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 Date : 20120208


Dossier : IMM-4974-11

Référence : 2012 CF 151

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

MUNEZERO PAMELA KARAMBIZI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le tribunal), rendue le 12 juillet 2011, rejetant sa demande d’asile sur la base d’une absence de crédibilité et de crainte subjective, la protection étatique étant par ailleurs disponible selon le tribunal.

 

[2]               La demanderesse est citoyenne du Rwanda. Lors du génocide de 1994, elle avait neuf ans; elle dit craindre les génocidaires qui l’ont abusée et violée et contre qui elle aurait témoigné devant la Cour de juridiction de Gacaca en octobre 2006 (la Cour de Gacaca). En août 2007, la demanderesse déménage de la ville où elle habitait. Durant les mois qui suivent, elle suit une formation et travaille. En juin 2008, elle quitte pour les États-Unis, où elle formule une demande d’asile, ayant obtenu un visa étudiant en mars 2008. Par contre, elle retire sa demande américaine et quitte pour le Canada en juin 2009, où elle formule la demande d’asile dont il est ici question.

 

[3]               La crainte de persécution de la demanderesse est fondée sur une série d’évènements survenus à l’automne 2006. Dans son Formulaire de Renseignements Personnels et lors de l’audience, la demanderesse affirme avoir témoigné contre ses anciens agresseurs devant la Cour de Gacaca en octobre 2006. C’est suite à ce témoignage qu’elle aurait reçu des menaces de mort et qu’elle aurait été attaquée et violée par ces mêmes génocidaires. D’ailleurs, suite à cette agression, elle subit un examen médical à l’hôpital King Faisal. Le tribunal n’a pas cru la demanderesse, ce dernier ayant décelé plusieurs contradictions dans ces aspects essentiels de son récit.

 

[4]               D’une part, l’attestation de participation à la Cour de Gacaca indique que la demanderesse a témoigné le 10 novembre 2006 et non en octobre de la même année. La demanderesse précise que c’est en novembre qu’elle a demandé la protection des juges, mais le tribunal rejette cette explication : l’attestation ne fait état d’aucune demande de protection, indiquant plutôt la date à laquelle elle a témoigné. Si la demanderesse n’a pas témoigné en octobre 2006, mais en novembre 2006, tel qu’indiqué par l’attestation de la Cour de Gacaca, elle n’a pas pu être attaquée par ces mêmes génocidaires en octobre 2006 à la suite d’un témoignage qui n’avait pas encore eu lieu. La demanderesse affirme aujourd’hui qu’elle s’est simplement trompée de date. Or, cette dernière explication n’a jamais été avancée devant le tribunal.

 

[5]               D’un autre côté, l’attestation médicale de l’hôpital King Faisal datée du 19 octobre 2006 ne fait aucune mention de blessures subies par la demanderesse, indiquant simplement qu’elle a subi un examen physique. La demanderesse explique qu’elle n’a pas parlé de son viol, ayant honte, mais le tribunal a rejeté cette explication, après avoir considéré les commentaires du psychologue à l’effet que des victimes d’agression sexuelle demeurent souvent silencieuses. Le fait est que l’attestation médicale ne mentionne aucune blessure. De même, lorsque le tribunal l’interroge pour savoir pourquoi son père n’a jamais porté plainte à la police, la demanderesse dit que ses parents n’étaient pas au courant du viol, seulement de l’attaque. Le tribunal rejette cette explication en raison du fait que son père occupe une haute position dans la hiérarchie politique du Rwanda. Ayant eu connaissance de la supposée agression de sa fille – celui-ci l’ayant même accompagnée à l’hôpital – il n’est pas plausible que le père n’ait pas dénoncé l’agression à la police.

 

[6]               Rappelons que le tribunal est mieux placé que la Cour pour évaluer les questions de crédibilité. Le tribunal a bien expliqué dans sa décision les contradictions sur lesquelles il se basait pour appuyer sa conclusion de non-crédibilité. Le tribunal ne s’est pas ici appuyé sur des contradictions insignifiantes – il s’est basé sur une contradiction importante quant à la date de l’incident de persécution au cœur de la demande d’asile. En outre, le certificat médical n’appuie pas la thèse d’agression ou de viol. De plus, le tribunal était en droit de considérer les délais en cause et le comportement ultérieur de la demanderesse au Rwanda et aux États-Unis, où elle avait manifestement inventé une autre histoire de persécution. Il appartenait exclusivement au tribunal d’apprécier la crédibilité de la demanderesse et celui-ci pouvait rejeter les explications fournies. La Cour n’est pas là pour substituer son jugement à celui du tribunal lorsque sa conclusion s’appuie sur la preuve et appartient aux issus possibles pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

 

[7]               Soulignons que l’agression dont la demanderesse dit avoir été la victime serait survenue en octobre 2006. Toutefois, elle ne quitte pas le Rwanda avant juin 2008. Bien qu’elle dise avoir tenté d’obtenir des renseignements des ambassades pendant cette période, n’ayant pas les moyens financiers de quitter plus tôt, le tribunal rejette cette explication. Le tribunal estime que si elle avait été réellement victime d’une agression et de menaces, elle n’aurait pas attendu plus de dix mois avant d’entamer les démarches pour quitter le pays. Plutôt, elle a suivi une formation et a travaillé. Le comportement de la demanderesse ne correspond donc pas à celui d’une personne craignant d’être persécutée ou pour sa vie. Il s’agit encore là d’une conclusion de fait raisonnable dans les circonstances.

 

[8]               Enfin, le tribunal conclut de manière alternative que même s’il avait cru le récit de la demanderesse, la demanderesse n’a pas renversé la présomption de la protection étatique. Il n’est pas nécessaire de s’attarder longuement sur la question de la protection étatique puisque la conclusion de non-crédibilité et d’absence de crainte subjective était suffisante pour rejeter la demande d’asile. Le tribunal s’est appuyé sur la preuve documentaire au dossier. D’autant plus, il relevait exclusivement au tribunal d’apprécier les explications fournies par la demanderesse. Bien qu’elle n’a jamais porté plainte aux autorités rwandaises, la demanderesse allègue avoir demandé de l’aide aux juges de la Cour de Gacaca en novembre 2006 après les audiences, ce qui est également peu plausible de l’avis du tribunal. Quoi qu’il en soit, ces derniers lui auraient dit « de s’en aller et que ça ira ». D’ailleurs, la Cour du Gacaca n’est pas responsable d’assurer la protection des personnes témoignant devant elle. De plus, bien que la demanderesse allègue généralement que le tribunal a ignoré la preuve documentaire, elle n’identifie aucun document spécifique que le tribunal aurait omis de considérer.

 

[9]               Enfin, rien ne permet de soutenir que le tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’elle fait partie d’un groupe vulnérable, de son état psychologique et du contexte au Rwanda. Bref, le tribunal n’a pas omis de considérer les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, ni toute preuve documentaire contradictoire au dossier. Qu’à cela ne tienne, tout tournait autour de la crédibilité du récit de la demanderesse, et à ce chapitre, les conclusions du tribunal dont nous avons fait état plus haut sont à tous égards raisonnables. De plus, bien que la demanderesse allègue généralement que le tribunal a ignoré la preuve documentaire, elle n’identifie aucun document spécifique que le tribunal aurait omis de considérer.

 

[10]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit échouer. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée par les procureurs.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4974-11

 

INTITULÉ :                                      MUNEZERO PAMELA KARAMBIZI c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             31 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     8 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Martial Guay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Angela Joshi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Martial Guay

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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