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Date : 20131204

 


Dossier : IMM-10923-12

 

Référence : 2013 CF 1218

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2013

 

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

B231

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, B231, est un citoyen du Sri Lanka qui est arrivé au Canada le 13 août 2010, en compagnie de 492 autres passagers et membres d’équipage, à bord du MS Sun Sea.

 

[2]               Le demandeur affirme que s’il est renvoyé au Sri Lanka, il risque d’être persécuté du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ainsi que de ses opinions politiques. Il affirme en outre qu’il craint les forces armées et les groupes armés sri-lankais.

 

[3]               Le 3 octobre 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé sa demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention et à titre de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

 

[4]               Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en vertu du paragraphe 72 de la Loi.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Le contexte

[6]               Le demandeur est un Tamoul âgé de 43 ans. Il a déclaré que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] ont tué son père en 1978, le soupçonnant d’être un informateur de l’armée, parce qu’il exerçait le métier de mécanicien et était contraint de réparer des véhicules militaires. Le demandeur a travaillé comme apprenti mécanicien d’automobiles et, en 1986, pendant qu’il achetait des pièces de rechange, il a perdu sa jambe gauche quand une bombe a explosé près de lui. Lui aussi a été contraint de réparer des véhicules des TLET dans son garage, dans le district de Jaffna.

 

[7]               Le demandeur a fui le district de Jaffna avec sa famille en 1985 et est finalement parti pour l’Inde. Il est revenu au Sri Lanka en octobre 2003 et a ouvert un atelier à Puttur, dans le district de Jaffna. Il a soutenu qu’il a été forcé de prêter son camion aux TLET et qu’il a plus tard été convoqué par l’armée, mais celle-ci l’a laissé partir sans lui faire d’avertissement. Il soutient également que cinq de ses amis ont été tués dans la rue par l’armée et que, près de son atelier, les TLET ont fait sauter une bombe, qui a tué deux soldats.

 

[8]               Craignant qu’on l’associe à l’attentat à la bombe ou qu’on le soupçonne d’en être responsable, le demandeur et sa famille ont fui à Colombo. Il prétend qu’il a été victime d’extorsion et que son épouse a été victime d’un vol, commis par deux Cinghalais. Après un séjour de seize mois à Colombo, le demandeur est parti pour la Thaïlande, où il a vécu pendant deux ans et demi et s’est inscrit auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR], qui lui a délivré un certificat de réfugié. Son épouse et ses enfants sont restés à Colombo et ont fini par retourner dans le district de Jaffna, où ils ont continué de vivre. Le demandeur est monté à bord du MS Sun Sea en Thaïlande et est arrivé au Canada le 13 août 2010.

 

La décision

[9]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi et que son renvoi au Sri Lanka ne l’exposerait pas à une possibilité sérieuse de persécution, pas plus que, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture.

[10]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas digne de foi à cause de nombreuses incohérences et contradictions dans son témoignage oral, son formulaire de renseignements personnels [FRP] et sa demande d’asile. Elle a relevé les erreurs, les omissions, les incohérences et les invraisemblances liées au récit du demandeur selon lequel il avait dû quitter le Sri Lanka parce qu’une bombe avait explosé près de son atelier et tué des soldats. Le fait que cet incident ait été omis lors des contacts antérieurs du demandeur avec des agents d’immigration, l’absence de preuves documentaires corroborantes, les incohérences et les contradictions dans la chronologie des événements évoquée par lui, de même que sa panique évidente et son incapacité à donner une explication quelconque après avoir été confronté à ces incohérences et à ces omissions ont amené la Commission à conclure que ce qui l’avait incité à fuir le Sri Lanka était « le pur fruit de son imagination ».

 

[11]           La Commission a conclu que, même si cinq personnes avaient perdu la vie à Jaffna en avril 2006, le demandeur ne semblait pas les connaître et n’était pas non plus lié à eux, même de loin. Elle a également jugé que le demandeur n’avait pas été digne de foi au sujet de l’endroit où vivait ses frères et ses sœurs, au sujet de ce qu’il avait fait en Inde, ainsi qu’au sujet de ses documents. Elle a conclu aussi que les autorités n’étaient pas à sa recherche car il avait pu faire de longs séjours à Colombo.

 

[12]           Malgré les conclusions relatives à la crédibilité, la Commission a reconnu que même un menteur peut être un réfugié et elle a évalué les prétentions du demandeur en se fondant sur les preuves crédibles qui restaient et les plus de 700 pages de preuves documentaires.

 

Le profil de risque du demandeur

[13]           La Commission s’est fondée sur l’édition de juillet 2010 d’un document intitulé « UNHCR Eligibility Guidelines for assessing the international protection needs of asylum‑seekers from Sri Lanka » (les Directives du HCR) et elle a conclu que le demandeur ne correspond à aucune des catégories de risque dont le HCR fait état.

 

[14]           La Commission a spécifiquement pris en considération le profil du demandeur en tant que Tamoul de sexe masculin ayant subi une amputation, ce qui attire davantage l’attention, mais elle a fait remarquer que cela n’aggraverait pas son risque d’être associé aux TLET car il n’est pas jeune, vit avec ce handicap depuis 1986 et est né à Colombo. L’amputation du demandeur, a‑t-elle signalé, ne lui avait pas causé plus de problèmes dans le passé. Selon le propre témoignage du demandeur, on l’a interrogé sur sa claudication et il n’a été gardé en détention qu’à une seule occasion, et seulement quinze minutes. La Commission a également noté d’autres facteurs qui l’ont amenée à conclure que les autorités sri-lankaises ne s’intéressaient – et ne s’intéresseraient - pas au demandeur : il a continué de vivre pendant au moins six mois à Jaffna, même s’il était censément recherché pour un attentat à la bombe ayant causé la mort de deux militaires; il a vécu à Colombo pendant seize mois et n’a subi que de légers incidents de harcèlement; de plus, il a quitté le Sri Lanka sans incident, muni d’un passeport sri-lankais authentique.

 

[15]           La Commission a analysé les documents portant sur la situation du pays et a signalé que cette dernière s’était améliorée, même pour ceux que l’on identifiait auparavant comme des partisans des TLET. Dans son analyse, elle a reconnu que le Sri Lanka a apporté des changements importants, concrets et durables, mais que la situation est loin d’être parfaite et que les groupes mentionnés dans les Directives du HCR s’exposeraient quand même à des risques. Elle a aussi analysé les preuves contraires que le demandeur avait soumises, dont un rapport d’Amnistie Internationale daté du 12 juin 2012 (le rapport d’Amnistie Internationale) et a conclu que, même s’il y est indiqué que les voyages du MS Ocean Lady et du MS Sun Sea étaient des opérations de passage de clandestins des TLET, cela ne prouvait pas que tous les passagers à bord de ces navires étaient associés aux TLET. Elle a également jugé que le rapport d’Amnistie Internationale révélait ce que l’on sait déjà : que les personnes associées aux TLET s’exposent à des risques au Sri Lanka.

 

[16]           La Commission a également examiné si l’exception relative aux raisons impérieuses que prévoit le paragraphe 108(4) de la Loi s’appliquait.

 

[17]           L’article 108 dispose :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

 

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

 

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

Perte de l’asile

 

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

 

 

 

Effet de la décision

 

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

 

 

 

Exception

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances :

 

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

 

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

(d) the person has voluntarily become re-established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

Cessation of refugee protection

 

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 

Effect of decision

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

 

Exception

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[18]           Selon la Commission, l’exception relative aux raisons impérieuses ne s’applique que dans les cas où l’on a décidé que le demandeur d’asile est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger et, a-t-elle aussi ajouté, les conditions qui sont à l’origine d’une telle conclusion n’existent plus.

 

[19]           La Commission s’est reportée au « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR » (le Guide du HCR), où l’on donne des précisions sur la notion des raisons impérieuses et où l’on souligne qu’« [i]l est fréquemment admis que l’on ne saurait s’attendre qu’une personne qui a été victime – ou dont la famille a été victime – de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. »

 

[20]           La Commission a conclu que les allégations de persécution antérieure du demandeur n’étaient pas dignes de foi et qu’il n’y avait pas de fondement crédible pour conclure à l’existence de raisons impérieuses d’accueillir sa demande.

 

Les réfugiés de retour

[21]           La Commission a admis que le risque de détention s’aggrave dans le cas des rapatriés qui font l’objet d’un mandat d’arrestation non exécuté, qui ont un casier judiciaire, qui ont des liens avec les TLET, qui ont des antécédents de départ illégal du Sri Lanka, qui ont eu des rapports avec des médias ou des organisations non gouvernementales et qui ne possèdent pas de carte d’identité ou d’autres documents. Elle a toutefois conclu que le demandeur ne correspondait à aucun de ces groupes.

 

[22]           La Commission a signalé que le HCR aide les réfugiés tamouls qui souhaitent rentrer au Sri Lanka et elle a laissé entendre que cet organisme ne le ferait pas s’il percevait que la personne, à son retour, s’exposerait à un risque sérieux de persécution. Elle a également fait référence à d’autres preuves documentaires portant sur le traitement des réfugiés de retour.

 

Les demandes d’asile sur place

[23]           Se fondant sur le Guide du HCR, la Commission a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié sur place.

 

[24]           Elle a fait remarquer qu’une demande d’asile sur place peut être accueillie lorsque le demandeur n’était pas un réfugié quand il a quitté son pays d’origine mais que, en raison d’un changement de situation survenu dans ce pays depuis son départ, ou à cause de ses activités depuis ce moment, ce demandeur pourrait s’exposer à des risques à son retour.

 

[25]           De l’avis de la Commission, les preuves donnant à penser que le demandeur subirait un traitement différent de celui d’autres rapatriés étaient insuffisantes, vu qu’il n’avait entretenu dans le passé aucun lien avec les TLET. Par ailleurs, il n’a pas été personnellement identifié comme passager à bord du MS Sun Sea, pas plus qu’il n’existe une liste de passagers.

 

Les questions en litige

[26]           Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable car la Commission a commis des erreurs dans ses conclusions relatives à la crédibilité, ainsi qu’en se fondant sélectivement sur des preuves selon lesquelles la situation des Tamouls au Sri Lanka s’améliore et en omettant de prendre en compte les preuves plus récentes, en ne tenant pas compte du statut de réfugié que le HCR lui a conféré, en omettant d’analyser de manière appropriée les changements de situation dans le pays et en n’évaluant pas le profil complet des risques auxquels il s’expose en tant qu’amputé portant des cicatrices.

 

La norme de contrôle applicable

[27]           Même si le demandeur a fait état d’une allégation d’équité procédurale, seules des questions mixtes de fait et de droit ont été évoquées, car toutes les questions en litige ont trait à la manière dont la Commission a évalué le profil de risque du demandeur.

 

[28]           La norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation et aux conclusions de crédibilité de la Commission, aux risques éventuels et aux demandes d’asile sur place, est la raisonnabilité.

 

[29]           Lors du contrôle d’une décision soumise à la norme de la raisonnabilité, le rôle de la Cour, au stade du contrôle judiciaire, consiste à déterminer si la décision de la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il peut y avoir plusieurs issues raisonnables, et tant que « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

 

[30]           Les conclusions que la Commission a tirées quant à la crédibilité doivent faire l’objet d’une retenue considérable (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329). Les organismes et tribunaux administratifs sont idéalement placés pour évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF)).

 

La crédibilité

[31]           Le demandeur soutient que même si l’on conclut qu’un demandeur d’asile n’est pas digne de foi, la Commission se doit quand même d’examiner et d’évaluer en entier la preuve documentaire faisant état des risques que courent les personnes se trouvant dans une situation semblable à celle de ce demandeur, étant donné que sa demande repose sur son profil ainsi que sur le traitement que subissent aujourd’hui au Sri Lanka les personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne (Maimba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 226, au paragraphe 22, 70 Imm LR (3d) 305 [Maimba]; Kanesaratnasingham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 48, au paragraphe 8, [2008] ACF no 61).

 

[32]           Le défendeur fait valoir que les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité sont pertinentes à l’égard des circonstances entourant la raison pour laquelle le demandeur a quitté le Sri Lanka et de son profil de risque perçu. Si le récit du demandeur n’est pas digne de foi, ce dernier ne peut tout simplement pas invoquer la situation régnant au Sri Lanka pour confirmer les risques auxquels il s’expose sans que l’on reconnaisse qu’il ne correspond pas aux catégories dans lesquelles se trouvent ceux qui s’exposent à des risques. Autrement dit, le défendeur soutient que le demandeur doit établir l’existence d’un lien entre la situation du pays et les risques possibles que présente sa propre situation.

 

[33]           Même si la Commission a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’était pas digne de foi et si elle a donné de nombreux exemples à l’appui de sa conclusion, les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne sont pas déterminantes.

 

[34]           Comme l’a conclu le juge Kelen dans la décision Maimba, précitée, au paragraphe 22, il existe des cas où la Commission se doit de prendre en considération le profil de risque d’une  personne qui demande l’asile, même si elle conclut que cette personne est dénuée de crédibilité :

22        Par suite de l’appréciation de la preuve et de l’analyse des arguments du demandeur à ce sujet, la Cour conclut que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de la preuve documentaire. La jurisprudence est claire : lors de l’examen du risque objectif de préjudice que le demandeur pourrait subir en cas de renvoi dans son pays d’origine, il peut y avoir des cas où, lorsque l’identité du demandeur est acceptée, la preuve documentaire objective est telle que les circonstances particulières du demandeur font de lui une personne à protéger, malgré que la Commission ait conclu qu’il n’est pas crédible : voir Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, [2005] A.C.F. no 275 (QL), rendue par le juge Martineau. Cependant, il affirme également que de telles appréciations doivent être effectuées au cas par cas selon la nature de la preuve déposée dans chaque affaire.

 

[35]           La Commission a clairement reconnu ce fait en signalant qu’« une personne peut avoir qualité de réfugiée tout en étant menteuse ». Par ailleurs, elle a analysé en détail quelle était la situation au Sri Lanka pour les Tamouls et elle a évalué si le profil particulier du demandeur lui ferait courir des risques s’il y retournait.

 

La Commission a-t-elle mal énoncé la preuve ou s’est-elle fondée sur elle de manière sélective?

[36]           Selon le demandeur, les conclusions que la Commission a tirées sur l’identité de ceux qui s’exposent à des risques au Sri Lanka sont exagérément simplistes et ne correspondent pas à la réalité (Rayappu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (24 octobre 2012), Ottawa IMM-8712-11 (CF)). Il a fait état d’un certain nombre de preuves documentaires qui donnent à penser qu’il y a eu des catégories de personnes que l’on soupçonne d’être affiliées aux TLET : les Tamouls de sexe masculin originaires du Nord, les personnes portant des cicatrices visibles, de même que les demandeurs d’asile déboutés.

 

[37]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a interprété de manière tout à fait erronée certains des éléments de preuve, dont le rapport de l’International Crisis Group [ICG]. Au lieu d’indiquer que le gouvernement sri-lankais assume la responsabilité de ses violations des droits de la personne, soutient le demandeur, le rapport de l’ICG critique les efforts faits par le gouvernement pour se dégager de toute responsabilité quant aux atrocités commises par ses forces sur le plan des droits de la personne durant la guerre civile. Il signale par ailleurs un autre rapport de l’ICG, dans lequel on indique que l’actuel gouvernement du Sri Lanka a rejeté l’approche conciliatoire des gouvernements précédents et adopté les méthodes brutales et oppressives des insurgés.

 

[38]           Le demandeur est d’avis que la Commission n’est pas tenue de faire référence à tous les éléments de preuve produits, mais qu’elle se doit de prendre en compte les éléments qui contredisent directement ses conclusions ultimes (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 [Cepeda-Gutierrez]) et elle ne l’a pas fait.

 

[39]           Le demandeur a fait remarquer, en particulier :

         que la Commission a assimilé la collectivité tamoule aux TLET en disant que cette dernière n’a pas dénoncé les atrocités que les TLET ont commises;

         que, en ce qui concerne les Directives du HCR, la Commission n’a pas tenu compte de recommandations selon lesquelles les demandeurs d’asile doivent tous être examinés au cas par cas, vu que la situation améliorée au Sri Lanka continue d’évoluer, et qu’elle a fait abstraction du conseil du HCR selon lequel il y a lieu de se fonder sur les preuves les plus récentes au sujet de la situation dans le pays;

         que la Commission a mis en doute de manière déraisonnable des éléments de preuve critiquant le gouvernement sri-lankais parce que ces éléments proviennent de TamilNet.com;

         que la Commission a fait abstraction de manière déraisonnable du rapport d’Amnistie Internationale à cause d’une déclaration du ministère sri-lankais de la Défense selon laquelle Amnistie Internationale avait reçu des fonds d’un organisme qui servait  censément de façade aux TLET.

 

[40]           Le demandeur soutient que le commentaire de la Commission selon lequel « la situation au Sri Lanka n’est pas parfaite pour les Tamouls » ne constitue pas une évaluation équilibrée de la preuve.

 

[41]           Le défendeur est d’avis que la Commission a pris en considération des sources diverses, dont celle qui critique l’actuelle approche du gouvernement à l’égard des Tamouls, et il a fait remarquer qu’un grand nombre de réfugiés sri-lankais de retour au pays sont interrogés et ensuite relâchés.

 

[42]           Le défendeur a traité des exemples précis que le demandeur a cités, en faisant remarquer :

         que la Commission n’a pas assimilé la collectivité tamoule aux TLET. Elle commentait plutôt le fait que les dirigeants de la collectivité tamoule qui avaient soutenu les TLET n’avaient pas dénoncé les atrocités commises par ces derniers et que les deux camps opposés doivent assumer la responsabilité de leurs gestes passés si l’on veut que la réconciliation réussisse;

         la méfiance de la Commission à l’égard de TamilNet.com est fondée sur un bulletin publié par le département d’État des États-Unis, qui établit un lien entre cette organisation et les TLET, et il était loisible à la Commission de formuler ce commentaire;

         que la Commission a conclu de manière raisonnable que le rapport d’Amnistie Internationale « forçait » les preuves et que ce ne sont pas tous les passagers se trouvant à bord du MS Sun Sea que l’on considère comme membres des TLET;

         que la Commission a parfaitement saisi qu’au Sri Lanka la situation n’est pas parfaite mais qu’elle a évalué le profil du demandeur en prenant pour base la totalité des éléments de preuve.

 

La Commission n’a pas mal énoncé la preuve ou ne s’est pas fondée sur elle de manière sélective

[43]           Malgré l’analyse détaillée que le demandeur a faite de la décision de la Commission, je ne suis pas d’accord pour dire que celle-ci s’est fondée de manière sélective sur des preuves documentaires, à l’exclusion d’autres preuves brossant un tableau plus sombre des risques possibles. La Commission a examiné en détail la preuve documentaire portant sur la situation des Tamouls au Sri Lanka et elle a pris acte des préoccupations actuelles, notamment dans le cas des Tamouls correspondant à un certain profil. Elle a toutefois conclu de manière raisonnable que le profil particulier du demandeur ne lui ferait pas courir de risques s’il retournait au Sri Lanka.

 

[44]           La Commission a traité des preuves contraires mais elle a conclu, pour plusieurs raisons, qu’elles n’étaient pas convaincantes et elle a décidé qu’elle préférait s’appuyer « sur les documents et les principes directeurs du HCR ».

 

[45]           Le demandeur a fait valoir avec force que la Commission s’est trompée en omettant de tenir compte du conseil du HCR selon lequel il y a lieu de prendre en considération les preuves les plus récentes sur la situation régnant dans le pays.

 

[46]           Je conviens avec le demandeur qu’en ce qui concerne les risques que l’on court dans le pays d’origine, c’est le HCR qui fait principalement autorité.

 

[47]           De ce fait, la Commission était justifiée de se fonder sur la version 2010 des Directives du HCR, qui, à la date de l’audience et de la décision, n’avait pas changé. La Commission a fait remarquer que la version antérieure de ces directives, celle de 2009, demandait que l’on protège les jeunes hommes tamouls de façon plus générale, mais que cette version a été remplacée par les Directives de 2010, où l’on fait état de risques pour des personnes particulières ou des catégories particulières de personnes et où l’on recommande de procéder à une évaluation individualisée.

 

[48]           Les passages applicables des Directives du HCR sont les suivants :

[traduction] Les Directives contiennent des informations sur les profils particuliers qui, dans la conjoncture actuelle, pourraient faire naître des besoins de protection internationale. Comme les hostilités ont pris fin, les Sri-lankais originaires du nord du pays n’ont plus besoin d’une protection internationale d’après les critères plus généraux qui se rapportent aux réfugiés, ni de formes complémentaires de protection qui reposent uniquement sur le risque d’un préjudice indifférencié. Compte tenu de l’amélioration de la situation des droits de la personne et de la sécurité au Sri Lanka, il n’est plus nécessaire de prévoir des mécanismes de protection fondés sur un groupe particulier ou de présumer de l’admissibilité des Sri-lankais d’origine tamoule du Nord du pays. Il est important de garder à l’esprit que la situation continue d’évoluer, et cela fait de la rédaction des présentes directives une tâche particulièrement complexe.

(À la page 1).

 

[49]           En ce qui concerne la situation des réfugiés reconnus :

[traduction] La situation des réfugiés reconnus ne doit être contrôlée que s’il y a des signes, dans un cas particulier, qu’il y a lieu d’annuler un statut de réfugié accordé par erreur au départ, ou de révoquer le statut de réfugié en vertu de la section F ou des alinéas C(1-4) de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention de 1951). Le HCR est d’avis que la situation actuelle au Sri Lanka, même si elle s’est nettement améliorée durant les douze derniers mois, ne justifie pas encore que l’on révoque le statut de réfugié en vertu de l’alinéa C(5) de l’article premier de la Convention de 1951.

 

Toutes les demandes d’asile de Sri-lankais devraient être examinées en fonction de leur bien-fondé particulier, dans le cadre de procédures de détermination du statut de réfugié équitables et efficaces, et en tenant compte d’informations à jour et pertinentes sur le pays d’origine. Le HCR considère que, suivant les circonstances particulières de l’affaire, certaines personnes dont le profil est semblable à celui des personnes décrites ci-après requièrent un examen particulièrement soigné des risques possibles […].

(À la page 3)

 

[…]

 

Au moment de la rédaction du présent document, la situation nettement meilleure au Sri Lanka continue d’évoluer. Le HCR recommande que toutes les demandes d’asile de Sri-lankais soient examinées en fonction de leur bien-fondé particulier, dans le cadre de procédures de détermination du statut de réfugié équitables et efficaces, en tenant compte d’informations à jour et pertinents sur le pays d’origine. Nous attirons particulièrement l’attention sur les profils exposés dans les présentes Directives.

(À la page 13)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[50]           Même si le demandeur conteste la manière dont la Commission a traité les éléments de preuve contraires, l’analyse que cette dernière en a faite est complète, équilibrée et inattaquable selon la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[51]           La Commission a suivi exactement le conseil du HCR : une évaluation individuelle fondée sur la preuve documentaire, tout en reconnaissant l’existence des preuves contradictoires  et en indiquant qu’elle préférait se fonder sur les Directives du HCR. La Commission a conclu que le demandeur ne courrait pas de risques.

 

[52]           Il vaut aussi la peine de mentionner que même si le demandeur soutient que les nouvelles Directives du HCR ont été publiées un mois après que la décision a été rendue, la version 2012 de ces directives continue de recommander que l’on procède à une évaluation individuelle et elle signale toujours qu’il existe des profils de risque particuliers, dont celui des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du statut de réfugié que le HCR a reconnu au demandeur?

[53]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte du statut de réfugié que le HCR lui a reconnu et qu’il s’agit là d’une erreur qui porte un coup fatal à la décision.

 

[54]           Le demandeur fait également valoir que le défendeur a tenté d’ajouter à la décision de la Commission en faisant référence à l’expiration du certificat de statut de réfugié et en faisant part de motifs que la Commission avait omis. Il soutient que même si le certificat comporte une date d’expiration, le statut de réfugié n’expire que s’il y a eu une procédure de révocation. Il soutient par ailleurs qu’il aurait fallu l’interroger à propos du certificat du HCR afin de déterminer la raison pour laquelle le statut de réfugié lui avait été accordé.

 

Le statut du HCR a été pris en considération

[55]           Le demandeur a fait état de l’abondante jurisprudence qui met en lumière l’importance du statut de réfugié reconnu par le HCR et qui oblige un agent des visas ou la Commission à tenir compte de ce statut.

 

[56]           Dans la décision Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, aux paragraphes 54, 55, 57 et 58, 389 FTR 165 [Ghirmatsion], la juge Snider a fait remarquer :

54        Le HCR a reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention, comme en fait foi la « carte bleue » délivrée le 31 août 2009. Si je comprends bien, la carte d’identité bleue atteste que son porteur a fait l’objet d’une évaluation individuelle et est officiellement reconnu en tant que réfugié par cet organisme de l’ONU. Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne considérant aucunement le statut reconnu par le HCR comme étant un facteur pertinent pour sa décision.

 

55        Pour bien s’acquitter de ses responsabilités, l’agente peut recourir comme guide aux lignes directrices OP 5, Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, de Citoyenneté et Immigration Canada, datées du 13 août 2009 (le Guide OP 5 ou les lignes directrices). Le Guide OP 5 renvoie plusieurs fois au HCR et aux liens qui existent entre cet organisme et les fonctions d’un agent des visas. Y est exposé comme suit, à la section 6.53, le contexte général dans lequel s’inscrit la relation entre CIC et le HCR :

 

Le HCR est un organisme humanitaire et non politique dont le mandat est de protéger les réfugiés et de promouvoir des solutions à leurs problèmes. Ces solutions peuvent comprendre le rapatriement volontaire, l’intégration locale et, dans des cas exceptionnels, le réétablissement dans un tiers pays.

 

Les bureaux locaux du HCR repèrent des personnes qui ont besoin d’un réétablissement et les recommandent aux bureaux des visas. Le Manuel de réinstallation du HCR dont tous les bureaux des visas ont un exemplaire présente, en détail, les facteurs dont le HCR tient compte lorsqu’il recommande le réétablissement de réfugiés. L’agent devrait connaître ces facteurs. On peut consulter le Manuel sur le site Web du HCR : http://www.unhcr.org.

 

Le HCR est un partenaire très important dans l’exécution du programme de réadaptation du Canada. Des relations de travail solides entre les bureaux des visas du Canada et les bureaux locaux du HCR sont essentielles à la réussite du programme. Les agents doivent veiller à ce que leur bureau local du HCR comprenne le programme de réadaptation du

Canada et ne pas hésiter à demander qu’on leur recommande des cas pertinents. [Version anglaise omise] […]

 

[…]

 

57        Il n'est fait aucune mention dans les notes du STIDI non plus que dans la décision du statut reconnu au demandeur par le HCR. Je conviens que la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR n’a pas un caractère déterminant; l’agente avait pour mandat d’évaluer la crédibilité du demandeur et d’établir le bien-fondé de sa demande au regard des lois canadiennes applicables. Selon le Guide OP 5, néanmoins, le HCR joue un rôle important et pertinent lorsqu’il s’agit de traiter les demandes selon la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. À mon avis, le statut de réfugié accordé au demandeur par le HCR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent. Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425 (QL) ( C.F. 1re inst.), le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) avait affaire au défaut d’un décideur d’examiner un document pertinent qui concernait le demandeur de manière fort personnelle. Le juge Evans a alors énoncé le principe suivant fréquemment cité (paragraphe 17) :

 

[P]lus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

58        La désignation comme réfugié par le HCR était un élément si important de la preuve du demandeur qu'il est possible de déduire du défaut de l’agente de l’avoir mentionnée dans ses motifs qu'elle a rendu sa décision sans en tenir compte. C’était pourtant une question centrale aux fins de la décision. Face à un demandeur reconnu comme réfugié par le HCR, l’agente aurait dû expliquer dans son évaluation de la demande pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte. Or, faute pour un agent des visas d’avoir expliqué pourquoi il n’a pas souscrit à une désignation du HCR, la Cour n’a aucun moyen de savoir si cet élément de preuve d’une grande pertinence a été pris en compte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[57]           Il y a plusieurs points dans la décision Ghirmatsion qu’il convient de relever.

 

[58]           Tout d’abord, la juge Snider a conclu que le statut reconnu par le HCR n’est pas déterminant et que, dans cette affaire, l’agent des visas - et, en l’espèce, la Commission - devait faire sa propre évaluation en fonction du droit canadien. La Commission ne l’a pas fait.

 

[59]           Deuxièmement, contrairement à l’affaire Ghirmatsion, la Commission a expressément mentionné le statut que le HCR a reconnu au demandeur, signalant que ce dernier « a séjourné en Thaïlande pendant deux ans et demi et il s’est inscrit à titre de réfugié auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ».

 

[60]           Troisièmement, la Commission a tiré d’importantes conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur, des conclusions que ce dernier ne conteste pas. De tels doutes sur la crédibilité minent forcément les conclusions du HCR. Combinée au principe selon lequel une désignation du HCR n’est pas déterminante, la conclusion de la Commission montre que celle-ci a remplacé la désignation de réfugié reconnu par le HCR par sa propre détermination du profil de risque du demandeur, ce qu’elle est en droit de faire.

 

[61]           Quatrièmement, la Commission a examiné s’il existait des raisons impérieuses, et elle ne l’aurait pas fait si le demandeur n’avait pas évoqué la question du statut que le HCR lui avait conféré. Il n’y avait pas d’autres raisons pour faire référence à l’exception que prévoit le paragraphe 108(4) de la Loi, sinon pour traiter de ce statut.

 

[62]           La Commission a fait remarquer que l’exception ne s’applique que lorsqu’il a été conclu que la personne a la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger et que les conditions ayant mené à une telle conclusion n’existent plus.

 

[63]           La Commission a également mentionné et pris en considération ce que le guide du HCR indique au sujet des raisons impérieuses.

 

[64]           Comme il a été mentionné plus tôt, la version 2010 des Directives du HCR indiquait que les conditions améliorées ne justifiaient pas que l’on révoque le statut de réfugié, mais qu’il fallait procéder à une évaluation individuelle. Dans le cas présent, c’est ce que la Commission a fait.

 

[65]           De plus, comme l’a signalé le défendeur, le demandeur a été interrogé à l’audience sur le statut que le HCR lui avait conféré et a indiqué qu’il avait fait au HCR les mêmes allégations que celles qu’il avait faites à la Commission.

 

[66]           Le demandeur a aussi invoqué plusieurs autres décisions, dont Elyasi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 419, [2010] ACF no 484, et Kidane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 520, [2011] ACF no 651 [Kidane], lesquelles établissent que le statut conféré par le HCR est pertinent et que l’agent ou la Commission doivent en tenir compte. La décision Kidane est presque identique à la décision Ghirmatsion et elle renforce la nécessité de tenir compte de ce statut. La juge Snider a fait remarquer, aux paragraphes 31 à 33 :

[31]      Les notes du STIDI et la décision ne font aucune mention du statut de la demanderesse au sens de l’UNHCR. Je reconnais que la qualité de réfugié au sens de l’UNHCR n’est pas déterminante. L’agente a pour mandat d’évaluer la crédibilité de la demanderesse et de se prononcer sur le bien-fondé de sa demande aux termes du droit canadien applicable. Le guide OP 5 reconnaît néanmoins l’importance et la pertinence de l’UNHCR en regard du traitement des demandes présentées au titre de la catégorie des réfugiés outre-frontières. À mon avis, le statut de réfugié au sens de l’UNHCR de la demanderesse était une considération particulière et pertinente.

 

[32]      La preuve concernant la qualification au sens de l’UNHCR était si déterminante pour le dossier de la demanderesse que le fait qu’il n’y en ait aucune mention dans les motifs de l’agente autorise à déduire qu’elle est parvenue à sa décision sans en tenir compte (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL)(C.F. 1re inst.), au paragraphe 17). Il s’agit d’un élément crucial dans le contexte de la décision. L’agente avait devant elle une réfugiée au sens de l’UNHCR : elle aurait pu expliquer pourquoi son évaluation ne rejoignait pas celle de cette organisation. Elle n’était pas du tout tenue de souscrire aveuglément à la qualification de l’UNHCR; cependant, elle devait en tenir compte. À moins que les agents des visas n’expliquent la raison pour laquelle il n’y acquiescent pas, nous n’avons aucun moyen de savoir si cet élément de preuve très pertinent a été pris en compte.

 

[33]      Cette erreur de l’agente est suffisante pour infirmer la décision. J’aimerais toutefois répéter que la décision de l’UNHCR n’est pas déterminante; il incombe toujours à l’agente de se livrer à sa propre évaluation de la preuve, notamment celle qui touche le statut de réfugié au sens de l’UNHCR.

 

[67]           Dans Kidane, la juge Snider a signalé à deux reprises que le statut de réfugié que confère le HCR n’est pas déterminant et que l’agent a pour mandat d’évaluer la crédibilité du demandeur d’asile et de statuer sur le bien-fondé de sa demande dans le contexte du droit canadien applicable.

 

[68]           Les principes ne sont pas contestés.

 

[69]           En l’espèce, les principes ont été appliqués. Il ressort des motifs de la Commission, lus dans leur ensemble, que le statut de réfugié que le HCR a accordé au demandeur a été pris en considération et que l’on a procédé à une évaluation rigoureuse de sa demande sur le fond, conformément au droit canadien. C’est ce que la jurisprudence exige et c’est ce que la Commission a fait.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’évolution de la situation dans le pays?

[70]           Aux dires du demandeur, la Commission n’a pas pris en considération la totalité des éléments de preuve portant sur l’évolution de la situation au Sri Lanka (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 27, [2001] ACF no 1131). Au lieu de cela, soutient-il, la Commission s’est simplement fiée au fait que les Directives du HCR ont cessé de recommander d’accorder le statut de réfugié à tous les Tamouls de sexe masculin originaires du Nord.

 

[71]           Le demandeur ajoute que la Commission n’a pas évalué de manière sérieuse si l’amélioration de la situation dans le pays sur laquelle elle s’est fondée était durable, et il fait remarquer que la jurisprudence souligne qu’il est nécessaire de le faire.

 

[72]           Dans la décision Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 290, au paragraphe 14, 70 Imm LR (3d) 161, le juge Mosley a déclaré :

[14]      Pour en arriver à cette décision, la commissaire de la SRP  [sic] devait toutefois tenir compte de la durabilité du changement survenu dans la situation au pays d’origine et de la stabilité de la situation politique, avant de pouvoir conclure à une absence de risque. Agir autrement mettrait en danger les personnes qui fuient leur pays parce qu’elles y sont persécutées parce qu’elles se sont ralliées à l’un des deux antagonistes dans le cadre d’un conflit. Bien qu’elles puissent être en sécurité pendant la période au cours de laquelle leur groupe a la cote, la fragilité de cette sécurité est une question dont la SPR doit tenir compte avant de rendre sa décision. Or, la décision de la commissaire ne permet pas de croire qu’elle s’est penchée sur cette question dans le cas qui nous occupe.

 

La Commission a tenu compte de l’évolution de la situation dans le pays

[73]           La Commission s’est penchée sur la question de la durabilité des nouvelles conditions régnant dans le pays et a cité l’arrêt Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 179 NR 11, [1995] ACF no 35, au paragraphe 12 (CAF) [Yusuf] et la décision Alfarsy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1461, au paragraphe 56, [2003] ACF no 1856 [Alfarsy].

 

[74]           Dans l’arrêt Yusuf, la Cour d’appel a fait remarquer qu’il n’existe aucun critère pour jauger un changement durable et qu’il s’agit d’une conclusion de fait; par ailleurs, il convient de mettre l’accent sur l’évaluation du risque que court le demandeur d’asile au moment en question. Dans la décision Alfarsy, le juge Russell a fait remarquer, au paragraphe 56 :

[56]      La commissaire a relevé qu'outre les questions qui avaient eu une incidence directe sur les demanderesses, la preuve permettait de penser que la situation évoluait en Tanzanie, du moins pour ce qui est des rapports entre le CCM et le Front. Reste à savoir si les changements survenus étaient « assez profonds et durables pour éliminer le doute d'un danger possible de persécution ». J'estime que c'est une question que la commissaire était tenue d'examiner et qu'elle a effectivement examinée en évaluant les probabilités au vu de l'ensemble de la preuve dont elle disposait. Le fait que les demanderesses soient en désaccord avec les conclusions tirées par la commissaire ne rend pas cette conclusion erronée. La commissaire n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention à cet égard.

 

[75]           La Commission a procédé à une analyse détaillée et rigoureuse de l’amélioration de la situation au Sri Lanka et, pour ce faire, elle s’est fondée sur plusieurs sources objectives autres que les Directives du HCR. Elle a reconnu d’emblée que la situation actuelle au Sri Lanka n’est pas parfaite pour les Tamouls, surtout ceux soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET.

 

[76]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne courrait pas de risques au Sri Lanka est raisonnable, au vu de ses conclusions selon lesquelles le gouvernement n’a jamais soupçonné le demandeur d’avoir des liens quelconques avec les TLET; de nombreux Tamouls, y compris de nombreuses personnes et de nombreux combattants anciennement affiliés aux TLET (mais pas tous) ont été relâchés par le gouvernement sri-lankais et ne craignent plus d’être persécutés, et, au Sri Lanka, la situation sociopolitique s’est calmée depuis 2010, comme en font foi le retour des touristes et de nettes améliorations dans la vie des civils de la minorité tamoule.

 

[77]           Par ailleurs, la Commission ne s’est pas fondée uniquement sur le fait que le demandeur a pu quitter le Sri Lanka en se servant de ses propres documents de voyage authentiques. La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne courrait pas de risques au Sri Lanka repose plutôt sur un éventail de facteurs.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du risque que court le demandeur en tant qu’amputé?

[78]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en formulant l’hypothèse qu’il ne courrait pas plus de risques à cause de l’amputation de sa jambe.

 

[79]           Le demandeur est d’avis qu’étant donné qu’il n’a jamais été tenu de montrer ses dossiers médicaux dans le passé, il ne faudrait pas en conclure qu’il ne courrait aucun risque à son retour en tant que réfugié débouté. En fait, son dossier médical éveillerait des soupçons, car il révèle qu’il a perdu sa jambe durant la guerre civile, à cause de l’explosion d’une bombe, dans le district de Jaffna.

 

La Commission a pris en considération le profil de risque cumulatif du demandeur, dont le fait qu’il est amputé

[80]           La Commission a examiné le profil de risque du demandeur en tant qu’amputé portant d’importantes cicatrices. Elle a reconnu que les autorités « portent énormément attention aux jeunes Tamouls qui ont subi des blessures » [non souligné dans l’original]. Cependant, elle a également fait remarquer que le demandeur ne correspond pas au profil de risque des Tamouls que l’on soupçonnerait d’avoir des liens avec les TLET parce qu’il n’est pas né dans le Nord et qu’il n’est pas jeune et que, de toute façon, son amputation ne lui a jamais causé de problèmes. Le demandeur a déclaré qu’on ne lui a jamais demandé de montrer ses documents médicaux, pas plus qu’on ne l’a interrogé plus de quinze minutes. La Commission a par ailleurs signalé que les autorités sri-lankaises remettent en liberté des personnes détenues victimes de handicaps physiques qu’elles ont subis lors du conflit.

 

[81]           Le document du demandeur, le rapport de Freedom from Torture, intitulé « Out of the Silence : new Evidence of Ongoing Torture in Sri Lanka 2009-2011 » [Briser le silence : nouvelle preuve que la torture est toujours présente au Sri Lanka] (7 novembre 2011), indique qu’il est possible que l’on garde en détention séparément des autres les personnes qui portent des cicatrices, mais cela n’établit pas que le demandeur s’expose à un risque accru, compte tenu de ce que la Commission a conclu : « [d]es éléments de preuve démontrent que même les anciens membres officiels connus des TLET et des partisans ont été libérés des programmes de détention et de réadaptation du gouvernement et vivent et travaillent maintenant dans leur communauté d’origine ».

 

[82]           Le demandeur cite également une note de bas de page, figurant dans les Directives du HCR et indiquant : [traduction] « ceux qui sont les plus susceptibles d’intéresser les autorités aux points de contrôle sont les jeunes Tamouls de sexe masculin originaires du nord et de l’est du pays, notamment ceux qui portent des cicatrices concordant avec des blessures subies lors des hostilités ». Mais ce passage n’établit pas le profil de risque du demandeur; la Commission a procédé à une évaluation individualisée et conclu que le demandeur ne courrait pas de risques, entre autres parce qu’il n’est pas jeune.

 

[83]           Je ne trouve pas que la conclusion de la Commission – que le demandeur ne courrait pas de risques à cause de son amputation – soit conjecturale. La Commission a tenu compte de la preuve et a conclu que le demandeur, malgré son amputation, ne correspond pas au profil des Tamouls qui s’exposeraient à un risque sérieux de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, à un risque de torture au Sri Lanka.

 

[84]           La Commission a également tenu compte du fait que, pendant la période de près de vingt ans pendant laquelle le demandeur a vécu avec son handicap, son amputation ne lui a jamais fait courir le risque d’être soupçonné d’appartenir aux TLET, même pendant la guerre civile. Si l’on combine ces deux faits, la Commission a inféré de manière raisonnable que le fait d’avoir perdu une jambe ne ferait pas courir de risques au demandeur s’il retournait au Sri Lanka.

 

[85]           La Commission a évalué le risque individualisé du demandeur, à titre de Tamoul de sexe masculin retournant dans son pays en tant que réfugié débouté et passager du MS Sun Sea, ainsi qu’en tant qu’amputé, et elle a raisonnablement conclu qu’il ne correspondait à aucun des profils qui l’exposeraient à des risques s’il était renvoyé.

 

La conclusion

[86]           La Commission a évalué la demande d’asile du demandeur dans le contexte du volumineux dossier documentaire, a motivé pourquoi elle préférait les Directives du HCR plutôt que d’autres preuves sur la situation dans le pays, a traité du statut du demandeur en tant que réfugié reconnu par le HCR et a conclu de manière raisonnable que le demandeur ne s’exposerait pas à des risques, et ce, en se fondant sur une évaluation des facteurs de risque de ce dernier, tant sur le plan individuel que cumulatif.

 

[87]           La Commission a conclu de manière raisonnable que le fait de renvoyer le demandeur au Sri Lanka n’exposerait pas ce dernier à une possibilité sérieuse de persécution, pas plus qu’il ne s’exposerait, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture et que, cela étant, il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

La question certifiée proposée

[88]           Le demandeur a proposé un choix de deux questions à certifier, au cas où la décision dépendrait du fait de savoir si la Commission a examiné comme il faut le statut du demandeur en tant que réfugié reconnu par le HCR dans le cadre de l’évaluation de sa demande d’asile :

 

Quelle valeur, s’il y en a, le statut de réfugié reconnu par le HCR doit-il avoir dans le processus canadien de détermination du statut de réfugié?

 

OU

 

Quand elle a affaire à un réfugié reconnu par le HCR, la SPR est-elle en mesure d’arriver à une décision raisonnable lorsqu’il n’est pas évident qu’elle a tenu compte de la désignation accordée par le HCR dans son évaluation concrète de la demande d’asile ou qu’elle n’expose pas clairement pourquoi elle ne souscrit pas à ce statut?

 

[89]           Selon le défendeur, il n’y a pas lieu de certifier l’une ou l’autre de ces deux questions; la question doit découler de l’affaire, traiter d’aspects de portée générale et être déterminante.

 

[90]           Le défendeur signale que, d’après la jurisprudence, le statut que confère le HCR est un facteur dont il faut tenir compte, mais qu’il n’est pas déterminant. Par ailleurs, la Commission a pris en compte le statut que le HCR a conféré au demandeur, elle a évalué sur le fond les risques que court le demandeur et elle a aussi tenu compte de l’exception relative aux raisons impérieuses dont il est question à l’article 108. Il signale de plus que l’évaluation à effectuer en vue de l’application des articles 96 et 97 diffère du critère de nature plus générale qu’emploie le HCR car cette évaluation peut englober des considérations d’ordre humanitaire.

 

[91]           Comme il a été signalé plus tôt, j’ai conclu que la Commission a bel et bien pris en considération le statut que le HCR a conféré au demandeur; de ce fait, les questions proposées ne seraient pas déterminantes en l’espèce car les conclusions tirées sont fondées sur les faits. La Cour a établi qu’il y a lieu de prendre en considération le statut que confère le HCR mais que cela n’est pas déterminant et que le décideur doit évaluer la demande d’asile sur le fond.

 

[92]           S’il est nécessaire que la Cour donne des indications supplémentaires sur le fait de savoir s’il y a lieu de faire montre de plus de retenue à l’égard d’un statut que le HCR a conféré, il serait possible de proposer une question ultérieure.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :                                        IMM-10923-12

 

INTITULÉ :                                      B231 c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 14 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS                                                           LE 4 DÉCEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

POUR LE DEMANDEUR

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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