Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20150109


Dossier : A-82-14

Référence : 2015 CAF 5

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

ENTRE :

 

GARTH H. DRABINSKY

 

appelant

 

et

 

LE CONSEIL CONSULTATIF DE L'ORDRE DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 décembre 2014

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 


Date : 20150109


Dossier : A-82-14

Référence : 2015 CAF 5

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

ENTRE :

 

GARTH H. DRABINSKY

 

appelant

 

et

 

LE CONSEIL CONSULTATIF DE L'ORDRE DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.                   Introduction

[1]               Garth H. Drabinsky interjette appel de la décision du 8 janvier 2014 par laquelle la Cour fédérale (2014 CF 21) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire. Devant la Cour fédérale, M. Drabinsky a contesté les « décisions » suivantes prises au long du processus ayant abouti à la révocation de sa nomination à l'Ordre du Canada :

[TRADUCTION]

 

1.         La décision du Conseil consultatif de l'Ordre du Canada (le Conseil consultatif) d'exiger du demandeur, M. Drabinsky, de présenter au Conseil consultatif, au plus tard le 7 août 2012, tous les documents pertinents pour déterminer s'il doit recommander la révocation de la nomination de M. Drabinsky à titre d'officier de l'Ordre du Canada;

2.         La décision du Conseil consultatif de ne pas tenir compte de la demande présentée par M. Drabinsky visant à reporter l'échéance du 7 août 2012 afin de lui permettre de joindre les personnes qu'il n'a pu joindre et d'obtenir les renseignements et documents qu'il n'a pu obtenir avant cette échéance ou pendant sa période de détention à l'Établissement de Beaver Creek, ou la décision de rejeter cette demande;

3.         La décision du Conseil consultatif de recommander au gouverneur général du Canada de prendre une ordonnance de révocation de la nomination de M. Drabinsky à titre d'officier de l'Ordre du Canada, décision exposée dans une lettre du 17 janvier 2013 et communiquée à M. Drabinsky par l'entremise de ses avocats le 1er février 2013;

4.         La décision du gouverneur général de prendre l'ordonnance sur le fondement de la recommandation mentionnée au paragraphe précédent.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l'appel.

II.                Les faits et l'historique judiciaire

[3]               Le juge de la Cour fédérale a bien résumé les faits de la présente affaire :

[1]        Monsieur Garth H. Drabinsky est un impresario et producteur bien connu. En 1995, le gouverneur général lui a décerné l'Ordre du Canada en reconnaissance de sa contribution à l'industrie du divertissement.

[2]        En 2009, M. Drabinsky a été reconnu coupable de deux chefs d'accusation de fraude se rapportant à la gestion de son entreprise, Livent. La Cour supérieure de justice de l'Ontario l'a condamné à une peine d'emprisonnement de sept ans. En appel, la Cour d'appel de l'Ontario a maintenu les déclarations de culpabilité, mais a réduit la peine à cinq ans : R v. Drabinsky, 2011 ONCA 582.

[3]        En juin 2012, pendant que M. Drabinsky était encore incarcéré, le secrétaire général du gouverneur général lui a écrit pour l'aviser que le Conseil consultatif de l'Ordre du Canada allait examiner s'il y avait lieu de révoquer sa nomination. Le secrétaire général a indiqué à M. Drabinsky qu'il pouvait présenter des observations écrites au Conseil et a fixé le 7 juillet 2012 comme échéance.

[4]        L'avocat de M. Drabinsky a répondu à la lettre du secrétaire général et a demandé que le délai pour la présentation des observations soit prolongé. En particulier, il a demandé une prolongation jusqu'en janvier 2013, date à laquelle il était prévu que M. Drabinsky pourrait se voir accorder une semi‑liberté; ainsi, M. Drabinsky serait mieux en mesure de rassembler les documents qu'il souhaitait soumettre au Conseil.

[5]        Le secrétaire général a répondu à la lettre de l'avocat de M. Drabinsky, affirmant que le Conseil avait convenu d'accorder une prolongation d'un mois à M. Drabinsky, soit jusqu'au 7 août 2012.

[6]        Le 3 août 2012, M. Drabinsky a présenté des observations détaillées au Conseil — 17 pages d'observations et une abondante documentation à l'appui, y compris un exemplaire de son autobiographie intitulée Closer to the Sun. Toutefois, M. Drabinsky a également affirmé qu'il se réservait le droit de soumettre de nombreuses autres observations après sa libération. Le secrétaire général a accusé réception de la documentation présentée par M. Drabinsky, sans aborder la question de savoir si la soumission d'autres observations serait autorisée.

[7]        Le Conseil s'est réuni en novembre 2012 et a décidé de recommander au gouverneur général la révocation de la nomination de M. Drabinsky. Le gouverneur général a accepté la recommandation du Conseil et a signé une ordonnance à cet effet. Le secrétaire général a avisé M. Drabinsky de la décision du gouverneur général, qui a été par la suite publiée dans la Gazette du Canada.

[4]               Le juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire, ayant conclu que les décisions du Conseil consultatif et du gouverneur général ne pouvaient faire l'objet d'un contrôle sur le fond, étant donné que « la décision de conférer ou de ne pas conférer, ou même celle de retirer une nomination honorifique, ne peut porter atteinte aux droits de cette personne, de sorte qu'une telle décision ne peut être contestée devant un tribunal » (au paragraphe 18). Cette conclusion découle du fait qu'aucun citoyen canadien n'a [TRADUCTION] « droit » à un honneur (citant Black c. Canada (Prime Minister), 54 O.R. (3d) 215, [2001] O.J. no 1853 (QL), au paragraphe 60).

[5]               Le juge de la Cour fédérale a toutefois admis qu'il était permis de contester la décision du Conseil consultatif sur le fondement de la question procédurale de savoir si le processus ayant mené à la révocation de la nomination avait été conforme aux attentes légitimes de la personne concernée (au paragraphe 21). Pour arriver à cette conclusion, il s'est appuyé sur le raisonnement exposé par la Cour fédérale dans le jugement Black c. Conseil consultatif de l'Ordre du Canada, 2012 CF 1234, 2012 A.C.F. no 1309 (QL), au paragraphe 63.

III.             Les questions en litige

[6]               La Cour doit trancher les questions suivantes :

1.      Les décisions du Conseil consultatif de recommander la révocation d'une nomination à l'Ordre du Canada peuvent‑elles être assujetties au contrôle des tribunaux?

2.      La procédure suivie par le Conseil consultatif était‑elle conforme aux attentes légitimes de M. Drabinsky?

IV.             Analyse

[7]               À mon sens, la Cour n'a pas à se prononcer sur la question de l'assujettissement des décisions au contrôle des tribunaux ni sur celle de savoir si des attentes légitimes peuvent être créées en l'absence d'une obligation d'agir équitablement issue de la common law. Même en supposant — sans toutefois trancher ces questions — que la décision de révoquer la nomination de M. Drabinsky peut faire l'objet d'un recours judiciaire et que la règle de l'attente légitime s'applique, rien ne permet de conclure que le processus suivi par le Conseil consultatif n'était pas conforme aux attentes légitimes de l'appelant.

[8]               Il est bien établi en droit que seules les déclarations claires, nettes et explicites au sujet de la procédure peuvent susciter une attente légitime (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 94, 98 et 99; voir également Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 68).

[9]               Devant la Cour, M. Drabinsky a fait valoir qu'il était en droit de s'attendre à ce que le processus soit équitable et à ce que le Conseil consultatif vérifie tous les faits pertinents. Selon lui, cela n'a pas été le cas sous les rapports suivants.

[10]           Premièrement, le nouveau délai qu'on lui a accordé pour répondre au Conseil consultatif était insuffisant. Cela signifie que le Conseil ne disposait pas d'un dossier adéquat pour fonder sa recommandation.

[11]           Deuxièmement, le Conseil consultatif n'a pas communiqué les conclusions étayant sa recommandation au gouverneur général.

[12]           Enfin, M. Drabinsky n'a pas été informé immédiatement de la décision du gouverneur général.

[13]           Je rejette l'idée selon laquelle M. Drabinsky pouvait légitimement s'attendre à se voir accorder un délai indéfini et à ce que le Conseil consultatif arrive aux conclusions du genre qu'il souhaitait. Je tire ces conclusions pour les raisons qui suivent.

[14]           Premièrement, dans la Politique et procédure de révocation d'une nomination à l'Ordre du Canada invoquée par M. Drabinsky, il n'est indiqué nulle part de façon claire, nette et explicite que toute prolongation de délai demandée sera accordée. Tout au plus la Politique autorise‑t‑elle le secrétaire général de l'Ordre à prolonger le délai de réponse fixé. De même, les observations faites par le secrétaire général dans la lettre qu'il a adressée le 7 juin 2012 à M. Drabinsky, à savoir que ce dernier pouvait présenter des observations [TRADUCTION] « étayées par la documentation que vous jugez appropriée, au plus tard le 7 juillet 2012 », ne lui permettaient pas de s'attendre légitimement à se voir accorder un délai indéterminé.

[15]           Deuxièmement, le Conseil consultatif a présenté au gouverneur général l'ensemble du dossier en sa possession en précisant que, [TRADUCTION] « [a]près examen de l'ensemble des faits du dossier, et en particulier les documents produits », il recommandait la révocation de la nomination de M. Drabinsky. Autrement dit, le Conseil consultatif a jugé que le dossier dont il disposait justifiait la révocation. Rien dans le texte de la Politique ne permet de s'attendre légitimement à ce que le Conseil consultatif expose dans le détail les motifs de sa décision comme M. Drabinsky le voudrait.

[16]           Enfin, si M. Drabinsky pouvait légitimement s'attendre à être immédiatement informé de la décision du gouverneur général, le fait qu'il ne l'ait pas été est sans conséquence d'un point de vue juridique. Dès que la décision lui a été communiquée, M. Drabinsky a introduit sa demande de contrôle judiciaire dans le délai prescrit.

[17]           Comme l'a conclu le juge de la Cour fédérale, le processus ayant mené à la révocation de la nomination de l'appelant était conforme à la Politique. L'appelant s'est vu accorder plus de temps pour présenter des observations, ce qu'il a fait par écrit et de manière exhaustive dans le nouveau délai imparti. Le Conseil consultatif a examiné ces observations, qui lui ont servi de fondement pour formuler sa recommandation au gouverneur général. Le gouverneur général a fondé sa décision sur la recommandation du Conseil consultatif.

[18]           L'appelant aurait sans doute préféré bénéficier de garanties procédurales plus étendues, mais étant donné le caractère limité des droits qui lui étaient conférés en vertu de la règle des attentes légitimes, je ne vois pas sur quelle base la Cour pourrait intervenir.

V.                Conclusion

[19]           Je rejetterais l'appel. Les intimés disposent de dix jours pour formuler des observations par écrit au sujet des dépens, après quoi M. Drabinsky disposera de dix jours pour y répondre. Les observations des parties peuvent être rédigées sous forme de lettre; elles ne devront pas dépasser deux pages.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D'UNE ORDONNANCE PRONONCÉE LE 8 JANVIER 2014 PAR LE JUGE O'REILLY DANS LE DOSSIER NO T-363-13

DOSSIER :

A-82-14

 

 

INTITULÉ :

GARTH H. DRABINSKY c. LE CONSEIL CONSULTATIF DE L'ORDRE DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

John P. Koch

Allison Thornton

 

POUR L'APPELANT

 

Christine Mohr

Andrea Bourke

 

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koch Thornton LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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