Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180410


Dossier : A‑478‑16

Référence : 2018 CAF 72

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE

appelante

et

GEORGE NOEL

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 mars 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 avril 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20180410


Dossier : A‑478‑16

Référence : 2018 CAF 72

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE

appelante

et

GEORGE NOEL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]  Les Premières Nations de Cold Lake (PNCL) interjettent appel d’une décision de la Cour fédérale (2016 CF 1321) par laquelle le juge Fothergill a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision du Comité d’appel des PNCL (le Comité) présentée par George Noel et a renvoyé l’affaire au Comité pour nouvelle décision.

[2]  Dans sa décision, la Cour fédérale a jugé déraisonnable la décision du Comité de confirmer l’exclusion de la candidature de l’intimé au poste de chef, parce que la preuve était insuffisante pour établir que l’intimé devait plus de 3 000 $ aux PNCL et que le Comité n’avait pas tenu compte de la réponse de l’intimé aux protestations contre sa candidature fondées sur sa relation familiale avec Bernice Martial, une autre candidate. Dans le présent appel, les PNCL ne contestent pas le caractère déraisonnable de la décision du Comité selon laquelle l’intimé était inéligible en raison de sa relation familiale avec une autre candidate.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel avec dépens.

I.  RAPPEL DES FAITS

[4]  Le 15 juin 2016, l’intimé a été désigné candidat au poste de chef des PNCL. Quatre protestations ont été déposées contre sa candidature devant le fonctionnaire électoral des PNCL (le fonctionnaire électoral), qui n’était pas un membre des PNCL, comme l’exige le paragraphe 8.D de la Loi électorale des PNCL (la Loi électorale). Les protestataires alléguaient, entre autres, que l’intimé ne pouvait pas se présenter au poste de chef parce qu’il devait plus de 3 000 $ aux PNCL (paragraphe 4.L de la Loi électorale).

[5]  La seule protestation pertinente dans le cadre du présent appel a été déposée le 17 juin 2016 par Mme Cecilia Piche, qui a joint à sa protestation une copie de ce qui semble être des extraits d’un registre électronique contenant plusieurs entrées censées montrer que l’intimé devait 47 125,75 $ aux PNCL. Ce document consiste en une série de captures d’écran imprimées, et le nom de l’intimé apparaît au haut de ces captures d’écran. Le document inclut des entrées comme des [traduction« avances sur salaire », des [traduction« remboursements de prêt » et des [traduction« déductions pour prêt » datées de mars 1992 à septembre 2002. Le nom de la bande n’est inscrit nulle part. L’appelante a soutenu devant nous qu’au moins deux de ces entrées pourraient être comprises par les membres de la communauté des PNCL comme visant des affaires liées aux PNCL. Rien n’indique que le Comité (dont les membres ne sont pas membres des PNCL) a été informé de ce fait ou en a eu connaissance.

[6]  En se fondant sur le document susmentionné, le fonctionnaire électoral a déclaré que l’intimé était inéligible et, le 18 juin 2016, il lui a envoyé une lettre pour l’informer de sa décision. De façon concomitante, le fonctionnaire électoral a déclaré que d’autres candidats étaient inéligibles aux postes de chef et de conseiller. Une de ces décisions est visée par l’appel dans le dossier A‑468‑16, pour lequel des motifs distincts ont été rendus (2018 CAF 73).

[7]  La preuve déposée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire semble montrer que, le 17 juin 2016, le fonctionnaire électoral a demandé au dirigeant principal des finances des PNCL de confirmer l’authenticité et la fiabilité du registre, mais qu’il n’a reçu aucune réponse avant de prendre sa décision. Dans son interrogatoire écrit, le fonctionnaire électoral a déclaré qu’il avait, [traduction« dans l’après‑midi du 17 juin 2016, vérifié le document fourni par Cecilia Piche auprès d’aînés conseillers des Premières Nations de Cold Lake » et que ceux‑ci avaient [traduction« confirmé le contenu du document » (interrogatoire écrit d’Allan Adam, dossier d’appel, onglet 9, à la page 178). Aucun élément de preuve n’a été déposé pour expliquer comment ces aînés auraient pu savoir ou confirmer que cette dette existait en date de juin 2016.

[8]  Dans sa lettre du 18 juin 2016 à l’intimé, le fonctionnaire électoral ne mentionne pas qu’il a vérifié le contenu du document auprès des aînés; il indique plutôt qu’il a eu [traduction« accès à un comité d’aînés, qui [lui] a donné des conseils sur les lois traditionnelles du peuple des Premières Nations de Cold Lake » (non souligné dans l’original) (dossier d’appel, onglet 10, à la page 182). La même formulation a été utilisée dans la lettre que le fonctionnaire électoral a fait parvenir à un autre candidat exclu (dossier A‑468‑16).

[9]  L’élection du chef a eu lieu le 22 juin 2016, et l’élection des conseillers a eu lieu le 29 juin 2016. Dans les 30 jours de l’élection, un candidat exclu, comme l’intimé, peut déposer une protestation, c’est‑à‑dire qu’il peut interjeter appel de la décision du fonctionnaire électoral concernant sa candidature (paragraphes 8.I, 14.A et 14.I de la Loi électorale). Le 15 juillet 2016, l’intimé a interjeté appel devant le Comité de la décision du fonctionnaire électoral.

[10]  D’autres candidats exclus et un protestataire ont également interjeté appel. Ces appels ont été déposés peu avant l’expiration du délai prescrit de 30 jours. Je souligne que ce n’est peut‑être pas la meilleure façon de régler les problèmes découlant d’une mise en candidature contestée, puisque de nouvelles élections pourraient devoir être déclenchées. En outre, la Loi électorale prévoit également que les appels doivent être réglés dans le même délai de 30 jours (paragraphe 14.H). Si ce délai est censé inclure l’examen mené par le Comité mentionné au paragraphe 14.G de la Loi électorale, il est difficile de concevoir comment le délai pourrait être respecté. Un avis de la réunion publique visée au paragraphe 15.C de la Loi électorale doit être envoyé. Le Comité doit ensuite examiner la preuve déposée avec les appels à la lumière des nouveaux renseignements et documents obtenus pendant la réunion publique et examiner le fond de l’affaire pour prendre une décision à l’égard de chaque appel et rédiger les motifs de sa décision en conséquence. Le délai serré pourrait expliquer pourquoi le Comité a rendu sa décision moins de 24 heures après la réunion publique visée au paragraphe 15.C de la Loi électorale.

[11]  Le Comité, composé de trois membres choisis dans une communauté voisine ayant elle aussi un système électoral traditionnel (paragraphe 15.B de la Loi électorale), a examiné plusieurs appels dûment déposés devant lui pendant une réunion publique tenue le 10 août 2016. Il est difficile d’établir ce qui s’est passé à l’audience, puisque le Comité n’a dressé aucun procès‑verbal et n’a présenté aucune preuve à cet égard. Nous disposons seulement des affidavits de Mme Piche et de l’intimé concernant ce qui s’est produit à la réunion. En outre, le rapport concernant le présent appel que le fonctionnaire électoral a présenté au Comité, comme l’exige le paragraphe 14.F de la Loi électorale, ne figure pas dans le dossier. À l’audience devant nous, les avocats de l’appelante ont indiqué que le fonctionnaire électoral avait simplement transmis des copies des documents qu’il avait reçus. Il n’y a aucune preuve, même dans les affidavits déposés dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, que le fonctionnaire électoral a informé le Comité qu’il avait consulté trois aînés le 17 juin 2016, ou que le Comité a reçu des documents autres que ceux qui ont été transmis par le fonctionnaire électoral avant la réunion publique ou pendant que les appels étaient en délibéré.

[12]  Dans sa protestation, Mme Piche n’indique pas comment elle a obtenu les captures d’écran imprimées qu’elle a jointes à sa protestation. Mme Piche n’occupait pas un poste qui lui aurait donné accès au registre électronique des PNCL. Mme Piche était présente à l’audience publique; cependant, le Comité ne lui a posé aucune question concernant la façon dont elle avait obtenu les captures d’écran imprimées et Mme Piché n’a pas fourni de commentaires à cet égard (affidavit de Cecilia Piche, dossier d’appel, onglet 6, à la page 58). Le Comité a demandé à l’administration financière des PNCL de fournir des preuves à l’appui. Pendant la réunion, qui a pris fin à 16 h 45, les PNCL n’ont pas répondu à cette demande ni offert quelque renseignement que ce soit pour confirmer que le document présenté par Mme Piche était effectivement une copie de leur registre électronique.

[13]  Rien n’indique non plus que le Comité a consulté le Conseil des aînés ou toute autre personne concernant la mise en œuvre de la loi traditionnelle (paragraphes 1.G et 15.E de la Loi électorale).

[traduction

Nous savons seulement que l’intimé et son avocate ont fait des observations et ont répondu à toutes les questions du Comité. Nous disposons également d’éléments de preuve non contestés selon lesquels l’intimé a contesté l’authenticité du document présenté par Mme Piche (affidavit de George Noel, dossier d’appel, onglet 3, aux para 8 et 9). En outre, pour étayer son assertion selon laquelle il ne devait rien aux PNCL, l’intimé a affirmé qu’il s’était présenté plusieurs fois aux élections et qu’il avait été conseiller des PNCL pendant la période précédant les élections de juin 2016 et que la question de cette dette alléguée n’avait jamais été soulevée. Son avocate a également présenté de vive voix des arguments subsidiaires sur l’effet du délai de prescription si la dette était effectivement impayée depuis 2002.

[14]  L’intimé a également déposé devant le Comité un bref rapport préparé par un comptable professionnel agréé, M. Kasali, qui contenait les conclusions suivantes :

[traduction

1.  Le document en question ne précise pas le nom d’un créancier à qui George Noel doit prétendument plus de 3 000 $.

2.  Aucun énoncé des réclamations faisant état d’une dette impayée ou en souffrance n’est joint à ce document.


3.  Le document n’est pas un état financier et semble avoir été fabriqué.

(Dossier d’appel, onglet 10, à la page 199)

[15]  Rien n’indique si le comptable en question était présent à l’audience publique. Son bref rapport n’explique pas le fondement de sa conclusion selon laquelle le [traduction] « document [...] semble avoir été fabriqué ». Compte tenu de la preuve qui nous a été présentée, cette opinion est probablement fondée sur son examen du document et sur le fait que l’administration des PNCL n’a pas répondu à la demande de renseignements concernant l’authenticité du document (affidavit de George Noel, dossier d’appel, onglet 10, à la page 191).

[16]  Juste avant la fin de la réunion, un membre du Comité a demandé à l’avocate de l’intimé si une demande d’accès à l’information avait été présentée à l’égard du document fourni par Mme Piche (affidavit de George Noel, dossier d’appel, onglet 3, au para 10).

[17]  L’intimé a été informé que la décision serait rendue le lendemain, vers midi. À ce moment-là, l’intimé a reçu une copie des motifs du Comité, qui portaient sur l’ensemble des appels. Le passage qui se rapporte à la présente instance est bref. Il est ainsi libellé :

[traduction

4) George Noel – La somme qui demeure due aux Premières Nations de Cold Lake a été établie. Un déni NE suffit PAS à infirmer la conclusion. Le fardeau de preuve selon la prépondérance des probabilités N’a PAS été réfuté. La somme d’argent demeure impayée. Si un plan de remboursement est mis en place avant la prochaine élection, ce motif ne pourra être invoqué dans le cadre d’une « protestation ».


En ce qui concerne le motif secondaire, aucun parent immédiat ne peut présenter sa candidature au même poste, y compris les frères et sœurs; comme George Noel est le frère de Bernice Martial, cela n’est pas autorisé 6(c). L’appel est rejeté.

[Souligné dans l’original.]

[18]  L’intimé a déposé sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale le 12 août 2016 et, le 7 octobre 2016, le fonctionnaire électoral a reçu du chef actuel des PNCL, Mme Bernice Martial, plusieurs documents, dont des notes manuscrites et des talons de chèque, censés étayer les renseignements contenus dans le document déposé par Mme Piche (interrogatoire écrit d’Allan Adam, dossier d’appel, onglet 9, aux pp 178 et 179). Il n’est pas clair si ces documents ont été présentés en réponse à la demande présentée pour le compte du fonctionnaire électoral le 17 juin 2016 ou à la directive donnée par le Comité lors de la réunion publique du 10 août 2016.

[19]  Le 30 novembre 2016, la Cour fédérale a rendu sa décision. Compte tenu de la question fondamentale dont nous sommes saisis et du rôle de la Cour dans le présent appel, je résumerai brièvement les conclusions les plus pertinentes de la Cour fédérale.

[20]  La Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Elle a ensuite affirmé que la conclusion du Comité selon laquelle l’intimé devait plus de 3 000 $ aux PNCL était déraisonnable, parce qu’elle était fondée sur une preuve insuffisante (motifs de la Cour fédérale, au para 24). La Cour fédérale a refusé d’examiner tous les documents inclus dans le dossier certifié du tribunal (le DCT), comme les notes manuscrites et les talons de chèque, censés corroborer le document présenté par Mme Piche, au motif qu’elle n’était pas convaincue que le Comité disposait de ces documents au moment de rendre sa décision. Même si ces documents semblent avoir été inclus dans le DCT, sans doute parce que le président du Comité a jugé qu’ils étaient pertinents, rien n’indiquait à quel moment le Comité les avait reçus. En se fondant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Lacey, 2008 CAF 242 (Lacey), la Cour fédérale a précisé que, quoi qu’il en soit, le DCT ne pouvait être versé au dossier de la demande que par la voie d’un affidavit (motifs de la Cour fédérale, au para 23).

[21]  Enfin, la Cour fédérale a conclu que les motifs du Comité concernant l’inéligibilité de l’intimé aux termes du paragraphe 4.L de la Loi électorale étaient insuffisants, puisqu’ils n’ont pas traité de la preuve d’expert de l’intimé (motifs de la Cour fédérale, aux para 23 et 24).

II.  LA QUESTION EN LITIGE

[22]  Comme il a déjà été mentionné, la seule question devant la Cour est celle de savoir si la décision du Comité d’exclure la candidature de l’intimé au poste de chef sur le fondement du paragraphe 4.L de la Loi électorale est déraisonnable. Ladite disposition se lit comme suit :

[traduction

4. ÉLIGIBILITÉ AU POSTE DE CHEF

[…]

L. Toute personne qui doit plus de trois mille dollars (3 000 $) à l’administration des Premières Nations de Cold Lake et qui n’a rien tenté pour rembourser le prêt n’est pas admissible à la mise en candidature.

*[…]


III.  DISCUSSION

[23]  Le rôle de la Cour dans le présent appel est de déterminer si le tribunal de première instance a employé la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au para 45, citant Canada Agence du revenu c. Telfer, 2009 CAF 23, au para 18). Cela signifie que la Cour prend en réalité la place de la Cour fédérale.

[24]  À mon avis, la Cour fédérale a choisi la norme appropriée pour déterminer si, compte tenu du dossier de preuve, il était loisible au Comité de conclure comme il l’a fait. Autrement dit, la question dont nous sommes saisis est une question de fait ou, au mieux, une question mixte de fait et de droit. Elle porte sur l’application d’une disposition claire de la Loi électorale à la situation de l’intimé (Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269, aux para 10 et 11; Johnson c. Tait, 2015 CAF 247, au para 28; Lavallee c. Ferguson, 2016 CAF 11, au para 19). Plus particulièrement, elle exige de déterminer si l’existence d’une dette a été établie de manière satisfaisante.

[25]  L’appelante soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans son application de la norme de la décision raisonnable, parce qu’elle a omis de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de ce qu’elle considère comme une simple conclusion de fait du Comité.

[26]  D’une part, l’appelante soutient que la Cour fédérale aurait dû tenir compte de tous les documents compris dans le DCT, puisqu’aucun affidavit n’était requis pour les verser au dossier de la demande, compte tenu des modifications apportées récemment aux articles 309 et 310 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Ces documents, ainsi que les affidavits supplémentaires déposés dans le cadre de la demande (voir le mémoire de l’appelante, aux para 61-63, notes 46-48), confirmaient l’authenticité et la fiabilité du document sur lequel Mme Piche s’est fondée et étaient suffisants pour étayer la conclusion du Comité.

[27]  D’autre part, l’appelante soutient que, même si l’on accepte que la Cour fédérale avait le droit de ne pas tenir compte des documents supplémentaires présentés par l’administration financière des PNCL, parce qu’ils avaient été fournis après le 11 août 2016, le document à l’appui de la protestation de Mme Piche était suffisant en soi pour conclure que « la décision relève d’une gamme de résultats possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

[28]  De plus, l’appelante affirme que, compte tenu des principes énoncés dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 16, les motifs du Comité, quoique brefs, permettaient de comprendre le raisonnement du Comité et ne pouvaient pas servir de fondement pour conclure que la décision était déraisonnable.

[29]  Enfin, à l’audience, l’appelante a soutenu que, compte tenu de la preuve présentée à la Cour en appel, il est évident que le fait de renvoyer l’affaire pour nouvel examen ne servirait pas les intérêts de la justice. De l’avis de l’appelante, il est maintenant parfaitement clair que le Comité serait tenu de tirer la conclusion qu’il a déjà tirée, puisqu’il y a maintenant une preuve considérable et non contredite selon laquelle l’intimé doit en fait 47 125,75 $ aux PNCL. Ainsi, comme il a été suggéré par le Comité, l’intimé sera éligible seulement s’il prend des dispositions pour payer le montant dû, et ainsi éviter l’application du paragraphe 4.L de la Loi électorale, même si cela implique de renoncer au bénéfice du délai de prescription qui s’appliquerait, selon l’avocate de l’intimé, si cette dette existe effectivement.

[30]  Même si je suis d’accord avec l’appelante pour dire qu’il n’était pas nécessaire de verser le DCT au dossier de la demande par la voie d’un affidavit et que l’arrêt Lacey ne reflète pas cette nouvelle règle (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, au para 17), le principe général selon lequel le contrôle judiciaire d’une décision administrative est fondé sur le dossier dont disposait le décideur administratif au moment de rendre sa décision s’applique toujours. Seuls les documents contenus dans ce dossier sont pertinents conformément à l’article 317 des Règles. Aucune des exceptions reconnues au principe général ne s’applique en l’espèce (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux para 18 à 20; Chin Quee c. Teamsters Local #938, 2017 CAF 62, au para 5).

[31]  En l’espèce, je ne suis pas convaincue qu’au moment de rendre sa décision, le 11 août 2016, le Comité avait été régulièrement saisi des documents sur lesquels l’appelante se fonde pour confirmer certaines des inscriptions qui se trouvent dans les captures d’écran imprimées qui ont été présentées par Mme Piche. Il est également clair que ces documents n’étaient pas en la possession du Comité à l’audience publique du 10 août 2016 (voir les para 11 et 12 ci‑dessus). Compte tenu de la preuve devant nous, notamment celle du fonctionnaire électoral (voir le para 19 ci‑dessus), je ne peux que déduire que ces documents supplémentaires ont été présentés au Comité bien après le 11 août 2016.

[32]  Je présume que le Comité a mal interprété l’article 317 des Règles et qu’il croyait que les documents en question devaient être versés au dossier. Autrement, le fait pour un tribunal administratif d’ajouter des éléments de preuve au DCT, à savoir des documents dont il ne disposait pas au moment de rendre sa décision, pour justifier sa décision de manière rétroactive constituerait une irrégularité grave.

[33]  Si j’ai tort à cet égard, et comme il a été mentionné pendant l’audience, je suis d’avis que, quoi qu’il en soit, dans les circonstances de la présente affaire, le défaut de présenter ces documents à l’intimé et de lui donner l’occasion de les commenter avant qu’une décision soit rendue constitue un manquement à l’équité procédurale.

[34]  Je ne peux pas non plus convenir que l’intimé aurait dû, après avoir pris connaissance de l’existence des documents supplémentaires, déposer des éléments de preuve pour contredire ces documents dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ce n'était ni le rôle de la Cour fédérale ni celui de cette Cour de réexaminer sur le fond l’appel interjeté par l’intimé devant le Comité en fonction de nouveaux éléments de preuve présentés par les parties. À l’audience devant nous, l’intimé a insisté sur le fait qu’il avait le droit de répondre à ces éléments de preuve supplémentaires devant le Comité dans le cadre d’un nouvel examen. Si cette Cour devait statuer de nouveau sur le fond, l’intimé serait privé de l’occasion de présenter des arguments et de déposer des éléments de preuve en réponse à ces nouveaux éléments de preuve.

[35]  Pour revenir à la question fondamentale, était‑il raisonnable d’exclure la candidature de l’intimé en se fondant sur les éléments de preuve présentés d’ici la fin de l’audience publique du 10 août 2016?

[36]  À ce moment‑là, le dossier de preuve ne contenait aucune preuve concernant la provenance des captures d’écran imprimées et la façon dont elles ont été obtenues. Le Comité est présumé avoir considéré tous les autres éléments de preuve au dossier (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL/Lexis); Boulos c. Canada (Alliance de la fonction publique), 2012 CAF 193, au para 11), selon lesquels l’intimé a nié qu’il devait de l’argent et que les PNCL ont omis de donner suite à la tentative du comptable de l’intimé de confirmer l’authenticité et la fiabilité du document présenté par Mme Piche. L’administration financière des PNCL a également omis de confirmer au Comité qu’elle estimait que l’intimé devait le montant indiqué dans le document présenté par Mme Piche. En fait, l’administration financière n’a même pas confirmé que le document en question était une copie conforme du registre électronique des PNCL.

[37]  C’est plutôt troublant, puisqu’il aurait dû être facile d’imprimer une copie conforme du registre électronique des PNCL et de la remettre au Comité dès qu’il l’a demandée. L’administration financière aurait dû être prête à présenter ces renseignements le 10 août 2016, étant donné que le fonctionnaire électoral avait déjà demandé une confirmation le 17 juin 2016. L’appelante n’a fourni aucune explication à cet égard.

[38]  Ayant examiné les motifs à la lumière du dossier de preuve dont le Comité était saisi, je ne peux que présumer que le Comité a accordé une certaine importance au fait que l’intimé n’a pas présenté de demande d’accès à l’information après que son comptable a, en vain, tenté d’obtenir une confirmation de l’administration financière des PNCL. En outre, le Comité n’a accordé aucune importance au fait que l’intimé refuse d’admettre l’existence d’une dette, même si ce refus semble être étayé par le fait que l’intimé s’est présenté aux élections antérieures et a été conseiller juste avant l’élection de 2016. De l’autre côté, le Comité semble avoir accepté que le document sur lequel se fonde Mme Piche est suffisamment fiable pour établir la dette de l’intimé selon la prépondérance des probabilités, même si rien n’indiquait qu’il s’agissait en fait d’une copie conforme du registre électronique des PNCL.

[39]  Même si le rôle de cette Cour ou de la Cour fédérale n’est pas de substituer sa propre évaluation de la preuve présentée au décideur administratif, il y a des limites à la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de l’évaluation de la preuve effectuée par le décideur. Même si l’on tient compte du fait que le décideur peut assouplir les règles de preuve (Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105, à la p 1112), la retenue était excessive en l’espèce.

[40]  Comme il a déjà été mentionné, les membres du Comité ne sont pas membres de la communauté des PNCL. Rien n’indique qu’ils avaient une connaissance spécialisée particulière qui leur permettrait d’évaluer l’authenticité du document produit par Mme Piche. En fait, il n’y aurait eu aucune raison pour le Comité de demander à l’administration financière des PNCL de lui fournir ces renseignements s’il était évident que le document était une copie conforme du registre électronique des PNCL. La Loi électorale confère clairement au Comité le pouvoir de demander à tout membre des PNCL de formuler des commentaires sur le litige visé par l’appel ou sur la loi traditionnelle des PNCL (paragraphe 15.E). Or, le Comité n’a pas interrogé Mme Piche, et il a rendu sa décision malgré le fait que les PNCL n’avaient pas confirmé que le document était une copie conforme de leur registre et qu’il était, à ce titre, fiable. Aucun élément de preuve ne nous a été présenté pour établir que le Comité a cherché à clarifier certaines questions évidentes. Par exemple, comment peut‑on concilier le fait que le registre électronique des PNCL ferait clairement état d’une dette de plus de 47 000 $ avec le fait que les PNCL n’auraient pas déduit cette dette du salaire gagné par l’intimé à titre de conseiller? Comment se fait‑il que personne n’ait invoqué plus tôt les paragraphes 4.L ou 5.I de la Loi électorale si cette dette est impayée depuis si longtemps?

[41]  La cour de révision peut s’acquitter de son mandat même si les motifs sont brefs – dans la mesure où elle parvient à trouver, dans le dossier du décideur, une certaine justification pour la conclusion qu’il a tirée.

[42]  En l’espèce, la Cour ne peut pas simplement présumer que le décideur, à savoir le Comité, qui n’était pas composé de membres des PNCL, savait comment Mme Piche avait obtenu le document sur lequel elle se fondait. Elle ne peut pas non plus présumer que le Comité avait une explication plausible du fait que l’intimé s’était présenté plusieurs fois aux élections et avait même récemment été conseiller, tout en contrevenant aux paragraphes 4.L ou 5.I de la Loi électorale.

[43]  En l’absence de preuve concernant les autres renseignements ou connaissances dont le Comité disposait, il serait purement hypothétique de conclure que le Comité avait la possibilité de confirmer l’inéligibilité de l’intimé. Cela illustre l’importance des motifs lorsque la cour de révision n’a pas accès au dossier complet des renseignements ou des documents dont disposait le décideur.

[44]  Je conclus que la Cour fédérale a bien appliqué la norme de la décision raisonnable à la décision du Comité lorsqu’elle a conclu que celle‑ci n’appartenait pas aux issues pouvant se justifier et qu’elle était donc déraisonnable.

[45]  En ce qui concerne la réparation, la Cour fédérale a déjà ordonné que l’appel concernant la protestation fondée sur la relation familiale de l’intimé avec Bernice Martial soit renvoyé au Comité pour nouvel examen. Je ne peux pas exclure la possibilité que l’appelante puisse être en mesure de prouver que, s’il y avait une dette, elle a été payée. Il vaut ainsi mieux s’assurer de donner aussi à l’intimé l’occasion de répondre aux documents supplémentaires dont dispose maintenant le Comité à l’égard de la protestation de Mme Piche. Par conséquent, je propose de renvoyer aussi au Comité l’appel relatif au paragraphe 4.L de la Loi électorale.


IV.  CONCLUSION

[46]  Je propose que l’appel soit rejeté avec dépens, pour une somme globale de 3 000 $, comme en ont convenu les parties.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 30 NOVEMBRE 2016 PAR LE JUGE FOTHERGILL, DOSSIER No T‑1343‑16

DOSSIER :

A‑478‑16

 

INTITULÉ :

LES PREMIÈRES NATIONS DE COLD LAKE c. GEORGE NOEL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Maxime Faille

Me Paul Seaman

 

POUR L’APPELANTE

 

Me Priscilla Kennedy

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR L’APPELANTE

 

DLA Piper (Canada) LLP

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTIMÉ

 

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