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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130308

Dossier : T‑1866‑11

Référence : 2013 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

 

SPANGLER CANDY COMPANY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

3651410 CANADA INC.,

FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM REGAL CONFECTIONS INC.

ET KARMA CANDY INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, portant en appel la décision de la protonotaire Milczynski, datée du 9 octobre 2011, qui rejette la requête en radiation des défendeurs visant la déclaration modifiée de la demanderesse. Les défendeurs demandent à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de radier les actes de procédure pour défaut de compétence en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles ou, subsidiairement, de suspendre les procédures en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est la propriétaire de la marque de commerce CANE CLASSICS enregistrée au Canada sous le no LMC 406,215. Pendant environ 18 ans, le défendeur Regal Confections (Regal) a distribué et vendu des cannes de bonbon CANE CLASSICS en vertu d’une entente contractuelle conclue avec la demanderesse (le contrat). En janvier 2010, la demanderesse a résilié le contrat avec Regal.

[3]               Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que, malgré la résiliation du contrat, les défendeurs ont usurpé la marque de commerce CANE CLASSICS, en contravention des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce; ont fait passer leurs marchandises pour celles de la demanderesse, en contravention de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce; ont entraîné la dépréciation de l’achalandage de la demanderesse, en contravention de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce; et ont violé le droit d’auteur de la demanderesse, en contravention des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur.

[4]               La demanderesse a présenté le 16 janvier 2012 une déclaration modifiée selon laquelle le produit en cause est distribué par la société Allan Candy depuis 2011.

[5]               Dans leur défense et demande reconventionnelle, les défendeurs font valoir que la résiliation du contrat n’était pas licite, qu’ils ont donc agi en vertu d’une licence octroyée par la demanderesse et que leur responsabilité n’est pas engagée; ou, subsidiairement, que la propriété intellectuelle de la demanderesse n’est pas valide.

[6]               Dans le cadre de leur demande reconventionnelle, les défendeurs affirment que la demanderesse a violé le contrat en informant Regal qu’elle avait [traduction] « cessé de fabriquer » le produit sans que l’avis approprié soit donné et contrairement aux clauses expresses du contrat. Regal affirme que, afin d’atténuer ses pertes et de répondre aux attentes des clients en matière d’approvisionnement pour la période des Fêtes de 2010, elle a fait fabriquer sous licence le produit par le défendeur Karma Candy Inc. Après la période des Fêtes de 2010, Regal a cessé de commercialiser le produit; il n’y a donc pas d’usurpation continue ou [traduction] « actuelle ». Les défendeurs ont également cherché à obtenir des dommages‑intérêts pour la résiliation prétendument abusive du contrat.

[7]               Dans sa réponse et défense à la demande reconventionnelle, la demanderesse admet que les parties avaient une relation de longue date, mais conteste la nature contractuelle de celle‑ci. Elle fait valoir également qu’elle avait le droit de résilier le contrat et qu’elle l’a fait de façon légitime.

[8]               Les défendeurs ont présenté à la Cour une requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’action en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, pour défaut de compétence, ou subsidiairement, une ordonnance de suspension en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi, en attendant qu’il soit statué par une cour provinciale sur une action d’une portée plus large. La demanderesse affirme que, à sa connaissance, les défendeurs n’ont intenté aucune action devant une cour provinciale pour obtenir la réparation réclamée dans leur demande reconventionnelle.

[9]               La protonotaire Milczynski a rejeté la requête des défendeurs par une ordonnance datée du 9 octobre 2012. Les défendeurs interjettent maintenant appel de cette ordonnance.

L’ORDONNANCE VISÉE AUX PRÉSENTES

[10]           La protonotaire Milczynski n’a pas conclu à l’existence d’un défaut de compétence évident et manifeste et n’a trouvé aucune raison d’ordonner le sursis de l’action.

[11]           Les défendeurs ont fait valoir que les questions contractuelles soulevées dans la demande reconventionnelle ne sont pas accessoires, et sont plutôt au cœur du litige. Ils estiment que ce sont les questions de propriété intellectuelle qui sont accessoires aux questions en litige liées à la violation [traduction] « actuelle et continue » du contrat. Les défendeurs ont soutenu que les questions contractuelles outrepassent la compétence de la Cour fédérale. Ils ont en outre fait valoir qu’une cour supérieure provinciale peut statuer à la fois sur des questions de propriété intellectuelle et sur des différends contractuels, et que les parties devraient donc s’adresser à une cour provinciale, qui sera en mesure de se prononcer sur toutes les questions en litige.

[12]           La protonotaire Milczynski n’a pas retenu les arguments des défendeurs. Elle a conclu que l’intégralité de la déclaration était fondée sur des questions de propriété intellectuelle, qui relèvent de la compétence de la Cour fédérale. Le fait que des questions contractuelles puissent être examinées par la Cour dans le cadre de l’examen global du litige n’altère en rien la compétence du tribunal. L’élément clé est que la procédure est fondée sur le droit fédéral. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO‑International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752 [ITO] :

La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n’est pas cependant restreinte à l’application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties…

 

 

[13]           Dans l’arrêt Innotech Pty. Ltd. c. Phoenix Rotary Spike Harrows Ltd., [1997] ACF no 855 [Innotech], la Cour d’appel fédérale s’est exprimée comme suit aux paragraphes 2 à 4 :

Dans la déclaration déposée dans le cadre de la présente instance, il est allégué que Phoenix et d’autres personnes ont contrefait le brevet de l’appelante. Dans sa défense, Phoenix allègue qu’elle a agi en vertu d’une licence et que, par conséquent, elle n’a pas commis de contrefaçon. Phoenix a aussi déposé une demande reconventionnelle par laquelle elle sollicite une déclaration quant à la validité de la licence, des injonctions en vue de l’application de la licence et des dommages‑intérêts pour violation alléguée de la licence par l’appelante.

 

Le juge des requêtes a conclu ce qui suit :

 

En l’espèce, il est allégué dans la déclaration que la contrefaçon s’est produite depuis que les défendeurs ont, sans licence ni autorisation, utilisé le brevet de la demanderesse. Or, les défendeurs prétendent avoir toujours utilisé l’invention sous le régime d’une licence valide. Cet argument constitue un élément essentiel de leur défense. Ils soutiennent également que c’est la demanderesse qui n’a pas respecté les conditions stipulées par la licence et que ce sont donc les défendeurs qui auront droit à la réparation « injonction ou dommages‑intérêts » habituellement accordée lors de l’instruction d’une affaire de ce genre. À mon avis, la demande reconventionnelle donne uniquement plus de détails sur le fondement de la réclamation soumise par les défendeurs. La licence qui fonde la demande reconventionnelle est la même que celle étayant la défense de non‑contrefaçon.

[…]

Ceci étant dit avec égards, il nous semble que bien que la défense et la demande reconventionnelle mettent en cause la même licence, celle‑ci est invoquée pour des motifs différents dans chaque acte de procédure. Dans la défense, elle sert de bouclier contre une action en contrefaçon. Dans la demande reconventionnelle, elle sert d’épée, de fondement à une demande de recours contre l’appelante en vue de son application. En soi, la demande reconventionnelle pourrait être présentée de manière indépendante à titre d’action en violation de contrat et, en tant que telle, elle ne relève pas de la compétence de la Cour. Pour paraphraser l’arrêt Kellogg c. Kellogg, l’action principale vise essentiellement l’application d’un brevet. Cette demande peut être tranchée sur la base de la déclaration et de la défense et, accessoirement à la décision au sujet de la licence, il se peut bien que son existence, ses modalités et sa validité doivent être examinés (sic) […]

 

 

[14]           La protonotaire Milczynski a conclu que le même raisonnement s’appliquait en l’espèce; la demanderesse se fonde exclusivement sur ses droits de propriété intellectuelle, et les défendeurs se servent de l’entente relative à la licence et à la distribution comme bouclier contre l’action intentée. De plus, dans la demande reconventionnelle, comme c’était le cas dans l’arrêt Innotech, le contrat sert d’épée pour exercer des recours contre la demanderesse. La protonotaire Milczynski a conclu que l’action intentée par la demanderesse relevait de la compétence de la Cour fédérale, même si certaines questions contractuelles devaient être prises en considération.

[15]           En outre, la protonotaire Milczynski n’a pas estimé qu’il était juste ou approprié dans les circonstances d’ordonner le sursis de la procédure pour qu’une cour provinciale se prononce dans le cadre d’un recours visant tous les différends. Advenant une conclusion de validité, ou encore pour demander une injonction, il demeurerait nécessaire de s’adresser à la Cour fédérale pour que la réparation ait effet et s’applique à l’échelle nationale.

[16]           Les défendeurs n’ont pas établi que la poursuite de l’action devant la Cour fédérale représenterait une injustice ou constituerait un abus. Les défendeurs seraient encore en mesure d’intenter devant une cour provinciale leur action pour violation de contrat. La protonotaire Milczynski a conclu qu’il n’y avait aucune raison de radier l’action ou de suspendre la procédure pour permettre à une autre cour de se prononcer.

QUESTION EN LITIGE

[17]           Les défendeurs soumettent la question suivante dans leur requête :

a)                  La protonotaire Milczynski a‑t‑elle commis une erreur de droit ou une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête des défendeurs?

NORME DE CONTRÔLE

[18]           Dans l’arrêt Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425 (CA), la Cour d’appel fédérale déclare, au paragraphe 95, que la décision discrétionnaire d’un protonotaire ne doit être infirmée en appel que dans les deux cas suivants :

a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

 

[19]           Les défendeurs font valoir que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la protonotaire s’est fondée sur une mauvaise appréciation des faits et sur une erreur de droit, en ce qui concerne des questions ayant une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. La Cour devrait donc exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner l’affaire à nouveau, et infirmer l’ordonnance de la protonotaire.

[20]           Les défendeurs font aussi valoir que la protonotaire Milczynski a en outre commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisque sa décision est manifestement erronée et fondée sur des erreurs de droit.

ARGUMENTS

Défendeurs

 

[21]           Selon les défendeurs, c’est la déclaration modifiée qui doit être examinée en vue de déterminer si la réparation réclamée par la demanderesse exige que la Cour se prononce sur une question contractuelle. Ils prétendent que la protonotaire Milczynski a fait erreur pour les raisons suivantes :

                     elle n’a pas conclu que l’affaire concerne principalement la propriété et les droits civils;

                     elle a tenu pour acquis que le contrat avait été résilié légitimement le 19 janvier 2010;

                     elle n’a pas conclu que les questions de propriété intellectuelle alléguées par la demanderesse étaient accessoires par rapport aux questions centrales (touchant le contrat, la résiliation, l’avis, l’atténuation des dommages et les fausses déclarations faites sciemment ou par négligence) soulevées par les défendeurs;

                     elle n’a pas distingué les faits pertinents de l’espèce de ceux de l’arrêt Innotech ni appliqué le raisonnement et les principes énoncés dans la décision Engineering Dynamics Ltd. c. Joannou, [1996] ACF no 1348 [Engineering Dynamics];

                     elle n’a pas tenu compte du ressort duquel le contrat relève, à savoir la province de Québec ou l’État de l’Ohio, et des lois qui le régissent;

                     subsidiairement, elle n’a pas suspendu l’action, comme le commande l’intérêt de la justice, pour donner préséance à une action de portée plus générale devant une cour supérieure provinciale ou un tribunal de l’Ohio.

 

[22]           Les défendeurs allèguent que l’affaire dont la Cour est saisie concerne, essentiellement, la propriété et les droits civils et que toutes les questions de propriété intellectuelle sont purement accessoires. La présente action nécessite l’examen des points suivants :

                     la légalité de la résiliation du contrat;

                     le droit de Regal de recevoir l’avis de résiliation approprié;

                     l’atténuation des dommages essuyés par Regal à la suite de la violation alléguée du contrat par la demanderesse;

                     les fausses déclarations faites par négligence ou sciemment par la demanderesse concernant la cessation de fabrication du produit au Canada et l’abandon tacite, au Canada, de la propriété intellectuelle s’y rattachant.

 

[23]           Les défendeurs font valoir que ce sont autant de questions importantes et fondamentales qui relèvent du droit contractuel et de la common law de compétence provinciale. Selon l’article 92 de la Loi constitutionnelle, la propriété et les droits civils relèvent des provinces. En outre, la Cour fédérale n’est habilitée qu’à entendre des affaires reposant fermement sur la législation fédérale (Canadian Pacific Ltée c. Quebec North Shore Paper, [1977] 2 RCS 1054; La Reine c. McNamara Construction (Western) Ltd., [1977] 2 RCS 654).

[24]           La demanderesse allègue que le contrat a été résilié licitement au paragraphe 19 de sa déclaration modifiée et met en cause la question de la résiliation au paragraphe 12 de sa réponse et défense à la demande reconventionnelle. Les défendeurs soutiennent que le contrat a été résilié illicitement. Par conséquent, l’évaluation du caractère licite du contrat est une condition préalable à l’examen des allégations d’usurpation et de violation de la demanderesse.

[25]           Les défendeurs soutiennent que la légalité de la prétendue résiliation du contrat est la question centrale en l’espèce. Il s’agit manifestement d’une question contractuelle, qui outrepasse la compétence de la Cour. Il est évident et manifeste que la demanderesse ne peut avoir gain de cause ni autrement invoquer le droit fédéral si le contrat n’a pas été résilié licitement. Si la résiliation n’était pas licite, il n’y a pas eu usurpation.

[26]           D’après le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence concurrente (non pas exclusive) en matière de propriété intellectuelle. Cependant, les questions de propriété intellectuelle doivent être les principales questions en litige pour que la Cour puisse exercer sa compétence, et elles ne peuvent être purement accessoires. Les défendeurs font valoir qu’il s’agit essentiellement d’un différend commercial qui est survenu à la fin d’une entente contractuelle à long terme. Dans la décision Lawthier c. 424470 BC Ltd., [1995] ACF no 549 [Lawthier], aux paragraphes 5 et 6, la Cour a indiqué ce qui suit :

La Cour n’a pas compétence pour connaître d’un différend de nature purement contractuelle. Cependant, elle entendra une action intentée à la suite d’un différend de nature contractuelle si cette action porte principalement sur un brevet, une marque de commerce ou un droit d’auteur. En l’espèce, les plaidoiries montrent que le principal point en litige consiste à déterminer si le demandeur a le droit, au Canada, d’obtenir la rétrocession du brevet. La défenderesse prétend que le demandeur s’est vu offrir l’option d’acquérir à nouveau le brevet mais qu’il a refusé de verser le prix convenu, de sorte que l’option s’est éteinte. Le principal point en litige semble porter sur la nature de la convention relative à l’option et sur la question de savoir si les parties en ont respecté les modalités.

 

À mon avis, c’est en tranchant ce point contractuel qu’il sera possible de déterminer la propriété du brevet et le redressement qui s’impose. Pour ces motifs, j’ai conclu qu’il s’agit principalement en l’espèce d’un différend contractuel et que les questions relatives au brevet sont secondaires. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence. Le demandeur devrait faire valoir ses droits devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Comme l’énonçait le juge Dubé dans l’affaire Laurin c. Champagne (1991), 38 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), à la page 196, le demandeur peut ultérieurement demander à la Cour de modifier l’inscription de la cession si c’est nécessaire.

 

 

 

[27]           Les défendeurs prétendent en outre que la protonotaire Milczynski a mal appliqué le raisonnement formulé dans l’arrêt Innotech, précité. Dans cette affaire, c’est le demandeur qui a proposé que la demande reconventionnelle du défendeur soit radiée. Le défendeur avait allégué qu’il avait l’autorisation d’utiliser la propriété intellectuelle en vertu d’une sous‑licence ou de la licence accordée de façon implicite par une tierce partie. Dans cette affaire, le défendeur n’avait aucune relation préexistante directe ou contractuelle avec la demanderesse. La Cour d’appel fédérale a conclu que la demande reconventionnelle était une demande indépendante relevant du droit des contrats, et celle‑ci a été radiée. Cependant, elle n’a pas traité de la question de savoir si elle avait compétence pour se prononcer sur des questions contractuelles concernant un contrat existant liant les parties.

[28]           Cette question a été abordée dans la décision Engineering Dynamics, précitée, dans laquelle le protonotaire Morneau a expliqué ce qui suit au paragraphe 14 :

Lorsque toutefois la considération des remèdes recherchés passe inévitablement par la détermination d’une violation ou de la nullité d’un contrat entre particuliers, la Cour, que cela soit en matière de propriété intellectuelle, ou dans tout autre domaine, ajouterais‑je, se doit de décliner juridiction au profit des tribunaux provinciaux.

 

 

[29]           Les défendeurs allèguent que la protonotaire Milczynski a commis une erreur de droit en omettant de suivre et d’appliquer le principe énoncé dans la décision Engineering Dynamics. Plus particulièrement, elle n’a pas tenu compte des faits suivants qui se dégagent des actes de procédure :

                     Les parties ont eu pendant 18 ans une relation de distribution et de fabrication sous licence qui, en 2010, était régie par le contrat, comme l’allèguent les défendeurs, ou par une entente non écrite, comme le soutient la demanderesse.

                     Le 19 janvier 2010, la demanderesse a écrit à Regal pour l’aviser qu’elle comptait mettre fin à la fabrication de la ligne de produits de cannes de bonbon au Canada, ce qui, forcément, signifiait qu’elle cessait d’exercer au Canada les droits de propriété intellectuelle s’y rattachant.

                     En vue d’atténuer le préjudice qui lui était causé, Regal a fait fabriquer sous licence des cannes de bonbon et a vendu ledit produit pendant une seule période de vente, c’est‑à‑dire Noël 2010.

                     Le contrat prévoit expressément que l’avis visant une résiliation sans motif doit être accompagné d’un paiement de 25 000 $. Aucun paiement de la sorte n’a été fait ni n’est allégué avoir été fait.

                     Le contrat prévoit que les lois de l’État de l’Ohio s’appliquent advenant un litige.

 

[30]           Les défendeurs font valoir que, si un tribunal conclut que le contrat n’a pas été prolongé après sa durée explicite de dix ans, le droit applicable à la relation contractuelle non écrite entre les parties est celui de l’un de leurs lieux de résidence respectifs, c’est‑à‑dire le Québec ou l’Ohio.

[31]           À la lumière de ce qui précède, les défendeurs soutiennent que, quelle que soit la méthode d’analyse, il est évident et manifeste que les questions de propriété intellectuelle en l’espèce sont accessoires ou secondaires par rapport à la question principale, soit celle du caractère licite de la résiliation du contrat. Les questions de propriété intellectuelle ne peuvent être soulevées que si la résiliation alléguée est licite. En outre, si tant est que ce soit le cas, la seule véritable question en jeu est celle des dommages‑intérêts, qui dépend nécessairement des conclusions relatives au contrat.

[32]           La résiliation du contrat (ou la rupture de la relation contractuelle) et toutes les questions connexes concernant l’avis, l’atténuation des dommages et les fausses déclarations (faites par négligence ou sciemment) outrepassent la compétence que la loi confère à la Cour fédérale. Les défendeurs soutiennent que la Cour devrait exercer son pouvoir de radier les actes de procédure en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles pour défaut de compétence.

[33]           Les défendeurs signalent que les provinces ont compétence concurrente à l’égard des questions de propriété intellectuelle soulevées dans la présente action et une compétence exclusive en matière de droit contractuel. Une cour provinciale serait donc habilitée à trancher tous les aspects de la présente affaire. Les défendeurs affirment qu’ils ont le droit de se défendre devant un seul tribunal et qu’ils ne devraient pas être obligés d’intenter une multiplicité de recours pour faire valoir tous les moyens de défense dont ils disposent pour contester les allégations de la demanderesse. Les défendeurs demandent que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre la procédure en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales.

Demanderesse

[34]           Selon la demanderesse, l’arrêt ITO a établi que la Cour fédérale peut appliquer le droit provincial dans le cadre d’une procédure reposant par ailleurs sur le droit fédéral et relevant de la compétence de la Cour. La présence d’un élément contractuel dans un litige ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour fédérale, pourvu que l’objet de l’action concerne principalement un brevet, une marque de commerce ou un droit d’auteur.

[35]           Dans l’arrêt Kellogg Co. c. Kellogg, [1941] RCS 242, la Cour suprême affirme ce qui suit :

[traduction] [...] la Cour de l’Échiquier n’a aucune compétence pour trancher une question concernant purement et simplement un contrat intervenu entre deux personnes [...], mais en l’espèce l’objet visé par l’allégation de l’appelant ne concerne que de façon incidente le contrat d’emploi entre John L. Kellogg, Jr. et l’appelante. L’allégation porte principalement sur l’invention qui, selon ses dires, est la sienne et dont il prétend être le propriétaire en raison du contrat et d’autres faits exposés dans l’allégation. Le contrat et les revendications fondées sur celui‑ci sont invoqués pour établir que l’appelant a droit à la fois aux droits qui découlent de l’invention et à un brevet établi à son propre nom.

 

 

[36]           La demanderesse affirme que le paragraphe 4 de l’arrêt Innotech est pertinent en l’espèce :

Ceci étant dit avec égards, il nous semble que bien que la défense et la demande reconventionnelle mettent en cause la même licence, celle‑ci est invoquée pour des motifs différents dans chaque acte de procédure. Dans la défense, elle sert de bouclier contre une action en contrefaçon. Dans la demande reconventionnelle, elle sert d’épée, de fondement à une demande de recours contre l’appelante en vue de son application. En soi, la demande reconventionnelle pourrait être présentée de manière indépendante à titre d’action en violation de contrat et, en tant que telle, elle ne relève pas de la compétence de la Cour. Pour paraphraser l’arrêt Kellogg c. Kellogg, l’action principale vise essentiellement l’application d’un brevet. Cette demande peut être tranchée sur la base de la déclaration et de la défense et, accessoirement à la décision au sujet de la licence, il se peut bien que son existence, ses modalités et sa validité doivent être examinés (sic) […]

 

[37]           Dans une décision liée à l’arrêt Innotech (Innotech Pty. Ltd. c. Phoenix Spike Harrows Ltd., (1997) 75 C.P.R. (3d) 27 (CAF) [Innotech 2]), il est à nouveau dit que la compétence de la Cour fédérale s’étend à l’examen d’une licence, de son existence, de ses modalités et de sa validité lorsque ceux‑ci sont accessoires aux questions principales relatives à l’usurpation.

[38]           En l’espèce, les recours de la demanderesse concernent exclusivement la marque de commerce et le droit d’auteur, plus particulièrement :

                     l’usurpation de la marque de commerce, la commercialisation trompeuse et la diminution de la valeur de l’achalandage au sens de la Loi sur les marques de commerce;

                     la violation du droit d’auteur aux termes de la Loi sur le droit d’auteur.

[39]           La demanderesse n’invoque pas la licence dans le cadre de sa demande. Ce sont les défendeurs qui l’invoquent comme moyen de défense et qui s’en servent comme bouclier contre l’action pour usurpation. Les défendeurs se sont aussi servi de la licence comme épée et comme fondement à une demande de dommages‑intérêts contre la demanderesse dans leur demande reconventionnelle.

[40]           La demanderesse affirme que les faits de l’affaire Innotech étaient pratiquement identiques à ceux de l’espèce et que, dans cette affaire, le litige a été jugé comme relevant de la compétence de la Cour fédérale. En outre, les considérations contractuelles qui, selon les défendeurs, doivent être prises en compte dans l’instruction de la demande n’empêchent pas la Cour fédérale de conserver sa compétence. Comme cela est mentionné dans la jurisprudence précitée, les considérations contractuelles de cette nature peuvent être tranchées par la Cour lorsqu’elles sont accessoires à une action qui concerne principalement le respect d’une marque de commerce, d’un droit d’auteur ou d’un brevet.

[41]           En outre, les questions contractuelles invoquées par les défendeurs qui concernent le préjudice dû à la résiliation qu’ils disent être illicite ne sont pas pertinentes dans le cadre de la demande de la demanderesse. Ces questions font l’objet de la demande reconventionnelle des défendeurs.

[42]           La demanderesse prétend que les affaires sur lesquelles les défendeurs se fondent ne soutiennent pas la conclusion selon laquelle la Cour n’a pas la compétence nécessaire pour trancher le litige. Ces affaires ne concernent aucune allégation de violation de brevets ou de droits d’auteur ou de contrefaçon ou d’usurpation de marques de commerce : il ne s’agit que de demandes de réparation qui reposent uniquement sur une interprétation du contrat en cause.

[43]           Dans la décision Engineering Dynamics, le demandeur a cherché à obtenir une déclaration de propriété à l’égard de certains brevets. La Cour a conclu que cette question dépendait entièrement du contrat et l’a distinguée des actions qui concernent principalement des questions de propriété intellectuelle.

[44]           Dans la décision Lawthier précitée, la question était de savoir si, par contrat, le demandeur pouvait se prévaloir de la rétrocession d’un brevet. L’affaire a été distinguée de celles touchant un différend contractuel, mais où l’action concerne principalement la propriété intellectuelle. La Cour a déclaré que la question centrale était de nature contractuelle (plus précisément la nature d’une convention d’option), et qu’il s’agissait de déterminer si les parties avaient respecté ses modalités ou non.

[45]           La demanderesse soutient que sa demande relève directement de la compétence de la Cour fédérale. Le fait que les défendeurs utilisent la licence comme bouclier n’empêche pas la Cour de trancher la demande de la demanderesse, qui a trait exclusivement à la marque de commerce et au droit d’auteur et ne concerne qu’accessoirement certaines questions contractuelles connexes. La demanderesse fait valoir que la requête des défendeurs selon laquelle la demande devrait être radiée pour défaut de compétence devrait être rejetée.

[46]           En ce qui concerne la requête en suspension des défendeurs, la demanderesse soutient que le pouvoir discrétionnaire de surseoir à l’instance ne doit être exercé que dans les cas les plus évidents. Or, les défendeurs n’ont pas démontré l’existence de raisons justifiant qu’il soit sursis à l’action de la Cour fédérale pour donner préséance à une action, non existante, devant la Cour supérieure du Québec.

[47]           Les défendeurs n’ont pas non plus démontré que la poursuite de l’action devant la Cour fédérale entraînerait une injustice parce qu’elle serait oppressive ou vexatoire ou constituerait par ailleurs un abus de procédure. Les inconvénients causés à une partie ne constituent pas en soi des faits particuliers suffisants pour accorder une suspension ou pour justifier que la Cour décide d’exercer ou d’abandonner sa compétence (Advanced Emissions Technologies Ltd. c. Dufort Testing Services Ltd., 2006 CF 794, aux paragraphes 8 et 9; White c. E.B.F. Manufacturing Ltd., 2001 CFPI 713 [White], au paragraphe 5).

[48]           Dans l’affaire Innotech 2, les défendeurs ont demandé un sursis au motif qu’une cour provinciale serait en mesure de trancher toutes les questions, y compris celle du recours à un contrat comme bouclier dans la défense et comme épée dans la demande reconventionnelle. La Cour a soutenu que les deux tribunaux pouvaient se prononcer sur la validité du contrat, mais qu’aucun d’eux ne pouvait régler toutes les autres questions en litige (aux paragraphes 4 à 8) :

Les défendeurs soutiennent essentiellement que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta est compétente pour se prononcer sur toutes les questions se rapportant au contrat de licence, tandis que la Cour fédérale a une compétence limitée. En ce qui concerne le fait qu’ils auraient laissé passer trop de temps avant de demander la suspension d’une instance qui a été introduite en 1993, les défendeurs affirment que c’est le temps que la demanderesse a laissé s’écouler avant de présenter sa requête en radiation de la demande reconventionnelle des défendeurs qui a causé le retard et qu’ils ne devraient pas être tenus responsables de ce retard.

 

La demande de suspension sera rejetée pour les motifs suivants. Premièrement, je ne crois pas que les défendeurs ont raison de dire que la Cour du Banc de la Reine a une compétence plus étendue que celle de la Cour fédérale. Dans son arrêt du 18 juin 1997, la Cour d’appel fédérale précise en effet que la Cour fédérale peut statuer sur l’action en contrefaçon de brevet de la demanderesse et sur tous ses aspects accessoires, et qu’elle peut notamment examiner « la licence, son existence, ses modalités et sa validité ». La Cour fédérale peut donc se prononcer tout autant que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta sur toute question se rapportant à la validité de la licence.

 

La Cour fédérale n’est cependant pas compétente pour déterminer à quelle réparation les défendeurs peuvent avoir droit dans le cas où il serait jugé que la licence est valide et en vigueur. Les défendeurs devront s’adresser à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta pour obtenir cette réparation.

 

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ne se prononcera cependant pas sur la question de la contrefaçon du brevet (sauf si la demanderesse présente une demande reconventionnelle fondée sur la contrefaçon du brevet dans le cadre de l’action albertaine, ce qu’elle n’est pas tenue de faire) et les parties devront s’adresser de nouveau à la Cour fédérale, et ce, même si la présente action est suspendue en attendant que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta se prononce sur la validité du contrat de licence.

 

En conséquence, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et la Cour fédérale sont toutes les deux compétentes pour se prononcer sur la question de la validité de la licence, mais ni l’une ni l’autre ne peut trancher les autres questions litigieuses qui opposent les parties. Pour ce motif, je suis d’avis que le moyen invoqué par les défendeurs au sujet de l’étendue de la compétence de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta est mal fondé.

 

 

[49]           La demanderesse soutient que le raisonnement exposé dans la décision Innotech 2 est directement applicable en l’espèce.

[50]           En outre, même si la demanderesse devait présenter une demande reconventionnelle dans le cadre d’une éventuelle action devant une cour de justice provinciale, cette dernière ne pourrait qu’octroyer une injonction exécutoire à l’intérieur de la province. Les parties finiraient par retourner devant la Cour fédérale pour obtenir une injonction exécutoire à l’échelle nationale (White).

[51]           Enfin, les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle à la Cour fédérale et ont soutenu avoir le droit de demander la réparation demandée à la Cour fédérale. Cela contredit leur position selon laquelle la demande de la demanderesse devrait être radiée pour défaut de compétence. La demanderesse estime que la demande de sursis des défendeurs devrait être rejetée.

ANALYSE

[52]           Les parties m’ont essentiellement présenté les mêmes arguments qu’à la protonotaire Milczynski. Il n’y a aucune véritable raison de dire que les questions soulevées devant moi relativement à un refus de radiation ont une incidence cruciale sur l’issue de l’affaire (voir la décision Chrysler Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 1049, au paragraphe 4) ou que le refus de la Cour de suspendre l’action a une incidence cruciale, et les parties ont convenu de cela à l’audience, devant moi.

[53]           La seule question à trancher consiste à déterminer si la décision de la protonotaire Milczynski devrait être infirmée parce qu’elle était manifestement erronée, parce qu’elle se fonde sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

[54]           Dans son raisonnement et ses conclusions, la protonotaire Milczynski s’est appuyée sur une jurisprudence bien établie et a appliqué les principes qui y sont énoncés (arrêt ITO, précité, aux paragraphes 29 et 30; et arrêt Innotech, précité) pour conclure que l’affaire relève de la compétence de la Cour, même si, incidemment, il faudra étudier certaines questions contractuelles.

[55]           L’arrêt Innotech, précité, concerne une affaire qui ressemble beaucoup à celle qui nous occupe (aux paragraphes 2 à 4).

Dans la déclaration déposée dans le cadre de la présente instance, il est allégué que Phoenix et d’autres personnes ont contrefait le brevet de l’appelante. Dans sa défense, Phoenix allègue qu’elle a agi en vertu d’une licence et que, par conséquent, elle n’a pas commis de contrefaçon. Phoenix a aussi déposé une demande reconventionnelle par laquelle elle sollicite une déclaration quant à la validité de la licence, des injonctions en vue de l’application de la licence et des dommages‑intérêts pour violation alléguée de la licence par l’appelante.

 

Le juge des requêtes a conclu ce qui suit :

 

En l’espèce, il est allégué dans la déclaration que la contrefaçon s’est produite depuis que les défendeurs ont, sans licence ni autorisation, utilisé le brevet de la demanderesse. Or, les défendeurs prétendent avoir toujours utilisé l’invention sous le régime d’une licence valide. Cet argument constitue un élément essentiel de leur défense. Ils soutiennent également que c’est la demanderesse qui n’a pas respecté les conditions stipulées par la licence et que ce sont donc les défendeurs qui auront droit à la réparation « injonction ou dommages‑intérêts » habituellement accordée lors de l’instruction d’une affaire de ce genre. À mon avis, la demande reconventionnelle donne uniquement plus de détails sur le fondement de la réclamation soumise par les défendeurs. La licence qui fonde la demande reconventionnelle est la même que celle étayant la défense de non‑contrefaçon.

 

Il serait donc inopportun de dissocier les deux éléments de manière si pointilleuse. Par conséquent, la demande présentée par la demanderesse est rejetée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

Ceci étant dit avec égards, il nous semble que bien que la défense et la demande reconventionnelle mettent en cause la même licence, celle‑ci est invoquée pour des motifs différents dans chaque acte de procédure. Dans la défense, elle sert de bouclier contre une action en contrefaçon. Dans la demande reconventionnelle, elle sert d’épée, de fondement à une demande de recours contre l’appelante en vue de son application. En soi, la demande reconventionnelle pourrait être présentée de manière indépendante à titre d’action en violation de contrat et, en tant que telle, elle ne relève pas de la compétence de la Cour. Pour paraphraser l’arrêt Kellogg c Kellogg, l’action principale vise essentiellement l’application d’un brevet. Cette demande peut être tranchée sur la base de la déclaration et de la défense et, accessoirement à la décision au sujet de la licence, il se peut bien que son existence, ses modalités et sa validité doivent être examinés (sic). Mais la demande reconventionnelle doit être considérée comme une action distincte concernant principalement une demande découlant de la violation du contrat alléguée.

 

 

[56]           Les décisions citées par les défendeurs ne contredisent pas cette jurisprudence en ce qui a trait aux principes fondamentaux applicables en l’espèce, et leur contexte factuel diffère nettement de celui de la présente affaire. La décision Engineering Dynamic concernait une déclaration de propriété en matière de propriété intellectuelle et ne concernait pas la violation ou l’usurpation d’un brevet, d’un droit d’auteur ou d’une marque de commerce. De même, dans la décision Lawthier, il s’agissait non pas d’une violation, mais plutôt de la possible rétrocession d’un brevet au demandeur par le défendeur. La seule question à trancher était de nature contractuelle.

[57]           En l’espèce, la protonotaire Milczynski a conclu à juste titre que les demandes de la demanderesse portaient exclusivement sur l’usurpation de la marque de commerce et la violation du droit d’auteur et que toutes les mesures de réparation que cherchait à obtenir la demanderesse découlent de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur le droit d’auteur. Même si les défendeurs admettent avoir porté atteinte au droit de propriété intellectuelle de la demanderesse, cela ne change pas la nature essentielle de la demande ni n’empêche la Cour de trancher des questions contractuelles accessoires.

[58]           Rien dans les documents qui m’ont été présentés ne donne à penser que la protonotaire Milczynski a mal interprété les faits pertinents. Essentiellement, les défendeurs soutiennent que, même si la protonotaire aborde les questions contractuelles dans sa décision, elle ne pose pas ni ne considère la question de savoir si l’affaire concerne vraiment des questions contractuelles. Or, une lecture de la décision dans son ensemble révèle que cette question a été examinée de façon approfondie. C’est seulement de l’avis des défendeurs que l’affaire porte sur des questions contractuelles. Lors de l’examen d’une requête en radiation présentée en vertu de l’article 221 des Règles, la protonotaire Milczynski doit tenir compte des actes de procédure. Elle l’a fait en l’espèce, et elle a déterminé que la demande concerne l’usurpation de la marque de commerce et la violation du droit d’auteur. Des questions contractuelles vont entrer en jeu – ce qui est assez habituel –, mais cela n’a aucune incidence sur la compétence de la Cour. Le fait que les défendeurs soient d’avis que les questions contractuelles vont avoir une incidence déterminante sur l’affaire n’est rien de plus que leur point de vue. De plus, il n’y a pas de lien contractuel entre la demanderesse et le défendeur, Karma Candy Inc.

[59]           Dans les observations qui m’ont été présentées, les défendeurs concèdent que la demande reconventionnelle outrepasse la compétence de la Cour. Comme il ressort de la jurisprudence, cependant, cela n’est pas un motif pour empêcher la demanderesse de saisir la Cour de son action pour atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Je souscris à l’opinion de la demanderesse selon laquelle il serait extraordinaire de conclure que la Cour n’a pas compétence, car, au vu des actes de procédure, du moins, la présente affaire n’a rien d’atypique.

[60]           C’est aussi à juste titre que la protonotaire a rejeté la requête en sursis. La situation décrite dans l’arrêt Innotech, précité, s’apparente de façon frappante aux circonstances de l’espèce :

[traduction]

59. La demande de sursis a été rejetée par le juge Rothstein, parce qu’il n’a pas jugé l’argument de la « compétence étendue » convaincant. La Cour a déclaré que tant la Cour fédérale que la cour de la province pouvaient statuer sur la validité du contrat, mais que ni l’une ni l’autre ne trancherait toutes les questions restantes. Le juge Rothstein a écrit :

 

Les défendeurs soutiennent essentiellement que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta est compétente pour se prononcer sur toutes les questions se rapportant au contrat de licence, tandis que la Cour fédérale a une compétence limitée. […]

 

La demande de suspension sera rejetée pour les motifs suivants. Premièrement, je ne crois pas que les défendeurs ont raison de dire que la Cour du Banc de la Reine a une compétence plus étendue que celle de la Cour fédérale. Dans son arrêt du 18 juin 1997 [désigné 74 C.P.R. (3d) 275], la Cour d’appel fédérale précise en effet que la Cour fédérale peut statuer sur l’action en contrefaçon de brevet de la demanderesse et sur tous ses aspects accessoires, et qu’elle peut notamment examiner « la licence, son existence, ses modalités et sa validité ». La Cour fédérale peut donc se prononcer tout autant que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta sur toute question se rapportant à la validité de la licence.

 

 

 

[61]           Comme le fait remarquer la demanderesse, même si les défendeurs choisissaient de présenter une demande reconventionnelle dans l’hypothétique action en justice provinciale, qu’ils ont affirmé n’avoir aucune intention d’intenter, la cour de la province pourrait seulement octroyer une injonction exécutoire dans la province. Pour obtenir une injonction à l’échelle nationale, il faudrait que les parties se présentent à nouveau devant la Cour fédérale.

[62]           La demande de la demanderesse concerne un deuxième défendeur établi en Ontario, Karma Candy Inc. La demanderesse est en droit de saisir la Cour de ce volet de sa demande, et il serait inapproprié de l’obliger à présenter sa demande dans un autre ressort, par exemple au Québec. Pour obtenir une réparation complète, il vaut mieux pour la demanderesse de s’adresser à la Cour fédérale.

[63]           Les principes concernant une suspension dans ce contexte sont énoncés dans la décision White, précitée, au paragraphe 5 :

L’alinéa 50(1)a) de la Loi prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal. La jurisprudence à ce sujet a établi plusieurs critères utiles pour décider de l’opportunité d’accorder une telle suspension (voir la décision Discreet Logic Inc. c. Canada (Registraire des droits d’auteur) 1993 CarswellNat 1930, 51 C.P.R. (3d) 191, confirmée par (1994), 55 C.P.R. (3d) 167 (C.A.F.); la décision Plibrico (Canada) Limited c. Combustion Engineering Canada Inc., 30 C.P.R. (3d) 312, à la page 315; la décision Ass’n of Parents Support Groups c. York, 14 C.P.R. (3d) 263; la décision Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., 1997 CarswellNat 2482, 77 C.P.R. (3d) 451, 143 F.T.R. 19; la décision 94272 Canada Ltd. c. Moffatt, 31 C.P.R. (3d) 95 et l’arrêt General Foods c. Struthers, [1974] R.C.S. 98). Ces critères sont résumés et réunis de la manière suivante pour plus de commodité.

 

1.         La poursuite de l’action causerait‑elle un préjudice ou une injustice (non seulement des inconvénients et des frais additionnels) au défendeur?

 

2.         La suspension créerait‑elle une injustice envers le demandeur?

 

3.         Il incombe à la partie qui demande la suspension d’établir que ces deux conditions sont réunies.

 

4.         L’octroi ou le refus de la suspension relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

 

5.         Le pouvoir d’accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents;

 

6.         Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont‑ils les mêmes dans les deux actions?

 

7.         Quelles sont les possibilités que les deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

 

8.         À moins qu’il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d’accès d’une partie en litige à un autre tribunal;

 

9.         La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.

 

 

[64]           À mon avis, dans l’affaire qui nous occupe, les défendeurs ne satisfont à aucun de ces critères. Plus particulièrement, il n’y a aucune possibilité de conclusions contradictoires lorsque les défendeurs n’ont pas intenté une action dans un autre ressort et s’il n’y a aucune indication qu’ils prévoient le faire.

[65]           Même si une autre action devait être introduite dans l’avenir, les extraits suivants de la décision White, précitée (paragraphes 11 et 12), demeureraient pertinents :

À mon avis, la poursuite de la présente action devant la Cour fédérale ne causerait pas de préjudice aux défendeurs. Bien sûr, elle peut entraîner, pour les défendeurs, des frais supplémentaires et d’autres inconvénients, mais il est toujours possible de remédier à ceux‑ci au moyen des dépens. Le pouvoir d’accorder une suspension ne peut réellement être exercé qu’avec modération et dans les cas les plus évidents : il ne s’agit pas d’un cas évident en faveur d’une suspension. Il y a deux différences flagrantes entre l’instance engagée en Nouvelle‑Écosse et celle engagée devant la Cour fédérale : trois défendeurs ont été ajoutés dans l’affaire fédérale et le demandeur demande maintenant une injonction applicable à l’échelle nationale dans son action devant la Cour fédérale. Même si les faits et certaines questions de droit peuvent être semblables dans les deux actions, la réparation sollicitée est différente.

 

Quant aux possibilités de conclusions contradictoires tirées dans les deux cours, il y a lieu de préciser que l’on doit s’attendre à ce que le demandeur se concentre sur son injonction fédérale avant d’obtenir un jugement du tribunal néo‑écossais. Il n’y a pas de risques que les deux tribunaux rendent prochainement leur décision et, dans ce sens, il serait prématuré pour moi de limiter le droit du demandeur d’avoir accès à la Cour fédérale. On doit supposer qu’il est maintenant plus intéressé à solliciter une injonction nationale et qu’il agira en conséquence.

 

 

[66]           Rien ne permettait à la protonotaire Milczynski ni ne me permet de conclure qu’une suspension devrait être envisagée en l’espèce.

[67]           En conclusion, il n’y a aucune indication que la décision de la protonotaire Milczynski se fonde sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Je souscris entièrement à sa décision.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  L’appel est rejeté.

2.                  Les parties sont libres de s’adresser à la Cour concernant la question des dépens. Le cas échéant, elles devront le faire, du moins au départ, par écrit.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1866‑11

 

INTITULÉ :                                      SPANGLER CANDY COMPANY

 

                                                            ‑   et   ‑

 

                                                                3651410 CANADA INC., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM REGAL CONFECTIONS INC. ET KARMA CANDY INC.                                               

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 février  2013

                                                           

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                              Le 8 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Sartorio                                                                                     DEMANDERESSE

                                                                                                                    

Serge Anissimoff                                                                                DÉFENDEURS                                 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson                                                               DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                               

 

Anissimoff Mann                                                                                DÉFENDEURS

Société professionnelle

Avocats

London (Ontario)

 

 

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