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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20131211


Dossier :

T-1832-12

 

Référence : 2013 CF 1238

Ottawa (Ontario), ce 11e jour de décembre 2013

En présence de monsieur le juge Roy

 

ENTRE :

COGESCO SERVICES LIMITED

Demanderesse

Et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(Représentant l’Agence du revenu du Canada)

Défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               CONSIDÉRANT la demande de contrôle judiciaire faite par la demanderesse concernant la décision prise par l’Agence du revenu du Canada [ARC] qui refusait, le 24 août 2012, une demande d’allègement faite en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch  1 (5e suppl.) (la Loi);

 

[2]               CONSIDÉRANT les arguments qui ont été présentés de part et d’autre;

[3]               ATTENDU les deux arguments présentés par la demanderesse selon lesquels la réponse donnée en anglais à sa demande d’allègement présentée en français constitue une atteinte au devoir d’équité procédurale du décideur et que ladite décision de refuser l’allègement demandé est une décision déraisonnable qui doit être renversée;

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[5]               En ce qui concerne le premier argument, la demanderesse s’est désistée de celui-ci à l’audience, si bien qu’il est devenu caduque.

 

[6]               La deuxième question traite du caractère non raisonnable de la décision de refuser l’allègement.

 

[7]               Cette affaire est fort simple. La contribuable s’est vue imposer une pénalité de 2 500 $ par année d’imposition où la déclaration d’impôts n’avait pas été faite et produite, le tout en vertu du paragraphe 162(2.1) de la Loi. Dans une première demande d’allègement, l’allègement se voulait pour une somme de 15 000 $ (soit six années d’imposition : 2005 à 2010) et des intérêts de près de 3 000 $. La demanderesse y indiquait être une société non-résidente qui prétendait ne pas avoir à faire de déclarations d’impôts. Elle ajoutait n’avoir jamais voulu se soustraire à ses obligations fiscales et, croyant que le fait d’avoir des pertes était suffisant pour ne pas avoir à faire de rapports d’impôts, elle demandait à ce que les pénalités ne lui soient pas imposées. L’ARC lui répondait le 7 février 2012 qu’elle ne se qualifiait pas pour un allègement puisque celui-ci n’est possible que dans les cas où des circonstances hors du contrôle du contribuable l’empêchent de remplir ses obligations fiscales.

 

[8]               Une seconde demande était faite en mars 2012 pour une somme de 12 500 $ et des intérêts de près de 3 000 $. Le montant des pénalités pour lequel un allègement était demandé était réduit du fait que la contribuable consentait à payer une pénalité pour l’année 2010.

 

[9]               La contribuable faisait valoir qu’en 2009, la Cour canadienne de l’impôt avait donné raison à un autre contribuable dans des circonstances identiques (Goar, Allison & Associates Inc. c La Reine, 2009 CCI 174 [Goar]). Ce n’est qu’en 2010 que la Cour d’appel fédérale a tranché pour déclarer que même si aucun impôt n’est payable, le paragraphe 162(7) de la Loi trouve application en lieu et place du paragraphe 162(2.1) dont la rédaction est déficiente (Exida.com Limited Liability Company c La Reine, 2010 CAF 159, [2011] 4 RCF 408 [Exida.com]).

 

[10]           La contribuable réitère n’avoir jamais eu l’intention de se soustraire à ses obligations fiscales. Elle invoque cependant le flottement jurisprudentiel pour demander que ses pénalités et intérêts soient levés. Quoique la décision Goar n’ait pas valeur de précédent (Exida.com, précitée, paragraphe 3), elle constituait une décision s’appliquant bien aux circonstances de la demanderesse. De plus, la question qu’elle posait n’était pas simple. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait décidé dans Goar qu’aucune pénalité en vertu du paragraphe 162(2.1) de la Loi ne pouvait être imposée à une société non-résidente si aucun impôt n’est payable.

 

[11]           Le juge de la même Cour dans Exida.com a plutôt conclu que le paragraphe 162(2.1) permettait l’imposition de la pénalité dans les mêmes circonstances. La Cour d’appel fédérale, quant à elle, a conclu que le paragraphe 162(2.1) ne s’applique pas, mais que les conditions du paragraphe 162(7) sont remplies et qu’une pénalité est due.

 

[12]           La lettre en réponse, de laquelle contrôle judiciaire est demandé, est particulièrement laconique. On y indique qu’aucune nouvelle information n’a été offerte et que les faits sont les mêmes. Puis, l’auteur écrit :

The Federal Court of Appeals’ (sic) decision in the case of Exida LLC DTC 5105 was to uphold Canada Revenue Agency’s assessment. They stated that although 162(2.1) had no application, the penalty under 162(7) was applicable and the amount levied was identical to the sum levied under 162(2.1).

 

 

 

[13]           On peut difficilement blâmer la contribuable d’être confuse puisque là n’était pas la question. L’argument de la contribuable est que la jurisprudence favorisait son point de vue jusqu’à ce que la décision de la Cour d’appel fédérale à laquelle réfère l’ARC ne vienne clore le débat. Il s’agit là de faits nouveaux qui, selon la contribuable, mériteraient qu’un allègement lui soit accordé.

 

[14]           L’Agence du revenu en aucune façon ne traite de cette prétention.

 

[15]           Avec égards, la réponse donnée par l’ARC ne répond pas à l’argument de la demanderesse. De fait, la réponse donnée le 24 août 2012 correspond bien davantage à la mention faite dans les feuillets de travail qui ont été soumis par le défendeur. On peut y lire : « [a]ll similar or identical cases are to be processed in accordance with the FCA decision. » L’ARC n’avait plus à se soucier de la rédaction défaillante du paragraphe 162(2.1). Le paragraphe 162(7) pouvait suppléer selon la Cour d’appel fédérale. Le problème est que la demanderesse ne conteste pas que la décision de la Cour d’appel fédérale dispose de la question. Elle prétend plutôt que, pour les années précédentes, elle pouvait se réclamer d’une certaine jurisprudence. L’état du droit est une situation hors de son contrôle, dit-elle. De toute façon, le texte du paragraphe 220(3.1) ne comporte pas les limites que veut lui imposer le défendeur, de l’avis de la demanderesse.

 

[16]           Tous s’entendent pour dire dans cette affaire que la révision judiciaire doit être menée sur la base de la norme de la décision raisonnable (Telfer c L’Agence du revenu du Canada, 2009 CAF 23). On s’entend aussi pour conclure que la norme de la raisonnabilité a été énoncée dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].

 

[17]           À mon avis, c’est bien là que repose le problème pour le défendeur. Sa décision ne me semble pas satisfaire le critère que la Cour suprême du Canada a introduit dans Dunsmuir :

[47]     … La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[18]           À la lecture de la lettre de décision du 24 août 2012, ou même à la lecture des feuillets de travail, je ne puis voir comment le défendeur a disposé de l’argument présenté par la demanderesse. Il semble avoir répondu à côté de la question.

 

[19]           Je suis conscient que les motifs donnés à l’appui d’une décision n’ont pas à être parfaits ou être particulièrement élaborés. L’insuffisance des motifs ne suffit pas à elle seule. Mais encore faut-il que la cour de révision puisse discerner les raisons qui ont mené à la décision. Autrement, la décision ne peut être jugée raisonnable. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada me semble marquer le point de façon non équivoque :

[14]     Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat […]. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

 

 

La conclusion à la fin du paragraphe 16 me semble disposer de la question :

. . . En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

 

[20]           Le défendeur n’a jamais répondu à la question posée. La demanderesse ne conteste pas qu’une pénalité est payable pour l’année où la Cour d’appel fédérale a disposé de la question. Elle pose plutôt la question de savoir si elle ne devrait pas bénéficier d’un allègement puisque deux décisions de la Cour canadienne de l’impôt s’opposaient sur la question de l’application du paragraphe 162(2.1) et que la Cour d’appel fédérale a disposé que ce paragraphe ne pouvait s’appliquer, mais que le paragraphe 162(7) venait suppléer.

[21]           Il n’est pas ici question de substituer un point de vue pour un autre. C’est que, tout simplement, les raisons données pour refuser la demande d’allègement ne correspondent en aucune façon à l’argument qui a été avancé par la demanderesse.

 

[22]           Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire doit être accordée, avec dépens.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire faite par la demanderesse concernant la décision prise par l’Agence du revenu du Canada qui refusait, le 24 août 2012, une demande d’allègement faite en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 (5e suppl.), est accordée, avec dépens.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1832-12

 

INTITULÉ :

COGESCO SERVICES LIMITED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (Représentant l’Agence du revenu du Canada)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 11 décembre 2013

COMPARUTIONS :

Me Stephen Solomon

 

Me Anne-Marie Desgens

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

De Grandpré Chait s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

 

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