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Date : 20131129


Dossier : IMM-10061-12

Référence : 2013 CF 1203

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2013

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ANGELA MARIE GRANATA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Mme Granata, une citoyenne canadienne, a épousé M. Mobolaji Debayo-Doherty (M. Doherty), citoyen du Nigeria, le 25 février 2008. Elle a par la suite demandé à parrainer M. Doherty pour qu’il puisse immigrer au Canada. L’agent des visas a rejeté sa demande et il a été fait appel de ce refus. Mme Granata sollicite maintenant, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 septembre 2012 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté son appel et a conclu que son mariage avec M. Doherty n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

Le contexte

[3]               M. Doherty est citoyen du Nigeria, où il réside actuellement. En novembre 2003, il est entré au Canada depuis les États‑Unis et a présenté une demande d’asile. En novembre 2004, l’asile lui a été refusé et sa demande d’autorisation d’en appeler a été rejetée. En mai 2006, la Cour a rejeté sa requête en sursis d’exécution de la mesure visant à l’expulser du Canada. En août 2006, un mandat a été émis en vue de son renvoi, lequel a eu lieu le 10 mars 2009. Le 12 mars 2009, M. Doherty a été expulsé du Canada vers les États‑Unis. Il a été détenu par les autorités américaines jusqu’à son expulsion vers le Nigeria, en mai 2009.

 

[4]               Avant ces événements, soit en avril 2006, M. Doherty avait épousé une autre citoyenne canadienne. Sa conjointe et lui s’étaient séparés cinq mois plus tard et leur divorce avait été prononcé en octobre 2007. Il a eu un fils de cette union; celui‑ci réside au Canada. Le 17 avril  2006, son ex-femme avait demandé à parrainer sa demande de résidence permanente, mais elle a retiré sa demande le 11 juin 2007.

 

[5]               Mme Granata a déposé sa propre demande de parrainage en octobre 2009, après l’expulsion de M. Doherty. Le 5 août 2010, celui‑ci a été reçu en entrevue au bureau des visas situé à Accra. Au départ, l’agent des visas était convaincu de l’authenticité du mariage. Toutefois, avant que ne soit terminé le traitement de la demande de visa, le bureau des visas a reçu une lettre envoyée par Mme Granata le 30 juillet 2010 afin de retirer sa demande de parrainage. Deux semaines plus tard, elle a envoyé une nouvelle lettre dans laquelle elle revenait sur sa demande de retrait.

 

[6]               Le bureau des visas d’Accra a reçu M. Doherty pour une nouvelle entrevue le 15 novembre 2010. L’agent des visas a conclu à un échec du mariage qui avait incité Mme Granata à retirer sa demande de parrainage, malgré l’annulation subséquente de ce retrait. Il doutait de l’authenticité du mariage et du fait qu’il n’avait pas été contracté principalement aux fins d’immigration. Il a signifié le rejet de la demande de parrainage conjugal dans une lettre portant la date du 15 novembre 2010. Il a été fait appel de cette décision à la SAI.

 

La décision de la SAI

[7]               La SAI a observé que, pour obtenir gain de cause dans son appel, Mme Granata devait prouver que le mariage ne visait pas principalement à permettre à son mari, M. Doherty, d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi et qu’il était authentique.

 

[8]               Toutefois, pour pouvoir prononcer le rejet de l’appel, la SAI doit conclure soit que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, soit qu’il n’est pas authentique.

 

[9]               Après avoir examiné les objectifs en matière d’immigration, dont celui de permettre la réunification des familles au Canada, la SAI a conclu que Mme Granata n’avait pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi. Elle a fondé ses conclusions sur un examen de la preuve et des observations, y compris des éléments de preuve documentaire et des photographies, des factures de téléphone, la durée du mariage et le témoignage entendu à l’audience. La SAI a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Doherty n’avait pas témoigné à l’audience. En outre, elle n’a pas jugé Mme Granata digne de foi, parce qu’en témoignage, elle s’était montrée vague, évasive, se contredisant elle‑même ou contredisant les renseignements communiqués antérieurement et donnant des réponses qui, à certains égards, défiaient toute logique. Selon la SAI, du fait du manque de crédibilité de Mme Granata, la présomption de véracité de la preuve produite avait été réfutée.

 

[10]           La SAI a reconnu qu’en règle générale, le seul témoignage du demandeur suffit pour trancher la question de la bonne foi des intentions d’un couple et qu’il n’y a pas lieu de tirer une conclusion défavorable du défaut de témoigner de l’autre partie. Néanmoins, après avoir passé en revue la jurisprudence et les principes applicables du droit de la preuve, la SAI a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Doherty n’a pas témoigné.

 

[11]           La SAI a invoqué l’ouvrage de John Sopinka, Sidney Lederman et Alan Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1999) ainsi que la jurisprudence où il est fait référence au traité sur la preuve du professeur Wigmore, notamment la décision Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 509, 368 FTR 116, dans laquelle sont relevés les facteurs qui sont pertinents pour décider s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne témoigne et qui permettent de tirer une conclusion défavorable si elle ne le fait pas.

 

[12]           La SAI a constaté que l’affaire reposait en grande partie sur la crédibilité de Mme Granata et de M. Doherty et qu’elle n’avait pas eu la possibilité d’interroger M. Doherty au sujet des incohérences de leurs récits respectifs. La SAI a également conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Doherty savait qu’il y aurait une audience et qu’il a choisi de ne pas témoigner dans le cadre d’une conférence téléphonique.

 

[13]           Au paragraphe 25, la Commission écrit :

Comme il a déjà été indiqué, le tribunal a conclu que les éléments de preuve présentés par l’appelante n’étaient ni crédibles, ni dignes de foi ni fiables. Par conséquent, il est présumé qu’ils ne sont pas véridiques. Dans de telles circonstances, le fait que l’appelante n’ait pas appelé le demandeur à témoigner va, à la fois, à l’encontre de la logique et du bon sens et constitue donc un autre motif de ne pas présumer de la véracité du témoignage qu’elle a livré sous serment sur l’authenticité de son mariage. Le tribunal tire donc une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas témoigné à l’audience.

 

[14]           La Commission n’a pas jugé convaincante les raisons données par Mme Granata pour expliquer le fait que M. Doherty n’a pas témoigné : celle-ci a évoqué le manque de fiabilité du service téléphonique et le fait que M. Doherty se trouvait au travail, précisant qu’il aurait pu téléphoner de la ligne fixe de son domicile s’ils avaient su qu’il était souhaitable qu’il témoigne.

 

[15]           En ce qui concerne l’authenticité du mariage, la SAI a reconnu qu’il fallait tenir compte de nombreux facteurs pour juger de l’authenticité d’un mariage (Khera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632, [2007] ACF no 886). La Commission a examiné plusieurs facteurs puis a procédé à leur appréciation collectivement. Au final, elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage n’était pas authentique.

 

[16]           La SAI a examiné la durée et le moment du premier mariage de M. Doherty et elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, ce mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut.

 

[17]           La SAI a également relevé les incohérences de leurs récits respectifs concernant le moment de leur première rencontre. Mme Granata a affirmé avoir rencontré M. Doherty en février 2006. Quant à M. Doherty, il a déclaré dans sa demande qu’on lui avait présenté Mme Granata le 21 février 2006. Toutefois, lors de son entrevue au bureau des visas, il a indiqué que leur première rencontre avait eu lieu vers la fin de 2006. La SAI n’a pas jugé convaincante l’explication qu’il a donnée de cet écart, notamment le fait qu’il avait confondu des dates. En outre, M. Doherty a déclaré qu’ils avaient commencé à se fréquenter peu après leur rencontre. Or, la Commission a remarqué que M. Doherty avait épousé sa première femme en avril 2006, ajoutant qu’il semblait illogique que M. Doherty ait pu rencontrer Mme Granata et commencer à la fréquenter en février 2006, peu de temps avant d’épouser sa première femme.

 

[18]           La SAI a remarqué que la demanderesse n’avait pas produit de photos des époux pour établir qu’ils s’étaient fréquentés et avaient fait vie commune, bien que des photos de la cérémonie du mariage sur lesquelles on pouvait apercevoir des gens en arrière-plan aient été versées au dossier.

 

[19]           La SAI a accepté le fait que le couple avait eu un fils, Nathan, quelques mois après leur mariage. Toutefois, elle a observé qu’aucune photo montrant M. Doherty avec leur fils n’avait été présentée, alors que l’expulsion de M. Doherty n’avait eu lieu que neuf mois après la naissance. La SAI a conclu à l’insuffisance d’éléments de preuve montrant l’existence d’une relation entre M. Doherty et son fils.

 

[20]           Concernant le retrait de la demande de parrainage de Mme Granata, la SAI a conclu qu’il y avait, selon la prépondérance des probabilités, une autre raison expliquant son geste. La SAI a jugé son explication ni convaincante ni crédible : elle a affirmé avoir retiré sa demande de parrainage parce qu’elle avait appris que son mari avait une liaison. En outre, lors de son entrevue au bureau des visas le 15 novembre 2010, M. Doherty ne savait rien du fait que Mme Granata avait retiré sa demande le 30 juillet 2010. Mis au fait de cette information et interrogé sur ce qui aurait pu motiver Mme Granata à faire ce geste, M. Doherty a émis l’hypothèse qu’elle avait peut-être eu besoin d’argent et demandé à la sœur de M. Doherty au Royaume-Uni de lui en prêter, mais il n’avait par ailleurs aucune idée de ce qui avait pu la pousser à retirer la demande. Or, devant la SAI, Mme Granata a affirmé sans équivoque qu’elle avait informé son mari de son geste peu après avoir envoyé la lettre à la fin de juillet et en août, et ce fait a été confirmé en contre‑interrogatoire. Elle a également donné une version différente de la demande d’argent qu’elle avait adressée à sa belle‑sœur, affirmant qu’elle l’avait fait en octobre 2010, après avoir annulé le retrait de sa demande.

 

[21]           La SAI a également examiné la preuve relative à la communication entre les conjoints. Considérant la brièveté de leurs appels téléphoniques, le caractère superficiel de leur correspondance écrite et le fait que M. Doherty n’était pas au courant du retrait de la demande de parrainage de Mme Granata alors que cette dernière, dans son témoignage, a déclaré lui avoir tout dit, la SAI a conclu que la preuve que les conjoints entretenaient une communication régulière était mince et insignifiante.

 

[22]           La SAI a prêté foi aux propos de Mme Granata selon lesquels aucun des conjoints ne subvenait aux besoins matériels de l’autre, et qu’ils s’étaient partagé des sommes gagnées à la loterie, Mme Granata ayant fait parvenir à M. Doherty deux paiements de 5 000 $ et 15 000 $ représentant sa part.

 

[23]           La SAI a par ailleurs noté que, même si Mme Granata avait déclaré qu’elle avait rendu visite à son mari aux États‑Unis, où il avait été incarcéré après son expulsion du Canada, aucune preuve documentaire ne corroborait ces visites.

 

[24]           Ayant déterminé que le mariage n’était pas authentique, et au vu de ses conclusions en matière de crédibilité, de la conclusion défavorable qu’elle avait tirée quant au défaut de M. Doherty de témoigner, de l’absence d’explications crédibles concernant les contradictions et du désir de M. Doherty de venir au Canada et d’y rester, désir révélé par ses antécédents migratoires, la SAI a jugé que Mme Granata ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait et que la preuve démontrait que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi.

 

Les questions en litige

[25]           La demanderesse, Mme Granata, soutient que la décision est déraisonnable, la SAI ayant commis des erreurs en faisant une mauvaise appréciation des faits ou en négligeant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, en se fondant sur de mauvais principes et en tirant des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité.

 

La norme de contrôle

[26]           Le caractère authentique d’un mariage est une question de fait à laquelle la norme de la raisonnabilité est applicable (voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 23, [2012] ACF n43, aux paragraphes 16 et 17).

 

[27]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la cour de révision est de décider de « l’appartenance de la décision [de la Commission] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)). « Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ». (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[28]           En ce qui concerne la crédibilité, la SAI a tiré des conclusions de fait envers lesquelles la Cour, saisie du contrôle judiciaire, doit faire preuve d’une grande retenue. La SAI a eu la possibilité d’entendre et d’observer la déposition de Mme Granata à l’audience et elle est la mieux placée pour évaluer sa crédibilité. Dans la décision Sanichara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015, 276 FTR 190, au paragraphe 20, le juge Beaudry déclare ce qui suit :

[20] Dans une audition de novo, la SAI est en droit de déterminer la plausibilité et la crédibilité des témoignages et des autres éléments de preuve dont elle est saisie. L’importance qu’il faut accorder à cette preuve est également une question sur laquelle elle a le pouvoir de se prononcer. Tant et aussi longtemps que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables au vu du dossier, il n’y a pas de raison de modifier sa décision.

 

La décision de la SAI est raisonnable

[29]           La Cour n’a pas pour mandat de rendre une nouvelle décision, mais bien de déterminer si la SAI a rendu une décision raisonnable. En l’espèce, la décision à laquelle la SAI est parvenue et qui est étayée par les motifs et le dossier appartient aux issues acceptables et peut se justifier. Comme nous le verrons plus loin, la SAI a émis des commentaires au sujet de l’absence de certains documents qui, en réalité, ont peut-être été produits; toutefois, ces inexactitudes, qu’elles soient considérées isolément ou dans leur ensemble, n’étaient ni importantes ni décisives quant à l’issue de l’affaire.

 

La crédibilité

[30]           Les conclusions défavorables tirées par la SAI en matière de crédibilité étaient fondées. Par exemple, Mme Granata et M. Doherty ont offert des versions différentes de leur première rencontre et du moment où ils ont commencé leur relation. La Commission a conclu à juste titre que ces récits ne concordaient pas, même si Mme Doherty a signalé à la Cour que M. Doherty avait donné des éclaircissements quant aux dates lors de son entrevue et qu’il avait fait allusion à sa mémoire déficiente. Il était raisonnable que la Commission juge ces explications illogiques, vu que M. Doherty a épousé sa première femme en avril 2006, c’est‑à‑dire, à ce qu’il paraît, après sa rencontre avec Mme Granata et que, même si ce mariage a été de courte durée, les dates se chevauchent dans une certaine mesure.

 

[31]           De même, la SAI a exprimé de sérieuses réserves concernant les raisons données par Mme Granata pour expliquer pourquoi elle avait retiré sa demande de parrainage pour ensuite annuler ce retrait à la hâte. En plus de signaler les contradictions dans leurs témoignages respectifs, la SAI a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Doherty n’avait pas témoigné à l’audience ni tenté de résoudre les contradictions en donnant des éclaircissements.

 

[32]           Mme Granata soutient que cette conclusion défavorable n’est pas justifiée puisqu’elle était la seule à pouvoir expliquer ce qu’elle avait dit à son mari au sujet du retrait de la demande de parrainage et puisque M. Doherty, n’étant au courant de rien, n’était pas en mesure de résoudre cette contradiction. Je ne partage pas cet avis. Le témoignage de M. Doherty à l’audience aurait permis d’élucider plusieurs incohérences dans leurs récits. Pour la SAI, les aspects déterminants de l’affaire étaient le retrait de la demande de parrainage, la tentative d’annuler ce retrait et les versions contradictoires qui avaient été données au sujet du moment où Mme Granata avait fait part de son geste à M. Doherty. Mme Granata laisse maintenant entendre qu’il est possible qu’elle n’ait parlé du retrait de sa demande de parrainage à M. Doherty qu’après le rejet de sa demande de visa en novembre 2010. Elle a laissé entendre sensiblement la même chose lors de son contre‑interrogatoire devant la SAI; cette dernière a souligné que cela venait contredire les déclarations qu’elle avait faites plus tôt à l’audience, en interrogatoire principal, et qui avaient également été confirmées en contre‑interrogatoire. La SAI a catégoriquement refusé ce témoignage. La participation de M. Doherty à l’audience aurait pu permettre de déterminer avec précision à quel moment il avait appris de Mme Granata le retrait de la demande de parrainage.

 

[33]           Compte tenu des conclusions défavorables qu’elle avait tirées quant à la crédibilité et du fait que Mme Granata n’avait produit aucune preuve documentaire, la SAI pouvait conclure à juste titre, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’avait pas rendu visite à son mari alors qu’il était détenu aux États‑Unis. Mme Granata prétend que le dossier prouve que ces visites ont eu lieu étant donné que M. Doherty et elle‑même y ont tous deux fait allusion lors de leur entrevue. Toutefois, la SAI n’a pas tiré une conclusion déraisonnable, car le dossier qui lui avait été soumis ne comportait aucune preuve à l’appui et elle avait jugé que Mme Granata n’était pas digne de foi. L’observation de Mme Granata voulant qu’aucun registre des visites ne soit tenu ou qu’il soit impossible d’obtenir ces registres n’est pas une réponse suffisante. Il existe bien d’autres façons de démontrer qu’elle a régulièrement rendu visite à son mari aux États‑Unis, notamment en présentant des reçus d’essence, de repas ou d’hébergement. L’absence de preuve documentaire permet de penser qu’aucun effort n’a été fait pour fournir des documents étayant ces visites effectuées de l’autre côté de la frontière.

 

[34]           De la même façon, bien que Mme Granata soutienne que M. Doherty et elle ont fait vie commune avant et après leur mariage, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue à l’absence de preuve corroborant cette vie commune. Dans la demande de parrainage, une adresse commune est indiquée et M. Doherty, lors de sa première entrevue, a affirmé qu’il avait vécu avec sa femme à cette adresse. La preuve de la cohabitation peut prendre bien des formes. Or, aucune n’a été produite. La conclusion de la Commission se limitait au constat de l’absence de preuve documentaire.

 

La communication et la relation avec le fils

[35]           Mme Granata soutient qu’il y avait amplement d’éléments de preuve démontrant que M. Doherty et elle avaient une relation authentique, entre eux et avec leur fils. Toutefois, la SAI a conclu que la preuve de l’existence d’une communication régulière était mince et insignifiante. La SAI a examiné les cartes et les lettres que M. Doherty a envoyées à Mme Granata et à leur fils et a jugé leur contenu superficiel. La SAI était autorisée à tirer cette conclusion, en raison de l’expérience qu’elle a acquise dans l’évaluation de ce genre de correspondance. La SAI a également constaté que les conversations téléphoniques entre Mme Granata et son mari, quoique régulières, restaient néanmoins très brèves, la plupart durant moins d’une minute. De plus, en réponse à l’argument de Mme Granata selon lequel son mari et elle faisaient preuve d’une grande franchise l’un envers l’autre, la SAI a accordé, à juste titre, une grande importance au fait qu’elle n’avait pas informé son mari des mesures qu’elle avait prises pour retirer sa demande de parrainage, puis pour annuler ce retrait. Bien qu’elle ait affirmé avoir mis M. Doherty au courant du retrait et de l’annulation, Mme Granata n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi ce dernier n’en savait rien au moment de son entrevue, en novembre. La SAI en a conclu, à juste titre, que Mme Granata et son mari, M. Doherty, n’entretiennent pas une communication valable et suivie.

 

[36]           La SAI est aussi arrivée à la conclusion raisonnable que, selon la prépondérance des probabilités, M. Doherty n’avait pas de liens solides avec son fils, Nathan. La SAI a examiné des lettres témoignant de son affection pour l’enfant, mais elle a également remarqué l’absence de photos de Nathan et lui. Elle a accordé plus de valeur probante à ce dernier élément. S’il est vrai que les photographies n’ont pas un caractère déterminant puisqu’elles peuvent servir à créer de toutes pièces des relations qui ne sont pas authentiques, il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve examinée par la SAI.

 

Le premier mariage

[37]           Concernant le fait que la SAI a jugé non authentique le premier mariage de M. Doherty avec une citoyenne canadienne qui a voulu le parrainer puis a retiré sa demande de parrainage au moment de l’échec du mariage, cinq mois plus tard, je reconnais qu’il n’existe aucun rapport direct entre cette conclusion et la question de savoir si son mariage avec Mme Granata est authentique. Le premier mariage de M. Doherty faisait partie des éléments contextuels généraux que la SAI était autorisée à examiner. Ainsi que l’affirme Mme Granata, diverses raisons peuvent expliquer l’échec d’une union et ce premier mariage a été de courte durée. Cela dit, la conclusion tirée quant au premier mariage ne s’est pas révélée un facteur déterminant dans la décision de la SAI; celle‑ci a tenu compte de nombreux facteurs pour en venir à conclure, à juste titre, que Mme Granata n’avait pas établi l’authenticité du mariage actuel.

 

Le certificat de mariage

[38]           De la même façon, l’allusion de la SAI au fait qu’aucun certificat de mariage n’avait été produit n’est que le reflet de la confusion qui régnait autour de la question de savoir si le document faisait partie du dossier déposé auprès du tribunal. Il est effectivement écrit au dossier qu’un certificat original a été remis au bureau des visas situé à Accra. Le fait que ce certificat ait ou non été présenté à la SAI n’est pas déterminant. La SAI n’a jamais remis en doute la légalité du mariage de Mme Granata et de M. Doherty; le litige portait sur l’authenticité de ce mariage.

 

Le retrait de la demande de parrainage

[39]           La SAI a soigneusement examiné la question du retrait de la demande de parrainage et son annulation postérieure. Elle y a accordé une grande importance, comme aux déclarations contradictoires de Mme Granata au sujet des raisons qui l’ont poussée à agir ainsi et du moment où elle en a informé M. Doherty.

 

[40]           À l’audience devant la SAI, Mme Granata a été interrogée à maintes reprises au sujet de ses actes et a eu amplement l’occasion d’exposer ses motivations, d’indiquer d’où elle tenait l’information selon laquelle M. Doherty avait une liaison et de situer les lettres dans le temps. Or, elle a été incapable de fournir une explication probante, encore moins convaincante.

 

[41]           Par exemple, à l’audience, lorsque l’avocat du défendeur l’a interrogée afin de clarifier le témoignage qu’elle avait donné antérieurement sur cette question, Mme Granata avait peu à dire :

[traduction]

 

Q.        […] Ainsi, il a eu sa première entrevue [le 5 août 2010], tout se passait bien. Puis, ils ont reçu les lettres, ce qui a provoqué quelques problèmes. Il a donc été convoqué à une seconde entrevue en novembre 2010, d’après le dossier, page[s] [25, 26]. Bon, on lui a posé d’autres questions en novembre 2010 simplement pour examiner ces problèmes. Et si vous jetez un œil aux notes prises par l’agent des visas, vous verrez que votre mari n’était au courant de rien. Il n’était pas au courant du retrait. Il n’était pas au courant des problèmes qu’il pouvait y avoir entre vous. Alors, qu’en pensez‑vous? Que s’est‑il passé?

 

R.        Je ne sais pas. J’ai avec mon mari une relation franche. Nous nous disons tout.

 

Q.        Très bien. Pourriez-vous être un peu plus précise, car vraiment, ce qui a provoqué le rejet de sa demande, c’est sa…

 

R.        Je sais.

 

Q.        … complète ignorance de la situation, mais vous avez dit que vous lui aviez parlé deux jours après l’envoi de la lettre de rétablissement de la demande.

 

R.        C’est exact.

 

Q.        Donc, en novembre… que s’est-il produit?

 

R.        J’ai parlé à mon mari… Mon mari et moi, nous avons une relation franche.

 

[42]           La réponse donnée n’expliquait nullement le fait que M. Doherty ne sache strictement rien du retrait de la demande de parrainage. Ce fait, conjugué à la preuve de la demande d’argent que Mme Granata a adressée à la sœur de M. Doherty, a mené la SAI à la conclusion raisonnable qu’une autre raison était à l’origine du geste de Mme Granata.

 

Conclusion

[43]           N’eût été le retrait de la demande de parrainage conjugal, celle‑ci aurait eu des chances d’être acceptée puisqu’en août 2010, à l’issue d’un examen préliminaire, l’agent des visas avait jugé que le mariage paraissait authentique. Le retrait a donné lieu à des interrogatoires plus approfondis qui ont révélé l’existence d’autres contradictions dans le récit des conjoints et ont donné naissance à des doutes légitimes quant à leur crédibilité. La SAI a offert à la demanderesse, Mme Granata, une possibilité réelle d’expliquer ses actes et ses motivations. Or, elle n’a pas su le faire à la satisfaction de la SAI.

 

[44]           La SAI a donc conclu, à juste titre, que Mme Granata ne s’était pas acquittée du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement à permettre à M. Doherty d’acquérir un statut sous le régime de la Loi. C’est à Mme Granata qu’incombait le fardeau de la preuve puisqu’elle est demanderesse et répondante. Cela dit, l’évaluation de l’authenticité et de la finalité du mariage dépendait à la fois du témoignage de Mme Granata et de celui de M. Doherty. La SAI a tenu compte de toute la preuve dont elle disposait, en plus de procéder à une analyse rigoureuse et de fournir des motifs qui expliquent clairement pourquoi elle a conclu que la relation n’était pas authentique et qu’elle visait l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 septembre 2012 par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

2.         Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-10061-12

INTITULÉ :

ANGELA MARIE GRANATA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            La juge KaneDATE DES MOTIFS :                                                            Le 29 novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

AvocatToronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. PentneySous‑procureur général du CanadaToronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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