Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170606


Dossier : A-155-16

Référence : 2017 CAF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

GARNET MEECHES

appelant

et

GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS, BARB ESAU, ROBERT FRANCIS, GEORGE MEECHES, LIZ MERRICK, HAROLD MYERION, ANNETTE PETERS, DENNIS PETERS, MARSHALL PRINCE, THERESA SANDERSON, CHRIS YELLOWQUILL et LA BANDE INDIENNE DE LONG PLAIN NO 287 également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

intimés

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 16 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20170606


Dossier : A-155-16

Référence : 2017 CAF 123

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

GARNET MEECHES

appelant

et

GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS, BARB ESAU, ROBERT FRANCIS, GEORGE MEECHES, LIZ MERRICK, HAROLD MYERION, ANNETTE PETERS, DENNIS PETERS, MARSHALL PRINCE, THERESA SANDERSON, CHRIS YELLOWQUILL et LA BANDE INDIENNE DE LONG PLAIN NO 287 également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               Dans une décision publiée sous la référence 2016 CF 427, la juge McDonald (la juge) de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Garnet Meeches (l’appelant) visant une décision rendue par le comité d’appel en matière d’élections de la Première Nation de Long Plain (le CAE) le 12 mai 2015 (la décision) concernant les résultats d’une élection tenue par la Première Nation de Long Plain (Long Plain) le 9 avril 2015. Je rejetterais l’appel, mais comme je l’explique ci-après de façon plus détaillée, pour des motifs différents de ceux de la juge de la Cour fédérale.

I.                    Contexte

A.                 Les parties

[2]               Long Plain est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C.  (1985), ch. I-5; sa gouvernance est assurée par un conseil composé d’un chef et de quatre conseillers (le conseil). Les membres du conseil sont élus pour un mandat de trois ans en application de la Long Plain First Nation Election Act (loi électorale de la Première Nation de Long Plain) [la Loi électorale] qui est le code électoral coutumier adopté par Long Plain.

[3]               La dernière élection s’est tenue le 9 avril 2015. Liz Merrick, Barb Esau, Marvin Daniels et George Meeches, intimés en l’espèce, ont été élus à titre de conseillers. L’appelant avait brigué en vain un poste de conseiller.

[4]               Long Plain et Dennis Peters, Robert Francis, George Assiniboine, Theresa Sanderson, Marshall Prince, Annette Peters, Harold Myerion et Chris Yellowquill, d’autres candidats non élus, sont également nommés comme intimés en la présente instance.

B.                 La Loi

[5]               L’article 3.1 de la Loi électorale précise les critères d’éligibilité applicables à ceux qui exercent une charge au sein du gouvernement tribal. Ces critères sont les suivants :

a)      le candidat n’a jamais été disqualifié par application de la Loi électorale;

b)      le candidat n’a pas été déclaré coupable d’un acte criminel au cours des huit dernières années, à compter de la date de la condamnation au Canada ou aux États-Unis;

c)      le candidat n’a pas échoué au test de dépistage de drogues;

d)      le candidat a au moins terminé la 12e année de scolarité ou a au moins acquis une expérience de cinq ans dans le cadre de sa participation communautaire et fournit une lettre de référence d’un autre membre de la tribu;

e)      le candidat a acquitté les droits non remboursables de 250 $.

[6]               Aux termes des articles 9.5 et 9.6 de la Loi électorale, chaque aspirant candidat doit fournir à l’agent électoral, au moins 14 jours avant une assemblée de mise en candidature, la confirmation qu’il n’a pas échoué au test de dépistage de drogues, une vérification de son casier judiciaire et une vérification du registre des cas d’enfants maltraités conformément à l’alinéa 3.1c) :

[traduction]

9.5 Le candidat subit un test de dépistage de drogues et fournit le résultat d’une vérification de son casier judiciaire et du registre des cas d’enfants maltraités conformément à l’alinéa 3.1c) de la Loi électorale.

9.6 Dans les deux (2) jours suivant l’assemblée de mise en candidature, l’agent électoral ou son adjoint confirme la mise en candidature en délivrant un « reçu de mise en candidature » dans les formes prescrites à l’annexe A – Partie 2 de la Loi électorale.

a. Les vérifications du casier judiciaire qui n’ont pas expiré, les vérifications du registre des cas d’enfants maltraités et les résultats des tests de dépistage de drogues doivent être soumis à l’agent électoral 14 jours avant les mises en candidature. SANS EXCEPTION.

[7]               L’article 12 de la Loi électorale traite de l’appel d’une candidature, tandis que l’article 17 définit la procédure applicable à l’appel d’une élection. Ces dispositions sont reproduites en annexe à la présente décision.

C.                 Élection de 2015

[8]               Les faits de l’espèce sont tous survenus en 2015. Le 15 février, un agent électoral de Long Plain publiait un avis invitant les membres à désigner des candidats lors d’une assemblée de mise en candidature à être tenue le 19 mars, en vue de l’élection du 9 avril. Le 5 mars, soit 14 jours avant l’assemblée, M. Yellowquill a présenté sa demande de mise en candidature. L’agent électoral a rejeté cette demande le 13 mars, car M. Yellowquill n’avait ni présenté la preuve des vérifications des antécédents requises ni acquitté les droits de 250 $.

[9]               Le 13 mars, une lettre a été envoyée au nom de l’agent électoral confirmant sa décision selon laquelle M. Yellowquill ne pouvait pas prendre part à l’assemblée de mise en candidature parce qu’il n’avait pas acquitté les droits dans les délais. La lettre ne mentionnait toutefois pas le fait que M. Yellowquill n’avait pas respecté les exigences en matière de vérification des antécédents (cahier d’appel, onglet 4.f.viii, pages 88 et 89). Lors de l’assemblée de mise en candidature du 19 mars, M. Yellowquill a remis à l’agent électoral: i) les droits relatifs à sa demande, ii) une confirmation de résultat négatif à un test de dépistage de drogues, iii) un rapport des résultats de la vérification du casier judiciaire indiquant une correspondance possible avec un dossier criminel et nécessitant par conséquent l’analyse d’empreintes digitales, iv) une lettre étayée par un reçu indiquant qu’il avait demandé une vérification du registre des cas d’enfants maltraités.

[10]           Le 20 mars, M. Yellowquill a porté en appel devant le CAE la décision de l’agent électoral rendue le 13 mars, pour le motif que ce dernier avait commis une erreur en écartant sa candidature parce qu’il n’avait pas acquitté les droits dans les délais.

[11]           Entre cette décision et celle du CAE dans cet appel, soit le 22 mars, l’agent électoral a délivré un accusé réception des documents de mise en candidature confirmant l’admissibilité provisoire de M. Yellowquill jusqu’à réception et approbation des rapports démontrant que son casier judiciaire était vierge et qu’une vérification du registre des cas d’enfants maltraités avait été faite. M. Yellowquill était ainsi autorisé à briguer un poste de conseiller, mais ne pouvait occuper un tel poste avant de satisfaire aux critères d’éligibilité prévus à l’article 3.1 de la Loi électorale.

[12]           Le 23 mars, dans le cadre de l’appel à l’encontre de la décision du 13 mars prise par l’agent électoral, l’appelant a été informé de la décision du CAE d’autoriser M. Yellowquill à se présenter à l’élection bien qu’il n’ait pas acquitté les droits de 250 $ dans les délais. La décision du CAE rendue le 23 mars ne traitait que du retard d’acquittement des droits, et n’abordait pas les manquements aux autres conditions, soit la vérification du casier judiciaire et celle du registre des cas d’enfants maltraités. À ce jour, la question du respect de ces deux conditions demeure.

[13]           M. Yellowquill n’a pas été élu. Il a obtenu 90 votes. L’appelant s’est classé au cinquième rang lors de l’élection. Un seul vote le séparait de M. George Meeches, conseiller élu qui s’est classé au quatrième rang.

D.                 Deuxième décision du CAE

[14]           Après sa défaite, l’appelant a contesté les résultats de l’élection du 9 avril devant le CAE, conformément à l’article 17 de la Loi électorale, soutenant qu’ils étaient invalides puisque M. Yellowquill, un candidat inéligible selon l’appelant, avait été autorisé à se présenter, en contravention aux dispositions de la Loi électorale.

[15]           Le 12 mai, le CAE a conclu que les délais prescrits étaient trop serrés et créaient un désavantage indu pour les membres de la tribu souhaitant briguer un siège au conseil, car la Loi exigeait la publication d’un avis 32 jours avant la tenue de l’assemblée de mise en candidature, et un candidat devait satisfaire aux exigences de vérification des antécédents 14 jours avant l’assemblée. Selon le CAE, la Loi électorale obligeait essentiellement les candidats à procéder aux vérifications requises des antécédents avant le processus de mise en candidature.

[16]           À l’égard de la situation de M. Yellowquill, le CAE a conclu qu’en acceptant le reçu de vérification du casier judiciaire comme preuve que les vérifications étaient en cours, l’agent électoral a pris une décision assurant une participation équitable au processus électoral. Indépendamment de la question relative à l’inéligibilité, le CAE a conclu que cette décision n’avait pas eu d’incidence sur la tenue et l’issue du scrutin, vu la défaite de M. Yellowquill. Le CAE a également précisé que si un candidat avait été élu sans avoir respecté les critères d’éligibilité, il aurait été disqualifié.

[17]           Pour ces motifs, le CAE a confirmé les résultats de l’élection et la décision de l’agent électoral concernant l’éligibilité de M. Yellowquill, une question que le CAE estimait déjà réglée par la décision du 23 mars. Il a également recommandé que la Loi électorale soit modifiée pour prévoir la vérification du registre des enfants maltraités dans des délais réalistes pour les candidats.

II.                 Jugement attaqué

[18]           En rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, la juge a appliqué la norme de la décision raisonnable et a conclu que la décision rendue le 12 mai par le CAE était raisonnable.

[19]           La juge a rejeté l’argument des intimés selon lequel la demande de contrôle judiciaire portait principalement sur l’éligibilité de M. Yellowquill, question qui avait été réglée dans la décision du CAE rendue le 23 mars, et avait donc été déposée après le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales). La juge a conclu que l’éligibilité des candidats et le contrôle des candidats par l’agent électoral influaient forcément sur les résultats de l’élection et relevaient des pratiques électorales prévues à la Loi électorale. Selon la juge, l’article 17 de la Loi électorale n’exclut pas l’éligibilité des candidats comme motif d’appel, surtout que des faits au sujet de l’inéligibilité d’un candidat peuvent survenir après l’étape de la mise en candidature. Puisque seul M. Yellowquill avait qualité pour interjeter appel de la mise en candidature en vertu de l’article 12 de la Loi électorale, la juge a conclu que l’appelant était habilité à interjeter appel aux termes de l’article 17 de la Loi électorale, car la question intéressait des pratiques électorales susceptibles de contrevenir à la Loi électorale.

[20]           Quant au caractère raisonnable de la décision du CAE rendue le 12 mai, la juge a estimé que les ambiguïtés de la Loi électorale devaient être interprétées téléologiquement de façon à favoriser l’admission au suffrage et la participation équitable au processus électoral. La juge a déterminé que le CAE avait conclu avec raison que les délais prescrits par la Loi électorale créaient des contraintes injustes pour les candidats novices, contrairement aux membres du conseil en place. La juge a conclu que le CAE n’avait pas commis d’erreur en décidant que l’agent électoral disposait d’un pouvoir discrétionnaire l’autorisant à assouplir les exigences strictes de mise en candidature afin de permettre à M. Yellowquill de présenter sa candidature.

III.               Questions en litige

[21]           Bien que les parties aient soulevé plusieurs questions, il me suffit d’en analyser une seule, soit celle de savoir si la demande de contrôle judiciaire de l’appelant a été présentée dans le délai prescrit. Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que la juge a commis une erreur en concluant que la demande avait été présentée dans les délais prescrits. La demande aurait dû être rejetée pour non-respect des délais prescrits et non pour les motifs fournis par la juge. À elle seule, cette conclusion suffit à trancher le présent appel et il n’est donc pas nécessaire d’aborder la question de savoir si la décision du CAE rendue le 12 mai était raisonnable.

IV.              Norme de contrôle

[22]           Comme la décision de la juge sur le respect des délais de présentation de la demande de contrôle judiciaire relève d’une question mixte de fait et de droit, elle doit être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, par. 37 à 39; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, par. 88; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2012 CAF 322, par. 9).

V.                 Position des parties

A.                 L’appelant

[23]           Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision du CAE rendue le 12 mai, l’appelant conteste incidemment les décisions des 22 et 23 mars ayant autorisé M. Yellowquill à briguer un siège au conseil lors de l’élection du 9 avril au motif que pareilles pratiques électorales contrevenaient à la Loi électorale. Il ressort du mémoire de l’appelant qu’il considère les décisions de l’agent électoral du 22 mars et du CAE du 23 mars comme étant les conclusions expresses qui ont statuées sur l’éligibilité de M. Yellowquill.

[24]           Quant à la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire avait été déposée dans le délai de 30 jours, l’avocat de l’appelant a reconnu à l’audience que son client savait, dès le 23 mars, que M. Yellowquill n’avait pas procédé à toutes les vérifications requises. Il a néanmoins réitéré sa prétention voulant que la décision du 22 mars abordant la question de l’éligibilité n’était pas définitive, puisqu’elle n’accordait à M. Yellowquill qu’un statut provisoire. Il manquait des éléments de preuve nécessaires qui établiraient son éligibilité et permettraient par la suite de la contester. En outre, l’appelant a souligné qu’il n’avait pas qualité, aux termes de l’article 12 de la Loi électorale, pour contester la décision de l’agent électoral d’accepter la candidature de M. Yellowquill.

[25]           L’appelant soutient par ailleurs qu’il n’avait aucune raison de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du CAE sur l’éligibilité de M.Yellowquill rendue le 23 mars, car il ne pouvait alors savoir si cette décision allait avoir une incidence sur le résultat de l’élection. Ce n’est que lorsque le résultat de l’élection a été connu — et s’est révélé inacceptable à son avis — qu’il a évalué l’incidence appréciable de la décision du 23 mars et a porté en appel le résultat de l’élection devant le CAE. Par conséquent, il soutient qu’il a déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision du CAE du 12 mai dans le délai prescrit.

B.                 Les intimés

[26]           Selon les intimés, l’appelant demande à la Cour d’examiner non pas la décision du CAE rendue le 12 mai concernant l’issue de l’élection, contestée en vertu de l’article 17 de la Loi électorale, mais plutôt les décisions rendues les 22 et 23 mars. Ils soutiennent que l’appelant conteste probablement l’éligibilité de M. Yellowquill après l’élection dans le seul but d’invalider le résultat.

[27]           Les intimés ont réitéré devant la Cour que personne n’avait sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent électoral le 22 mars ni de celle du CAE du 23 mars autorisant M. Yellowquill à participer à l’élection, même si, selon les intimés, ces décisions constituaient des décisions obligatoires et définitives portant sur l’éligibilité de ce candidat aux termes de l’article 12.5 de la Loi électorale. Ils font aussi valoir que l’appel constitue une attaque indirecte de ces décisions, puisque la question de l’éligibilité de M. Yellowquill est au cœur même de la présente contestation.

[28]           Les intimés affirment également que l’appelant avait eu connaissance de ces deux décisions au moment où elles avaient été rendues et que M. Yellowquill, en date du 23 mars, n’avait pas encore satisfait aux critères d’éligibilité prévus par la Loi électorale.

[29]           Ils prétendent que l’appelant disposait de trente jours à compter du 23 mars pour déposer un avis de demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin de contester l’éligibilité de M. Yellowquill. Il n’en a rien fait tant que les résultats de l’élection n’ont pas été connus, et il a attendu jusqu’au 12 juin pour déposer un avis de demande de contrôle judiciaire pour contester la participation de M. Yellowquill à l’élection du 9 avril.

[30]           Par conséquent, les intimés ont réitéré l’argument qu’ils avaient présenté à la juge voulant que l’appelant ait présenté sa demande de contrôle judiciaire au-delà du délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. À leur avis, le présent appel devrait être rejeté pour ce motif.

VI.              Analyse

[31]           Je suis d’avis que la juge a commis une erreur manifeste et dominante en rejetant l’argument des intimés selon lequel la demande de contrôle judiciaire de l’appelant avait été déposée au-delà du délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

A.                 Délai prescrit pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire

[32]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une partie qui souhaite contester une décision ou une ordonnance définitive d’un tribunal administratif fédéral qui a une incidence sur ses intérêts doit déposer un avis de demande de contrôle judiciaire dans les trente jours suivant la date à laquelle elle a pris connaissance de cette décision ou ordonnance (Roberts c. Syndicat des agents correctionnels du Canada, 2014 CAF 42, par. 5; Hudgins c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 185, [2012] A.C.F. no 877 (QL), par. 5; Powell c. United Parcel Service, 2010 CAF 286, [2010] A.C.F. no 1336 (QL), par. 2 [Powell]; Canada (Procureur général) c. Trust Business Systems, 2007 CAF 89, [2007] A.C.F. no 379 (QL), par. 25 [Trust]; Pharmascience Inc. c. Canada (Commissioner of Patents), 2000 CanLII 15188 (CAF), par. 4; Bullock c. Canada, 1997 CanLII 5830 (CAF), par. 8 [Bullock]).

[33]           Si une partie ne respecte pas le délai de dépôt prévu dans la Loi sur les Cours fédérales, elle risque que la décision qu’elle voudrait remettre en question ne puisse pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En permettant que la demande de contrôle judiciaire soit déposée au-delà du délai prescrit, ceci constitue donc un manquement à la Loi sur les Cours fédérales, sauf si le juge proroge ce délai, à sa discrétion, dans des circonstances appropriées et sur présentation d’une requête en ce sens (Nanavaty v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2008 FCA 323, par. 10; Neis c. Baksa, 2002 CAF 230 [2002] A.C.F. no 832 (QL), par. 2).

B.                 La demande de contrôle judiciaire a-t-elle été présentée dans les délais?

[34]           En l’espèce, la Cour est appelée à déterminer laquelle des décisions constitue la décision finale contestée au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Puisque tout le retard doit être expliqué de façon satisfaisante (Bullock, par. 8), je dois donc déterminer quelle est la décision pertinente et trancher à savoir si la demande de contrôle judiciaire a été déposée dans les trente jours suivant cette décision (Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204,[2012] A.C.F. no 880 (QL), par. 63 [Larkman]).

[35]           La présente affaire porte essentiellement sur des plaintes concernant l’autorisation donnée à M. Yellowquill par l’agent électoral lui ayant permis de se présenter comme candidat sans avoir satisfait à toutes les exigences prévues par la Loi électorale. En substance, l’appelant conteste l’éligibilité de M. Yellowquill comme candidat à l’élection du 9 avril.

[36]           Dans leurs mémoires, les parties semblent confondre l’objet des décisions des 22 et 23 mars en définissant la décision du CAE rendue le 23 mars comme une décision sur l’éligibilité de M. Yellowquill. Rappelons que cette décision du CAE n’abordait que le défaut de M. Yellowquill de payer dans les délais les droits de demande de 250 $; elle ne tranchait pas expressément la question de son éligibilité, à savoir s’il avait satisfait aux exigences de vérification des antécédents prévues par la Loi électorale. En revanche, la décision de l’agent électoral du 22 mars constitue la décision obligatoire et définitive sur l’éligibilité de M. Yellowquill, qui demeure la seule question contestée par l’appelant en l’espèce.

[37]           Un examen objectif de l’avis de demande de contrôle judiciaire et de l’avis d’appel déposés par l’appelant révèle que la décision rendue par l’agent électoral le 22 mars relativement à la candidature de M. Yellowquill est au cœur même de la demande de contrôle judiciaire contestant l’éligibilité de ce dernier.

[38]           Dans son avis de demande de contrôle judiciaire et son avis d’appel, l’appelant n’a pas expressément contesté la décision du CAE rendue le 23 mars. La demande de contrôle judiciaire de l’appelant déposée le 12 juin visait donc essentiellement à infirmer la décision rendue par l’agent électoral le 22 mars sur cette question, au motif qu’elle avait permis le contournement des exigences de la Loi électorale — à savoir fournir les résultats des vérifications du casier judiciaire et du registre des cas d’enfants maltraités — en accordant à M. Yellowquill l’autorisation provisoire de se porter candidat.

[39]           À l’audience, l’avocat de l’appelant a reconnu que son client savait, dès le 23 mars, que M. Yellowquill n’avait pas procédé à toutes les vérifications requises au moment où son nom apparaissait sur la liste des candidats éligibles et qu’il était autorisé à se présenter à l’élection.

[40]           Notre Cour a conclu que le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne commence à courir qu’au moment où le demandeur prend connaissance de la décision définitive qu’il souhaite subséquemment contester (Robertson c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 30, par. 7; Larkman, par. 63 à 68; Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 R.C.F. 255, 2000 CanLII 17138 (CAF), par. 17).

[41]           Dans les circonstances de l’espèce, je conclus que l’appelant avait connaissance, le 23 mars, de la décision de l’agent électoral rendue le 22 mars. Par conséquent, aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, l’appelant disposait de trente jours à compter du 23 mars pour déposer son avis de demande de contrôle judiciaire (Larkman, par. 68), ce qu’il n’a pas fait, l’avis ayant été déposé le 12 juin, bien au-delà du délai prescrit. Puisque l’appelant n’a pas obtenu l’autorisation de déposer sa demande après l’expiration de ce délai, la prescription l’empêche maintenant de contester l’éligibilité de M. Yellowquill (Hallen c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 229, par. 3; Trust, par. 29).

[42]           Compte tenu des conclusions qui précèdent sur l’essence et le moment du dépôt de la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, une autre décision de la Cour sur la possibilité pour une partie de contester l’éligibilité d’un candidat aux termes de l’article 17 en invoquant des pratiques électorales qui contrevenaient à la Loi électorale n’est pas justifiée dans les circonstances particulières de la présente instance.

[43]           Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire de l’appelant n’a pas été déposée conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, je propose de rejeter l’appel, le tout avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


ANNEXE

[traduction]

Loi électorale de la Première Nation de Long Plain

12.0 Article douze APPELS LIÉS AUX CANDIDATURES

12.1 Le candidat déclaré inéligible par l’agent électoral au regard des exigences de candidature peut interjeter appel dans les deux (2) jours de la clôture de l’assemblée de mise en candidature.

12.2 Le candidat présente une lettre et des documents justificatifs expliquant les motifs de son appel.

12.3 Le comité d’appel en matière d’élections convoque immédiatement une réunion avec le candidat inéligible appelant pour qu’il présente son appel.

12.4 Dans les trois (3) jours de l’assemblée de mise en candidature, le comité d’appel en matière d’élections discute de la question et recommande que le candidat déclaré inéligible soit réintégré ou non.

12.5 La décision du comité d’appel en matière d’élections est obligatoire et définitive.

17.0 Article dix-sept APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTION

Les dispositions suivantes régissent les appels relatifs au résultat d’un vote :

17.1 Tout candidat ou électeur a le droit d’interjeter appel du résultat d’une élection dans les sept (7) jours de la date du scrutin.

17.2 Les motifs d’appel se limitent aux pratiques électorales qui contreviennent à la présente loi électorale.

17.3 L’appel est présenté par écrit à l’agent électoral; il est signé, contient les détails et les documents justificatifs relatifs aux motifs sur lesquels il est fondé et est assorti d’un dépôt non remboursable de 100 $ payable par chèque certifié, mandat, traite bancaire ou en liquide pour les frais d’appel.

17.4 Le comité d’appel en matière d’élections décide si l’appel doit donner lieu à une audience, auquel cas, il fixe la date d’une réunion formelle deux jours après l’expiration du délai de présentation d’un appel.

17.5 Le comité d’appel en matière d’élections décide si l’appel doit donner lieu à une audience, auquel cas, il fixe la date d’une réunion formelle deux jours après l’expiration du délai de présentation d’un appel.

17.6 L’audition de l’appel prend la forme d’une réunion formelle à laquelle prennent part :

L’agent électoral

Le comité d’appel en matière d’élections

Le candidat ou l’électeur qui interjette appel

17.7 La décision du comité d’appel en matière d’élections est définitive et sans appel. La décision est rendue publique dans les deux (2) jours de l’audition de l’appel par affichage dans les bureaux du gouvernement tribal, au bureau de l’Administration et au Centre des conférences Keeshkeemaqua.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-155-16

 

 

INTITULÉ :

GARNET MEECHES c. GEORGE ASSINIBOINE, MARVIN DANIELS, BARB ESAU, ROBERT FRANCIS, GEORGE MEECHES, LIZ MERRICK, HAROLD MYERION, ANNETTE PETERS, DENNIS PETERS, MARSHALL PRINCE, THERESA SANDERSON, CHRIS YELLOWQUILL et LA BANDE INDIENNE DE LONG PLAIN NO 287 également connue sous le nom de PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Anthony Lafontaine Guerra

 

POUR L’APPELANT

 

Me Harley I. Schachter

 

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MYERS WEINBERG LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR L’APPELANT

 

DUBOFF EDWARDS HAIGHT & SCHACHTER

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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