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Date : 20180328


Dossier : A-176-17

Référence : 2018 CAF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE WEBB

ENTRE :

HUMANE SOCIETY OF CANADA FOUNDATION

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 mars 2018.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 28 mars 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20180328


Dossier : A-176-17

Référence : 2018 CAF 66

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE WEBB

ENTRE :

HUMANE SOCIETY OF CANADA FOUNDATION

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE WEBB

[1]  L’appelante a présenté une requête qui a été entendue à Vancouver le 15 mars 2018. Dans son avis de requête, l’appelante a déclaré :

[traduction

LA REQUÊTE VISE l’obtention des ordonnances suivantes :

(1)  En vertu du paragraphe 318(4) des Règles des Cours fédérales, l’appelante demande à la Cour d’ordonner à l’intimé de fournir une copie certifiée conforme de tous les documents en sa possession demandés par l’appelante conformément à l’article 317 des Règles. Plus précisément, maintenant qu’elle a, pour la première fois, examiné le dossier, l’appelante demande respectueusement qu’on lui remette :

a.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’envoi de l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi, oblitéré le 22 avril 2015, avec identification précise des documents qui n’ont pas été pris en compte par la Direction des organismes de bienfaisance dans sa décision d’envoyer ledit avis;

2.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’avis d’opposition en date du 20 juillet 2015 déposé par l’appelante en application du paragraphe 168(4) de la Loi, avec identification précise des documents qui n’ont pas été pris en compte par la Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance dans sa décision d’abandonner la proposition de suspendre et d’envoyer plutôt l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement, oblitéré le 22 avril 2015;

3.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’envoi de la confirmation de l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement, oblitérée le 2 mai 2017;

4.  toutes les politiques et procédures suivies par l’Agence du revenu du Canada pour garantir l’indépendance de la Direction de la vérification, de la Direction des organismes de bienfaisance et de la Section des recours en matière de bienfaisance;

5.  toutes les politiques et procédures suivies par l’Agence du revenu du Canada pour garantir l’indépendance des directions susmentionnées de l’ARC, de la Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance et de la Direction générale des appels;

6.  les interprétations juridiques données à l’organisation par le vérificateur, l’agent des appels et le ministre. Ces interprétations juridiques peuvent figurer dans les lignes directrices en matière de vérification, un document relatif aux considérations liées à la vérification ou tout autre type de document inconnu de l’appelante;

7.  tout autre document rédigé ou examiné par le ministre ou d’autres personnes de l’Agence du revenu du Canada aux fins de la décision de vérifier et de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre de fondation de bienfaisance, notamment :

a.  tous les documents concernant la Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement, la Ark Angel Foundation et le Ark Angel Fund examinés par le ministre pour parvenir à la décision d’envoyer un avis d’intention de révoquer l’enregistrement;

b.  une liste de toutes les personnes de la Direction des organismes de bienfaisance et de la Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance qui ont travaillé sur le dossier de l’appelante ainsi que les dossiers relatifs à la Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement, à la Ark Angel Foundation et au Ark Angel Fund;

c.  une liste des personnes qui détenaient le pouvoir délégué de décider, au nom du ministre, d’envoyer un avis d’intention de révoquer l’enregistrement;

d.  l’intégralité du dossier de la Cour dans l’affaire Société de prévention canadienne pour la protection des animaux et de l’environnement c. Canada (Revenu national), 2015 CAF 178, pour inclusion dans le dossier d’appel.

[2]  Au début de l’audition de la présente requête, l’avocat de l’appelante a déclaré que la requête en transmission de documents a été ramenée à ce qui suit :

[traduction]

1.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’envoi de l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement de l’appelante à titre d’organisme de bienfaisance en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi, oblitéré le 22 avril 2015;

2.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’avis d’opposition en date du 20 juillet 2015 déposé par l’appelante en application du paragraphe 168(4) de la Loi;

3.  tous les documents et comptes rendus de toutes les réunions et conversations concernant l’envoi de la confirmation de l’avis d’intention de révoquer l’enregistrement, oblitérée le 2 mai 2017.

[3]  Dans la présente affaire, le ministre du Revenu national (le ministre) a produit un dossier du tribunal de plus de 1 500 pages. L’appelante a en plus déposé une demande de transmission de documents au titre de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A‑1 (la demande d’accès à l’information). Par suite de la demande d’accès à l’information, l’appelante a reçu 1907 pages de documents. Il y a beaucoup de recoupements entre les documents communiqués à l’appelante dans le dossier du tribunal et ceux présentés à la suite de la demande d’accès à l’information. La transmission de documents demandée dans le cadre de la présente requête vise des documents additionnels.

[4]  L’appelante a soutenu qu’elle était en droit de demander la transmission de documents supplémentaires en l’espèce, car, comme elle l’a allégué dans son avis d’appel, le ministre a été partial et il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[5]  Dans Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720 (appel rejeté par la Cour d’appel fédérale – 2007 CAF 131), le juge Teitelbaum a examiné le droit à la transmission de documents supplémentaires :

50  Il est bien établi que, d’une façon générale, seuls les documents dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Cependant, la jurisprudence a apporté des exceptions à cette règle. La Commission a écrit dans ses observations écrites : [traduction] « Il existe une exception lorsqu’il est allégué que l’office fédéral a violé l’équité procédurale ou a commis une erreur de compétence : David Sgayias et al., Federal Practice, (Toronto: Thomson, 2005) à la p. 695, reproduit dans le mémoire des faits et du droit de la Commission (Chrétien, T-2118-05) au par. 24. L’observation ci-dessus est clairement étayée par la jurisprudence selon laquelle les documents dont ne disposait pas le décideur peuvent être considérés comme étant pertinents lorsqu’il est allégué que le décideur a violé l’équité procédurale ou lorsqu’il y a une allégation de crainte raisonnable de partialité de la part du décideur : Premières nations Deh Cho, ci-dessus; Friends of the West, ci-dessus; Telus, ci-dessus; Lindo, ci-dessus.

[Souligné dans l’original.]

[6]  Par conséquent, des documents supplémentaires n’ayant pas été présentés au décideur peuvent être considérés comme pertinents et être visés par la transmission de documents lorsqu’il y a une allégation de manquement à l’équité procédurale ou de crainte raisonnable de partialité. Toutefois, comme la Cour l’a souligné dans Access Information Agency Inc. c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 224 :

20   En terminant, la Cour désire exprimer sa désapprobation des demandes de transmission de documents rédigés en termes aussi vagues que celle en cause. La révision judiciaire ne procède pas sur la même base qu’une action en justice; c’est une procédure qui se veut sommaire. Il y a donc une série de limites imposées aux parties en conséquence de cette distinction. La preuve se fait par affidavit et non par témoignage de vive voix. Il y a moins d’ouverture aux procédures préliminaires telles que la communication de la preuve entre les mains des parties et l’examen au préalable. Si de telles procédures s’avèrent nécessaires, les règles permettent qu’une demande de révision judiciaire soit transformée en action.

21  C’est dans ce contexte que se situe la règle 317 qui traite de la demande de transmission de documents. L’objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n’étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d’exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n’est pas question, lorsqu’il s’agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l’espoir d’en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l’encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire. Si les circonstances sont telles qu’il s’avère nécessaire d’élargir le cadre de la communication de la preuve, celui qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l’avant des éléments de preuve qui justifient sa demande. C’est ce dernier élément qui est tout à fait absent en l’instance.

[Non souligné dans l’original.]

[7]  Dans Maax Bath Inc. c. Almag Aluminum Inc., 2009 CAF 204, la Cour a déclaré :

15  Pour reprendre la formule employée par la Cour, la requête de la demanderesse « fait preuve d’une incompréhension de l’objet de la Règle 317 […] [L]a Règle 317 ne sert pas la même fonction que la communication de la preuve dans une action » (Access to Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, au paragraphe 17; Atlantic Prudence Fund Corp., précité, au paragraphe 11). Il ne devrait pas être loisible à la demanderesse de chercher à obtenir des éléments de preuve à l’aveuglette.

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Par conséquent, bien que la transmission de documents supplémentaires soit justifiée lorsqu’il y a une allégation de crainte raisonnable de partialité ou de manquement à l’équité procédurale, cela ne permet pas à une personne de se livrer à une recherche à l’aveuglette dans l’espoir de trouver des documents permettant d’établir le bien-fondé de la demande.

[9]  En l’espèce, l’allégation de partialité figure seulement au paragraphe 5 de l’avis d’appel :

[traduction]

5.  L’avis d’intention de révoquer l’enregistrement et la confirmation de cet avis sont contraires aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle et devraient être annulés pour cause de partialité personnelle et institutionnelle, soit bien plus qu’une simple crainte de partialité.

[10]  Il s’agit là d’une simple allégation de partialité. Dans Canada (Ministre du Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, 450 N.R. 91, la Cour, sous la plume du juge Stratas, a déclaré que :

42  Certes, les motifs présentés dans un avis de demande de contrôle judiciaire sont censés être « concis », mais ils ne doivent pas être trop succincts. Le demandeur qui dispose de certains éléments de preuve à l’appui d’un motif peut lui adjoindre certains détails. Le demandeur qui ne dispose d’aucun élément de preuve et qui « va à la pêche » n’a pas cette possibilité.

43  À titre d’exemple, il ne suffit pas de dire qu’un décideur administratif « a abusé de son pouvoir discrétionnaire ». Le demandeur doit préciser la nature de ce pouvoir et en quoi le décideur en a abusé. Par exemple, le demandeur doit faire valoir que « le décideur a entravé son pouvoir discrétionnaire en se conformant aveuglément à la politique administrative en matière de réexamen au lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances, comme il y est tenu par l’article Y de la loi X ».

44  L’énoncé des motifs dans un avis de demande de contrôle judiciaire n’est pas une liste de catégories d’éléments de preuve que le demandeur espère trouver au cours des étapes de la présentation de la preuve. Avant de pouvoir énoncer un motif, la partie [doit] avoir à sa disposition certains éléments de preuve à l’appui.

45  Intenter une poursuite en formulant des allégations totalement infondées dans l’espoir de les étoffer par la suite constitue un abus de procédure. Voir, de façon générale, Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, au paragraphe 34; AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 112, au paragraphe 5. La Cour peut ordonner une mesure pour abus de procédure de plusieurs façons, par exemple en enjoignant à une partie ou à son avocat, ou aux deux, de payer les dépens adjugés en faveur de la partie adverse à la partie prise : articles 401 et 404 des Règles.

[11]  L’article 337 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que l’avis d’appel de l’appelant doit contenir « un énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués ».

[12]  Par conséquent, une simple allégation de partialité n’est pas suffisante et ne peut appuyer une ordonnance de production de documents qui autoriserait l’appelante à obtenir des renseignements à l’aveuglette dans le but d’essayer de trouver des éléments qui appuieraient cette allégation.

[13]  Lors de l’audition de la présente requête, il a été demandé à l’avocat de l’appelante s’il y avait des documents, parmi les plus de 2 000 pages qui ont été versées au dossier de la requête, qui étayeraient l’allégation de partialité. L’avocat de l’appelante n’a pas été en mesure de désigner un quelconque document du volumineux dossier de requête qui pourrait étayer l’allégation de partialité. Par conséquent, il semble évident que l’appelante cherchait à obtenir des éléments de preuve à l’aveuglette.

[14]  À l’audience, l’avocat de l’appelante a fait valoir que l’argument du manquement à l’équité procédurale était fondé sur un manque de preuve. Si elle a en sa possession tout document qui réfute l’argument de manquement à l’équité procédurale, le ministre a intérêt à ce qu’il y ait divulgation de ce document.

[15]  Par suite des discussions tenues et des concessions faites lors de l’audition de la requête, le litige a été circonscrit à la question de savoir si certains documents présentés à la Cour par le ministre dans une enveloppe scellée devraient être communiqués à l’appelante. Des documents comptant un total de 281 pages ont été inclus dans cette enveloppe scellée. La plupart de ces pages faisaient partie des documents qui avaient été communiqués par suite de la demande d’accès à l’information, même si certains passages avaient été expurgés. À l’audience, l’avocat du ministre, sans reconnaître la pertinence des documents et simplement pour faire avancer les choses, a accepté de remettre à l’appelante des copies non expurgées de ces documents.

[16]  Par conséquent, il ne restait à examiner que quelques documents, comprenant environ 60 pages, placés dans l’enveloppe scellée. Il s’agissait de copies de courriels et de copies d’ébauches de lettres. Après examen de ces documents, j’estime qu’aucun d’entre eux n’est pertinent et qu’il n’y a donc pas lieu d’ordonner leur transmission.

[17]  Par conséquent, la requête de l’appelante est rejetée avec dépens, payables quelle que soit l’issue de la cause.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-176-17

 

INTITULÉ :

HUMANE SOCIETY OF CANADA FOUNDATION c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MARS 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mars 2018

COMPARUTIONS :

Adam Aptowitzer

pour l’appelante

Josh Vander Vies

pour l’appelante

Lynn M. Burch

Selena Sit

pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Drache Aptowitzer LLP

Ottawa (Ontario)

pour l’appelante

Benefic Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

pour l’intimé

 

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