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Date : 20151223


Dossier : A-542-15

Référence : 2015 CAF 295

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

appelante

et

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20151223


Dossier : A-542-15

Référence : 2015 CAF 295

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

appelante

et

CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel dirigé à l’encontre d’une décision rendue par le juge Locke de la Cour fédérale (le juge de la Cour fédérale), en date du 14 décembre 2015 (2015 CF 1382) par laquelle fut rejetée la requête pour injonction interlocutoire déposée par l’Administration de pilotage des Laurentides (l’APL). Cette requête visait à enjoindre la Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (la Corporation) à ajouter au Calendrier de travail des pilotes brevetés de la circonscription no 1, le nombre de pilotes requis pour la période du 22 décembre 2015 au 4 janvier 2016, selon les termes d’un nouveau contrat de service entériné par les parties en date du 15 octobre 2015.

[2]               Compte tenu de l’échéancier, les délais prévus par les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, furent abrégés et l’appel fut entendu d’urgence à Ottawa, dans le cadre d’une audition qui a duré une heure. Les brefs motifs qui suivent furent émis le lendemain.

[3]               Le juge de la Cour fédérale a effectué son analyse en fonction de l’approche à trois volets établie par la Cour suprême dans l’affaire RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] R.C.S. 311 [RJR-MacDonald]. Il a conclu que l’APL avait réussi à établir l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable, mais que la prépondérance des inconvénients militait à l’encontre de l’émission de l’injonction interlocutoire. Il a donc rejeté la requête de l’APL.

[4]               Devant nous, l’APL soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que la prépondérance des inconvénients favorisait la Corporation. La Corporation pour sa part nous demande de confirmer la décision du juge de la Cour fédérale sur ce plan. Elle ajoute que le juge de la Cour fédérale a eu tort de conclure que l’APL a subi un préjudice irréparable, de sorte que l’injonction recherchée par l’APL ne pouvait de toute façon être accordée.

[5]               La décision d’accueillir ou de rejeter une requête pour injonction interlocutoire est de nature discrétionnaire. L’examen de la légalité d’une décision qui est le résultat d’un exercice de discrétion s’effectue dorénavant en vertu de la norme de contrôle applicable en matière d’appel telle qu’énoncée dans l’affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, selon qu’il s’agisse d’une question de droit, de fait ou d’une question mixte de droit et de fait (Jamieson Laboratories Ltd. c. Reckitt Benckiser LLC, 2015 CAF 104, para. 21, citant Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, paras. 18 et 19).

1er volet: question sérieuse

[6]               L’existence d’une question sérieuse n’est pas remise en question dans le cadre du présent appel. En traitant de cette question, le juge de la Cour fédérale a expliqué que sa décision équivalait à toutes fins pratiques à une décision finale, compte tenu des contraintes de temps auxquelles il était assujetti. Il s’est donc autorisé à tirer une conclusion plus définitive qu’il ne l’aurait fait si un arbitre avait été en mesure de se saisir du débat en temps utile (motifs, para. 19).

[7]               Le juge de la Cour fédérale a rejeté la position de la Corporation selon laquelle les usages et coutumes dans le domaine faisaient en sorte que le Calendrier des affectations des pilotes initialement établi pour l’année 2015 (le Calendrier 2015) n’était pas affecté par la signature du nouveau contrat de service au cours de l’année (motifs, para. 22). Malgré qu’il fut conclu le 15 octobre 2015, ce contrat prenait effet à compter du 1er juillet 2015 (Pièce P-2 du Dossier d’APL).

[8]               Quant au moment où le Calendrier des affectations devait être modifié, le juge de la Cour fédérale a précisé que selon les termes du contrat, « [r]ien n’indique que [les nouvelles affectations] ne s’appliquaient pas immédiatement » soit à compter de la signature du contrat (motifs, para. 24). Il a par la suite rejeté la prétention de la Corporation selon laquelle il était impossible de changer le Calendrier des affectations au cours de l’année, la preuve déposée par cette dernière étant à cet égard insuffisante (motifs, para. 25).

[9]               Selon le juge de la Cour fédérale, l’APL a réussi à établir que la Corporation avait l’obligation de respecter les nouvelles exigences d’affectations dès la signature du contrat (motifs, para. 27). La question soulevée par l’APL au soutien de l’émission de l’injonction était donc non seulement sérieuse mais susceptible de mener à une décision favorable à l’APL selon la prépondérance de la preuve présentée devant lui.

2ième volet : préjudice irréparable

[10]           Sous le volet du préjudice irréparable, le juge de la Cour fédérale a aussi rejeté la position de la Corporation en ces termes (motifs, para. 32) :

[32]      La Corporation soutient que l’argument de l’APL selon lequel il y aura des retards pendant la période des fêtes cette année est hypothétique. Je ne suis pas d’accord. Après avoir vu les statistiques pour les années 2008 à 2014, il me semble probable qu’il y aura des retards causés par l’indisponibilité des pilotes pendant la période des fêtes cette année. Il est difficile d’estimer le nombre desdits retards, mais je m’attends à ce qu’il y en ait.

[11]           Il a ajouté au paragraphe suivant (motifs, para. 33):

[33]      Malgré que le problème des retards de ce type ne soit pas très sérieux et que le préjudice en résultant soit modeste, j’accepte que ce préjudice soit d’une nature qui est irréparable. Il est facilement compréhensible que les retards évitables portent atteinte à la réputation de l’APL, et que ce résultat soit irréparable : RJR - Macdonald à la p 341. Par exemple, des clients de l’APL qui sont affectés par des retards causés par l’indisponibilité des pilotes pourraient choisir d’autres options pour transporter leurs produits à l’avenir. Même s’il n’y a pas de preuve d’un tel choix par un client de l’APL dans le passé, il me semble probable que ce soit arrivé considérant le nombre de retards qui ont eu lieu au fil des ans.

[12]           La Corporation s’en prend à ce dernier passage, arguant qu’il comporte plusieurs erreurs. Malgré le fait que cet aspect de l’analyse n’est pas aussi complet et solide qu’il pourrait l’être, je ne suis pas en mesure de déceler une erreur qui me permettrait d’écarter la conclusion à laquelle le juge de la Cour fédérale en est arrivé.

[13]           Il suffit de dire à cet égard que l’inférence qu’il a tirée à l’effet que les retards nuisent à la réputation de l’APL n’est pas spéculative. Il s’agit plutôt d’une déduction logique qui découle de la preuve. J’ajouterais que la conclusion du juge de la Cour fédérale à l’effet que l’atteinte à la réputation de l’APL est difficilement quantifiable semble conforme à l’énoncé de la Cour suprême dans le passage de la décision RJR-MacDonald auquel le juge de la Cour fédérale réfère. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la Corporation, je suis d’avis que le juge de la Cour fédérale avait devant lui une preuve suffisante pour lui permettre de conclure à l’existence d’un tel préjudice.

3ième volet : prépondérance des inconvénients

[14]           Le juge de la Cour fédérale a ensuite abordé le volet de la prépondérance des inconvénients. Après avoir indiqué que l’intérêt public favorise le respect du contrat signé le 15 octobre 2015 (motifs, para. 39), il a précisé « que les pilotes ont vraisemblablement fait leurs arrangements pour la période des fêtes 2015-2016 … depuis longtemps » (ibidem).

[15]           En ce qui a trait aux inconvénients subis par l’APL, le juge de la Cour fédérale les a atténués tout en reconnaissant leur existence. Au-delà du fait « [qu’]il existe un intérêt public que les contrats soient respectés » (motifs, para. 38), le refus par la Corporation d’obtempérer à ses obligations contractuelles causera des retards, même si ces retards seront moindres que ceux anticipés (motifs, para. 40).

[16]           En fin d’analyse, c’est le maintien de ce que le juge de la Cour fédérale a perçu comme étant le statu quo qui semble avoir fait pencher la balance en faveur de la Corporation (motifs, para. 41) :

[41]      Chacune des parties argumente que le principe de préservation du statu quo s’opère en sa faveur. La Corporation soutient que le statu quo est que le Calendrier 2015 reste en place, alors que l’APL soutient que le statu quo exige que le nouveau contrat entre les parties soit respecté. Je suis d’avis que la Corporation a raison. L’APL demande que la Corporation soit ordonnée à modifier le Calendrier 2015. Le statu quo est que je n’impose pas une telle ordonnance. (Je souligne)

[17]           En tirant cette conclusion, le juge de la Cour fédérale s’est mépris sur la règle de droit applicable. Pour que le Calendrier 2015 représente le statu quo, il aurait fallu que le juge de la Cour fédérale tire une conclusion à l’opposé de celle qu’il a tirée quant à la question sérieuse. En effet, la conclusion qu’il a tirée est que la Corporation était au courant des nouvelles exigences depuis juin 2015 et était tenue de les respecter dès la signature du nouveau contrat, et ce, malgré le Calendrier 2015. C’est donc que le Calendrier 2015 ne représentait pas le statu quo, celui-ci étant plutôt constitué par les exigences prévues au contrat signé en octobre 2015.

[18]           Il s’ensuit que le seul motif favorisant la Corporation sous le volet de la prépondérance des inconvénients est qu’il serait « inconvénient pour les pilotes de devoir changer leurs arrangements… » pour la période des fêtes 2015-2016 (motifs, para. 39). Nul doute est-ce le cas. Mais la seule raison pour laquelle cette situation malencontreuse existe, selon la conclusion tirée par le juge de la Cour fédérale, est que la Corporation n’a pas préparé un nouveau calendrier en fonction des nouvelles exigences comme elle devait le faire selon les termes du contrat qu’elle a signé. En soulevant cette contrariété, la Corporation ne fait ni plus ni moins que plaider sa propre turpitude.

[19]           Puisqu’il s’agit là du seul « inconvénient » retenu par le juge de la Cour fédérale pour faire pencher la balance à l’encontre de l’APL, il s’ensuit que ce troisième volet milite aussi en faveur de l’émission de l’injonction demandée.

[20]           J’en viens donc à la conclusion qu’il y aurait lieu d’accueillir l’appel, d’annuler l’ordonnance rendue par le juge de la Cour fédérale et d’émettre l’ordonnance qu’il aurait dû rendre selon les termes proposés par l’APL, sujet à ce que la date marquant le début de la période visée par l’injonction interlocutoire soit repoussée au 26 décembre 2015, afin de mieux permettre à la Corporation d’obtempérer. J’accorderais à l’APL ses dépens devant nous et devant la Cour fédérale.

« Marc Noël »

Juge en Chef

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-542-15

 

INTITULÉ :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES c. CORPORATION DES PILOTES DU SAINT-LAURENT CENTRAL INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ottAWA (oNTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 décembre 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 décembre 2015

 

 

COMPARUTIONS :

Me Patrice Gladu

 

Pour l'appelante

 

Me Jean Lortie

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dunton Rainville, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

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