Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180413


Dossier : A-91-17

Référence : 2018 CAF 77

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

BAYER CROPSCIENCE LP

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 avril 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20180413


Dossier : A-91-17

Référence : 2018 CAF 77

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

BAYER CROPSCIENCE LP

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie de l’appel de la décision en date du 13 février 2017, publiée sous la référence 2017 CF 178, par laquelle le juge O’Reilly de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante. Cette dernière attaquait dans cette demande une décision de la commissaire aux brevets (la commissaire) rendue le 3 décembre 2015. Plus précisément, le juge a conclu que la commissaire n’a pas commis d’erreur en refusant d’inscrire le 3 avril 2012, au lieu du 19 avril 2012, comme date de la revendication de la demande de brevet canadien n2,907,271 (la demande no 271).

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

II.  Le Traité de coopération en matière de brevets

[3]  Avant d’examiner les faits, il convient d’entrée de jeu de dire quelques mots au sujet du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) du 19 juin 1970 afin d’expliquer et de replacer dans leur contexte les événements qui ont mené à la décision de la commissaire.

[4]  En vertu du PCT, traité multilatéral établissant un système de coopération internationale, les brevetés sont autorisés à entreprendre des procédures de protection de brevet dans plus d’un pays en déposant une demande internationale (demande PCT).

[5]  Une fois qu’un breveté a déposé une demande PCT, il peut choisir les pays signataires dans lesquels il souhaite demander une protection de brevet. Le processus PCT comporte deux étapes. La première est la demande PCT, et la deuxième, la demande à la phase nationale. Il convient de souligner que la demande PCT ne mène pas à la délivrance d’un brevet. Cette responsabilité appartient à chacun des pays signataires où le breveté dépose une demande nationale.

[6]  Le dépôt d’une demande PCT équivaut au dépôt d’une demande dans un pays signataire du PCT. Autrement dit, comme nous le verrons sous peu, la date de dépôt d’une demande PCT est réputée être la date de dépôt d’une demande à la phase nationale à l’égard des pays dans lesquels le breveté dépose une demande de brevet.

[7]  Si un breveté dépose une demande au Canada, il doit satisfaire aux exigences de la Loi sur les brevets (la Loi), L.R.C. 1985 ch. P‑4, et des Règles sur les brevets (les Règles), DORS/96‑423, pour obtenir un brevet. Il convient de souligner qu’en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi, les dispositions des Règles ont la même force et le même effet que les dispositions de la Loi.

[8]  La date de dépôt d’une demande de brevet au Canada est la date à laquelle le commissaire reçoit la demande de brevet, y compris tous les documents et renseignements requis par la Loi et les Règles ainsi que les taxes prévues par la législation. Cependant, lorsque la demande à la phase nationale au Canada est déposée conformément au PCT, la date de dépôt au Canada est, comme je l’ai déjà indiqué, la date de dépôt de la demande PCT et non la date de dépôt réelle.

[9]  Avant d’examiner les faits, je devrais également mentionner que, conformément aux alinéas 28.1(1)b) et c) de la Loi, la date de la revendication d’une demande de brevet canadien est la date du dépôt de celle‑ci, sauf si la demande est déposée dans les douze mois de la date de dépôt de la « demande déposée antérieurement  » de façon régulière (la demande antérieure) et le demandeur a présenté une demande de priorité fondée sur la demande antérieure.

[10]  La date de la revendication est aussi appelée « date de priorité » dans la décision de la Cour fédérale, alors que les documents de l’Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI) utilisent le terme « revendication de priorité ». L’alinéa 28.1(1)c) de la Loi exige que le demandeur de brevet présente une demande de priorité sur le fondement d’une demande antérieurement déposée plutôt que d’une date. Selon le paragraphe 28.1(2) de la Loi, la « date de la revendication » est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée.

III.  Les faits

[11]  J’examinerai maintenant les faits pertinents à l’égard desquels les parties s’entendent pour l’essentiel.

[12]  L’appelante Bayer Cropscience LP (Bayer) a présenté aux États‑Unis la demande de brevet no 61/619,691 (la demande américaine no 691) le 3 avril 2012 auprès du United States Patent and Trademark Office (USPTO). À ce moment, l’USPTO a demandé à Bayer de fournir certains diagrammes pour qu’il puisse attribuer une date de dépôt à cette demande. Bayer a déposé les diagrammes demandés auprès de l’USPTO le 19 avril 2012, et l’USPTO a inscrit le 19 avril 2012 comme date de dépôt de la demande américaine no 691.

[13]  Le 15 mars 2013, Bayer a déposé auprès du Bureau international de l’OMPI la demande de brevet PCT/US2013/031888 (la demande PCT no 888), dans laquelle elle revendiquait une priorité au titre de la demande américaine no 691. Plus précisément, Bayer a indiqué dans les documents déposés à l’appui de la demande PCT no 888, sous le titre [traduction« REVENDICATION DE PRIORITÉ ET DOCUMENT », que la date de dépôt de la demande américaine no 691 était le 3 avril 2012 (dossier d’appel, volume I, page 151).

[14]  Le 26 avril 2013, l’OMPI a envoyé à Bayer une [traduction] « invitation à corriger la revendication de priorité » en raison de [traduction] « la non‑correspondance avec la date de dépôt de la demande antérieure ». Plus précisément, l’OMPI a porté à l’attention de Bayer que sa demande visant à faire inscrire le 3 avril 2012 comme date de priorité était incompatible avec la date de dépôt de la demande américaine no 691, à savoir le 19 avril 2012 (dossier d’appel, volume 1, pages 154 et 155).

[15]  Le 12 mai 2013, Bayer a répondu à l’invitation de l’OMPI à corriger la demande en demandant que la date de priorité soit corrigée de façon à indiquer le 19 avril 2012.

[16]  Le 16 mai 2013, l’OMPI a informé Bayer que sa revendication de priorité fondée sur la demande américaine no 691 avait été corrigée pour indiquer le 19 avril 2012.

[17]  Le 16 février 2015, Bayer a demandé à l’USPTO d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de dépôt de la demande américaine no 691 au motif qu’il avait erronément demandé certains diagrammes en avril 2012. Le 14 avril 2015, l’USPTO, reconnaissant son erreur, a modifié la date de dépôt de la demande américaine no 691. Il a ainsi remplacé le 19 avril 2012 par le 3 avril 2012.

[18]  Au moyen d’une pétition datée du 26 juin 2015 envoyée à l’USPTO, agissant en qualité d’administrateur juridique du PCT, Bayer a cherché à faire corriger la date de la revendication de priorité de sa demande PCT no 888 – pour faire inscrire le 3 avril 2012 plutôt que le 19 avril 2012 – pour qu’elle corresponde à la date de la demande américaine no 691. Le 27 juillet 2015, l’USPTO a refusé de modifier la date de priorité de la demande PCT no 888. Par conséquent, la date de priorité de la demande PCT no 888 est demeurée le 19 avril 2012. La partie pertinente de la décision de l’USPTO est ainsi rédigée :

[traduction] Cependant, la correction d’une revendication de priorité dans une demande PCT est régie par la règle 26bis du PCT. La pétition présentée en vertu de l’article 37 CRF 1.182 vise les questions qui ne sont pas expressément prévues. La règle 26bis.1(a) du PCT établit une période de seize mois à compter de la date de la priorité pour la correction ou l’adjonction de revendications de priorité. Ce délai est expiré. La règle 26bis du PCT ne prévoit aucune taxe pour les demandes de correction des revendications de priorité. Toute taxe perçue pour la pétition relative à cette demande sera remboursée. [Non souligné dans l’original.]

(Dossier d’appel, volume 1, page 199)

[19]  Au moyen d’une lettre et demande en date du 7 août 2015, Bayer a demandé l’entrée de la demande PCT no 888 dans la phase nationale au Canada et a demandé une date de revendication fondée sur la demande américaine no 691. Dans une lettre distincte, également datée du 7 août 2015, dans laquelle elle expliquait au commissaire les difficultés éprouvées pour le dépôt de la demande américaine no 691, Bayer a demandé à la commissaire d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication de sa demande à la phase nationale au Canada. Le 12 août 2015, on a attribué à la demande canadienne de Bayer le numéro 2,907,271 (la demande no 271).

[20]  Il convient de souligner que la demande PCT no 888 de Bayer est initialement entrée dans la phase nationale au Canada le 16 octobre 2014, et qu’on a attribué à cette demande le numéro de demande de brevet canadien 2,870, 724 (la demande no 724). Selon les registres de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC), dans la demande no 724, Bayer indiquait comme date de la revendication le 19 avril 2012 conformément à la demande américaine no 691. Le 4 août 2015, Bayer a demandé le retrait de sa demande no 724.

[21]  Le 3 décembre 2015, la commissaire a refusé d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication de la demande no 271. Voici la partie pertinente de la lettre qu’elle a adressée à Bayer :

[traduction]

La présente fait suite à votre lettre du 7 août 2015 dans laquelle vous nous demandez, conformément à l’article 88 des Règles sur les brevets, d’inscrire comme date de priorité le 3 avril 2012 plutôt que le 19 avril 2012.

L’Office a examiné votre dossier et n’est pas en mesure, en vertu de l’article 88 des Règles sur les brevets, de reconnaître la date de priorité du 3 avril 2012.

Selon l’alinéa 88(1)b) des Règles sur les brevets, pour demander une priorité, la demande doit être présentée « dans les seize mois suivant la date du dépôt de cette demande de brevet ». Cette demande, la demande américaine n61/619,91, a été déposée le 19 avril 2012 et l’expiration de la période de seize mois était le 19 août 2014. En conséquence, au moment de l’entrée dans la phase nationale au Canada le 7 août 2015, il était trop tard pour enregistrer le 3 avril 2012 comme date de priorité aux É.‑U.

L’Office enregistrera comme date de priorité celle qui est prévue dans la demande internationale, à savoir le 19 avril 2012.

(Dossier d’appel, volume 1, page 263)

[22]  En raison de la décision de la commissaire, Bayer a introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Comme je l’ai déjà indiqué, cette demande a été rejetée par le juge de première instance le 13 février 2017.

IV.  Décision de la Cour fédérale

[23]  Après avoir rappelé la chronologie des événements ayant mené à la décision de la commissaire, le juge s’est penché sur la question de savoir si la décision de la commissaire était correcte, puisque Bayer avait fait valoir que la commissaire avait mal appliqué l’article 88 des Règles et qu’elle avait omis de veiller à ce que les registres de l’OPIC ne contiennent aucune erreur.

[24]  Le juge a commencé par la première prétention de Bayer. À son avis, la commissaire avait correctement interprété les Règles en concluant que la demande de Bayer visant à faire inscrire le 3 avril 2012 comme date de priorité de la demande no 271 avait été présentée après l’expiration du délai prévu par les Règles.

[25]  Le juge a commencé par expliquer les répercussions de l’article 28.1 de la Loi sur la date de dépôt d’une demande de brevet canadien. Il a déclaré que cette date était la date de dépôt réelle, sauf si, conformément aux alinéas 28.1b) et c) de la Loi, le breveté avait déposé une demande de brevet ailleurs, avait demandé une priorité en fonction de cette demande antérieure et que sa demande de brevet canadien avait été déposée dans les douze mois suivant la date de dépôt de la demande antérieure.

[26]  Le juge a ensuite souligné qu’en vertu de l’alinéa 28.1(1)c), la demande de priorité du breveté devait avoir été déposée, conformément à l’alinéa 88(1)b) des Règles, dans les seize mois suivant la date du dépôt de la demande antérieure. En outre, le juge a expliqué que lorsque, comme en l’espèce, une demande PCT avait été déposée, le demandeur pouvait demander une date de dépôt antérieure fondée sur une demande antérieure, à savoir la demande américaine no 691 dans la présente affaire.

[27]  Le juge a aussi expliqué que la date de dépôt canadienne était réputée correspondre à la date de dépôt d’une demande PCT lorsque le brevet entrait dans la phase nationale au Canada. En conséquence, à son avis, la date de dépôt de la demande no 271 était le 15 mars 2013. Étant donné que cette date était comprise dans le délai de douze mois suivant la date de dépôt de la demande américaine no 691, qu’il s’agisse du 3 avril 2012 ou du 19 avril 2012, Bayer avait droit à la date de revendication de la demande américaine no 691. Selon le juge, la seule question en litige consistait à savoir si Bayer avait droit à la date du 3 avril 2012 ou à celle du 19 avril 2012 comme date de priorité.

[28]  Premièrement, il a indiqué que la date de dépôt de la demande américaine no 691, au moment du dépôt de la demande PCT no 888, était le 19 avril 2012. En conséquence, en date du 15 mars 2013, la date du 19 avril 2012 était la date de dépôt enregistrée par l’USPTO.

[29]  Deuxièmement, le juge a renvoyé à la lettre du 7 août 2015, dans laquelle Bayer demandait à la commissaire d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de priorité pour la demande no 271, et à la réponse dans laquelle la commissaire expliquait que la demande de Bayer était hors délai. Elle ne pouvait donc pas être examinée, car la demande n’avait pas été déposée à l’intérieur du délai prescrit de seize mois à compter de la date de dépôt de la demande américaine no 691.

[30]  En examinant l’argument de Bayer selon lequel l’approche de la commissaire était erronée, car elle aurait dû considérer que la demande de Bayer visant la reconnaissance du 3 avril 2012 comme date de priorité aux États‑Unis, avait été déposée le 15 mars 2013, soit au moment où Bayer a déposé la demande PCT no 888, le juge a indiqué clairement qu’il ne pouvait souscrire à ce point de vue.

[31]  À son avis, même si Bayer avait initialement demandé le 3 avril 2012 comme date de priorité pour sa demande PCT no 888, elle avait ensuite « concédé que la bonne date était le 19 avril 2012 » (motifs du juge, paragraphe 14). En conséquence, selon le juge, lorsque Bayer a déposé le 15 mars 2013 sa demande pour la date du 3 avril 2012, cette demande n’avait aucun fondement juridique puisque la demande américaine no 691 n’a été corrigée que le 14 avril 2015.

[32]  Le juge a également fait remarquer que la date de dépôt de la demande PCT no 888 n’avait jamais été « corrigée » (motifs du juge, paragraphe 14).

[33]  De plus, le juge a acquiescé au point de vue de la commissaire selon lequel, conformément à l’alinéa 88(1)b) des Règles, toute demande de priorité devait être déposée dans les seize mois suivant la date du dépôt de la demande antérieure à l’égard de laquelle la priorité était demandée. Par conséquent, étant donné que la demande de Bayer devait être présentée au plus tard le 19 août 2013, le juge était convaincu que la demande de Bayer déposée le 7 août 2015 était hors délai.

[34]  Le juge a ensuite examiné la deuxième prétention de Bayer, selon laquelle la commissaire avait une obligation de corriger les registres de l’OPIC en cas d’erreur. Selon le juge, cette prétention était dénuée de fondement, car il était convaincu que les registres de l’OPIC, relativement à la demande no 271 de Bayer, n’étaient pas « inexacts » (motifs du juge, paragraphe 16).

[35]  Plus précisément, le juge était d’avis que la date du 19 avril 2012 était la date de dépôt de la demande américaine no 691 avant qu’elle ne soit corrigée par l’USPTO le 14 avril 2015. En conséquence, le juge a conclu que la commissaire avait correctement jugé que la demande de Bayer pour que le 3 avril 2012 soit considéré comme la date de priorité avait été présentée hors délai et que la commissaire n’avait aucune obligation de modifier les registres de l’OPIC pour tenir compte de la date du 3 avril 2012.

V.  Les dispositions législatives

[36]  Les paragraphes 4(1) et (2), les alinéas 28.1(1)a), b), c), le paragraphe 28.1(2) et le paragraphe 28.4(2) de la Loi, que je reproduis ci‑après, sont pertinents :

4 (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un commissaire aux brevets. Sous la direction du ministre, celui‑ci exerce les pouvoirs et fonctions qui lui sont attribués en conformité avec la présente loi.

4 (1) The Governor in Council may appoint a Commissioner of Patents who shall, under the direction of the Minister, exercise the powers and perform the duties conferred and imposed on that officer by or pursuant to this Act.

4 (2) Le commissaire reçoit les demandes, taxes, pièces écrites, documents et modèles pour brevets, fait et exécute tous les actes et choses nécessaires pour la concession et la délivrance des brevets; il assure la direction et la garde des livres, archives, pièces écrites, modèles, machines et autres choses appartenant au Bureau des brevets, et, pour l’application de la présente loi, est revêtu de tous les pouvoirs conférés ou qui peuvent être conférés par la Loi sur les enquêtes à un commissaire nommé en vertu de la partie II de cette loi.

4 (2) The Commissioner shall receive all applications, fees, papers, documents and models for patents, shall perform and do all acts and things requisite for the granting and issuing of patents of invention, shall have the charge and custody of the books, records, papers, models, machines and other things belonging to the Patent Office and shall have, for the purposes of this Act, all the powers that are or may be given by the Inquiries Act to a commissioner appointed under Part II of that Act.

28.1 (1) La date de la revendication d’une demande de brevet est la date de dépôt de celle‑ci, sauf si :

28.1 (1) The date of a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) is the filing date of the application, unless

a) la demande est déposée, selon le cas :

(a) the pending application is filed by

(i) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication,

(i) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

(ii) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication, dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relative aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada;

(ii) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim;

b) elle est déposée dans les douze mois de la date de dépôt de la demande déposée antérieurement;

(b) the filing date of the pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application; and

c) le demandeur a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(c) the applicant has made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

28.1(2) Dans le cas où les alinéas (1)a) à c) s’appliquent, la date de la revendication est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée de façon régulière.

28.1(2) In the circumstances described in paragraphs (1)(a) to (c), the claim date is the filing date of the previously regularly filed application.

28.4(2) Le demandeur la présente selon les modalités réglementaires; il doit aussi informer le commissaire du nom du pays ou du bureau où a été déposée toute demande de brevet sur laquelle la demande de priorité est fondée, ainsi que de la date de dépôt et du numéro de cette demande de brevet.

28.4(2) The request for priority must be made in accordance with the regulations and the applicant must inform the Commissioner of the filing date, country or office of filing and number of each previously regularly filed application on which the request is based.

[37]  Les alinéas 59.2(1) a), b), les paragraphes 64(1) et (2), et les alinéas 88(1)a) et b) des Règles sont eux aussi pertinents et je les reproduis donc également :

59.2 (1) Il est entendu que, dans le cas d’une demande internationale qui est devenue une demande PCT à la phase nationale, pour l’application de la Loi et des présentes règles :

59.2 (1) For greater certainty, in respect of an international application that has become a PCT national phase application, for the purposes of the Act and these Rules,

a) les renseignements ou les avis inclus dans la demande internationale telle qu’elle est déposée sont réputés avoir été reçus par le commissaire à la date de dépôt accordée à la demande par un office récepteur en conformité avec l’article 11 du Traité de coopération en matière de brevets;

(a) information or notices included in the international application as filed shall be considered to have been received by the Commissioner on the filing date accorded to the application by a receiving Office pursuant to Article 11 of the Patent Cooperation Treaty; and

b) les renseignements ou les avis fournis en conformité avec les exigences du Traité de coopération en matière de brevets avant que la demande ne devienne une demande PCT à la phase nationale sont réputés avoir été reçus par le commissaire à la date à laquelle ils ont été fournis.

(b) information or notices furnished in accordance with the requirements of the Patent Cooperation Treaty before the application has become a PCT national phase application shall be considered to have been received by the Commissioner on the date that they were so furnished.

64 (1) L’article 28 de la Loi ne s’applique pas aux demandes PCT à la phase nationale.

64 (1) Section 28 of the Act does not apply to a PCT national phase application.

64 (2) La date de dépôt de la demande PCT à la phase nationale est réputée être la date accordée par l’office récepteur en conformité avec l’article 11 du Traité de coopération en matière de brevets.

64 (2) The filing date of a PCT national phase application shall be considered to be the date accorded by a receiving Office pursuant to Article 11 of the Patent Cooperation Treaty.

88 (1) Pour l’application du paragraphe 28.4(2) de la Loi :

88 (1) For the purposes of subsection 28.4(2) of the Act,

a) la demande de priorité peut être incluse dans la pétition ou dans un document distinct;

(a) a request for priority may be made in the petition or in a separate document;

b) lorsque la demande de priorité est fondée sur une seule demande de brevet antérieurement déposée de façon régulière, le demandeur la présente et communique au commissaire la date du dépôt, le nom du pays du dépôt et le numéro de la demande de brevet antérieurement déposée de façon régulière, dans les seize mois suivant la date du dépôt de cette demande de brevet;

(b) where a request for priority is based on one previously regularly filed application, the request must be made, and the applicant must inform the Commissioner of the filing date, country of filing and application number of the previously regularly filed application, before the expiry of the sixteen-month period after the date of filing of that application; and

VI.  Les questions en litige

[38]  Le présent appel soulève les questions suivantes :

  1. Le juge a‑t‑il erré en concluant que la commissaire n’a commis aucune erreur en refusant d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication pour la demande no 271?

  2. Le juge a‑t‑il erré en concluant que la commissaire n’avait aucune obligation d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication pour la demande no 271? Autrement dit, le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que la commissaire n’avait aucune obligation légale de modifier ou de corriger la date de la revendication après l’expiration du délai de prescription?

[39]  Avant d’examiner ces questions, je devrais présenter les arguments avancés par Bayer pour appuyer sa thèse selon laquelle nous devrions accueillir son appel.

[40]  Bayer commence en affirmant que le juge a mal interprété l’article 88 des Règles. Dans un premier temps, elle fait valoir qu’il est manifeste que sa demande PCT no 888, et par conséquent sa demande no 271, était pleinement conforme au paragraphe 88(1) des Règles et justifie donc que le 3 avril 2012 soit considéré comme la date de priorité.

[41]  À l’appui de cet argument, Bayer signale le fait que, dans sa demande PCT no 888, elle revendiqué une priorité sur le fondement de la date de dépôt de la demande américaine no 691, qu’elle a indiqué la date de la revendication – le 3 avril 2012 –, le nom du pays où la demande a été déposée – les États‑Unis –, et le numéro de sa demande américaine de brevet et, enfin, que sa demande de priorité fondée sur la demande PCT no 888, ayant été déposée le 15 mars 2013, avait clairement été déposée dans la période de seize mois au cours de laquelle la demande pouvait être déposée.

[42]  Par conséquent, puisque selon le paragraphe 59.2(1) des Règles les renseignements susmentionnés sont réputés avoir été reçus par la commissaire le 15 mars 2013, Bayer affirme que la date du 3 avril 2012 était clairement celle qu’elle voulait qui soit retenue pour sa demande no 271.

[43]  Ensuite, Bayer traite de la conclusion tirée par le juge au paragraphe 11 de ses motifs selon laquelle, en date du 15 mars 2013, la date de dépôt de la demande américaine no 691 était le 19 avril 2013 et qu’en l’absence d’une demande spécifique en vue qu’une date de priorité différente soit retenue, il convient de considérer que le 19 avril 2012 est la date de priorité pour la demande de brevet canadien no 271.

[44]  Bayer affirme que le juge a eu tort de parvenir à cette conclusion. Elle fait valoir qu’elle a bel et bien présenté une demande en ce sens, pour que soit retenu le 3 avril 2012 – date correcte du dépôt de la demande américaine no 691.

[45]  Bayer poursuit en affirmant que lorsque la demande PCT no 888 est entrée dans la phase nationale au Canada, à savoir le 7 août 2015, au moyen de la demande no 271, elle a demandé à la commissaire d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication pour sa demande no 271, cette date étant la date correcte du dépôt de la demande américaine no 691.

[46]  En réponse à l’opinion du juge selon laquelle, en présentant sa demande du 7 août 2015, elle demandait à la commissaire de modifier la date de la revendication, Bayer soutient qu’elle ne demandait aucune modification de la date de la revendication, mais plutôt l’inscription de la date correcte du dépôt de la demande américaine no 691.

[47]  Bayer conteste également la conclusion du juge, au paragraphe 14 de ses motifs, selon laquelle lorsqu’elle a demandé que le 3 avril soit la date de la revendication, sa demande était dénuée de fondement. Bayer est d’avis qu’elle était manifestement fondée à demander le 15 mars 2013 que le 3 avril 2012 soit inscrit comme date de la revendication, car nul ne conteste qu’elle a effectivement déposé la demande américaine no 691 le 3 avril 2012. Tout en reconnaissant qu’on avait incorrectement attribué la date du 19 avril 2012 à la demande américaine no 691, cette erreur, selon Bayer, a été par la suite reconnue et corrigée par l’USPTO lorsque, le 14 avril 2015, cet organisme a modifié la date du dépôt de la demande américaine no 691, qui est passée du 19 avril 2012 au 3 avril 2012.

[48]  Bayer conteste ensuite la conclusion du juge, également au paragraphe 14 de ses motifs, voulant que Bayer ait concédé que le 19 avril était la date correcte du dépôt de la demande américaine no 691. Bayer affirme que la date a été changée du 3 avril 2012 au 19 avril 2012 à la demande de l’OMPI.

[49]  Bayer n’est pas d’accord avec la conclusion du juge, énoncée également au paragraphe 14 de ses motifs, voulant que la date de dépôt de la demande PCT no 888 n’ait jamais été « corrigée ». À son avis, le fait que la demande PCT no 888 n’a jamais été corrigée est une considération non pertinente, puisque la décision concernant la demande no 271 doit être prise en application de la Loi et des Règles, et non en vertu du PCT ou du Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets. Bayer soutient que, le 15 mars 2013, les exigences de la Loi comme des Règles étaient remplies lorsqu’elle a déposé la demande PCT no 888.

[50]  En ce qui concerne la question de savoir si la commissaire avait une obligation de « corriger » les registres de l’OPIC, Bayer affirme qu’en plus d’avoir commis une erreur en refusant d’inscrire la bonne date de la revendication, soit le 3 avril 2012, la commissaire a commis une deuxième erreur en refusant de corriger la date de la revendication pour la demande no 271 après qu’elle lui a demandé de le faire. À l’appui, Bayer invoque la décision de la Cour fédérale Procter & Gamble Company c. Commissaire aux brevets, 2006 CF 976, [2007] 2 R.C.F. 542 [Procter & Gamble] dans laquelle la Cour, au paragraphe 25, a déclaré que le commissaire avait une obligation de tenir des registres exacts concernant l’octroi et la délivrance de brevets.

[51]  Bayer soutient que, conformément au paragraphe 4(2) de la Loi, la commissaire était tenue de corriger la date du 19 avril 2012 parce qu’elle était inexacte. Bayer cherche à étayer sa thèse en signalant que la commissaire a attribué à la demande no 271 une date de revendication qu’elle affirme être inexistante, car la demande américaine no 691 n’a pas été déposée le 19 avril 2012. En conséquence, les registres tenus par la commissaire seront incompatibles avec ceux de l’USPTO. En effet, cet organisme a retenu le 3 avril 2012 comme date de la revendication pour sa demande de brevet aux États‑Unis no 14/391,972 (la demande américaine no 972) – cette demande étant la demande PCT no 888 à la phase nationale aux États‑Unis –, conformément à la demande américaine no 691.

VII.  Analyse

[52]  Avant d’examiner la première question, il est nécessaire de dire quelques mots sur la norme de contrôle.

[53]  Le rôle de notre Cour, lorsqu’elle instruit un appel d’une décision de la Cour fédérale, dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, est de vérifier si la cour d’instance inférieure a choisi la bonne norme de contrôle et si cette norme a été appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [2013] 2 R.C.S. 559) [Agraira]. Ce faisant, notre Cour se « met[tra] à la place » de la cour de révision et se concentrera sur la décision faisant l’objet du contrôle (Agraira, paragraphe 46).

[54]  Les parties conviennent que la norme de contrôle qui devrait s’appliquer à la décision de la commissaire est celle de la décision correcte et qu’il s’agit de la norme appliquée par le juge. Je ne vois aucune raison d’être en désaccord avec les parties ou le point de vue du juge sur cette question.

A.  Première question : le juge a-t-il erré en concluant que la commissaire n’a commis aucune erreur en refusant d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication pour la demande no 271?

[55]  Par la première question, on cherche à savoir quelle était la date correcte de la revendication pour la demande no 271. Je devrais peut‑être expliquer, en citant le mémoire des faits et du droit de Bayer, pourquoi Bayer se bat si fort pour ce qui équivaut à seulement seize jours. Aux paragraphes 33 et 34 de son mémoire, Bayer présente l’explication suivante :

[traduction]

33. Au Canada, l’effet d’une revendication de priorité est d’établir la « date de la revendication » de certaines revendications d’un brevet ou d’une demande à la même date que la date de dépôt de la demande de priorité, par opposition à la date de dépôt de la demande canadienne.

34. La date de la revendication d’une demande de brevet ou d’un brevet revêt une importance particulière pour l’évaluation de la nouveauté et de l’évidence, deux des conditions principales de la brevetabilité. La date de la revendication établit notamment la date limite pour les divulgations par des tiers (c.‑à‑d. des parties autres que le demandeur ou des personnes qui ont obtenu des connaissances directement ou indirectement auprès du demandeur), qui peuvent être considérés afin d’apprécier la nouveauté ou l’évidence au regard d’un brevet ou d’une demande. La date de la revendication établit également si une demande de brevet ou un brevet peut être examiné pour l’évaluation de la nouveauté des brevets ou des demandes de tiers dont les dates de revendication sont ultérieures.

[56]  En vertu du paragraphe 64(2) des Règles, la date de dépôt de la demande no 271 est la date de dépôt de la demande PCT no 888, à savoir le 15 mars 2013. En outre, en raison des alinéas 59.2(1)a) et b) des Règles, tous les renseignements ou avis fournis par Bayer lorsqu’elle a déposé la demande PCT no 888 sont réputés avoir été reçus par la commissaire au Canada le 15 mars 2013, dans le cadre de la demande no 271.

[57]  En ce qui concerne la date de la revendication de la demande no 271, elle est assujettie aux dispositions de l’article 28.1 de la Loi. Dans la présente affaire, comme le juge l’a conclu, il ne fait aucun doute que Bayer satisfait aux exigences de l’alinéa 28.1(1)b), en ce sens que la date de dépôt de la demande no 271, en raison de la demande PCT no 888, est comprise dans la période de 12 mois suivant le dépôt de la demande américaine no 691, que cette date soit le 3 avril 2012 ou le 19 avril 2012. En outre, il ne fait aucun doute non plus que Bayer satisfait aux exigences de l’alinéa 28.1(1)c), selon lequel elle devait présenter une demande de priorité fondée une demande antérieure. Le juge a conclu, et il avait raison de le faire, que, le 15 mars 2013, lorsqu’elle a déposé sa demande PCT no 888, Bayer a demandé une priorité sur le fondement de la demande américaine no 691.

[58]  Le paragraphe 28.4(2) de la Loi exige que le demandeur de brevet, lorsqu’il présente une demande visant une date de revendication antérieure, fournisse les renseignements suivants au commissaire : la date du dépôt de la demande antérieure, le pays où la demande antérieure a été déposée et le numéro de cette demande. Le paragraphe 28.4(2) de la Loi incorpore également le paragraphe 88(1) des Règles, qui prévoit qu’un demandeur doit fournir au commissaire les renseignements requis en vertu du paragraphe 28.4(2) « dans les seize mois suivant la date du dépôt de [la] demande de brevet [antérieure] ».

[59]  Étant donné que la demande de Bayer a été présentée à l’intérieur du délai, les exigences de l’article 88 ont été respectées. Cela signifie que la demande de Bayer est conforme aux Règles et répond aux exigences de l’article 28.4 de la Loi. En conséquence, comme le prévoit le paragraphe 28.1(2), « la date de la revendication est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée de façon régulière ». La question est alors de savoir à quel moment la commissaire doit examiner la demande antérieure pour déterminer la date de dépôt?

[60]  Aux paragraphes [41] à [53] des présents motifs, j’ai exposé les arguments avancés par Bayer pour expliquer pourquoi notre Cour devrait intervenir. Je n’ai donc pas besoin de les répéter, autrement que pour dire que l’essentiel de l’argumentation de Bayer est qu’elle a présenté, le 15 mars 2013, une demande revendiquant une priorité fondée sur la demande américaine no 691 et a indiqué dans cette demande que la date de dépôt de ladite demande américaine était le 3 avril 2012. En raison de cette demande, Bayer fait valoir que la date de la revendication de la demande no 271 devrait être le 3 avril 2012. À mon avis, la réalité factuelle du dossier n’appuie pas la prétention de Bayer.

[61]  Pour déterminer la date correcte de la revendication, le facteur déterminant est la date de dépôt de la demande antérieure, et non la date indiquée dans la demande.

[62]  Lorsque Bayer a déposé sa demande PCT no 888 le 15 mars 2013, elle a demandé le 3 avril 2012 comme date de la revendication de sa demande, en s’appuyant sur le dépôt de la demande américaine no 691. Cependant, la date du 3 avril 2012 posait problème, et ce problème a été soulevé par l’OMPI lorsque, le 26 avril 2013, cette organisation a invité Bayer à corriger sa date de priorité, parce que le 19 avril 2012, et non le 3 avril 2012, était la date de dépôt de la demande américaine no 691 à ce moment.

[63]  En réponse à l’invitation de l’OMPI, Bayer a informé l’OMPI en date du 16 mai 2013 que la date de dépôt de sa demande américaine no 691 était le 19 avril 2012. Autrement dit, Bayer a reconnu que le 3 avril 2012 n’était pas à la date de dépôt de la demande américaine no 691. En date du 16 mai 2013, il est difficile, si l’on se fonde sur les registres de l’USPTO, de voir comment Bayer pourrait soutenir que le 3 avril 2012 était la date de la revendication.

[64]  En vertu de l’alinéa 59.2(1)b) des Règles, les renseignements contenus dans la réponse de Bayer à l’OMPI sont ceux qui sont réputés avoir été reçus par la commissaire à la date à laquelle ils ont été fournis, à savoir le 16 mai 2013. En conséquence, à cette date, la commissaire était réputée avoir été informée par Bayer que la date de la revendication de la demande no 271 était le 19 avril 2012.

[65]  Bayer a réussi à faire l’USPTO corriger la demande américaine no 691 le 14 avril 2015 pour qu’elle indique comme date de dépôt le 3 avril 2012. Cependant, aucun changement n’a été apporté à la demande américaine no 691 entre le 16 mai 2013 et le 14 avril 2015. En conséquence, j’estime en toute déférence qu’à l’expiration du délai de seize mois prévu pour les revendications de priorité liées à la demande no 271, soit le 3 ou le 19 août 2013, il ne pourrait y avoir aucun doute que la date de dépôt de la demande américaine no 691 était le 19 avril 2012.

[66]  Bayer peut donc uniquement avoir gain de cause si, aux fins du paragraphe 28.1(2) de la Loi, il est loisible à la commissaire d’apprécier la date de dépôt de la demande américaine no 691 après l’expiration de la période de seize mois, le 19 août 2013. Or, à mon avis, elle n’avait pas ce pouvoir.

[67]  Il n’y a qu’une seule méthode d’interprétation législative : la méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée, énoncée au paragraphe 10 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601. Dans l’arrêt Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2017] 2 R.C.S. 289, au paragraphe 23, la Cour suprême a réitéré le principe comme suit :

Le principe moderne d’interprétation législative veut qu’il [traduction] « faille lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).

[68]  Le libellé du paragraphe 28.1(2) de la Loi ne prévoit aucune instruction quant au moment précis où le dossier doit être lu aux fins de la décision concernant la date de dépôt de la demande antérieure. Le contexte et l’objet sont plus utiles. Selon le paragraphe 28.1(2), lu conjointement avec le paragraphe 28.4(2) de la Loi et l’alinéa 88(1)b) des Règles, cet avantage est offert à un demandeur s’il est demandé dans les seize mois de la demande antérieure. En conséquence, je suis d’avis que la commissaire, en traitant la demande de priorité de Bayer fondée sur la demande américaine no 691, doit évaluer le dossier tel qu’il existait jusqu’à seize mois à compter de la date de dépôt de la demande antérieure, à savoir jusqu’au 19 août 2013.

[69]  Selon cette interprétation, la réponse doit nécessairement être que la date de la revendication de la demande no 271 est le 19 avril 2012. La date de dépôt de la demande américaine no 691 n’a pas changé avant l’expiration du délai de prescription. Ce n’est qu’après cette expiration du délai de prescription de seize mois que les registres de l’USPTO ont été modifiés pour indiquer le 3 avril 2012 comme date de dépôt. Pour parvenir à une autre conclusion, il faut complètement faire abstraction du délai de prescription établi par le législateur.

[70]  Comme les intimés le soulignent, tant dans leurs observations écrites que dans leurs observations orales, Bayer a été informée du problème que posait la date de dépôt de la demande américaine no 691 lorsque, le 26 avril 2013, l’OMPI a soulevé la question auprès de Bayer en lui envoyant l’invitation à corriger la date de dépôt. En réponse à l’invitation de l’OMPI à apporter une correction, Bayer n’a ni insisté pour conserver le 3 avril 2012 comme date de dépôt ni n’en a fait la demande, mais, au contraire, a informé l’OMPI le 16 mai 2013 qu’elle acceptait, comme date de dépôt de la demande américaine no 691, la date du 19 avril 2012.

[71]  Comme je l’ai déjà mentionné, Bayer a pris des mesures pour corriger la date de dépôt de la demande américaine no 691 le 14 avril 2015, à savoir trois ans après le dépôt de la demande américaine no 691. Comme je l’ai aussi déjà dit, l’entrée dans la phase nationale au Canada de la demande PCT no 888 de Bayer a eu lieu en octobre 2014 et Bayer a alors indiqué le 19 avril 2012 comme date de la revendication de sa demande canadienne.

[72]  Par conséquent, le dossier n’appuie tout simplement pas l’argument voulant que la date de dépôt de la demande américaine no 691 soit le 3 avril 2012 aux fins de l’application du paragraphe 28.1(2) de la Loi à la décision concernant la date de la revendication de la demande no 271.

B.  Deuxième question en litige : le juge a-t-il erré en concluant que la commissaire n’avait aucune obligation légale de modifier ou de corriger la date de la revendication après l’expiration du délai de prescription?

[73]  Je me penche maintenant sur le deuxième argument de Bayer, qui peut être résumé comme suit. Bayer affirme que, puisque la vraie date de dépôt de la demande américaine no 691, figurant désormais dans les registres de l’USPTO, est le 3 avril 2012, il incombe à la commissaire d’inscrire cette date comme date de la revendication de la demande no 271. Bayer soutient que la commissaire a attribué comme date de revendication de la demande no 271 une date qui n’existe pas et, pour appuyer sa prétention, Bayer nous renvoie aux registres de l’UPSTO relatifs à la demande américaine no 691. Bayer affirme aussi que les registres de l’OPIC seront incompatibles avec ceux de l’USPTO, dans lesquels la demande américaine no 972, qui correspond à l’entrée dans la phase nationale aux États‑Unis de la demande PCT no 888, indique le 3 avril 2012 pour la date de dépôt de la demande américaine no 691.

[74]  Comme les renseignements qui figurent dans les registres de l’OPIC sont manifestement inexacts, selon Bayer, la commissaire a l’obligation, en application du paragraphe 4(2) de la Loi, d’apporter les modifications appropriées et d’inscrire le 3 avril 2012 comme date de la revendication de la demande no 271. Bayer estime qu’en refusant d’intervenir et d’ordonner à la commissaire d’apporter la modification requise, le juge a commis une erreur de droit.

[75]  En toute déférence, l’argument de Bayer ne peut être retenu.

[76]  La thèse de Bayer est fort simple. Bayer affirme que, puisque le 3 avril est en fait la vraie date de dépôt de la demande américaine no 691, la commissaire est tenue d’inscrire cette date comme la date de la revendication de la demande no 271, à défaut de quoi le document de l’OPIC serait, selon Bayer, inexact en ce sens que le 19 avril 2012 est une date qui n’existe pas.

[77]  D’après le dossier dont nous sommes saisis, la difficulté que pose la thèse de Bayer est, en toute déférence, la suivante. Selon le raisonnement avancé par Bayer, si Bayer le lui demande dans dix ans, voire dans vingt ans, la commissaire serait tenue d’apporter la modification demandée par Bayer, car les registres de l’USPTO indiquent le 3 avril 2012 comme date de dépôt de la demande américaine no 691. Autrement dit, si l’on doit retenir l’argument de Bayer, on doit complètement ignorer le délai de prescription de seize mois prescrit par l’alinéa 88(1)b) des Règles, ce qui est tout simplement impossible.

[78]  À l’appui, Bayer invoque la décision de la Cour fédérale Proctor & Gamble dans laquelle la Cour a ordonné au commissaire de corriger des erreurs dans le dossier. À mon avis, cette affaire n’est d’aucune utilité pour Bayer en l’espèce. Dans Proctor & Gamble, le commissaire, en déterminant la date à laquelle un brevet avait été délivré, a erronément interprété la Loi. Le juge Barnes a conclu que le commissaire avait erronément interprété les dispositions réglementaires pertinentes, ce qui l’avait mené à inscrire le 11 juin 1996 comme la date de délivrance, plutôt que le 18 juin 1996. En conséquence, le juge Barnes a ordonné au commissaire de corriger le dossier et d’inscrire le 18 juin 1996 comme date de délivrance du brevet, ce qui correspondait à la bonne date en droit. C’est dans ces circonstances que la commissaire avait une obligation, en vertu de l’article 4 de la Loi, de corriger ses registres.

[79]  Cependant, en toute déférence, j’estime pour les motifs que j’ai donnés que la date correcte en droit en l’espèce pour la  revendication de la demande no 271 est le 19 avril 2012. La commissaire n’a donc aucune erreur à corriger.

[80]  Comme les intimés l’indiquent correctement dans leurs observations écrites, Bayer ne demande pas à la commissaire de corriger une inexactitude factuelle découlant d’une erreur commise par la commissaire, mais plutôt d’annuler les conséquences juridiques qui ont découlé des actions de Bayer au regard du dépôt de la demande américaine no 691.

[81]  Il semble exact sur le plan factuel de dire que la demande américaine no 691 a en fait été déposée auprès de l’USPTO le 3 avril 2012, mais, en toute déférence, cette date ne constitue pas la date de revendication de la demande no 271 eu égard aux exigences de la Loi et des Règles.

[82]  Comme je l’ai déjà expliqué, je suis d’avis que les exigences de la Loi et des Règles n’ont pas été respectées à l’égard du 3 avril 2012.

[83]  Bayer a fait valoir qu’il est quelque peu artificiel de retenir le 19 avril 2012 comme date de la revendication, en ce sens que toutes les parties reconnaissent que le dépôt de la demande américaine no 691 a eu lieu le 3 avril 2012. Il ne fait aucun doute que la date du 19 avril 2012 est artificielle. Cependant, il s’agit de la conséquence de diverses dispositions déterminatives et de délais de prescription. Les répercussions de ces dispositions sont que, par exemple, un document lu pour la première fois par la commissaire en 2015 est réputé avoir été reçu par elle le 15 mars 2013.

[84]  En fin de compte, je suis convaincu qu’une fois que le délai de prescription de seize mois a été écoulé, soit le 19 août 2013, les tiers étaient en droit de conclure qu’aucune autre demande relative à la date de priorité ne serait accueillie concernant la demande no 271. À mon avis, le fait de permettre à Bayer d’apporter des modifications à la date de revendication plus de trois ans après le dépôt de la demande américaine no 691 annulerait l’effet voulu de l’alinéa 88(1)b) des Règles et ferait planer une incertitude inacceptable dans le régime applicable.

VIII.  Conclusion

[85]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel de Bayer avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J. L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-91-17

 

INTITULÉ :

BAYER CROPSCIENCE LP c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 novembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Steven B. Garland

Me Colin B. Ingram

 

Pour l’appelante

BAYER CROPSCIENCE LP

 

Me Abigail Martinez

 

POUR LES INTIMÉS

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelante

BAYER CROPSCIENCE LP

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.