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Date : 20131210


Dossier : IMM-11313-12

 

Référence : 2013 CF 1241

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ERGUN GEBETAS

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1]               La Cour a confirmé maintes fois que l’accumulation de contradictions entre le témoignage d’un revendicateur, ses déclarations faites au point d’entrée et son Formulaire de renseignements personnels (FRP) peuvent légitimement servir de fondement à une conclusion défavorable quant à sa crédibilité (Trochez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1016; Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, au paragraphe 1).

 

II. Introduction

[2]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 15 octobre 2012, selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

III. Contexte

[3]               Le demandeur, M. Ergun Gebetas, est un citoyen de la Turquie né en 1989. Il affirme qu’il est de confession alevie et d’origine ethnique kurde.

 

[4]               D’après le FRP du demandeur, celui‑ci a commencé en 2007 à fréquenter le Parti de la société démocratique (PSD), un parti politique nationaliste kurde. Il explique qu’il n’a jamais adhéré au parti, mais qu’il a pris part à des manifestations et a été détenu par la police à cinq reprises entre mars 2009 et février 2010. Il déclare en outre avoir été battu et menacé à plusieurs reprises lorsqu’il était détenu.

 

[5]               Le 4 février 2010, le demandeur a obtenu un visa de visiteur pour cinq ans aux États‑Unis à l’ambassade des États‑Unis en Turquie dans le but de suivre un programme d’anglais.

 

[6]               Le demandeur a quitté la Turquie le 27 février 2010 et il est arrivé aux États‑Unis le même jour. Le demandeur est demeuré aux États‑Unis pendant environ deux semaines. Pendant son séjour, il a fait une demande de visa de visiteur au Canada en vue de venir au Canada, mais la demande a été rejetée par les autorités canadiennes de l’immigration au motif qu’elle n’était pas [traduction] « de bonne foi » (FRP, à la page 7).

 

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada le 12 mars 2010 et il a présenté une demande d’asile le même jour.

 

[8]               La SPR a entendu la demande d’asile du demandeur le 13 juin 2012 et le 2 octobre 2012.

 

[9]               Le 15 octobre 2012, la SPR a rejeté la demande d’asile que le demandeur a présentée au Canada.

 

IV. Décision contrôlée

[10]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, car sa crédibilité soulevait des doutes.

 

[11]           Plus particulièrement, la SPR a conclu que les incohérences et les contradictions suivantes relevées dans l’exposé circonstancié du demandeur avaient porté un coup fatal à sa demande d’asile :

a)      le demandeur n’a fait aucune référence au parti politique, le PSD, même s’il allègue avoir été torturé en raison de son affiliation à l’organisation. Le demandeur a également affirmé n’avoir jamais été partisan d’aucune organisation dans le document établi au point d’entrée;

b)      le demandeur n’a pas fait état dans son document établi au point d’entrée du fait que sa crainte d’être persécuté s’il retournait en Turquie reposait aussi en grande partie sur son statut d’objecteur de conscience au service militaire;

c)      la conseil du demandeur a affirmé que le demandeur ne savait pas qu’il pouvait revendiquer son statut d’objecteur de conscience dans le cadre de sa demande d’asile; toutefois, le témoignage du demandeur contredit directement cette déclaration, car il a précisé qu’il en avait effectivement fait la revendication dans sa demande d’asile, mais que l’interprète avait omis de l’ajouter dans le document;

d)     le demandeur a affirmé qu’il avait commencé à craindre pour sa vie en mars 2009; cependant, il est resté en Turquie jusqu’en février 2010 et il a continué de fréquenter l’école, de travailler et même de prendre part à des manifestations;

e)      le demandeur s’est d’abord rendu aux États‑Unis à titre de visiteur où il est resté deux semaines avant de venir au Canada présenter une demande d’asile.

 

[12]           La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir la forme que prenaient les difficultés qu’il avait, en tant qu’alevi, pour pratiquer sa religion, ou qu’il aurait pour la pratiquer s’il devait être renvoyé en Turquie aujourd’hui.

 

V. Question en litige

[13]           La décision de la SPR est‑elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[14]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,  

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and,

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Position des parties

[15]           Le demandeur affirme que la SPR a commis une erreur de droit dans son évaluation de sa crédibilité en ne tenant pas compte de l’explication qu’il a donnée au fait qu’il est resté en Turquie pendant plus d’un an malgré qu’il craignait pour sa vie, en se fondant sur les omissions dans le document établi au point d’entrée pour tirer une conclusion négative quant à sa crédibilité et en mettant en doute la crédibilité du demandeur en faisant montre d’un excès de zèle.

 

[16]           Le demandeur soutient en outre que la SPR a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve documentaire, plus particulièrement de lettres de son père et d’un ami qu’il a produites, ainsi que de deux rapports psychologiques de la Dre Celeste Thirlwell.

 

[17]           Enfin, le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’il a visité les États‑Unis immédiatement avant de faire une demande d’asile au Canada.

 

[18]           En réponse aux arguments du demandeur, le défendeur affirme que la SPR a bien tenu compte des explications que le demandeur a données pour justifier le fait qu’il est demeuré en Turquie, et qu’elle a examiné attentivement les éléments de preuve portant sur ce qu’il a fait lorsqu’il a compris que sa vie était menacée.

 

[19]           Le défendeur affirme en outre que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des omissions dans le document établi au point d’entrée. Le défendeur fait remarquer que les éléments omis dans le document établi au point d’entrée étaient importants pour des questions centrales dans la demande du demandeur et qu’ils auraient dû être inclus. Ces omissions ont raisonnablement amené à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.

 

[20]           De plus, le défendeur maintient que la SPR n’a pas fait montre d’un excès de zèle lorsqu’elle a évalué la crédibilité du demandeur; en fait, elle a tenu raisonnablement compte de la nervosité psychologique dans lequel se trouvait le demandeur et elle s’y est montrée sensible lorsqu’elle a évalué sa crédibilité dans l’ensemble.

 

[21]           Le défendeur fait valoir que la SPR a tenu compte de toute la preuve documentaire relative à l’état mental du demandeur, ainsi que des lettres de son père et de son ami; cependant, elle a raisonnablement conclu qu’il fallait accorder peu de poids à ces documents étant donné que les faits sous‑jacents n’avaient pas été jugés crédibles.

 

[22]           Enfin, le défendeur affirme qu’il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que la crédibilité du demandeur était minée parce qu’il avait omis de demander l’asile durant ses vacances aux États‑Unis avant d’arriver au Canada.

 

VI. Norme de contrôle

[23]           La norme de contrôle applicable aux questions relatives à la pondération des éléments de preuve ou des conclusions quant à la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4).

 

[24]           Le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[25]           Il convient de noter qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation des faits à celle de la SPR (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35, au paragraphe 14).

 

VIII. Analyse

[26]           La Cour convient avec la SPR que d’importantes omissions, contradictions et invraisemblances relatives aux principales allégations de la revendication du demandeur ont été déterminantes pour la demande (Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 10, aux paragraphes 13 à 15; Moscol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 657, au paragraphe 21 et 22; voir également Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381).

 

[27]           L’exposé circonstancié du demandeur était en soi incompatible avec une crainte subjective de persécution. Comme le défendeur l’a fait remarquer, le demandeur a continué de fréquenter l’école, de travailler et même de participer à des manifestations malgré qu’il craignait pour sa vie après mars 2009. Ce comportement n’est pas du tout compatible avec sa déclaration selon laquelle il craignait pour sa vie et devait quitter le pays. La Cour n’estime pas que la SPR ait écarté aucune des explications données par le demandeur sur ce point, mais qu’elle a plutôt conclu que ces explications démontraient une absence de crainte fondée. La Cour n’accepte pas non plus la prétention du demandeur selon laquelle la SPR serait arrivée à cette conclusion après avoir fait montre d’un excès de zèle.

 

[28]           De même, la Cour est convaincue que la SPR a pris en compte l’ensemble de la preuve documentaire, y compris les rapports psychologiques et les lettres du père et de l’ami du demandeur. Au moment d’évaluer le poids à accorder à ces documents, la SPR a raisonnablement conclu qu’elle devait leur accorder peu de poids étant donné que les faits sous‑jacents avaient été jugés non crédibles. Il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[29]           À maintes reprises, la Cour a décidé qu’une conclusion générale de manque de crédibilité d’un demandeur peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur, notamment la preuve documentaire, et en fin de compte entraîner le rejet de sa demande (Ayub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, aux paragraphes 8 et 9; Nijjer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259; Alonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683).

 

[30]           La Cour conclut également que la SPR n’a pas commis une erreur en attribuant beaucoup de poids aux omissions dans le document du demandeur établi au point d’entrée. La Cour a confirmé maintes fois que l’accumulation de contradictions entre le témoignage d’un demandeur, ses déclarations au point d’entrée et son FRP peuvent légitimement servir de fondement à une conclusion défavorable quant à sa crédibilité (Trochez, précitée; Cienfuegos, précitée).

 

[31]           Enfin, la Cour conclut que la SPR n’a pas agi de façon déraisonnable en concluant que le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile durant son séjour aux États‑Unis avant d’arriver au Canada minait sa crédibilité. Aucun obstacle juridique n’empêchait le demandeur de demeurer aux États‑Unis et de faire une demande d’asile aux États‑Unis; le demandeur détenait un visa de visiteur de cinq ans pour les États‑Unis. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a expliqué ce qui suit :

 

[traduction]

39.  […] Avec l’aide de cette personne, je me suis envolé pour les États‑Unis le 27 février 2010.

 

40.  Je me suis ensuite rendu à la frontière canadienne et j’ai présenté une demande d’asile. Mon intention avait toujours été de venir au Canada parce que ma sœur s’y trouve et que je serais complètement seul aux États‑Unis. [Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier certifié du tribunal, à la page 34.)

 

[32]           Du point de vue de la Cour, cette explication n’est pas un motif raisonnable qui justifie de reporter la présentation d’une demande d’asile dans un autre pays et elle témoigne clairement d’une absence de crainte subjective de persécution. Comme il est énoncé dans Olaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 913, le simple fait que le demandeur a un parent installé au Canada ne permet pas de passer sur le fait qu’il n’a pas, aux États‑Unis, demandé l’asile « dans les plus brefs délais » (voir également Gilgorri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 559, au paragraphe 24 à 27).


IX. Conclusion

[33]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORODONNE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur soit rejetée. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

 

 

« Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-11313-12

 

INTITULÉ :

ERGUN GEBETAS c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 4 décembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 10 décembre 2013

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Duffy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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