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Date : 20171215


Dossier : A-455-16

Référence : 2017 CAF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MARK LYNCH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 4 décembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20171215


Dossier : A-455-16

Référence : 2017 CAF 248

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MARK LYNCH

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

[1]  Mark Lynch interjette appel d’un jugement de la juge Lafleur de la Cour canadienne de l’impôt, daté du 15 septembre 2016, qui a rejeté l’appel de M. Lynch à l’encontre d’une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2009, sur la base de la doctrine de l’abus de procédure.

[2]  M. Lynch a interjeté appel à la Cour canadienne de l’impôt en juillet 2014. En juillet 2015, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a rendu une ordonnance, fondée sur l’entente entre les parties, établissant un échéancier pour la conduite de l’appel. Elle a, entre autres, demandé à chacune des parties de signifier des questions dans le cadre de l’interrogatoire préalable écrit avant le 15 janvier 2016, et de signifier les réponses écrites au plus tard le 15 février 2016.

[3]  La Couronne a signifié ses questions écrites, conformément à l’ordonnance. M. Lynch ne l’a pas fait. Le 7 février 2016, M. Lynch a écrit à l’avocate de la Couronne l’informant qu’il était en mesure de répondre aux questions de la Couronne, mais qu’il ne le ferait pas, à moins d’avoir des réponses à ses propres questions (pas encore signifiées) en premier.

[4]  L’avocate de la Couronne a répondu par une lettre datée du 10 février 2016. La lettre rappelait à M. Lynch le délai établi par l’ordonnance de juillet 2015. Elle indiquait que, s’il ne fournissait pas ses réponses au plus tard à la date limite applicable, l’avocate écrirait à la Cour afin d’obtenir la gestion de l’instance. Elle indiquait également que, puisque le délai qu’il avait pour signifier ses questions pour l’interrogatoire préalable était échu, il lui serait nécessaire de présenter une requête en prorogation s’il souhaitait proroger ce délai.

[5]  M. Lynch a omis de signifier ses réponses au plus tard à la date fixée dans l’ordonnance, et l’avocate de la Couronne a écrit à la Cour le 16 février 2016, expliquant ce qui s’était produit et demandant une gestion de l’instance ou une autre directive appropriée. M. Lynch a ensuite aussi écrit à la Cour, le 26 février 2016, en faisant référence aux [traduction] « dates limites qui auraient été prétendument dépassées ». Il a informé la Cour que [traduction] « [l]es dates ne figuraient qu’à titre indicatif » et qu’il avait eu l’impression qu’il avait jusqu’au 15 février 2016 pour présenter ses questions. Il a laissé entendre qu’il y avait eu une [traduction] « mauvaise conduite délibérée de la poursuite » concernant sa demande visant à ce qu’on réponde à ses questions en premier. Il a invoqué son [traduction] « droit réciproque garanti par la Charte d’interroger quiconque a établi la cotisation ».

[6]  La Cour a convoqué une conférence de gestion de l’instance le 15 mars 2016 devant la juge Lafleur. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a dit à M. Lynch que les dates établies dans l’ordonnance de juillet 2015 étaientobligatoires , et que les prorogations n’étaient pas automatiques. Elle a indiqué que, s’il déposait une lettre intitulée [traduction] « Avis de requête » et que cette dernière énonçait une demande de prorogation avec les motifs pour lesquels il n’avait pas été en mesure de se conformer aux dates convenues, elle serait en mesure de rendre une nouvelle ordonnance, établissant de nouvelles dates. Elle a ajouté la mise en garde suivante :

[traduction]

Et je n’adjugerai pas de dépens à ce sujet, mais je tiens à vous informer que […] si vous ne respectez pas la prochaine ordonnance, les prochaines dates, nous devrons alors en discuter plus sérieusement parce que, comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de lignes directrices, il s’agit de dates que les parties doivent respecter.

[7]  Le 23 mars 2016, M. Lynch a envoyé une lettre à la Cour, intitulée « Avis de requête ». Dans cette lettre, il a accusé la Couronne d’agir de façon injuste. Il a réitéré sa position,  affirmant qu’il ne répondrait pas aux questions de l’interrogatoire préalable, à moins qu’on ne réponde aux siennes d’abord. Le fait d’être tenu de le faire, a-t-il déclaré, serait préjudiciable,

[traduction]

car il semblerait qu’il y a violation de la justice fondamentale, dans la mesure où il n’y a pas communication complète de [son] droit aux termes des conventions internationales et de la compétence inhérente de la Cour et de la capacité de la Cour d’entendre des arguments non prévus par la loi.

[8]  Plus loin dans la lettre, il a demandé que la Cour lui fournisse [traduction] « à lui, l’homme, une réparation spécifique pour une violation de la Constitution », et il a laissé entendre que la Loi de l’impôt sur le revenu [traduction] « pourrait être la mauvaise loi applicable pour l’administration de la justice dans une cour possédant une compétence inhérente (la Cour canadienne de l’impôt), dans la province de l’Alberta, en ce sens qu’elle s’applique à une entreprise privée, à un particulier ».

[9]  La Cour a demandé une réponse de la Couronne. L’avocate de la Couronne a répondu le 22 avril 2016. Elle a informé la Cour que la Couronne ne s’opposerait pas à une requête de M. Lynch visant à obtenir une prorogation du délai pour signifier un interrogatoire préalable par écrit, mais qu’il serait approprié que toute nouvelle ordonnance fixant un échéancier prévoie une date commune pour les réponses aux questions dans le cadre de l’interrogatoire préalable, conformément à la pratique ordinaire.

[10]  Le 1er juin 2016, une deuxième conférence de gestion de l’instance a eu lieu devant la juge Lafleur. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a informé M. Lynch que la lettre qu’il avait envoyée à la Cour n’était pas ce qu’elle avait demandé. Elle était néanmoins disposée à accorder une prorogation jusqu’au 15 juin 2016 pour que M. Lynch signifie son interrogatoire préalable, et jusqu’au 22 juillet 2016 pour que les parties signifient les réponses. Elle a également indiqué, dans son ordonnance, les dates des étapes ultérieures menant à l’audition de l’appel. Au cours de la conférence, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a dit à M. Lynch qu’elle lui donnait [traduction] « une dernière chance », et elle l’a averti que, s’il ne respectait pas l’ordonnance, la Cour rejetterait son appel sans que la Couronne ait à déposer une requête.

[11]  Lorsque la juge de la Cour canadienne de l’impôt a demandé à M. Lynch s’il avait des commentaires sur les dates proposées, il a demandé à s’adresser à la Cour. Il a déclaré qu’il croyait n’avoir aucune obligation de répondre à quelque question que ce soit ou à toute autre obligation au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu. La loi, a-t-il déclaré, s’applique seulement à [traduction] « un agent dont les activités s’inscrivent dans les limites de la personne morale du Canada », et il était devant la Cour non en cette qualité, mais avec sa [traduction] « pleine capacité juridique en tant qu’homme ». Il a ajouté que la Loi de l’impôt sur le revenu violait ses [traduction] « droits constitutionnels à titre d’être humain ». Il a poursuivi en remettant en cause la motivation de l’avocate de la Couronne et de la juge de la Cour canadienne de l’impôt. Lorsque la juge a tenté de mettre fin à la conférence de gestion de l’instance et qu’elle a indiqué qu’elle rendrait sous peu une ordonnance qu’elle lui demandait de suivre rigoureusement, il s’est opposé à ce qu’elle rende toute ordonnance, au motif que cela aussi serait [traduction] « une atteinte manifeste à [ses] droits constitutionnels à titre d’être humain ».

[12]  À la suite de la conférence, le 1er juin 2016, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a rendu une ordonnance établissant les dates qui avaient été discutées. M. Lynch a signifié ses questions avant la date limite, le 15 juin 2016. La plupart de ses 19 questions citaient la jurisprudence, la loi ou la Constitution et, par la forme, du moins, équivalaient à des questions de droit suivant le thème de la violation alléguée de ses droits constitutionnels ainsi que de ses droits au titre du droit international, en grande partie au motif qu’il avait été [traduction] « forcé à jouer un rôle d’agent dans la personne morale appelée Canada ». D’autres questions visaient à savoir si M. Lynch, [traduction] « ou tout dérivé de ce dernier, devait agir en tant qu’agent détenant une charge par nomination dans la personne morale du Canada », et à savoir s’il était un [traduction] « agent de l’unité géographique de l’Alberta ».

[13]  La Couronne a répondu à ces questions dans le délai imparti par l’ordonnance du 1er juin 2016. La Couronne s’est opposée à presque toutes les questions, au motif qu’elles n’étaient pas pertinentes et qu’elles sollicitaient à tort des opinions sur des questions de droit.

[14]  Le 22 juillet 2016, M. Lynch a envoyé un affidavit à l’avocate de la Couronne critiquant le fait que les réponses de la Couronne à ses questions étaient arbitraires et constituaient [traduction] « une excuse pour ne pas fournir les réponses demandées ». Il a continué en affirmant que, sans les réponses à ses questions, il n’était pas en mesure de répondre [traduction] « aux questions liées à l’autorité de la Loi de l’impôt sur le revenu ou à celles posées au titre de cette dernière », parce qu’en répondant, il [traduction] « pourrai[t] incorrectement être considéré comme une catégorie juridique de personne relative à un contribuable, ce qui violerait (ou [l]e forcerait à renoncer à) [s]es libertés et droits fondamentaux de la personne qui sont protégés par la Constitution ». Il n’a fourni aucune autre réponse aux questions de la Couronne.

[15]  L’avocate de la Couronne a écrit pour informer la Cour de ce qui s’était produit et pour demander une orientation quant aux prochaines étapes appropriées. Elle a soutenu que, conformément à ce que la juge de la Cour canadienne de l’impôt avait déclaré à la conférence de gestion de l’instance du 1er juin 2016, l’appel devrait être rejeté de façon sommaire.

[16]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a rendu un jugement rejetant l’appel avec dépens. Le jugement relatait, entre autres, les deux conférences de gestion de l’instance, la prorogation qui avait été accordée, la mise en garde donnée à M. Lynch que, s’il ne répondait pas aux questions de la Couronne, l’appel pouvait être rejeté sans autre formalité, son refus de répondre aux questions de la Couronne et les motifs du refus qu’il avait fournis. Les attendus ont également mentionné la compétence inhérente de la Cour canadienne de l’impôt de faire respecter sa propre procédure et d’éviter les abus. M. Lynch interjette maintenant appel de ce jugement.

[17]  Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt est une ordonnance discrétionnaire. La Cour peut donc intervenir seulement si la juge a tranché de manière erronée une question de droit ou a commis une erreur manifeste et dominante quant aux faits (Corporation de soins de santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, aux paragraphes 64 à 66, 69 et 72; Paletta c. Canada, 2017 CAF 33, 2017 DTC 5039, au paragraphe 4). À mon avis, la juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur dans ces catégories, qui justifierait la modification de sa décision.

[18]  Premièrement, elle n’a pas commis d’erreur de droit. La Cour canadienne de l’impôt, comme les autres cours, a compétence pour examiner l’abus de procédure dans le déroulement des instances dont elle est saisie (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, au paragraphe 35; Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, [2005] 1 C.T.C. 212, au paragraphe 7). L’abus de procédure est une doctrine souple, fondée sur l’idée qu’une cour possède un pouvoir discrétionnaire inhérent de mettre fin à des litiges au stade préliminaire afin d’empêcher les procédures abusives qui déconsidèrent l’administration de la justice (Timm c. Canada, 2014 CAF 8, [2014] A.C.F. no 61, au paragraphe 30). Autant la prise de position comme celle adoptée ici par M. Lynch qu’une conduite qui contrecarre l’interrogatoire préalable ont été qualifiées d’abusives en ce sens (Cassa c. R., 2013 CCI 43, 2013 DTC 1060, au paragraphe 14; Fafard c. Canada, 1999 CanLII 9103, [2000] 2 C.T.C. 362 (C.A.F.), aux paragraphes 5 et 6). En l’espèce, la juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait pu également se fonder sur l’alinéa 116(4)a) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, qui autorise expressément le rejet d’un appel dans lequel l’appelant refuse de répondre ou omet de répondre à une question légitime d’un interrogatoire écrit, et l’alinéa 126(4)b), par lequel un juge responsable de la gestion de l’instance peut rejeter un appel lorsque l’appelant omet de se conformer aux exigences établies dans un échéancier de gestion de l’instance. Ils démontrent également la gravité possible des conséquences que peut entraîner l’entrave à l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt.

[19]  Deuxièmement, alors que le rejet sommaire d’un appel est une réparation draconienne, je vois aussi qu’il n’y a aucune erreur de fait manifeste et dominante dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la juge de la Cour canadienne de l’impôt. Elle a amplement accordé à M. Lynch l’occasion de se conformer à ses ordonnances. Elle l’a expressément averti des conséquences s’il faisait à nouveau défaut de se conformer. Comme l’a observé une autre juge de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Cassa, précitée, les comportements comme ceux de M. Lynch « nuisent à la disponibilité des ressources de la Cour pour les contribuables qui comparaissent en personne et qui s'efforcent honnêtement de faire valoir leurs appels dans le système judiciaire en temps opportun » (au paragraphe 14).

[20]  Je rejetterais donc l’appel. Puisque l’avocat de la Couronne a indiqué à l’audience que, si la Couronne avait gain de cause, il ne demanderait pas de dépens, je n’adjugerais aucuns dépens.

« J. B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb, j.c.a.»

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-455-16

 

 

INTITULÉ :

MARK LYNCH c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

le juge LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DatE DES MOTIFS :

le 15 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Mark Lynch

 

Pour l’appelant

(pour son propre compte)

 

Mark Heseltine

 

POur l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

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