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Date : 20131126

Dossier : IMM‑7129‑12

Référence : 2013 CF 1187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

MOHAMAD SIDO

AMINA MOHAMED

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

APERÇU

[1]               Mohamad Sido et Amina Mohamed (les demandeurs), tous deux citoyens de la Syrie, demandent le contrôle judiciaire de la décision du 1er juin 2012 par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’ils n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, essentiellement parce que le commissaire n’a pas évalué les risques auxquels sont exposés les membres de la famille de Kurdes actifs sur le plan politique.

 

LES FAITS

[3]               Les demandeurs, mari et femme, sont des citoyens syriens d’origine ethnique kurde. Le demandeur (M. Sido) est né le 10 avril 1948, et son épouse est née le 2 août 1955, tous deux à Alep, en Syrie. Les demandeurs ont deux fils, Ala et Ahmed, ainsi que deux filles, Noora et Meyada. Ala a obtenu le statut de réfugié au Canada, et Ahmed et Noora l’ont obtenu à Cuba.

 

[4]               Les demandeurs prétendent qu’ils ont fait l’objet de persécution et qu’ils craignent d’être persécutés par les services de renseignement de la Syrie (les moukhabarats) comme conséquence des activités politiques de leurs fils, étant donné qu’ils sont Kurdes. Plus particulièrement, M. Sido affirme, même s’il n’est pas lui‑même actif sur le plan politique, qu’il a été détenu et agressé à quatre occasions parce que les services de renseignement cherchaient à obtenir de l’information sur ses fils.

 

[5]               D’après le résumé des faits énoncé dans le mémoire des demandeurs, les événements suivants se sont produits :

•    Les fils des demandeurs ont été arrêtés en 2004 à la suite d’une manifestation organisée par le parti Yekiti, qui a été banni en Syrie. Monsieur Sido a été obligé de verser un pot‑de‑vin pour obtenir la libération d’Ala.

•    Ala s’est caché après sa remise en liberté, mais la maison des demandeurs a été fouillée à deux occasions; à la deuxième, M. Sido a été mis sous garde, détenu pendant plusieurs heures et interrogé, malgré le fait qu’il niait toute connaissance des allées et venues de son fils.

•    Après le départ d’Ala pour le Canada en 2005, M. Sido a de nouveau été arrêté, et on est allé le chercher chez lui pour l’interroger et le questionner au sujet d’Ala. Puisque les questions des moukhabarats donnaient à penser que les téléphones des demandeurs avaient été mis sur écoute, M. Sido a admis qu’Ala s’était rendu au Canada.

•    En juin 2006, après que les demandeurs aient trouvé leur fils Ahmed et pris des dispositions pour qu’il soit remis en liberté moyennant le versement d’un pot‑de‑vin important, Ahmed a fui à Chypre, et les demandeurs l’ont visité là‑bas pendant plusieurs mois avant de retourner en Syrie. Ahmed, qui s’est finalement vu refuser tout statut à Chypre, est retourné en Syrie et a été de nouveau détenu. Monsieur Sido a dû payer un autre pot‑de‑vin important pour obtenir sa remise en liberté.

•    En 2008, les moukhabarats sont retournés chez les demandeurs, ont arrêté M. Sido et l’ont détenu pendant une semaine. Après sa remise en liberté, ils se rendaient chez lui tous les deux ou trois mois, et M. Sido leur donnait chaque fois de l’argent par crainte d’être arrêté s’il n’accédait pas à leurs demandes.

•    En 2008, les demandeurs ont présenté des demandes de visa de résident temporaire au Canada, mais celles‑ci ont été refusées.

•     En 2010, les moukhabarats se sont de nouveau présentés à la maison des demandeurs afin de leur extorquer de l’argent et ont arrêté et détenu M. Sido pendant une semaine parce que celui‑ci avait peu d’argent à leur offrir.

•     Avec l’aide de leur fils Ala, les demandeurs ont obtenu des visas pour aller au Canada, sont arrivés le 27 juin 2010 et ont présenté une demande d’asile quelques semaines plus tard.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               Estimant que la question déterminante dans la présente demande est la crédibilité, le commissaire a soulevé des problèmes de crédibilité quant à de nombreux aspects de la preuve présentée par les demandeurs. Au final, la Commission a conclu ce qui suit : « [L]eur manque de crédibilité est tel qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à leurs demandes d’asile, qui doivent donc être rejetées. » (paragraphe 31 de la décision).

 

[7]               Examinant d’abord l’identité des demandeurs, le commissaire a accepté le fait qu’ils sont des ressortissants syriens et conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils sont d’origine kurde.

 

[8]               Le commissaire a jugé que la manière de témoigner de M. Sido et son témoignage même soulevaient des questions relativement à la crédibilité. Il a remarqué des incohérences dans les faits allégués entourant la détention d’Ala, le passage à tabac et les pots‑de‑vin de M. Sido et s’est demandé si les demandeurs avaient versé un pot‑de‑vin pour quitter le pays. En remettant en question la crédibilité des demandeurs relativement à leur crainte subjective, il a aussi souligné leur défaut de présenter une demande d’asile à Chypre, leur retour en Syrie et le temps qu’ils ont mis à quitter la Syrie.

 

[9]               Bien que le commissaire ait rejeté le moyen principal invoqué par les demandeurs, il s’est penché sur la question de savoir s’ils seraient exposés à un risque uniquement du fait de leur origine ethnique, même si les demandeurs n’avaient pas eux-mêmes soulevé ce point. Le commissaire a tenu compte des éléments de preuve objectifs et du fait que les demandeurs ont clairement indiqué qu’ils n’étaient pas actifs sur le plan politique en Syrie, pour conclure qu’ils ne seraient exposés à rien de plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de leur appartenance à une ethnie particulière. Comme il n’a pas cru leur témoignage concernant leur crainte de persécution, il a conclu que les demandeurs sont des Kurdes qui n’exercent aucune activité politique et qui n’ont nullement l’intention d’être actifs sur le plan politique.

 

[10]           Bien que le commissaire ait reconnu que les conditions en Syrie étaient extrêmement violentes et dangereuses au moment de l’audience, il a jugé que le risque auquel ils s’exposeraient à leur retour serait un risque généralisé, auquel toute la population est exposée.

 

QUESTION À TRANCHER

[11]           La seule question de fond soulevée par le conseil des demandeurs est celle de savoir si le tribunal a conclu à tort qu’il n’y avait pas d’élément de preuve indépendant capable d’étayer la demande d’asile des demandeurs.

 

ANALYSE

[12]           Le conseil des demandeurs reconnaît que la décision du tribunal, qui résulte de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur les questions mixtes de fait et de droit (notamment celles qui concernent la crédibilité et l’évaluation de la preuve), peut être examinée selon la norme du caractère raisonnable.

 

[13]           Par conséquent, l’analyse du caractère raisonnable tiendra à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

 

[14]           Lors de l’audience, le conseil des demandeurs a reconnu qu’il y avait un certain nombre de divergences dans le témoignage de M. Sido et d’incohérences quant aux détails figurant dans son FRP et dans celui de son fils Ala. Toutefois, le conseil affirme que les incohérences ne signifient pas que les événements décrits ne se sont pas produits et ajoute que M. Sido a parlé de ses expériences de façon sincère, ce qui donne à penser que la décision des demandeurs de venir au Canada était motivée par la peur de vivre en Syrie plus longtemps. Cela dit, le conseil n’a pas contesté la conclusion du commissaire à l’égard de la crédibilité.

 

[15]           Cependant, selon l’élément central de l’argument des demandeurs, la conclusion concernant l’absence de crédibilité n’est pas déterminante pour répondre à la question de savoir s’ils sont des réfugiés au sens de la Convention. D’après les demandeurs, le commissaire a commis une erreur de droit en n’examinant pas si les demandeurs satisfaisaient aux éléments subjectifs et objectifs du critère applicable au statut de réfugié, particulièrement en ce qui a trait à leur allégation selon laquelle ils étaient exposés à un risque en Syrie en raison des activités politiques de leurs fils.

 

[16]           La jurisprudence de la Cour indique qu’une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité n’empêche pas une personne d’avoir qualité de réfugiée si d’autres éléments de preuve satisfont aux volets subjectifs et objectifs du critère applicable au statut de réfugié. Cela dit, il ne sera pas nécessaire d’évaluer la preuve documentaire si la seule preuve qui établit un lien entre le demandeur et les documents est le témoignage discrédité du demandeur; cela dépendra, dans chaque cas, de la nature de la preuve documentaire et de son lien avec la demande d’asile : voir Manickan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1525; Fernando c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 1349.

 

[17]           En l’espèce, la décision de la Commission semble porter entièrement sur des questions de crédibilité et, donc, aller au‑delà de la portée du contrôle qu’effectue notre Cour. Pourtant, le commissaire a soigneusement tenté d’éviter une erreur du type invoqué par les demandeurs en examinant, malgré ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, la possibilité que les demandeurs soient exposés à un risque sur le seul fondement de leur origine ethnique kurde. La Commission ne croyait pas à la majeure partie de l’histoire des demandeurs, mais, comme elle admettait qu’ils sont des Kurdes de la Syrie, elle a tout de même évalué le risque auquel ils seraient exposés du fait de leur origine ethnique. Même si le risque auquel sont exposés la plupart des citoyens syriens dans les circonstances actuelles du pays est grave, le commissaire a conclu que les demandeurs étaient des Kurdes n’exerçant aucune activité politique qui n’étaient exposés à rien de plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de leur origine ethnique et que le risque auquel ils étaient exposés comme conséquence des conditions extrêmement violentes et dangereuses qui prévalent à l’heure actuelle en Syrie est un risque généralisé auquel est exposé l’ensemble de la population.

 

[18]           Même si le commissaire a évalué le risque auquel les demandeurs seraient exposés en raison de leur origine ethnique kurde, le tribunal ne s’est pas demandé si la preuve documentaire objective qui lui a été présentée permettait d’établir que les demandeurs seraient exposés à un risque en Syrie du fait de leur appartenance à un groupe social particulier, à savoir leur famille, et des opinions politiques qui leur sont attribuées en raison des activités politiques de leurs fils.

 

[19]           La preuve documentaire soumise à la Commission donne à penser qu’il y a un risque de représailles à l’égard de membres de la famille de militants politiques en Syrie. Un rapport du Service de l’immigration du Danemark intitulé Human Rights issues concerning Kurds in Syria, le rapport mondial sur la Syrie publié en 2012 par Human Rights Watch et le rapport du Département d’État américain sur les pratiques en matière des droits de l’homme en Syrie pour l’année 2011 confirment que le gouvernement syrien et son appareil de sécurité ciblent activement et arrêtent de façon arbitraire les membres de la famille de détracteurs du gouvernement et de membres de groupes de défense des droits de la personne en plus de les soumettre à des pressions pour obtenir de l’information.

 

[20]           En outre, nous ne sommes pas en présence d’une affaire où la seule preuve qui établit un lien entre les demandeurs et la preuve documentaire est le témoignage discrédité des demandeurs. Selon les éléments de preuve soumis à la Commission, trois des quatre enfants des demandeurs étaient des militants politiques à qui la qualité de réfugiés au sens de la Convention a été reconnue au Canada ainsi qu’à Cuba par l’UNHCR. Le commissaire n’a pas douté du fait que les fils des demandeurs étaient actifs dans le milieu politique ni de l’existence de ces relations familiales. Par conséquent, le commissaire avait l’obligation d’évaluer la preuve documentaire afin de vérifier, à la lumière de ces éléments de preuve et des relations familiales des demandeurs (et, par conséquent, de l’opinion politique qui leur était attribuée), s’ils étaient exposés à un risque s’ils retournaient en Syrie. Il ne suffisait pas d’évaluer le risque futur auquel ils s’exposaient uniquement en fonction de leur origine ethnique kurde.

 

[21]           Certes, la Commission n’était pas liée par le fait qu’un des fils des demandeurs s’est vu accorder le statut de réfugié en raison de ses activités avec le parti Yekiti, que ce fils a quitté le pays pour échapper au service militaire ou que l’UNHCR à Cuba avait reconnu à deux des autres enfants des demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention. En outre, il se peut fort bien que le défaut des demandeurs de présenter une demande d’asile à Chypre, que leur retour en Syrie et que le temps qu’ils ont mis avant de quitter la Syrie soient des éléments qui finiront par faire contrepoids à toute crainte subjective que pourraient alléguer les demandeurs. Cependant, il faudra pondérer la preuve documentaire en regard du fait que les demandeurs n’ont pas demandé l’asile à Chypre et qu’ils ont été en mesure de quitter la Syrie, et cette tâche devrait être confiée à la Commission.

 

[22]           Par conséquent, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la conclusion du commissaire selon laquelle « les demandeurs d’asile sont des Kurdes sans profil politique quelconque, qui n’ont nullement l’intention de devenir actifs dans le milieu politique » n’est pas déterminante pour savoir s’ils sont des réfugiés au sens de la Convention. Compte tenu de la preuve documentaire citée par les demandeurs concernant les risques auxquels sont exposés les membres de la famille de Kurdes actifs dans le milieu politique et du fait que le commissaire a implicitement reconnu qu’au moins un de leurs fils était actif dans le milieu politique, le commissaire était tenu d’examiner si les demandeurs satisfaisaient aux volets subjectifs et objectifs de la définition de réfugié au sens de la Convention en fonction des éléments de preuve découlant d’autres sources que le témoignage des demandeurs.

 

CONCLUSION

[23]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. Aucune question de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et aucune n’est donc certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7129‑12

 

INTITULÉ :                                                  MOHAMAD SIDO ET AMINA MOHAMED c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE :                                                          Le 26 novembre 2013

 

 

 

PERSONNES PRÉSENTES :

 

Tara McElroy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Evan Duffy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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