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Date : 20151125


Dossier : A-126-15

Référence : 2015 CAF 261

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

PETER TATICEK

demandeur

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2015.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

 


Date : 20151125


Dossier : A-126-15

Référence : 2015 CAF 261

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

PETER TATICEK

demandeur

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

I.                   Introduction

[1]               Il s'agit d'un contrôle judiciaire portant sur une décision d'une arbitre nommée sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). Le demandeur, Peter Taticek, demande à la Cour de casser la décision de l'arbitre selon laquelle l'intimée, à savoir l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), n'a pas fait preuve de discrimination à son endroit en omettant de lui offrir des mesures d'adaptation raisonnables dans son milieu de travail en raison de son état de santé. Pour les motifs que j'expose, je suis d'avis de rejeter la demande.

II.                Le contexte

[2]               Monsieur Taticek travaille pour l'intimée, à savoir l'ASFC, depuis 2007. En novembre 2010, le demandeur a envoyé à son superviseur deux certificats de son médecin, datés du 10 et du 25 novembre, selon lesquels des mesures d'adaptation étaient nécessaires en raison d'un problème de santé non précisé. Dans ces certificats, le Dr Labrosse a mentionné le besoin d'un changement de milieu de travail et de structure hiérarchique afin que le demandeur relève d'un autre directeur.

[3]               Le 6 décembre 2010, l'intimée a demandé de plus amples renseignements de la part du Dr Labrosse. Cependant, le 8 décembre 2010, le Dr Labrosse a informé l'ASFC que M. Taticek devrait prendre un congé de maladie en raison de la dégradation de son état depuis la production des certificats de novembre. Le 19 janvier 2011, le Dr Labrosse a examiné M. Taticek à nouveau et a informé l'intimée que M. Taticek ne pourrait retourner travailler qu'en mai 2011.

[4]               En février 2011, M. Taticek a présenté un grief; il a prétendu que son incapacité de travailler était attribuable à la réaction tardive de l'ASFC aux certificats du médecin de novembre. Même si le médecin avait auparavant déterminé que le demandeur ne pourrait retourner au travail qu'en mai, le demandeur n'est retourné travailler qu'en septembre 2011.

[5]               À son retour au travail, le demandeur a été muté de l'équipe responsable du passage à la frontière (SSMAEC) à l'équipe chargée du Système des douanes pour le secteur commercial (SDSC). Les deux équipes se trouvaient dans la même division de l'ASFC et relevaient du même directeur.

[6]               Le 11 octobre 2011, l'ASFC a été informée pour la première fois que le médecin de M. Taticek croyait qu'il devrait relever en fait d'un autre directeur général, et non simplement d'un autre directeur. Cependant, ni le Dr Labrosse, ni le nouveau médecin du demandeur, le Dr Henry, n'ont expliqué la raison pour laquelle un changement de directeur général, plutôt que de directeur, était nécessaire pour des raisons médicales. De plus, rien dans le dossier ne démontre que M. Taticek a fourni des précisions quant à la raison pour laquelle il devait relever d'un autre directeur général.

[7]               En mars 2012, l'ASFC a demandé le consentement de M. Taticek pour obtenir des explications du Dr Henry. À l'issue de longs échanges relativement au libellé approprié de la lettre de consentement, l'ASFC a finalement déterminé qu'elle avait fait tout ce qu'elle pouvait pour offrir des mesures d'adaptation à M. Taticek.

[8]               De mars à juin 2012, M. Taticek et l'ASFC ont tenté d'aborder le second aspect des mesures d'adaptation demandées, à savoir une évaluation ergonomique du poste de travail du demandeur. Encore une fois, les motifs pour reporter la tenue d'une évaluation variaient. Cependant, une évaluation a finalement été prévue le 9 mai, mais elle a dû être reportée au 22 mai parce que le demandeur avait quitté le travail en milieu de journée le 9 mai étant donné qu'il était malade.

[9]               Il a également été appris qu'un employé du service des ressources humaines avait appelé M. Taticek [TRADUCTION] « le mousquetaire » dans des courriels internes, pendant que la demande de mesures d'adaptation de M. Taticek était à l'étude. Le demandeur a affirmé avoir souffert de préjudice psychologique et d'embarras lorsqu'il a découvert ce fait après coup.

III.             La décision faisant l'objet du contrôle

[10]           Dans une décision du 29 janvier 2015, l'arbitre a rejeté la plainte. Appliquant le critère énoncé dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (O'Malley), elle a conclu que M. Taticek avait présenté une preuve prima facie de discrimination parce que les conditions de travail ont nui à sa capacité de faire son travail. Cependant, elle a conclu que l'ASFC avait réfuté cette preuve.

[11]           L'arbitre a déterminé qu'il a fallu plus d'un an et demi pour répondre entièrement aux demandes de mesures d'adaptation de M. Taticek. Elle a conclu que la responsabilité d'une partie de ce retard pouvait être attribuée à l'intimée. D'autres retards n'étaient clairement pas imputables à l'intimée. Ils constituaient des délais de mise en œuvre raisonnables, ou avaient été causés par le demandeur même. Il s'agissait notamment du fait que M. Taticek avait quitté le lieu de travail le jour où l'évaluation ergonomique était prévue, le défaut de sa part de fournir des renseignements suffisants relativement aux mesures d'adaptation nécessaires et son défaut de participer pleinement à la recherche d'une nouvelle affectation qui serait plus appropriée et mieux adaptée à ses besoins. Il y a également eu des retards pour lesquels la responsabilité n'a pu être clairement attribuée et qui n'ont pas été éclaircis dans le dossier dont a été saisie l'arbitre.

[12]           En ce qui concerne le fait que M. Taticek s'est fait appeler « le mousquetaire », l'arbitre a conclu qu'il s'agissait d'une remarque désobligeante. Cependant, elle a fait observer que ce commentaire n'a eu aucune répercussion ou conséquence sur les questions en jeu parce que l'auteur du commentaire n'avait aucune responsabilité décisionnelle, et que M. Taticek n'était pas au courant de ce commentaire au moment où il a été fait. Par conséquent, l'arbitre a rejeté cet élément de la plainte.

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[13]           Les parties conviennent que la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable. Comme la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans la décision Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[14]           Dans la présente demande, le rôle de la Cour n'est pas de remplacer les conclusions de la Commission par les siennes. Il consiste plutôt à déterminer si la conclusion de la Commission était raisonnable.

B.                 Le caractère raisonnable des mesures d'adaptation de l'ASFC

[15]           Bien que le demandeur ait soulevé de nombreuses questions, seules deux méritent d'être étudiées attentivement. La première consiste à savoir si le fait que l'ASFC n'a pas retiré M. Taticek de la structure organisationnelle relevant du directeur général constituait un défaut de prendre des mesures d'adaptation. La deuxième est de savoir si le retard dans la mise en œuvre des mesures d'adaptation constituait en soi une absence de mesures d'adaptation raisonnables.

[16]           Le demandeur a contesté la mutation à l'équipe du SDSC en soutenant qu'elle ne répondait pas aux besoins établis dans les certificats des médecins. Ces derniers, ainsi que le demandeur même, croyaient que le demandeur avait besoin d'être retiré de la structure organisationnelle relevant du directeur général, ce que l'employeur n'a pas fait. Cependant, deux facteurs militent contre la conclusion selon laquelle le refus est déraisonnable. Tout d'abord, comme l'arbitre l'a conclu et comme l'intimée le souligne, ce n'est que le 11 octobre 2011 que les termes [TRADUCTION] « changement de structure hiérarchique », comme il est recommandé dans le premier certificat médical du Dr Labrosse, ont été interprétés par l'autre médecin de M. Taticek comme signifiant une mutation à un poste relevant d'un autre directeur général.

[17]           Il ne ressort pas clairement de la lecture du dossier dont était saisie l'arbitre qu'il s'agissait d'une conséquence logique de la recommandation que l'appelant relève [TRADUCTION] « d'une autre division ». De plus, étant donné le poste de M. Taticek au sein de l'organisation, rien n'indique pourquoi la mutation de M. Taticek à une division différente, située dans un immeuble différent, pour faire un travail différent sous l'autorité d'une équipe de direction différente ne respectait pas l'essence de la demande. Comme l'a conclu l'arbitre, M. Taticek était alors séparé du directeur général par quatre échelons hiérarchiques, comparativement à trois auparavant.

[18]           En l'absence d'explications quant à la raison pour laquelle le demandeur devait relever d'un autre directeur général, la conclusion de l'arbitre selon laquelle l'employeur a offert des mesures d'adaptation en mutant le demandeur à l'équipe du SDSC était raisonnable. De plus, pour évaluer la question de savoir si la mutation répondait à la demande, l'arbitre a tenu compte des principes appropriés, à savoir qu'il n'y avait aucune exigence qu'il doive s'agir d'une solution parfaite ou que le poste doive être le poste qui convient le mieux à l'employé : Andres c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 86.

[19]           Je me penche maintenant sur l'examen par l'arbitre des retards, qui, selon le demandeur, constituent un défaut de prendre des mesures d'adaptation.

[20]           Il est important d'examiner la nature de la preuve dont était saisie l'arbitre. Les certificats des médecins étaient laconiques et vagues. De plus, les efforts de l'intimée pour clarifier les mesures précises requises pour créer un poste de travail et un milieu de travail appropriés ont été vains, en partie en raison de l'appelant, ce qui a fait que le processus de mise en œuvre des mesures d'adaptation à l'égard des besoins médicaux de M. Taticek s'est étiré sur plus d'un an et demi. Cependant, ce retard n'est pas entièrement imputable à l'intimée. Une partie du retard est imputable à la conduite de M. Taticek. Comme il a été mentionné, il s'agit là, en partie, du résultat des efforts faits, quoique de façon imparfaite, par un employé et un employeur pour parvenir à un arrangement qui offrirait des mesures d'adaptation raisonnables à M. Taticek, résultat dont on ne peut attribuer la responsabilité à l'une ou l'autre des parties.

[21]           L'arbitre aurait pu tirer des conclusions plus explicites quant aux causes des retards, mais le défaut de le faire ne rend pas la décision non fondée. Les principales périodes pertinentes ont été prises en compte. L'arbitre a également analysé de manière assez détaillée la longue série de communications que M. Taticek a eues avec l'ASFC et les initiatives prises par cette dernière en réponse à la demande de mesures d'adaptation. Sa conclusion voulant que l'ASFC ait pris des mesures d'adaptation raisonnables au profit de M. Taticek et que le retard à mettre celles-ci en œuvre ne constituait pas de la discrimination était solidement ancrée dans la preuve et s'inscrivait dans un éventail d'issues raisonnables.

[22]           Concernant les commentaires présentant M. Taticek comme un « mousquetaire », je suis d'accord avec le demandeur lorsqu'il affirme que le fait qu'il n'en était pas au courant à l'époque n'empêche pas qu'ils soient discriminatoires. Cependant, l'auteur des commentaires a été réprimandé sans délai et s'est vu retirer le dossier. Il n'y a rien dans le dossier qui indiquerait que l'utilisation de cette épithète avait d'autre but que de banaliser la demande. Compte tenu des circonstances, l'arbitre pouvait conclure de façon raisonnable que l'emploi de cette épithète, aussi peu professionnel soit‑il, ne constituait pas de la discrimination. Par conséquent, je suis d'avis de ne pas remettre en question sa conclusion.

[23]           Je suis d'avis de rejeter la demande avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Marc Noël,

juge en chef »

« Je suis d'accord.

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D'UNE DÉCISION DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L'EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE, DOSSIER NO 560‑02‑086 (2015 CRTEFP 12)

DOSSIER :

A-126-15

 

INTITULÉ :

PETER TATICEK c. AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 28 OCTOBRE 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Steven Welchner

POUR LE DEMANDEUR

Christine Diguer

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Contentieux du Conseil du Trésor

Ottawa (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

 

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