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Date : 20131128


Dossier : T-249-11

 

Référence : 2013 CF 1196

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

PAUL I. KENNEDY

 

demandeur

et

CANADA (MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le 22 mai 2008, Paul Kennedy et Richard Hall se sont présentés au point d’entrée de Douglas, à Surrey, en Colombie-Britannique. Lorsqu’on a demandé à M. Kennedy s’il avait quoi que ce soit à déclarer, celui‑ci a répondu par la négative.

 

[2]               Plus tard, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a conclu que M. Kennedy avait enfreint l’article 12 de la Loi sur les douanes, L.R.C., 1985, ch. 1 (2suppl.) parce qu’il avait omis de déclarer l’achat d’une automobile Lexus 2008. L’automobile a donc été saisie et M. Kennedy s’est vu imposer une pénalité égale à 25 % de la valeur du véhicule, ou 17 103,95 $. Le ministre et défendeur en l’espèce a confirmé cette décision à l’issue de l’examen prévu à l’article 131 de la Loi sur les douanes.

 

[3]               Conformément aux dispositions de l’article 135 de la Loi sur les douanes, M. Kennedy a intenté la présente action pour faire appel de la décision du ministre confirmant l’infraction. Il prétend qu’il avait le droit d’affirmer n’avoir rien à déclarer, puisqu’il n’était pas encore légalement propriétaire de la Lexus.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis arrivée à la conclusion que M. Kennedy était le propriétaire effectif du véhicule en question lorsqu’il a tenté d’entrer au Canada le 22 mai 2008 et que le véhicule était importé au Canada pour son compte. Il s’ensuit qu’il était tenu de déclarer l’achat du véhicule, ce qu’il reconnaît ne pas avoir fait. Par conséquent, son appel sera rejeté.

 

La preuve

[5]               Deux personnes sont venues témoigner au procès. M. Kennedy a témoigné pour son propre compte et Ajit Birak, agent des services frontaliers (ASF) à l’ASFC, a témoigné pour le compte du ministre. À la demande de M. Kennedy et avec le consentement du ministre, le dossier certifié du tribunal portant sur une demande connexe (T-2094-10) a également été déposé en preuve. Le ministre a reconnu qu’il s’agissait des documents constitutifs du dossier dont il disposait au moment de confirmer la décision de l’ASFC de confisquer le véhicule, sans toutefois considérer comme forcément véridique le contenu de chacun de ces documents.

 

[6]               L’issue de la cause de M. Kennedy tient à la chronologie des événements qui ont précédé son arrivée au point d’entrée de Douglas, le 22 mai 2008. Par conséquent, il est nécessaire de bien comprendre la suite des événements dans la mesure où ceux-ci touchent à l’acquisition de la Lexus par M. Kennedy.

 

[7]               Bien que les parties ne s’entendent pas sur les conséquences juridiques de ces événements, il n’y a pas de désaccord entre elles, d’après ce que j’ai pu comprendre, quant à la suite des événements décrits dans les trois prochaines sections de ces motifs, à moins d’une indication contraire.

 

Les événements ayant abouti à la journée du 22 mai 2008

[8]               M. Kennedy est un citoyen canadien vivant à Calgary. Il voulait acquérir aux États‑Unis une Lexus LS 460 2008 et pour ce faire, il a demandé à un ami, M. Hall, d’acheter le véhicule à sa place, puisque Lexus U.S., bien évidemment, refuse de vendre des voitures aux citoyens canadiens. M. Hall est un citoyen américain vivant à Portland, en Oregon.

 

[9]               Le 10 avril 2008, M. Hall a envoyé un courriel à M. Kennedy pour l’informer du fait qu’il avait possiblement repéré un véhicule convenable à Eugene, en Oregon, et lui fournir des renseignements sur la voiture. M. Kennedy ayant signifié son intérêt pour le véhicule, les deux hommes se sont mis à échanger des courriels à ce sujet. M. Kennedy a demandé des précisions sur des aspects particuliers de la vente, notamment quant au prix, aux rappels dont avait déjà fait l’objet le modèle de ce véhicule et à certaines caractéristiques qu’il souhaitait voir ajouter en option.

 

[10]           Le 16 avril 2008, le concessionnaire d’automobiles, en Oregon, a fait parvenir à M. Hall un courriel l’informant du prix d’achat total du véhicule, soit 69 348,00 $.

 

[11]           En date du 23 avril 2008, M. Hall a signé une lettre à l’attention de M. Kennedy dans laquelle on pouvait lire, entre autres : [traduction] « Par la présente lettre, je confirme que je vous vendrai la Lexus LS 460 2008 portant le nd’identification JTHBL46FX 850 7377 dès que je recevrai votre virement télégraphique de 69 500 $ US ». La lettre fait ensuite état de l’intention de M. Hall de livrer le véhicule à M. Kennedy en Oregon à la mi‑mai 2008.

 

[12]           Lors de son témoignage, M. Kennedy a déclaré avoir rédigé lui‑même ce document afin d’avoir une preuve de la raison pour laquelle il avait envoyé de l’argent à M. Hall et ainsi se protéger au cas où quelque chose devait arriver à M. Hall entre l’envoi des fonds et la conclusion du marché.

 

[13]           Le 28 avril 2008, M. Kennedy a viré la somme de 69 500 $ US à M. Hall en paiement du véhicule.

 

[14]           Le 7 mai 2008, M. Hall a écrit à M. Kennedy un courriel l’informant que le concessionnaire avait reçu l’argent et qu’il allait lui faire parvenir quelques documents à remplir. M. Hall s’attendait à ce que la transaction soit bouclée dès qu’il aurait envoyé les documents remplis au concessionnaire, mais il ne pouvait dire avec certitude à quel moment le titre du véhicule lui serait transféré. Puis, il ajoutait : [traduction] « Dans l’intervalle, je dois rédiger un document constatant la vente, un acte de vente ».

 

[15]           Plus tard le même jour, M. Kennedy a envoyé à M. Hall un courriel dans lequel, pour l’essentiel, il avait écrit ce qui suit : [traduction] « Ainsi, est-ce que cela t’ennuierait de faire ce qui suit : 1. envoyer aux autorités douanières et de protection frontalière des États‑Unis une télécopie de l’acte de vente, accompagné des documents d’exportation du véhicule… à faire le plus tôt possible, car il leur faut 24 heures. 2. me faire parvenir par messagerie l’original de l’acte de vente… Si jamais le titre devient disponible, nous nous organiserons pour l’obtenir d’une façon ou d’une autre… Également, lorsque tu remettras les documents au concessionnaire, dis‑lui que je passerai prendre le véhicule pour toi… »

 

[16]           D’après le témoignage de M. Kennedy, M. Hall a pris possession de la voiture le même jour. Pour reprendre les propos de M. Kennedy au procès, [traduction] « l’achat du véhicule s’est fait le 7 mai ». D’après ce que j’ai compris, personne ne conteste le fait que M. Hall a acheté la voiture avec l’argent que M. Kennedy lui avait envoyé.

 

[17]           Ce 7 mai 2008, le concessionnaire aurait remis à M. Hall des papiers d’immatriculation temporaires pour la voiture; il ferait suivre les documents constatant officiellement le titre à une date ultérieure.

 

[18]           Le 10 mai 2008, M. Hall a écrit à M. Kennedy un courriel pour le renseigner sur la documentation qu’il entendait télécopier aux douanes américaines. Il avait joint à ce courriel une lettre adressée à M. Kennedy et signée, mais non datée, dans lequel il disait ce qui suit :

[traduction] Veuillez  considérer ce document comme notre acte de vente original d’une automobile Lexus 460 2008. Moyennant une contrepartie suffisante, vous avez acheté de moi une LS 460, no d’identification JTHBL46FX8507378. La transaction a été finalisée et aucune somme n’est due pour cet achat.

 

[19]           Dans les jours qui ont suivi, MM. Kennedy et Hall ont échangé d’autres courriels portant sur les dispositions à prendre pour permettre à M. Kennedy de prendre possession du véhicule. Dans ses courriels, M. Hall expliquait que l’acquisition des documents constatant le titre de la voiture se faisait attendre, tout en soulignant à plusieurs reprises qu’il était nécessaire d’avoir ces documents en mains pour les douanes.

 

[20]           En particulier, le 12 mai 2008, M. Hall a envoyé un courriel à M. Kennedy pour l’informer qu’il avait reçu les documents du concessionnaire Lexus, dont une demande de titre pour la voiture. Il disait douter que M. Kennedy ou lui‑même puisse obtenir le titre cette semaine‑là. Il ajoutait avoir examiné [traduction] « la documentation des gens des douanes », laquelle précisait : [traduction] « [V]ous DEVEZ avoir le titre pour importer la voiture » (en majuscules dans l’original). Puis, il concluait sur cette note : « [D]onc, je ne pense pas que cela se fera cette semaine. »

 

[21]           Le 21 mai 2008 ou un peu avant, M. Kennedy a pris un vol de Calgary à Portland, en Oregon, afin de rencontrer M. Hall et de prendre possession de la voiture.

 

Première tentative de faire entrer la voiture au Canada

[22]           Le 21 mai 2008, MM. Kennedy et Hall ont conduit la Lexus jusqu’au point d’entrée de Douglas. M. Kennedy est entré dans le bureau de l’ASFC et a parlé à une agente des services frontaliers, Michelle Pele.

 

[23]           L’agente Pele n’a pas été citée comme témoin. Apparemment, elle ne travaille plus pour l’ASFC et il a été impossible de la retracer. Toutefois, M. Kennedy a versé au dossier une déclaration rédigée par l’agente Pele au sujet de sa rencontre avec lui. Voici le texte de cette déclaration :

[traduction] Je, soussignée, Michelle Pele, agente des services frontaliers à Port Douglas, déclare que j’étais en service et en uniforme, le 21 mai 2008. KENNEDY s’est approché du comptoir et m’a tendu une pièce d’identité ainsi que l’acte de vente de la voiture qu’il conduisait, un véhicule neuf de marque Lexus. KENNEDY a déclaré qu’il l’avait emprunté à un ami pour une semaine environ. Le véhicule n’avait pas de plaque d’immatriculation. Au bout de quelques questions, KENNEDY a admis que Lexus Inc. refusait de vendre des voitures neuves aux citoyens canadiens, de sorte qu’un ami de l’Oregon avait acheté la voiture pour lui et qu’il attendait l’envoi du titre. KENNEDY a déclaré qu’il avait viré de l’argent en Oregon pour que son ami puisse acheter le véhicule en son nom. Je lui ai expliqué que pour importer une voiture, les citoyens canadiens devaient avoir le titre. Par conséquent, KENNEDY a déclaré qu’il devrait attendre le titre et importer la voiture à une autre date. Par ailleurs, KENNEDY a demandé si les résidents américains pouvaient faire entrer des véhicules au Canada. Je lui ai donné les numéros de téléphone d’un entrepôt situé à Blaine et KENNEDY a déclaré qu’il allait retourner à Seattle, rencontrer son ami et décider de la marche à suivre.

 

[24]           M. Kennedy n’a pas remis en question l’exactitude de la description de la rencontre donnée par l’agente Pele, si ce n’est pour préciser que la mention d’un [traduction] « acte de vente » renvoyait à la vente de la Lexus par le concessionnaire à M. Hall et que le véhicule était muni d’une plaque temporaire de l’Oregon. Fait à noter, M. Kennedy n’a pas nié avoir dit à l’agente Pele, au départ, qu’il avait [traduction] « emprunté [la voiture] à un ami pour une semaine environ », ce qui, de toute évidence, était faux.

 

[25]           M. Kennedy a déclaré dans son témoignage que même si la déclaration n’en faisait pas état, il avait présenté à l’agente Pele une [traduction] « permission de conduire le véhicule », document que lui avait remis M. Hall, et il avait expliqué à l’agente ce qu’il tentait de faire, étant donné qu’il n’avait pas encore le titre en mains.

 

[26]           Dans son témoignage, M. Kennedy a donné une description quelque peu confuse de ce que lui avait dit l’agente Pele, affirmant que, [traduction] « en bout de ligne, [l’agente Pele] a admis que, naturellement, les citoyens américains ne pouvaient pas faire entrer des voitures au – au Canada – ou n’étaient pas autorisés. Elle m’avait refusé l’entrée au Canada parce qu’elle disait que les Canadiens… les citoyens canadiens ne sont pas autorisés à entrer au Canada au volant d’un véhicule immatriculé aux États‑Unis ».

 

[27]           Après avoir été refoulés à la frontière canadienne, MM. Kennedy et Hall sont rentrés aux États-Unis pour y passer la nuit.

 

Les événements du 22 mai 2008

[28]           Le jour suivant, MM. Kennedy et Hall sont retournés au point d’entrée de Douglas. Ils se sont présentés au poste de douanes où l’agente des services frontaliers Dana Leblanc était en service. L’ASF Leblanc n’a pas témoigné, mais M. Kennedy a produit en preuve un exemplaire du compte rendu qu’elle a rédigé. Je crois comprendre que M. Kennedy ne remet pas en question l’exactitude du récit que fait l’ASF Leblanc de l’entretien qu’ils ont eu lors du premier interrogatoire au point d’entrée.

 

[29]           D’après le compte rendu de l’ASF Leblanc, les propos suivants ont été échangés :

[traduction]

 

L’ASF LEBLANC a demandé à l’intéressé HALL (conducteur) une preuve d’identité. L’intéressé HALL m’a tendu un passeport canadien et un passeport américain. L’ASF LEBLANC a demandé à l’intéressé HALL : « Où allez-vous? »

 

L’intéressé HALL a déclaré « qu’ils se rendaient à Vancouver ».

 

L’ASF LEBLANC a demandé à l’intéressé KENNEDY : « Où vivez-vous? »

 

L’intéressé KENNEDY : « Calgary. »

 

L’ASF LEBLANC : « Combien de temps avez-vous passé aux États‑Unis? »

 

Le sujet KENNEDY : « Quelques jours. »

 

L’ASF LEBLANC a demandé à l’intéressé HALL : « Quand rentrez-vous aux États‑Unis? »

 

L’intéressé HALL a déclaré : « Je prends l’avion demain pour l’Oregon pour voir ma femme. »

 

L’ASF LEBLANC : « Que comptez-vous faire avec votre voiture, puisque votre passager n’est pas autorisé à la conduire ici au Canada. »

 

L’intéressé HALL : « Oh, je suppose que je la laisserai tout simplement à l’aéroport et que je la reprendrai à mon retour, dans une semaine. »

 

L’ASF LEBLANC au sujet HALL : « Si je comprends bien, vous êtes venu en voiture de l’Oregon et vous rentrez demain en Oregon et vous allez laisser votre voiture à l’aéroport. »

 

Le sujet HALL : « Oui. »

 

L’ASF LEBLANC à l’intéressé KENNEDY : « Monsieur, avez-vous acheté quoi que ce soit aux États-Unis que vous ramenez au Canada? »

 

L’intéressé KENNEDY : « Non. »

 

[…]

 

L’ASF LEBLANC : « Des cadeaux ou d’autres choses qui resteront au Canada? »

 

L’intéressé HALL : « Non. »

 

L’intéressé KENNEDY : « Non. »

 

[…]

 

[30]           L’ASF Leblanc a ensuite remis un bordereau de renvoi à MM. Kennedy et Hall et les a dirigés vers le bureau de l’ASFC pour une inspection secondaire. Les deux hommes ont été accueillis au comptoir par l’agent des services frontaliers Birak.

 

[31]           L’ASF Birak a été le seul témoin appelé par le ministre. Pour se souvenir des événements, il s’est rafraîchi la mémoire grâce aux notes manuscrites qu’il avait prises au sujet de son entretien avec MM. Kennedy Hall et à un compte rendu de la saisie de la Lexus.

 

[32]           M. Kennedy a tenté de remettre en question la fiabilité des documents de l’ASF Birak en alléguant qu’ils avaient été établis longtemps après les événements en cause. Pour étayer son allégation, M. Kennedy mentionne les réponses données pour faire suite aux engagements pris par le ministre lors de l’interrogatoire préalable de Josée Laurin, responsable de la Direction des recours et représentante désignée du ministre lorsque celui-ci doit se soumettre à un interrogatoire préalable. Ces réponses indiquent que l’ASF Birak a rédigé son compte rendu [traduction] « quelques jours après la saisie » et ses notes manuscrites, le 9 juillet 2008.

 

[33]           Or, lors de son témoignage, l’ASF Birak a déclaré avoir rédigé le compte rendu et ses notes manuscrites le jour même de sa rencontre avec M. Kennedy, signalant que, du reste, les deux documents étaient datés du 22 mai 2008. Il a précisé que la date du « 9 juillet 2008 » indiquée sur ses notes manuscrites était celle à laquelle les notes avaient été photocopiées.

 

[34]           M. Kennedy a alors présenté à l’ASF Birak les réponses données pour faire suite aux engagements pris lors de l’interrogatoire préalable de Josée Laurin (qui comparaissait au nom du ministre). Ces réponses semblaient contredire le témoignage de l’ASF Birak quant au moment où les notes ont été rédigées. À ce moment précis, l’ASF Birak a semblé réellement embrouillé. Il a déclaré ne pas savoir qui était Josée Laurin et a insisté sur le fait que personne, après l’interrogatoire préalable de Mme Laurin, ne lui avait demandé à quel moment il avait rédigé ses notes. L’avocat du ministre a lui aussi été incapable d’apporter quelque éclairage particulier sur cette question.

 

[35]           J’accepte le témoignage de l’ASF Birak selon lequel il a rédigé son compte rendu et ses notes manuscrites le 22 mai 2008. L’ASF Birak a témoigné avec franchise et ses propos sont étayés par les dates figurant sur les documents mêmes.

 

[36]           Quoi qu’il en soit, j’ajouterais qu’on relève très peu de divergences entre la version des événements donnée par M. Kennedy et celle rapportée par l’ASF Birak.

 

[37]           Dans son témoignage, l’ASF Birak a déclaré que le bordereau de renvoi qu’avait dressé l’ASF Leblanc portait le numéro « 77 », ce qui signifiait qu’il était invité à appeler l’ASF Leblanc à la guérite pour obtenir plus de renseignements. L’ASF Birak a conclu, d’après la conversation qu’il a eue avec l’ASF Leblanc par la suite, que celle-ci avait des réserves au sujet de l’histoire racontée par MM. Kennedy et Hall.

 

[38]           L’ASF Birak a ajouté qu’après avoir parlé à l’ASF Leblanc, il avait demandé à M. Hall de lui expliquer ce qui se passait. M. Hall a répondu qu’il allait probablement passer toute la journée au Canada, ou qu’il irait à la pêche puis qu’il rentrerait ensuite chez lui en avion. L’ASF Birak a dit avoir demandé à M. Hall pourquoi il comptait rentrer en avion en laissant sa voiture au Canada, ce à quoi ce dernier a répondu : « Je vis en Oregon, et c’est là que se trouve ma femme. »

 

[39]           L’ASF Birak aurait ensuite demandé à M. Kennedy de lui expliquer quel était le but de leur voyage. M. Kennedy a répondu que M. Hall et lui étaient amis et qu’il avait pris l’avion jusqu’à Portland pour lui rendre visite.

 

[40]            Estimant que le récit des deux hommes ne tenait guère debout, l’ASF Birak a avisé ces derniers qu’il allait vérifier le contenu de la voiture. L’ASF Birak, M. Kennedy et l’ASF Valihrach se sont alors rendus à la Lexus.

 

[41]           Se souvenant que M. Hall avait fait allusion à une partie de pêche, l’ASF Birak a demandé à M. Kennedy pourquoi il n’y avait pas de matériel de pêche dans la voiture, ce à quoi M. Kennedy a répondu : [traduction] « [L]es [guides] nous le fourniront lorsque nous… si nous y allons ». C’est alors que l’ASF Valihrach a dit à M. Kennedy que ses propos n’avaient aucun sens.

 

[42]           L’ASF Birak a déclaré qu’il avait ensuite demandé à M. Kennedy s’il allait acheter la voiture de M. Hall, ce à quoi celui‑ci aurait répondu : [traduction] « Je n’en ai pas les moyens pour… je n’ai pas l’argent pour le moment, mais je… mais je l’achèterai l’an prochain, peut‑être. » M. Kennedy n’a pas nié avoir fait cette déclaration à l’ASF Birak.

 

[43]           L’ASF Birak a ensuite confié M. Kennedy à l’ASF Valihrach pour s’en retourner au bureau.

 

[44]           Pendant l’interrogatoire principal, M. Kennedy a fait référence à un compte rendu rédigé par l’ASF Valihrach. Ce dernier y déclare que M. Kennedy lui avait avoué de vive voix qu’il avait [traduction] « acheté la Lexus de M. Hall pour 70 000 $ US au moyen d’un virement télégraphique ». Dans son témoignage, M. Kennedy a nié avoir fait cet aveu.

 

[45]           Je remarque d’ailleurs que c’était, semble-t-il, la première fois que M. Kennedy niait avoir fait cet aveu. Tout au long du processus interne d’appel, l’avocat de M. Kennedy a fait parvenir de nombreuses lettres à l’avocat de la Direction des recours, à l’ASFC. Or, même s’il traite en long et en large, dans ses lettres, des allégations retenues contre son client, il ne remet en aucun temps en question l’aveu qui lui est imputé par l’ASF Valihrach.

 

[46]           À l’ouverture du procès, on m’a avisée que l’ASF Valihrach devait venir témoigner pour le compte du ministre, mais il n’a en fait jamais été appelé à la barre des témoins et le ministre n’a pas cherché à expliquer ce changement de stratégie. Dans les circonstances, je suis disposée à accorder à M. Kennedy le bénéfice du doute et à conclure que la preuve de l’aveu qui lui est imputé n’a pas été faite.

 

[47]           L’ASF Birak a déclaré dans son témoignage que, de retour au bureau, il a demandé à M. Hall combien M. Kennedy lui avait versé pour la voiture. M. Hall aurait répondu que M. Kennedy [traduction] « a[vait] viré 70 300 $. Il me les a virés la semaine dernière ».

 

[48]           Dans l’entrefaite, l’ASF Valihrach est entré dans le bureau avec une reliure à anneaux remplie de documents dont M. Kennedy reconnaît qu’ils ont été trouvés dans la voiture. Parmi ces documents se trouvaient la correspondance entre M. Hall et M. Kennedy concernant l’achat de la voiture de même que l’acte de vente que M. Hall avait fait parvenir à M. Kennedy le 10 mai 2008 pour confirmer qu’il lui avait vendu le véhicule.

 

[49]           L’ASF Birak a alors avisé M. Kennedy qu’il allait saisir le véhicule [traduction] « pour non‑déclaration ». L’ASF Birak lui a aussi fait la lecture de ses droits et l’a prévenu du fait qu’il risquait de devoir répondre à des accusations au pénal. Il l’a informé de son droit à l’assistance d’un avocat, mais M. Kennedy a indiqué qu’il ne souhaitait pas parler à un avocat.

 

[50]           L’ASF Birak a ensuite rempli les documents relatifs à la saisie du véhicule et imposé une pénalité de « niveau 1 » établie à 17 103,95 $, soit 25 pour cent de la valeur du véhicule.

 

[51]           Quand l’ASF Birak a eu terminé de remplir les documents, M. Kennedy a déclaré : [traduction] « J’ai fait une erreur. Je n’aurais pas dû faire cela. Au moins, je ne suis pas un trafiquant de drogues. » Une fois de plus, M. Kennedy n’a pas nié avoir fait cette déclaration.

 

[52]           Par la suite, M. Kennedy a acquitté la pénalité de 17 103,95 $ afin d’obtenir la mainlevée de la saisie du véhicule et M. Hall et lui sont sortis du bureau pour s’en retourner aux États‑Unis.

 

[53]           Dans son témoignage, M. Kennedy a déclaré que M. Hall avait reçu les documents de titre officiels du véhicule le 11 juin 2008 et qu’il lui en avait transféré le titre légal le 20 juin 2008. Selon lui, il n’est devenu propriétaire du véhicule que le 20 juin 2008, ce qui signifie qu’il n’était pas tenu de déclarer l’achat du véhicule le 22 mai 2008. 

 

[54]           À la suite des événements du 22 mai 2008, M. Kennedy a été accusé de plusieurs infractions criminelles. D’après les motifs de la décision rendue par le juge de la cour provinciale ayant présidé à son procès pénal en Colombie-Britannique, il était accusé d’avoir tenté d’introduire en fraude au Canada des marchandises passibles de droits, d’avoir éludé ou tenté d’éluder le paiement des droits prévus par la Loi sur les douanes et d’avoir donné une indication fausse ou trompeuse. M. Kennedy a été acquitté de tous les chefs d’accusation.

 

Analyse

[55]           L’article 11 de la Loi sur les douanes énonce que toute personne arrivant au Canada est tenue de répondre véridiquement aux questions que lui pose l’agent des services frontaliers.

 

[56]           Les dispositions applicables de l’article 12 de la Loi sur les douanes prévoient ce qui suit :

(1)     Sous réserve des autres dispositions du présent article, ainsi que des circonstances et des conditions prévues par règlement, toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert.

 

      (3)     Le déclarant visé au paragraphe (1) est, selon le cas :

 

      a)      la personne ayant en sa possession effective ou parmi ses bagages des marchandises se trouvant à bord du moyen de transport par lequel elle est arrivée au Canada ou, dans les circonstances réglementaires, le responsable du moyen de transport;

 

      […]

 

      c)       la personne pour le compte de laquelle les marchandises sont importées.

12. (1)     Subject to this section, all goods that are imported shall, except in such circumstances and subject to such conditions as may be prescribed, be reported at the nearest customs office designated for that purpose that is open for business.

 

 

 

      (3)     Goods shall be reported under subsection (1):

 

      (a)     in the case of goods in the actual possession of a person arriving in Canada, or that form part of the person’s baggage where the person and the person’s baggage are being carried on board the same conveyance, by that person or, in prescribed circumstances, by the person in charge of the conveyance;

 

. . .

 

      c)       in any other case, by the person on behalf of whom the goods are imported.

 

[57]           Selon l’article 2 de la Loi sur les douanes, « importer » signifie « importer au Canada »; par ailleurs, les « moyens de transport » y sont assimilés à des « marchandises ».

 

[58]           Le paragraphe 110(1) de la Loi prévoit que la responsabilité est établie et qu’une saisie est légale si l’agent « croit, pour des motifs raisonnables, » à une infraction à la Loi ou à ses règlements du fait de marchandises.

 

[59]           Dans une action intentée en vertu de l’article 135 de la Loi sur les douanes, c’est au demandeur qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les saisies étaient illégales : He c. Canada (2000), 182 F.T.R. 85, [2000] A.C.F. no 93, au paragraphe 8.

 

[60]           Il y a infraction à l’article 12 de la Loi sur les douanes quand une déclaration inexacte est faite au nom de l’importateur. En outre, la raison de cette erreur n’est pas pertinente : H.B. Fenn and Co. c. Canada, (C.F. 1re inst.) (1992), 53 F.T.R. 7, [1992] A.C.F. no 204.

 

[61]           La bonne foi de l’importateur n’a pas non plus d’importance : il y a contravention à la Loi quand une déclaration inexacte est faite ou qu’une marchandise n’est pas déclarée, et ce, même si l’importateur n’a pas voulu tromper les autorités douanières : voir, par exemple, Trites c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2011 CF 1365, 400 F.T.R. 275, au paragraphe 18; Zeid c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 539, 326 F.T.R. 219, au paragraphe 53; Hoang c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 182, 287 F.T.R. 103, au paragraphe 28; He, précitée, au paragraphe 8, Marstar Canada Inc. c. Canada, 158 F.T.R. 226, [1998] A.C.F. no 1296, au paragraphe 4.

 

[62]           Le ministre affirme que M. Kennedy avait la possession effective de la Lexus au moment où il s’est présenté au point d’entrée de Douglas le 22 mai 2008 et qu’il a enfreint l’alinéa 12(3)a) de la Loi sur les douanes en omettant de la déclarer. À titre subsidiaire, le ministre affirme que l’automobile était importée au Canada par M. Hall pour le compte de M. Kennedy, de sorte que ce dernier était tenu de déclarer l’importation du véhicule suivant l’alinéa 12(3)c) de la Loi.

 

[63]           M. Kennedy nie avoir enfreint l’article 12 de la Loi sur les douanes en omettant de déclarer l’achat d’une automobile Lexus 2008, le 22 mai 2008. Il affirme qu’à cette date, il n’avait pas encore conclu l’achat du véhicule, qu’il n’en était pas encore propriétaire et qu’il n’en détenait pas le titre de propriété. M. Hall, qui était le propriétaire enregistré de l’automobile, avait le droit de faire entrer celle‑ci au Canada et de l’y entreposer. Par conséquent, M. Kennedy prétend qu’il n’avait pas l’obligation de déclarer le véhicule au poste frontalier.

 

[64]           Invoquant en outre les principes de la question irrecevable parce que déjà tranchée, de la chose jugée et de l’abus de procédure, M. Kennedy prétend que la Cour est liée par les conclusions de fait du juge de la cour provinciale qui l’a acquitté des accusations criminelles relatives à son omission de déclarer la voiture. En particulier, M. Kennedy s’appuie sur la conclusion du juge selon laquelle il n’avait pas l’obligation de déclarer la Lexus puisque la vente n’était pas encore finalisée.

 

[65]           D’abord, en ce qui concerne ce dernier argument, il est indéniable que les affaires relatives à une infraction à l’article 12 de la Loi sur les douanes s’inscrivent dans le cadre d’une procédure civile fort différente de celle qui s’applique dans le cas d’une accusation d’importation illégale portée en vertu du Code criminel. Les parties ne sont pas les mêmes et les questions qui se posent diffèrent, tout comme la partie à qui incombe la charge de la preuve et la norme de preuve applicable (en l’espèce, la preuve est faite par prépondérance des probabilités alors que dans un cadre pénal, la preuve doit être établie hors de tout doute raisonnable). Par ailleurs, en ce qui touche la question de l’intention, les conditions à remplir ne sont pas les mêmes. Enfin, le juge de la cour provinciale disposait peut-être d’éléments de preuve différents de ceux dont j’ai été saisie.

 

[66]           Par conséquent, je ne suis pas convaincue d’être liée par les conclusions de fait tirées par le juge ayant présidé le procès pénal de M. Kennedy : voir Time Data Recorder International Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), (1997), 211 N.R. 229, 2 T.T.R. (2d) 122 (C.A.F.), aux paragraphes 10 à 15.

 

[67]           M. Kennedy fait valoir, si je comprends bien sa position, qu’il n’avait pas l’intention d’introduire illégalement la voiture au Canada. Au contraire, M. Hall conduisait le véhicule au Canada où il était censé être entreposé en attendant que la transaction entre MM. Hall et Kennedy soit finalisée. Lorsqu’elle le serait, M. Kennedy se rendrait à la frontière pour déclarer le véhicule.

 

[68]           Certes, il ressort clairement des courriels échangés entre M. Kennedy et M. Hall et des autres documents trouvés dans la voiture le 22 mai 2008 que les deux hommes s’étaient enquis de la procédure à suivre pour importer légalement une automobile au Canada. Je suis donc disposée à considérer comme possible que M. Kennedy ait eu l’intention de retourner à la frontière pour déclarer l’achat du véhicule lorsqu’il aurait en mains le titre de propriété. En revanche, cela ne l’exonérait pas des obligations qui lui incombaient au titre de l’article 12 de la Loi sur les douanes.

 

[69]           En date du 22 mai 2008, M. Hall avait acquis la Lexus (sous seule réserve du fait qu’il lui restait à recevoir le document de titre officiel). M. Hall avait acheté le véhicule pour son compte et suivant ses instructions, au moyen de l’argent qu’il lui avait fait parvenir. Lorsqu’il a pris possession du véhicule le 7 mai 2008, M. Hall a remis à M. Kennedy un acte de vente dans lequel il reconnaissait que ce dernier lui avait acheté la Lexus et qu’il en avait acquitté le prix en totalité.

 

[70]           Bien que M. Kennedy ait qualifié le document de simple [traduction] « écrit provisoire », rien dans ce document ou dans le courriel d’accompagnement de M. Hall ne permet a priori de penser qu’il avait bel et bien un caractère provisoire. Au contraire, M. Hall déclare, dans ce courriel, qu’il entend télécopier le document aux [traduction] « Douanes », ce qui donne à penser que le document était précisément ce qu’il était censé être : un acte de vente constatant que M. Hall cédait la Lexus à M. Kennedy et qu’il confirmait en avoir reçu le paiement intégral.

 

[71]           Il y a lieu d’établir une distinction entre les faits de l’espèce et la situation soumise à la Cour dans Abdelseed c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CF 581, [2013] A.C.F. no 636. Dans cette affaire, l’acheteur éventuel du véhicule n’en avait pas encore acquitté le prix. Il avait plutôt choisi de confier l’argent destiné à l’achat du véhicule à un tiers à titre fiduciaire jusqu’à la radiation du privilège grevant ce dernier, étant entendu que l’Argent lui serait remis si la mainlevée n’était pas accordée en temps voulu. De plus, la Cour était convaincue que la mainlevée du privilège constituait une véritable condition suspensive devant nécessairement être remplie pour que la vente ait lieu.

 

[72]           Dans Abdelseed, l’éventuel vendeur avait embauché un conducteur qu’il avait chargé de conduire le véhicule au Canada pour donner à M. Abdelseed l’assurance que ce dernier serait à sa disposition si le privilège devait être levé. Le conducteur du véhicule n’était ni le mandataire, ni le représentant de M. Abdelseed. Or, en l’espèce, il ne fait aucun doute que M. Hall avait aidé M. Kennedy à conduire la Lexus au Canada pour le seul bénéfice de ce dernier.

 

[73]           Une autre distinction s’impose entre les deux affaires. En effet, contrairement à M. Kennedy, M. Abdelseed n’était pas l’acheteur prévu du véhicule en question. Ce véhicule devait être acheté par l’entreprise qu’il exploitait. Par ailleurs, il ressort clairement, à la lecture des motifs, que la décision rendue dans Abdelseed reposait sur le caractère unique des faits de l’affaire : voir le paragraphe 57.

 

[74]           Pour ce qui est de la présente affaire, je suis convaincue que lorsque MM. Kennedy et Hall se sont présentés au point d’entrée de Douglas, le 22 mai 2008, M. Kennedy était le propriétaire effectif du véhicule : voir Cowan c. Minister of Finance, N.S. [1977] CTC 230, 78 DLR (3d) 66, à la p. 85, conf. par (1978), 89 DLR (3d) 426, aux pages 433et 434. De plus, M. Hall tentait manifestement de faire entrer le véhicule au Canada pour le compte de M. Kennedy.

 

[75]           Par conséquent, M. Kennedy avait l’obligation de déclarer le véhicule et il ne l’a pas fait.

 

[76]           Cette conclusion est suffisante pour statuer sur la présente action. Cependant, puisque M. Kennedy insiste pour dire qu’il n’a rien fait de mal, qu’il prétend avoir été brimé par la Direction des recours et qu’il me demande d’adresser [traduction] « une lettre de réprimande » à la directrice des recours, je juge à propos de faire quelques commentaires additionnels concernant la preuve portée à ma connaissance.

 

[77]           Or, cette preuve n’établit pas seulement que M. Kennedy n’a pas déclaré le véhicule alors qu’il était tenu de le faire. Elle démontre également que M. Kennedy et M. Hall ont tous deux essayé de tromper les agents des services frontaliers quant à la vraie raison de leur venue au Canada et quant à la nature véritable de leur entente concernant le véhicule.

 

[78]           M. Kennedy n’a pas nié que, le 21 mai 2008, il avait dit à l’agente Pele, dans un premier temps, qu’il avait [traduction] « emprunté [la voiture] à un ami pour une semaine environ ». Il est évident qu’il s’agit là d’une fausse déclaration.

 

[79]           Puis, lorsque M. Kennedy a révélé à l’ASF Pele ce qu’il tentait véritablement de faire avec la voiture, cette dernière l’a informé qu’il ne pouvait pas faire entrer la Lexus au Canada sans en avoir le titre. Le lendemain, MM. Hall et Kennedy se sont donc présentés à nouveau à la frontière, prêts à réciter une nouvelle histoire.

 

[80]           Le 22 mai 2008, l’ASF Leblanc a demandé à MM. Hall et Kennedy s’ils [traduction] apportaient avec eux « [d]es cadeaux ou d’autres choses qui [devaient rester] au Canada », ce à quoi les deux hommes ont répondu « non ». C’était faux puisque, selon le témoignage de M. Kennedy lui‑même, l’idée était de laisser la Lexus au Canada jusqu’à ce qu’il en obtienne le titre.

 

[81]           M. Hall a dit à l’ASF Birak (en présence de M. Kennedy) qu’il allait possiblement passer la journée au Canada ou aller à la pêche, et qu’il rentrerait ensuite chez lui en avion en laissant sa voiture au Canada. Interrogé sur la raison pour laquelle il entendait laisser ainsi sa voiture au Canada, M. Hall n’a pas soufflé mot – non plus que M. Kennedy – de la vente de la Lexus ni de la nécessité d’obtenir un document constatant le titre. Au lieu de cela, M. Hall a dit à l’ASF Birak : « Je vis en Oregon, et c’est là que se trouve ma femme. »

 

[82]           Puis, quand l’ASF Birak a demandé à M. Kennedy pourquoi il n’y avait pas de matériel de pêche dans la voiture, M. Kennedy a continué de taire ce qui se passait réellement par rapport à la voiture. Préférant s’employer à entretenir l’idée de la partie de pêche, il a déclaré : « [L]es [guides] nous le fourniront lorsque nous… si nous y allons ».

 

[83]           Mais surtout, M. Kennedy n’a pas nié que lorsque l’ASF Birak lui a demandé tout de go s’il allait acheter la voiture de M. Hall, il a répondu : « Je n’en ai pas les moyens pour… je n’ai pas l’argent pour le moment, mais je… mais je l’achèterai l’an prochain, peut‑être. » Cette déclaration était manifestement fausse et il s’agissait, de la part de M. Kennedy, d’une tentative évidente d’occulter la véritable nature de l’entente qu’il avait conclue avec M. Hall pour l’acquisition du véhicule.

 

[84]           Enfin, M. Kennedy a lui-même reconnu, le 22 mai 2008, qu’il avait agi incorrectement en omettant de déclarer le véhicule, comme en témoigne la déclaration qu’il a faite à l’ASF Birak : « J’ai fait une erreur. Je n’aurais pas dû faire cela. Au moins, je ne suis pas un trafiquant de drogues. »

 

[85]           Par conséquent, l’allégation de M. Kennedy voulant qu’il n’ait pas été bien traité est sans fondement. Il est l’unique auteur de sa propre infortune.

 

Conclusion

[86]           Pour ces motifs, je conclus que M. Kennedy était le propriétaire effectif de la Lexus au moment d’entrer au Canada le 22 mai 2008 et que le véhicule était importé au Canada pour son compte. Il avait donc l’obligation de déclarer l’achat du véhicule, ce qu’il a admis ne pas avoir fait. Par conséquent, son appel sera rejeté.

 

Les dépens

[87]           Étant donné l’issue de l’affaire, le ministre aurait normalement droit aux dépens.

 

[88]           Seulement, je suis troublée par le fait que les réponses aux engagements pris lors de l’interrogatoire préalable de la représentante du ministre semblent avoir été remises à M. Kennedy sans que quiconque vérifie leur exactitude. Comme je l’ai souligné plus haut, les dates auxquelles l’ASF Birak est censé avoir rédigé ses notes ont été communiquées à M. Kennedy sans que personne s’enquière de l’exactitude de cette information auprès de l’ASF Birak lui‑même. Or, dans son témoignage, ce dernier a indiqué que les réponses données étaient inexactes.

 

[89]           L’avocat du ministre n’a pas été en mesure d’expliquer comment cela avait pu se produire et il a admis qu’il s’agissait d’un élément dont la Cour souhaiterait peut-être tenir compte pour l’adjudication des dépens. Je suis d’accord avec lui. La partie qui s’engage à fournir des réponses à l’occasion d’un interrogatoire préalable ne doit pas prendre cet engagement à la légère et elle doit s’assurer de l’exactitude des réponses qu’elle donne. Pour une raison ou une autre, cela ne s’est pas fait en l’espèce.

 

[90]           Par conséquent, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je décide de n’adjuger aucuns dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’action est rejetée.

 

 

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-249-11

 

INTITULÉ :

PAUL I. KENNEDY c CANADA (MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                                   LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       Le 28 novembre 2013

COMPARUTIONS :

Paul I. Kennedy

LE DEMANDEUR

 

Brad Bedard

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul I. Kennedy

Calgary (Alberta)

 

LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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