2007 de Perry Wild et l’année d’imposition 2008 de l’entreprise 1245989 Alberta Ltd. (1245). Le ministre a appliqué la règle générale anti-évitement (RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi afin de faire passer de 595 264 $ à 110 $ le capital versé des 2 337,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245 détenues par M. Wild. Les déterminations ont été effectuées par suite de l’examen par le ministre de certaines opérations décrites ci-après.
[2]
Les contribuables ont interjeté appel de la détermination du ministre devant la Cour canadienne de l’impôt. À l’audience, les contribuables ont admis l’existence d’une série d’opérations qui avaient donné lieu directement ou indirectement à un avantage fiscal et ont également admis que quatre d’entre elles visaient l’évitement.
[3]
Pour les motifs énoncés sous la référence 2017 CCI 51, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les opérations d’évitement avaient abouti au résultat que l’article 84.1 de la Loi visait à empêcher et qu’elles contrecarraient la raison d’être de la disposition. Par conséquent, la Cour de l’impôt a conclu que les opérations contrecarraient l’objet et l’esprit de l’article 84.1 et du paragraphe 89(1) de la Loi. Les opérations entraînaient un abus, au sens où il fallait l’entendre pour l’application du paragraphe 245(4) de la Loi, et le ministre avait correctement appliqué la RGAÉ. La Cour de l’impôt a donc rejeté les appels, avec dépens.
[4]
Les contribuables interjettent appel du jugement de la Cour de l’impôt.
[5]
Pour les motifs qui suivent, j’estime que la Cour de l’impôt a conclu à tort à un abus dans l’application de l’article 84.1 de la Loi. Je propose donc de faire droit à l’appel et d’annuler les avis de détermination.
[6]
Les dispositions pertinentes de la Loi sont énoncées à l’annexe 1 des présents motifs. Sauf indication contraire, les dispositions législatives mentionnées proviennent de la Loi.
I.
Les faits
[7]
P. W. Rentals Ltd. (PWR) est une entreprise albertaine qui loue du matériel d’exploitation pétrolière à des sociétés pétrolières. À l’époque des faits, M. Wild était le seul actionnaire de PWR. Au 1er janvier 2004, il détenait 110 actions ordinaires de catégorie A de PWR, dont la juste valeur marchande (JVM) était 2 337 500 $, le prix de base rajusté (PBR), 110 $, et le capital versé (CV), 110 $.
[8]
En mai 2006, M. Wild et son épouse ont entrepris une restructuration à l’issue de laquelle M. Wild détenait 2 337,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245, dont la JVM était 2 337 500 $, le PBR, 750 000 $, et le CV, 595 264 $. Ainsi, la JVM des actions privilégiées de catégorie E de 1245 était identique à la JVM des actions de catégorie A de PWR qui étaient détenues à l’origine par M. Wild; cependant, ses CV et PBR étaient considérablement plus élevés que ceux des actions de catégorie A de PWR, établis chacun à 110$. Au cours de la restructuration, M. Wild n’a effectué aucun apport en capital à PWR, à 1245 ou à toute autre personne morale pertinente. M. Wild s’étant prévalu de son exonération cumulative des gains en capital, il n’a pas payé d’impôt sur les opérations. Selon la Cour de l’impôt, « [l]es actifs existants de PWR n’ont été que déplacés entre deux entités, puis loués à PWR, et une JVM de 2,3 millions de dollars environ a été conservée sans aucune conséquence fiscale »
(motifs, paragraphe 96).
[9]
La démarche employée pour ce faire est énoncée dans l’exposé conjoint des faits déposé, dont les passages pertinents sont reproduits à l’annexe 2 des présents motifs.
II.
La décision de la Cour de l’impôt
[10]
Comme il est expliqué plus haut, M. Wild a admis à l’instance avoir obtenu un avantage fiscal. Cette concession exacte se trouve au paragraphe 27 de l’exposé conjoint des faits :
Les opérations précédentes constituaient une série d’opérations, laquelle a effectivement entraîné, directement ou indirectement, un avantage fiscal.
[11]
Ces « opérations précédentes »
constituent les diverses étapes de la restructuration qui a commencé par la constitution en société de 1245 et abouti à la détention par M. Wild de 2 337,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245, dont la JVM, le PBR et le CV sont décrits au paragraphe 8.
[12]
Il n’y a eu aucune concession quant à la réalisation de quelque avantage fiscal.
[13]
M. Wild a également admis que constituaient des opérations d’évitement au sens du paragraphe 245(3) le transfert des actions de PWR, le transfert de biens de PWR à une deuxième société de portefeuille, 1251237 Alberta Ltd. (1251), l’émission par 1251 d’actions de la même catégorie destinées à M. Wild et à PWR, le transfert par M. Wild d’actions de PWR à 1245, le transfert par PWR de biens à 1245 et l’émission par 1245 d’actions de la même catégorie destinées à M. Wild et à PWR. Par conséquent, la question dont était saisie la Cour de l’impôt était de savoir si la série d’opérations d’évitement entraînaient un abus dans l’application des dispositions ayant servi à obtenir l’avantage fiscal.
[14]
La Cour de l’impôt amorce l’analyse de cette question en faisant remarquer que la planification fiscale n’entraîne pas forcément un abus. Il ne sera justifié de conclure à un abus que si le résultat découle de l’abus dans l’application d’une ou de plusieurs dispositions de la Loi (motifs, paragraphes 33 à 35). Renvoyant à l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, la Cour de l’impôt fait remarquer que, pour tirer une telle conclusion, il faut d’abord interpréter les dispositions pertinentes à l’aide d’une méthode textuelle, contextuelle et téléologique afin de déterminer leur objet et leur esprit (motifs, paragraphe 36). Lorsqu’une opération aboutit à une issue qu’une disposition vise à empêcher, va à l’encontre de la raison d’être d’une disposition ou contourne l’application d’une disposition d’une façon faisant échec à l’objet et à l’esprit de celle-ci, ladite opération constitue un évitement fiscal abusif (motifs, paragraphe 42, s’appuyant sur l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601).
[15]
La Cour de l’impôt analyse ensuite les dispositions dont l’application aurait été abusive : le paragraphe 89(1) et l’article 84.1.
[16]
Le paragraphe 89(1) dispose que, à l’égard d’une action d’une catégorie quelconque du capital-actions d’une société, le capital versé représente une somme égale au capital versé de cette catégorie d’actions divisé par le nombre des actions émises de cette catégorie qui sont en circulation à ce moment. Étant donné que les actionnaires d’une catégorie d’actions sont présumés être traités de la même façon, « les actionnaires de la catégorie ont tous le même CV peu importe l’apport en capital de chacun d’eux »
(motifs, paragraphe 50).
[17]
Le contexte du paragraphe 89(1) est éclairé par les dispositions qui sont incorporées par renvoi dans la définition de CV, soit les articles 84.1 et 212.1 et les paragraphes 85(2.1) et 87(3). Les articles 84.1 et 212.1 et le paragraphe 85(2.1) sont des dispositions anti-évitement, tandis que le paragraphe 87(3) vise à empêcher que le CV ne soit gonflé lors de la fusion.
[18]
La Cour de l’impôt conclut que l’objet du paragraphe 89(1) est de veiller à ce que « le CV, calculé et moyenné pour la catégorie, représente fidèlement les fonds investis dans les actions de la société par ses actionnaires et qu’il soit limité à ces fonds »
(motifs, paragraphe 55). Les fonds investis dans une société par un actionnaire peuvent être déclarés en tant que remboursement de capital libre d’impôt parce que le CV provenait de fonds ayant déjà été assujettis à l’impôt; toutefois, tout versement à un actionnaire qui excède le CV est imposé comme dividende (motifs, paragraphe 54).
[19]
En ce qui concerne l’article 84.1, la Cour de l’impôt conclut à la lumière de son libellé qu’il s’applique au transfert avec lien de dépendance d’une action d’une société canadienne à une autre société canadienne lorsque, après le transfert, les sociétés sont liées. Lorsque l’article 84.1 s’applique, il intervient de façon à ce que le CV des actions de la société à laquelle les actions sont transférées ne dépasse pas le CV des actions transférées (motifs, paragraphe 57). Par souci d’exhaustivité, j’ajouterais simplement que l’article 84.1 a pour effet de ramener le CV des actions nouvellement acquises à la plus élevée des deux valeurs suivantes, soit le CV des actions transférées, soit le PBR des actions transférées de l’actionnaire, le PBR étant soumis à d’autres modifications dans certaines situations.
[20]
Le contexte de l’article 84.1 est éclairé notamment par les articles 84 et 212.1 et le paragraphe 85(2.1), car, bien que ces dispositions s’appliquent à des scénarios factuels différents, « le facteur textuel commun est l’objet consistant à empêcher le dépouillement des surplus d’une société »
(motifs, paragraphe 61).
[21]
La Cour de l’impôt conclut que l’objet et l’esprit de l’article 84.1 ont été correctement cernés dans la décision Descarries c. La Reine, 2014 CCI 75 : une règle anti-évitement dont l’objet est « d’empêcher que les contribuables mettent en place des transactions dont l’objectif est de dépouiller une société de ses surplus en franchise d’impôt grâce à l’utilisation de la marge libre d’impôt ou de l’exonération des gains en capital »
(motifs, paragraphe 67).
[22]
La Cour de l’impôt arrive à la conclusion que la série d’opérations d’évitement entraînait un abus dans l’application de l’article 84.1 qui a permis à M. Wild de retirer indirectement les gains de PWR en franchise d’impôt en utilisant son exonération des gains en capital pour compenser un gain en capital créé lors d’une vente à une partie ayant un lien de dépendance dans un échange d’actions. Ce résultat a été atteint par le jeu du moyennage du CV prévu à l’article 89 lorsque 1251 et 1245 ont émis des actions de la même catégorie destinées à M. Wild et à PWR (motifs, paragraphes 95, 96, 97 et 104).
[23]
La Cour de l’impôt estime que ce recours au moyennage du CV emporte un gonflement artificiel du CV des actions de M. Wild alors qu’il n’a effectué aucun nouvel apport en capital (motifs, paragraphe 104).
[24]
La Cour de l’impôt est d’avis en outre que les faits de l’affaire ressemblent à ceux de l’affaire Descarries, notamment parce que les deux opérations sont « conçues et exécutées dans un contexte de dépouillement de surplus faisant partie d’une planification complexe »
(motifs, paragraphe 91). Même si les planificateurs fiscaux de M. Wild ont suivi une démarche différente étayée par d’autres dispositions que celles qui entraient en jeu dans l’affaire Descarries, le résultat visé était le même, soit le dépouillement des surplus (motifs, paragraphe 99). Comme M. Wild n’était pas en mesure à l’interrogatoire préalable d’expliquer pourquoi certains éléments d’actif avaient été transférés, comment les sommes convenues en application du choix prévu à l’article 85 avaient été déterminées et pourquoi des actions de même catégorie avaient été émises par les sociétés de portefeuille – et comme la Cour de l’impôt est d’avis qu’un actionnaire exigerait normalement que soient émises des actions de catégories différentes afin d’éviter les répercussions négatives du moyennage du CV – la Cour de l’impôt déclare que l’opération est exécutée « dans l’unique but de dépouiller le surplus »
. La restructuration « avait principalement pour but de conférer un avantage fiscal à M. Wild »
(motifs, paragraphe 96). Enfin, la Cour de l’impôt conclut à l’abus dans l’application l’article 84.1 découlant de l’abus dans le calcul du CV prévu au paragraphe 89(1) pour déclencher le moyennage des actions qui a entraîné le gonflement artificiel du CV des actions de M. Wild sans nouvel apport en capital (motifs, paragraphe 104).
III.
Question faisant l’objet de l’appel
[25]
Comme il est expliqué plus haut, la question dont était saisie la Cour de l’impôt était de savoir si la série d’opérations d’évitement avait entraîné un abus dans l’application des dispositions ayant servi pour obtenir l’avantage fiscal admis. La question que notre Cour doit trancher consiste à décider si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que les opérations d’évitement avaient produit un résultat que l’article 84.1 visait à prévenir. Plus précisément, la Cour doit décider s’il y a eu abus dans l’application du paragraphe 89(1) de sorte à faire augmenter le CV des actions détenues par M. Wild, un résultat que l’article 84.1 visait à empêcher.
IV.
Norme de contrôle
[26]
L’analyse visant à décider s’il y a eu abus soulève une question mixte de fait et de droit; c’est donc la norme de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique (Trustco Canada, paragraphe 44; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragraphe 37). Cependant, l’analyse se fait en deux étapes. Il faut d’abord déterminer l’objet et l’esprit des dispositions générant l’avantage fiscal. Il faut ensuite décider si l’avantage fiscal résultant est contraire à cet objet et à cet esprit (Trustco Canada, paragraphe 44). L’objet et l’esprit d’une disposition peuvent être circonscrits grâce aux principes d’interprétation législative, qui font intervenir une question de droit extrinsèque (Copthorne, paragraphe 70). La détermination de l’objet et de l’esprit d’une disposition est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Trustco Canada, paragraphe 44; Housen, paragraphes 8 et 37).
V.
Application de la norme de contrôle
[27]
Comme il est expliqué plus haut, la Cour de l’impôt conclut que l’objet ou l’esprit de l’article 84.1 est d’empêcher que le surplus imposable des sociétés fasse l’objet d’un remboursement de capital libre d’impôt par le truchement de l’exonération de gains en capital (ou de la marge exonérée d’impôt).
[28]
Dans le présent appel, aucune partie ne remet en question la conclusion de la Cour de l’impôt quant à l’objet ou à l’esprit de l’article 84.1. L’intimé indique plus précisément que la disposition sert à [traduction] « empêcher l’augmentation indue du CV et la distribution libre d’impôt du surplus ou des bénéfices non répartis d’une société au moyen d’opérations avec lien de dépendance visant à augmenter ou à préserver artificiellement ou indûment le CV des actions »
.
[29]
L’objet ou l’esprit de l’article 84.1 ayant été déterminé, la question est de savoir si les opérations en cause entraînent un abus dans l’application de l’article 84.1.
[30]
Il ne fait aucun doute que les opérations ont accru le CV des actions privilégiées de catégorie E de 1245 détenues par M. Wild. Toutefois, la Cour de l’impôt ne disposait pas d’éléments de preuve démontrant qu’il y avait eu distribution des bénéfices non répartis de 1245 (ce que la Cour de l’impôt a appelé le surplus d’une société). En fait, au cours de leur plaidoirie, les avocats des appelants ont confirmé à la fois que PWR n’avait pas distribué ses bénéfices non répartis à 1245 et que la restructuration d’entreprise pouvait être dénouée.
[31]
Ainsi, bien que la restructuration d’entreprise ait modifié l’attribut fiscal des actions privilégiées de catégorie E et créé ainsi la possibilité d’une distribution en franchise d’impôt des bénéfices non répartis de 1245, ce potentiel n’a pas été réalisé jusqu’ici.
[32]
Parce que la distribution en franchise d’impôt des bénéfices non répartis que l’article 84.1 vise à empêcher ne s’est pas produite, il n’y a pas eu d’abus dans l’application de l’article 84.1 à ce jour.
[33]
La situation est analogue à celle examinée par le juge Rothstein (au nom des juges majoritaires) dans l’arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, [2002] 2 C.F. 288.
[34]
Dans cette affaire, le liquidateur de la Compagnie Standard Trust a cherché à obtenir la meilleure réalisation possible de la disposition des actifs de la Standard. Pour ce faire, le liquidateur a regroupé une partie du portefeuille de prêts hypothécaires de la Standard dans un portefeuille de plus petite taille constitué de dix-sept prêts problèmes à l’égard desquels les paiements au titre du principal et des intérêts étaient en souffrance depuis 90 jours ou plus (portefeuille de STIL II).
[35]
La Standard a ensuite transféré le portefeuille de STIL II à une société de personnes constituée de la Standard et d’une filiale en propriété exclusive, Standard détenant une participation de 99 p. 100 dans la société de personnes.
[36]
Avant la fin du premier exercice de la société de personnes, la Standard a vendu sa participation de 99 p. 100 à un acheteur sans lien de dépendance, OSFC Holdings Ltd., à qui, à la fin du premier exercice, les pertes de près de 52 millions de dollars de la société de personnes seraient attribuées dans une proportion de 99 p. 100.
[37]
Le ministre a appliqué la RGAÉ et a refusé la part de l’acheteur de la perte autre qu’en capital. La Cour de l’impôt a rejeté l’appel du contribuable. Dans l’appel interjeté devant la Cour, l’une des questions était de savoir si un avantage fiscal découlait de la série d’opérations.
[38]
Au paragraphe 42 de ses motifs, le juge Rothstein arrive à la conclusion que ni la constitution de la filiale en propriété exclusive, ni la formation de la société de personnes, ni le transfert du portefeuille de STIL II à la société de personnes n’avaient donné lieu à un avantage fiscal. L’avantage fiscal a été réalisé seulement lorsqu’OSFC a acquis sa participation dans la société de personnes et le droit à une partie de la perte de celle-ci.
[39]
Tout comme le regroupement des pertes fiscales dans l’affaire OSFC n’a pas donné lieu à un avantage fiscal, en l’espèce, les opérations qui ont donné lieu à l’augmentation du CV des actions privilégiées de catégorie E de 1245 n’ont pas donné lieu à un avantage fiscal.
[40]
La Cour de l’impôt a commis une erreur de droit et de fait en se méprenant sur la concession de l’appelant au sujet de l’avantage fiscal. Les parties ont convenu que la restructuration d’entreprise avait donné lieu à une augmentation du CV, qui avait rendu possible une distribution libre d’impôt des bénéfices non répartis de 1245. Les parties n’étaient pas d’accord pour dire que l’augmentation du CV avait permis de réaliser un quelconque avantage, et la Cour de l’impôt ne disposait d’aucune preuve qui lui aurait permis de conclure qu’il y avait eu abus dans l’application de l’article 84.1 découlant de la distribution en franchise d’impôt des bénéfices non répartis.
[41]
Comme il n’y avait pas abus dans l’application de l’article 84.1, le ministre a commis une erreur en appliquant la RGAÉ.
[42]
En ce qui concerne les avis de détermination établis par le ministre, le paragraphe 152(1.11) permet au ministre d’établir un avis de détermination lorsque « par application du paragraphe 245(2), le ministre établit, à un moment, les attributs fiscaux d’un contribuable »
. Autrement dit, un avis de détermination peut être établi pour corriger un abus lorsque la RGAÉ s’applique. Comme il n’y a pas eu d’abus justifiant l’application de la RGAÉ, il s’ensuit que les avis de détermination doivent être annulés.
[43]
Je propose donc de faire droit à l’appel et de casser le jugement de la Cour de l’impôt. Prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, j’annule les avis de détermination. Compte tenu des circonstances, j’estime qu’il y a lieu que chaque partie supporte ses propres frais.
[44]
Sans me prononcer sur l’issue potentielle, je précise que le présent jugement ne porte pas atteinte au droit du ministre du Revenu national d’établir une nouvelle cotisation à l’égard des appelants si ceux-ci entreprennent de dépouiller le surplus imposable de la société PWR grâce au remboursement de capital libre d’impôt.
[45]
Bien que ce qui précède me permette de statuer sur le présent appel, je note que la conclusion de la Cour de l’impôt quant à un abus dans l’application de l’article 84.1 semble avoir été influencée par l’incapacité de M. Wild d’expliquer l’objet de certaines opérations ou de leur structure. L’objet de l’opération est pertinent lorsqu’il s’agit de décider si l’opération donnant lieu à l’avantage fiscal est une opération d’évitement (Copthorne, paragraphe 40); il ne devrait pas être au centre de l’analyse visant à déterminer si l’opération était contraire à l’objet ou à l’esprit des dispositions sur lesquelles elle se fondait.
« Eleanor R. Dawson »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
|
M. Nadon j.c.a. »
|
« Je suis d’accord.
|
Mary J. L. Gleason j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
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ANNEXE 1
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 ch. 1 (5e suppl.)
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ANNEXE 2
[traduction]
P.W. Rentals Ltd. (« PWR ») est une société par actions de l’Alberta.
PWR est une entreprise de location qui exerce ses activités dans les champs pétrolifères; elle fournit aux entreprises exerçant des activités dans les champs pétrolifères des unités de logement transportables, communément appelées roulottes pour emplacements de puits.
Le 1er mars 2003, Perry Wild et Shilo Wild ont chacun fait l’acquisition de 100 actions ordinaires non émises de PWR.
À l’époque en cause, Shilo Wild était la conjointe de Perry Wild.
Le 2 mars 2003, PWR a racheté les 100 actions ordinaires détenues par Shilo Wild, ce qui a fait de Perry Wild l’unique actionnaire de PWR à l’époque en cause.
À compter du 1er janvier 2004, Perry Wild était propriétaire de 110 actions ordinaires de catégorie A de PWR ayant une juste valeur marchande (JVM) de 2 337 500 $, un prix de base rajusté (PBR) de 110 $ et un capital versé (CV) de 110 $.
En vue de protéger les actifs de PWR, Perry et Shilo Wild ont opéré la restructuration décrite ci-dessous.
La société 1245989 Alberta Ltd. (« 1245 ») a été constituée en Alberta le 30 mai 2006 et, à cette date, Perry Wild a fait l’acquisition de 100 actions ordinaires de catégorie A de 1245 pour 100 $.
La société 1251237 Alberta Ltd. (« 1251 ») a été constituée en Alberta le 22 juin 2006 et, à cette date, Shilo Wild a fait l’acquisition de 100 actions ordinaires de catégorie A de 1251 pour 100 $.
Première série de transferts : de Perry Wild et PWR à 1251
Le 1er juin 2007, Wild a transféré 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR à 1251 en échange de 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 conformément à l’article 85 de la Loi, de la façon suivante :
les 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR transférées par Perry Wild avaient une JVM de 348 500 $ et un PBR et un CV de 16,40 $;
les 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 avaient une valeur de rachat de 1 000 $ par action ou 348 500 $;
Perry Wild et 1251 font un choix établissant à 129 000 $ le produit de disposition (PD), pour Perry Wild, des 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR, son PBR des actions privilégiées de catégorie C de 1251 et le PBR pour 1251 des 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR;
Perry Wild a déclaré un gain en capital de 128 984 $ par suite du transfert des 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR et a demandé une exonération des gains en capital du même montant en vertu de l’article 110.6 de la Loi, ce qui a fait en sorte qu’il n’y avait aucun montant d’impôt à payer sur le gain;
le CV des 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 reçues par Perry Wild en contrepartie des 16,4 actions ordinaires de PWR a été réduit à 16,40 $ (le CV des actions de PWR transférées) par l’effet de l’article 84.1 de la Loi.
Le 2 juin 2007, PWR a transféré du matériel de catégorie 8 à 1251 en échange de 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 conformément à l’article 85 de la Loi, de la manière suivante :
le matériel de catégorie 8 transféré par PWR avait une JVM de 348 500 $ et une fraction non amortie du coût en capital de 256 279 $;
les 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 avaient une valeur de rachat de 1 000 $ par action ou 348 500 $;
PWR et 1251 ont fait un choix établissant à 256 279 $ le PD de PWR et le PBR de 1251 relativement au matériel de catégorie 8 transféré;
le PBR et le CV des 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 reçues par PWR étaient tous les deux 256 279 $, soit le montant visé par le choix exercé, par l’effet des paragraphes 85(1) et 85(2.1) de la Loi.
Étant donné que Perry Wild avait fait en sorte que 1251 émette des actions privilégiées de catégorie C en sa faveur lors du roulement des 16,4 actions ordinaires de PWR et qu’elle émette ensuite des actions de la même catégorie en faveur de PWR lors du roulement du matériel de catégorie 8, le CV des actions privilégiées de catégorie C de Perry Wild dans 1251 a été augmenté, passant à 128 148 $, et le CV des 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 reçues par PWR a été réduit pour être établi à ce même montant par l’effet du paragraphe 89(1).
Première série d’opérations compensatrices par les sociétés
Le 3 juin 2007, 1251 a racheté les 348,5 actions privilégiées de catégorie C qui appartenaient à PWR et émis un billet à ordre de 348 500 $ en faveur de PWR.
Le 4 juin 2007, PWR a acheté ou racheté les 16,4 actions ordinaires de catégorie A de PWR qui appartenaient à 1251 et émis un billet à ordre de 348 500 $ en faveur de 1251.
Le 5 juin 2007, PWR et 1251 ont appliqué leurs billets à ordre respectifs de 348 500 $ en compensation l’un de l’autre.
Deuxième série de transferts : de Perry Wild et PWR à 1245
Le 6 juin 2007, Perry Wild a transféré les 93,6 actions ordinaires de catégorie A qu’il détenait encore dans PWR à 1245 en échange de 1 989 actions privilégiées de catégorie E de 1245 conformément à l’article 85 de la Loi, de la manière suivante :
les 93,6 actions ordinaires de catégorie A de PWR transférées par Perry Wild avaient une JVM de 1 989 000 $ et un PBR et CV de 93,60 $;
la valeur de rachat des 1 989 actions privilégiées de catégorie E de 1245 émises en faveur de Perry Wild était de 1 000 $ par action ou 1 989 000 $;
Perry Wild et 1245 ont fait un choix établissant à 621 000 $ le PD des actions de PWR, le PBR des actions privilégiées de catégorie E de 1245 qu’il a reçues et le PBR pour 1245 des 93,6 actions ordinaires de catégorie A de PWR;
Perry Wild a déclaré un gain en capital de 620 906 $ par suite du transfert des 93,6 actions ordinaires de catégorie A de PWR et demandé une exonération des gains en capital en vertu de l’article 110.6 de la Loi, de sorte qu’aucun impôt n’était à payer sur le gain;
le CV des 1 989 actions privilégiées de catégorie E de 1245 reçues par Perry Wild lors du transfert a été réduit pour être établi à 93,60 $ (le CV des actions transférées de PWR) par l’effet de l’article 84.1 de la Loi.
Le 7 juin 2007, PWR a transféré des terrains et des biens amortissables à 1245 en échange de la prise en charge d’un montant de dettes de PWR s’élevant à 613 738 $ et en échange de 1 826,242 actions privilégiées de catégorie E de 1245 conformément à l’article 85 de la Loi, de la manière suivante :
les terrains et les biens amortissables transférés par PWR avaient une JVM de 2 439 980 $ et une fraction non amortie cumulative du coût en capital de 1 509 652 $;
les 1 826,242 actions privilégiées de catégorie E de 1245 avaient une valeur de rachat de 1 000 $ par action ou de 1 826 242 $;
PWR et 1245 ont fait un choix établissant à 1 509 652 $ le PD de PWR et le PBR de 1245 relativement aux terrains et aux biens amortissables;
le PBR et le CV des actions privilégiées de catégorie E de 1245 reçues par PWR en contrepartie des terrains et des biens amortissables de PWR se sont établis à 895 914 $ par l’effet des paragraphes 85(1) et (2.1) de la Loi.
Puisque Perry Wild a fait en sorte que 1245 émette des actions privilégiées de catégorie E en sa faveur et en faveur de PWR, le CV des 1 989 actions privilégiées de catégorie E de Perry Wild dans 1245 a été augmenté, passant à 467 115,62 $, et le CV des 1 826,242 actions privilégiées de catégorie E de 1245 reçues par PWR a été réduit pour être établi à ce même montant par l’application du paragraphe 89(1).
Deuxième série d’opérations compensatrices effectuées par les sociétés
Le 8 juin 2007, 1245 a racheté les 1 826,242 actions privilégiées de catégorie E qui appartenaient à PWR et émis un billet à ordre de 1 826 242 $ en faveur de PWR.
Le 9 juin 2007, PWR a acheté ou racheté 86 des 93,6 actions ordinaires de catégorie A de PWR qui appartenaient à 1245 et émis un billet à ordre de 1 827 500 $ en faveur de 1245.
Le 10 juin 2007, PWR et 1245 ont appliqué leurs billets à ordre respectifs en compensation l’un de l’autre; PWR demeurait redevable à 1245 d’un solde impayé de 1 258 $.
Le 11 juin 2007, Perry Wild a transféré les 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 qu’il avait obtenues, comme il est indiqué au paragraphe 10 ci-dessus, à 1245 en échange de 348,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245, conformément à l’article 85 de la Loi, de la manière suivante :
les 348,5 actions privilégiées de catégorie C transférées par Perry Wild avaient une JVM de 348 500 $, un PBR de 129 000 $ et un CV de 128 148 $;
les actions privilégiées de catégorie E de 1245 reçues par Perry Wild avaient une valeur de rachat de 1 000 $ par action;
Perry Wild et 1245 ont fait un choix établissant à 129 000 $ le PD de Perry Wild et le PBR de 1245 relativement aux 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251;
les 348,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245 reçues par Perry Wild avaient un CV et un PBR de 128 148 $.
Le 12 juin 2007, 1251 a acheté ou racheté les 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251 détenues par 1245 et émis un billet à ordre de 348 500 $ en faveur de 1245.
Le 13 juin 2007, PWR a divisé ses 7,6 actions ordinaires de catégorie A dans une proportion de 13,158 contre 1, de sorte que 1245 devenait propriétaire de 100 actions ordinaires de catégorie A de PWR alors détenues par 1245.
À partir du 13 juin 2007, Perry Wild était propriétaire de 2 337,5 actions privilégiées de catégorie E de 1245 qui avaient une JVM de 2 337 500 $, un PBR de 750 000 $ et un CV de 595 264 $.
Perry Wild n’a fait aucun autre apport en capital à PWR, à 1251 ou à 1245 du 1er janvier 2004 au 13 juin 2007.
Les opérations précédentes constituaient une série d’opérations, laquelle a effectivement entraîné, directement ou indirectement, un avantage fiscal.
Les opérations ci-après étaient des opérations d’évitement selon la définition de ce terme au paragraphe 245(3) de la Loi :
se servant de l’article 85 de la Loi, le 1er juin 2007, Perry Wild a transféré 16,4 actions ordinaires de PWR à 1251 en échange de 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251, comme le décrit le paragraphe 10 ci-dessus;
se servant de l’article 85 de la Loi, le 2 juin 2007, PWR, suivant les directives de Perry Wild, a transféré du matériel de catégorie 8 à 1251 en échange de 348,5 actions privilégiées de catégorie C de 1251, comme le décrivent les paragraphes 11 et 12 ci-dessus.
Les opérations ci-après étaient également des opérations d’évitement selon la définition de ce terme au paragraphe 245(3) de la Loi :
se servant de l’article 85 de la Loi, le 6 juin 2007, Perry Wild a transféré 93,6 actions ordinaires de PWR à 1245 en échange de 1 989 actions privilégiées de catégorie E de 1245, comme le décrit le paragraphe 16 ci-dessus;
se servant de l’article 85 de la Loi, le 7 juin 2007, Perry Wild a transféré des terrains, des biens amortissables et des dettes de PWR à 1245 en échange de 1 826,2420 actions privilégiées de catégorie E de 1245, comme le décrivent les paragraphes 17 et 18 ci-dessus.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-142-17
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INTITULÉ :
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1245989 ALBERTA LTD. c.
LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA
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ET DOSSIER :
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A-141-17
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INTITULÉ :
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PERRY WILD c.
LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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WINNIPEG (MANITOBA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 AVRIL 2018
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE DAWSON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NADON
LA JUGE GLEASON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 8 JUIN 2018
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COMPARUTIONS :
Jeff D. Pniowsky
Samantha Holloway
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POUR LES APPELANTS
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Margaret M. McCabe
Justine Malone
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POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Thompson Dorfman Sweatman LLP
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LES APPELANTS
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureur général du Canada
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POUR L’INTIMÉ
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