Date : 20171114
Dossiers : A-412-16
A-410-16
A-411-16
Référence : 2017 CAF 220
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
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appelante
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et
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407 ETR CONCESSION COMPANY LIMITED
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intimée
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 juin 2017.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2017.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NEAR
LA JUGE GLEASON
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Date : 20171114
Dossiers : A-412-16
A-410-16
A-411-16
Référence : 2017 CAF 220
CORAM :
|
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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SA MAJESTÉ LA REINE
|
appelante
|
et
|
407 ETR CONCESSION COMPANY LIMITED
|
intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE WEBB
[1]
La question en litige dans le présent appel porte sur le sens de l’expression « service municipal »
pour l’application de l’article 21, à la partie VI de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA). La Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par 407 ETR Concession Company Limited (la société ETR) à l’encontre de certaines nouvelles cotisations établies sous le régime de la LTA. La société ETR a fait l’objet d’une nouvelle cotisation au motif que les services de police que lui a fournis la province de l’Ontario étaient des fournitures taxables. La Cour de l’impôt a conclu qu’il s’agissait effectivement de services municipaux et que leur fourniture était donc exonérée pour l’application de la LTA.
[2]
Les trois appels (A-410-16, A-411-16 et A-412-16) ont été réunis en vertu d’une ordonnance rendue le 22 novembre 2016 et ils ont été instruits conjointement. L’appel principal est le dossier A-412-16. Les présents motifs seront versés au dossier A-412-16 et une copie de ceux-ci sera versée aux deux autres dossiers.
[3]
Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais les présents appels.
I.
Rappel des faits
[4]
L’autoroute 407 (la 407 ETR) est une autoroute à péage près de Toronto. La société ETR exploite la 407 ETR par suite d’une convention de concession et de bail foncier conclue entre elle et la province de l’Ontario. La 407 ETR fait partie de la route principale (King’s Highway) et la responsabilité du maintien d’une patrouille de la circulation sur cette autoroute incombe à la Police provinciale de l’Ontario (la PPO), suivant la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P. 15. La province de l’Ontario facture à la société ETR des frais pour les services policiers de la PPO offerts relativement à la 407 ETR. La question en litige est de savoir si la fourniture des services policiers en cause est une fourniture exonérée de la TPS ou de la TVH.
[5]
Avant l’harmonisation de sa taxe de vente avec la TPS le 1er juillet 2010, la province de l’Ontario ne percevait pas la TPS sur les services policiers fournis. Depuis le 1er juillet 2010, elle ajoute la TVH à ses factures. Or, comme l’a fait remarquer le juge de la Cour de l’impôt, les dispositions pertinentes de la LTA régissant l’imposition de la taxe n’ont pas changé depuis le 1er juillet 2010 – seul le taux d’imposition a changé depuis que la province de l’Ontario est devenue une province participante ce jour-là. La question de savoir si cette fourniture est exonérée ou taxable ne serait pas touchée par le changement de taux.
II.
Dispositions législatives
[6]
Selon la LTA, la TPS ou la TVH est imposée uniquement aux acquéreurs de fournitures taxables (article 165 de la LTA). Selon les définitions de « fourniture taxable »
et d’« activité commerciale »
énoncées à l’article 123 de la LTA, les fournitures exonérées ne sont pas des fournitures taxables. Les fournitures exonérées sont celles qui sont énumérées à l’annexe V de la LTA.
[7]
Dans le présent appel, la disposition pertinente est l’article 21 à la partie VI de l’annexe V :
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[8]
Par souci de commodité, l’article 21 à la partie VI de l’annexe V de la LTA est appelé ci‑après « l’article 21 ». Les parties reconnaissent que les conditions énoncées aux alinéas a) et b) de l’article 21 sont réunies et que la seule question dont la Cour de l’impôt était saisie et dont est maintenant saisie notre Cour porte sur le sens de l’expression « service municipal »
qui figure au début de l’article 21 et, en particulier, la question de savoir si les services policiers assurés par la province de l’Ontario par l’entremise de la PPO étaient un « service municipal »
. La province de l’Ontario est un « gouvernement »
au sens de l’article 123 de la LTA : « Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province »
.
III.
Décision de la Cour de l’impôt
[9]
Le juge de la Cour de l’impôt a fait remarquer que, tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. La Reine, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Canada Trustco], la règle générale concernant l’interprétation d’une loi est l’approche textuelle, contextuelle et téléologique. Faisant sienne cette approche, il a conclu, au paragraphe 70 de ses motifs, qu’un « service municipal »
, pour l’application de l’article 21, s’entend d’« un service qui est de la nature des services habituellement offerts par des municipalités »
.
[10]
Ayant affirmé au paragraphe 74 de ses motifs que les services policiers offerts par la PPO « sont de la nature des services qui sont habituellement assurés par des municipalités »
, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la fourniture de ces services par la province de l’Ontario à la société ETR était une fourniture exonérée.
IV.
Norme de contrôle applicable
[11]
La seule question en litige dans le présent appel porte sur le sens de l’expression « service municipal »
à l’article 21. Il s’agit d’une question de droit, et la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
V.
Analyse
[12]
Comme l’a fait remarquer le juge de la Cour de l’impôt, l’article 21 doit être interprété en fonction du texte, du contexte et de l’aspect téléologique de cette disposition et de la LTA (Canada Trustco).
[13]
L’expression « service municipal »
n’est pas définie dans la LTA. L’expression « fourniture exonérée »
est définie à l’article 123 de la LTA comme étant une « [f]ourniture figurant à l’annexe V »
. Le terme « fourniture »
est défini au même article :
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[14]
J’estime que le libellé de l’article 21, qui commence par les termes « [l]a fourniture d’un service municipal »
, appuierait la conclusion selon laquelle cette disposition est censée s’appliquer à la fourniture d’un type donné de service, c’est-à-dire un service municipal. Par conséquent, le sens ordinaire de ces termes indiquerait que la question de savoir si un service donné est un service municipal serait fonction de la conclusion relative au type de service qui serait normalement assuré par une municipalité. L’adjectif « municipal » sert simplement à délimiter le type de service qui peut être considéré comme une fourniture exonérée.
[15]
Les conditions liées à la question de savoir qui fournit le service et qui le reçoit suivent les premiers termes de l’article 21 et figurent aux alinéas a) et b) de cette disposition. L’alinéa c) de l’article 21 précise qu’un certain type de service (qui n’est pas le service en litige en l’espèce) ne sera pas un « service municipal »
. À l’alinéa a), aucun qualificatif ne se rapporte au gouvernement en tant que fournisseur. Il y est simplement indiqué que la fourniture est effectuée par un gouvernement (fédéral ou provincial) ou une municipalité.
[16]
Au paragraphe 48 de son mémoire, la Couronne a fait valoir que, selon le contexte et l’objet, un « service municipal »
est un service qui [traduction] « relève des pouvoirs d’une municipalité ou d’une administration municipale »
. Elle a donc soutenu qu’un « service municipal »
vise uniquement un service assuré par le gouvernement fédéral ou provincial lorsque ce gouvernement agit à titre d’administration municipale. Toutefois, à mon avis, cette interprétation nécessiterait un ajout au libellé de l’article 21. Cette disposition énonce deux conditions distinctes applicables aux fournisseurs : le type de service (service municipal, sous réserve de l’alinéa c)) et le type de fournisseur (gouvernement ou municipalité). Il n’indique pas qu’un « service municipal »
est un service assuré uniquement par un gouvernement qui agit à titre d’administration municipale. Les mots « administration municipale »
ne figurent même pas dans le libellé de cette disposition. Il y est simplement précisé que le service en cause doit être assuré par un gouvernement ou une municipalité.
[17]
Pour que l’article 21 soit interprété de manière à ce que l’expression « service municipal »
soit assimilable uniquement à un service assuré par un gouvernement agissant à titre d’administration municipale, il faudrait y voir une restriction applicable à l’exercice par le gouvernement du pouvoir régissant la fourniture du service. Il ne s’agirait pas d’une restriction quant à la nature du service. Par exemple, l’enlèvement des ordures est un service donné. Selon la Couronne, ce n’est pas la nature du service (enlèvement des ordures) qui permet de savoir si ce service est un service municipal, mais plutôt le pouvoir ou la capacité du gouvernement se rapportant à la fourniture du service en question. À mon avis, cette interprétation de « service municipal »
n’est pas justifiée puisqu’il s’agit d’une restriction qui vise la capacité ou le pouvoir du gouvernement et non une restriction qui vise le type de service.
[18]
Au paragraphe 50 de son mémoire, la Couronne a renvoyé à la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, en indiquant qu’il s’agit d’un [traduction] « exemple où le gouvernement fédéral agit comme une administration municipale locale et fournit directement les services municipaux habituels relatifs aux infrastructures aux propriétaires ou aux occupants de terrain »
. Bien qu’il puisse effectivement constituer un exemple où le gouvernement fédéral agit comme une administration municipale locale, il ne s’ensuit pas nécessairement que seuls les services municipaux assurés par le gouvernement fédéral (ou provincial), qui agit à titre d’administration municipale, sont considérés comme des fournitures exonérées. L’interprétation adoptée par le juge de la Cour de l’impôt signifie également que les services qui seraient normalement assurés par une municipalité, mais qui le sont par le gouvernement fédéral, aux personnes qui résident dans un parc national, seraient des fournitures exonérées.
[19]
La Couronne fait valoir que l’exemple du parc national est une réponse à la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle :
69 […] L’interprétation d’un service municipal qui limite l’application de l’article 21 aux fournitures effectuées par une municipalité rend les mots « effectuée […] par un gouvernement » dénués de sens.
[20]
Selon la Couronne, l’exemple du parc national montre que, si le « service municipal »
ne s’entendait que d’un service assuré par le gouvernement fédéral en sa qualité d’administration municipale, l’article 21 pourrait en conséquence s’appliquer à certains services. La Couronne a donc fait valoir que son interprétation n’est pas dénuée de sens.
[21]
Toutefois, à mon avis, l’observation du juge de la Cour de l’impôt voulant qu’une interprétation restrictive rende les mots « effectuée […] par un gouvernement »
dénués de sens ne visait pas cet argument, mais plutôt un autre argument qui est repris dans le mémoire de la Couronne déposé dans le présent appel. Au paragraphe 67 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt s’est exprimé ainsi :
67. L’intimée me demande d’interpréter l’article 21 de manière à ce qu’il joue seulement si la fourniture d’un « service municipal » est effectuée par une municipalité. L’avocat a fait référence aux services qui relèvent du mandat de la municipalité et aux services dont une municipalité a la « responsabilité ». À mon avis, si un service relève de la mission d’une municipalité ou de la responsabilité d’une municipalité, alors seule la municipalité les fournira.
[22]
Cet argument selon lequel un « service municipal »
n’est qu’un service qu’une municipalité a l’obligation légale d’offrir est repris dans le mémoire déposé par la Couronne en l’espèce. Plus particulièrement, aux paragraphes 66 et 75 de son mémoire, la Couronne a soutenu que :
[traduction]
66. Ce contexte législatif démontre que les services policiers ne constituent pas tous un « service municipal »; le service policier qui ne relève pas du mandat d’une administration municipale ne peut pas être converti en service municipal.
[…]
75. La prémisse de la Cour de l’impôt selon laquelle les services policiers font partie des services de base fournis par les municipalités doit être appréciée au regard de la Loi sur les services policiers de l’Ontario. Le service assuré à l’intimée, à savoir le maintien d’une patrouille de la circulation sur la route principale, est une responsabilité qui relève de la province et non de la municipalité. Ce service policier n’est jamais fourni par une municipalité et il ne fait pas partie des « services de base » municipaux selon le critère établi par le juge de la Cour de l’impôt.
[23]
Essentiellement, selon cet argument, un service municipal ne peut être qu’un service qu’une municipalité (et non le gouvernement fédéral ou provincial) est tenue d’assurer. Comme le juge de la Cour de l’impôt l’a fait remarquer, si un « service municipal »
était un service dont la fourniture relevait uniquement du mandat ou de la responsabilité d’une municipalité, il est difficile de délimiter quels services assurés par le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial seraient une fourniture exonérée au sens de l’article 21.
[24]
Appliquons cette interprétation à l’exemple du parc national : aucune municipalité n’étant tenue de fournir des services aux occupants du parc, il s’ensuivrait que les services assurés par le gouvernement fédéral ne seraient pas des « services municipaux »
pour l’application de l’article 21, même si ces services étaient normalement assurés par une municipalité. Par exemple, la fourniture d’un service d’enlèvement des ordures par le gouvernement fédéral aux occupants d’un parc national (où il n’y a pas de municipalité) ne serait pas une fourniture exonérée puisqu’aucune municipalité n’aurait la responsabilité d’assurer ces services.
[25]
À mon avis, ce résultat n’est pas conforme à l’intention du législateur et ne tient pas compte de l’application de l’article 21 aux services fournis par un gouvernement ou une municipalité. L’exemple du parc national a pour effet de confirmer plutôt que d’infirmer l’interprétation adoptée par le juge de la Cour de l’impôt.
[26]
Par conséquent, je rejetterais les présents appels, avec dépens sur la base d’un seul mémoire de frais.
« Wyman W. Webb »
j.c.a.
Je suis d’accord.
|
D. G. Near, j.c.a.
|
Je suis d’accord.
|
Mary J.L. Gleason, j.c.a.
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 27 SEPTEMBRE 2016, DOSSIERS NUMÉROS 2013-4844(GST)G, 2013-4845(GST)G et 2013-4846(GST)G
DOSSIERS :
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A-412-16
A-410-16
A-411-16
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INTITULÉ :
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SA MAJESTÉ LA REINE c. 407 ETR CONCESSION COMPANY LIMITED
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 juin 2017
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE WEBB
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE NEAR
LA JUGE GLEASON
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DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
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Le 14 novembre 2017
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COMPARUTIONS :
Me Gordon Bourgard
Me Joanna Hill
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Pour l’appelante
|
Me W. Jack Millar
Me Bryan Horrigan
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Pour l’INTIMÉE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’appelante
|
Millar Kreklewetz LLP
Toronto (Ontario)
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Pour l’INTIMÉE
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