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Date : 20141120


Dossier : IMM-4677-13

Référence : 2014 CF 1099

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MARIA DEL PILAR BRAVO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande d’asile de Maria del Pilar Bravo a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour des raisons de crédibilité. La Commission a également jugé que le fait qu’elle a tardé à demander l’asile au Canada montrait qu’elle n’éprouvait pas de crainte subjective de persécution.

[2]               À l’issue de l’audience, j’ai informé les parties que je rejetais la demande de contrôle judiciaire. Voici les motifs de ma décision.

I.                   La question du caractère théorique

[3]               Avant d’examiner le bien‑fondé de la présente demande de contrôle judiciaire, il faut d’abord se pencher sur la prétention du défendeur selon laquelle la demande est maintenant sans objet puisque Mme del Pilar n’est plus au Canada.

[4]               Mme del Pilar a été renvoyée du Canada en février 2014, après que sa requête en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi a été rejetée par la Cour fédérale. Le défendeur soutient que Mme del Pilar n’étant plus [traduction] « hors de son pays de nationalité ou hors de son ancien lieu habituel de résidence », elle ne correspond plus à la définition de réfugié aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chap. 27. Elle ne saurait non plus être considérée comme une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi puisqu’elle n’est pas une « personne qui se trouve au Canada ». Par conséquent, le défendeur estime que la demande d’asile de Mme del Pilar ne pourrait faire l’objet d’un nouvel examen et qu’elle est désormais sans objet.

[5]               Comme cet argument a été soulevé une première fois dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit du défendeur, Mme del Pilar n’a pas eu la chance d’y répondre par écrit et elle a demandé au début de l’audience d’avoir la possibilité de soumettre des observations écrites sur la question. Les deux parties ont toutefois présenté des observations très détaillées sur le bien‑fondé de la demande.

[6]               Ayant entendu les parties au sujet de la demande sous‑jacente, je suis arrivée à la conclusion que la demande devait être rejetée sur le fond. Dans ces circonstances, ce serait gaspiller les rares ressources judiciaires dont nous disposons que d’ajourner l’affaire pour que des arguments additionnels puissent être déposés sur le caractère théorique de la demande.

II.                Le caractère raisonnable de la décision de la Commission

[7]               La Commission avait de nombreux motifs de ne pas donner foi à l’allégation de Mme del Pilar voulant que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) lui avait fait des menaces parce qu’elle donnait des cours extrascolaires destinés à empêcher que les étudiants ne se fassent recruter par les FARC. Même si j’accepte les arguments de Mme del Pilar selon lesquels la Commission a fait erreur en négligeant d’examiner la preuve originale des efforts déployés pour la protéger que son frère a présentée et en concluant que sa déclaration renfermait des incohérences importantes quant aux agents de persécution, la Commission avait néanmoins plusieurs autres raisons de douter de sa crédibilité compte tenu des éléments du dossier.

[8]               L’une de ces raisons était que Mme del Pilar avait négligé de mentionner au point d’entrée que des membres des FARC l’avaient menacée avec une arme à feu. Sur le formulaire de demande d’asile, à la question de savoir pourquoi elle demandait l’asile au Canada, Mme del Pilar a répondu [traduction] « je fais l’objet de menaces; j’ai reçu des coups de téléphone où on me recommandait de disparaître loin de la ville et de mon lieu de travail ».

[9]               En revanche, Mme del Pilar a déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels et dans son témoignage oral que le 12 février 2011, huit membres des FARC se sont introduits dans sa classe et lui ont dit qu’elle était une cible politique en la menaçant d’une arme. Ils l’auraient aussi prévenue de cesser ses ateliers si elle ne voulait pas qu’ils l’y forcent eux‑mêmes.

[10]           Citant la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Argueta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1146, aux paragraphes 33 et 34, 4 Imm. L.R. (4th) 333, Mme del Pilar fait valoir qu’un formulaire de demande d’asile n’est pas censé renfermer tous les détails de la demande et que les commissaires devraient faire une distinction entre les cas où un demandeur contredit sa déclaration initiale et les autres, comme en l’espèce, où le demandeur a simplement ajouté des précisions.

[11]           Je n’accepte pas cet argument. Dans son formulaire de demande d’asile, Mme del Pilar déclare avoir fait l’objet de menaces, de [traduction] « menaces téléphoniques ». Son allégation subséquente selon laquelle huit membres des FARC l’ont menacée avec une arme à feu contredit sa description antérieure de la nature des menaces. Qui plus est, il s’agit là d’une incohérence importante, qui touche l’essence même de sa demande d’asile. La conclusion de la Commission selon laquelle cette incohérence a miné la crédibilité de Mme del Pilar était raisonnable au vu du dossier.

[12]           De même, il était tout à fait raisonnable que la Commission conclue que la lettre corroborant l’incident du 12 février 2011, supposément écrite par une collègue de Mme del Pilar nommée « Diana », était un document frauduleux. Mme del Pilar a déclaré avoir reçu cette lettre signée par Diana par la poste. Cela dit, Mme del Pilar a été incapable d’expliquer comment elle en possédait à la fois une version signée et une version non signée.

[13]           Mme del Pilar fait valoir que la Commission a refusé d’accepter la possibilité que son conseil avait mis de l’avant et selon laquelle la collègue avait envoyé d’abord une première ébauche non signée par courriel et ensuite la version finale sur papier par la poste. Cependant, la Commission a pris la suggestion du conseil en considération, mais l’a rejetée. Cette suggestion étant purement hypothétique et non corroborée par aucun élément de preuve, il était raisonnable pour la Commission de conclure que ce document n’était pas légitime.  

[14]           La Commission a tenu pour avéré que Mme del Pilar avait travaillé comme enseignante et n’a pas rejeté les lettres émanant de son employeur au motif des différences entre les en‑têtes des deux lettres. Il lui était cependant tout à fait raisonnable de s’étonner que les lettres attestant de son emploi d’enseignante ne faisaient nullement mention des menaces que lui avaient faites les FARC. Cela était d’autant plus étonnant du fait que Mme del Pilar a prétendu avoir mis l’auteur d’une de ces lettres au courant des menaces.

[15]           Il n’était pas déraisonnable non plus pour la Commission de se préoccuper du fait que les éléments de preuve de Mme del Pilar renfermaient des incohérences quant à la fréquence des activités extrascolaires qui étaient à l’origine de ses problèmes.

[16]           Ma constatation selon laquelle bon nombre des conclusions négatives quant à la crédibilité de la demande de Mme del Pilar étaient raisonnables constitue un fondement suffisant pour conclure que la décision contestée appartient à l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 C.S.C 12, au paragraphe 59, [2009] 1 R.C.S. 339). Par souci d’exhaustivité, toutefois, je vais néanmoins commenter la décision que la Commission a prise au sujet de la crainte subjective.

III.             Absence de crainte subjective

[17]           La Commission a fait remarquer que Mme del Pilar a quitté la Colombie pour les États‑Unis où elle a vécu plus de trois mois avant de venir au Canada et d’y demander l’asile. La Commission a pris note du fait que les deux enfants de Mme del Pilar vivent au Canada et a reconnu qu’il n’est pas déraisonnable qu’une mère souhaite être réunie avec ses filles. Cela dit, la Commission a également fait remarquer que toute personne qui s’enfuit d’un pays par crainte d’y trouver la mort demande normalement l’asile dès qu’elle en a la chance, et le fait que Mme del Pilar a tardé à prendre ces dispositions montre qu’elle n’éprouvait pas de crainte subjective à cet égard.

[18]           Mme del Pilar soutient que ces conclusions sont contradictoires parce que la Commission a, d’une part, reconnu qu’il n’était pas déraisonnable pour une mère de chercher à retrouver ses filles et, d’autre part, jugé qu’elle avait été déraisonnable d’avoir attendu de se trouver au Canada pour demander l’asile.

[19]           Je ne suis pas d’avis que les conclusions de la Commission sont contradictoires. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une personne qui a séjourné brièvement dans un pays en attendant de présenter une demande d’asile au Canada où elle avait de la famille. Mme del Pilar a passé plus de trois mois aux États‑Unis sans prendre aucune disposition pour demander l’asile. Une lecture objective des motifs de la Commission révèle que celle‑ci se préoccupait de ce que l’absence apparente d’un sentiment d’urgence chez Mme del Pilar démentait son allégation de crainte de perdre la vie.

IV.             Conclusion

[20]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4677-13

INTITULÉ :

MARIA DEL PILAR BRAVO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 20 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

M. D. Clifford Luyt

POUR LA DEMANDERESSE

M. Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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