Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131115


Dossier :

IMM-5297-13

 

Référence : 2013 CF 1162

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

KEVIN LANZA MELGARES

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Le contrôle judiciaire, en l’espèce, porte uniquement sur l’analyse de la protection de l’État au Honduras.

 

II.        CONTEXTE

[2]               Le dossier d’immigration du demandeur n’est pas sans tache. Le demandeur est actuellement en détention pour non‑respect de conditions en matière d’immigration.

 

[3]               Entré illégalement au Canada en 2006, il a été arrêté, puis mis en liberté sous caution, et il a ensuite omis de se présenter à l’ASFC comme il en était requis. Il ne s’est pas présenté à l’audition de sa demande d’asile. Il a été arrêté, et renvoyé après avoir refusé de présenter une demande d’ERAR.

 

[4]               Il est revenu au Canada en 2013. Il a été arrêté en juin 2013, et il a déposé une demande d’ERAR peu de temps après.

 

[5]               Il allègue qu’entre ses deux séjours au Canada, sa famille et lui ont connu de graves problèmes au Honduras à cause du gang MS-13. Son frère a été enlevé et tué; le demandeur a reçu des menaces de mort, et il a été blessé lors d’une tentative d’enlèvement.

 

[6]               Sa famille avait signalé des incidents antérieurs à la police, et son père avait subi des représailles, notamment une agression. Selon le demandeur, tout cela est attribuable à la dénonciation à la police.

 

[7]               Depuis que le demandeur est arrivé au Canada, au mois de février 2013, sa famille a été attaquée; les hommes qui se trouvaient dans la maison ont été battus, on a tiré sur son père, et d’autres ont subi des blessures graves; sa mère et sa sœur ont été violées. Les agresseurs ont proféré des menaces visant le demandeur s’il revenait au Honduras.

 

[8]               L’agent d’ERAR a tenu pour établi que le frère du demandeur avait été enlevé et tué en 2012. Il a également considéré que les incidents du mois de février 2013 s’étaient produits, mais non que les agressions avaient un lien avec des gangs.

 

[9]               Au sujet de la protection de l’État, l’agent n’a pas estimé que les plaintes à la police avaient entraîné des représailles. Il a jugé que la présomption de protection de l’État n’avait pas été repoussée, parce que le demandeur avait omis de signaler certains incidents à la police, dont les agressions perpétrées contre sa famille en février 2013, à la suite desquelles il s’était enfui au Canada.

 

[10]           En passant la preuve en revue, l’agent a indiqué que, bien que le Honduras continue d’éprouver des problèmes de violence et de corruption, il a commencé à mettre en œuvre des programmes visant à les résoudre. L’agent en a conclu que, même si la corruption et l’impunité continuaient d’être problématiques, la protection de l’État était adéquate.

 

III.       ANALYSE

[11]           Suivant la jurisprudence constante de la Cour, les conclusions en matière de protection par l’État sont contrôlées en fonction de la norme de la décision raisonnable (Meza Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, 209 ACWS (3d) 648 [Meza]).

 

[12]           L’agent n’a jamaisdéfini la nature du risque auquel le demandeur était exposé, mais il a jugé que les principaux événements de 2012-2013 s’étaient produits. Il a semblé rejeter l’allégation concernant le lien entre le risque et les gangs parce que le demandeur n’avait pas établi que les mêmes personnes étaient impliquées dans les actes de violence liés aux gangs survenus en 1997, lorsque des coups de feu avaient été tirés sur son frère, et dans les actes de violence de 2012-2013.

 

[13]           Ce n’est pas là une conclusion pouvant raisonnablement fonder le rejet d’une allégation de crainte de gangs. On conçoit difficilement comment quelqu’un pourrait s’acquitter d’un tel fardeau de preuve. L’agent ne s’est jamais demandé s’il était question de violence fortuite ou d’un autre type de violence.

 

[14]           S’agissant d’un pays où la violence liée aux gangs et la corruption sont omniprésentes, comme l’établit la preuve documentaire, il importe d’établir la nature de la violence. L’une des questions qui se posent en matière de protection de l’État est celle de la nature du risque et de la capacité de l’État d’en protéger ses citoyens.

 

[15]           Les conclusions formulées par l’agent à l’issue de l’appréciation du risque sont déraisonnables et faussent l’appréciation de la protection de l’État.

 

[16]           La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État est également déraisonnable parce qu’il n’a pas examiné l’efficacité de cette protection.

 

[17]           Selon la définition qu’en a donnée l’agent, la question de la protection de l’État consiste à évaluer si l’État [traduction] « a le contrôle efficient de son territoire, possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens ». Cet énoncé est exact en soi, mais il passe à côté de la question de savoir si les efforts ont donné des résultats autorisant à conclure que, sur le terrain, les citoyens peuvent raisonnablement se prévaloir de la protection nécessaire.

 

[18]           L’agent n’a pas touché ce dernier élément obligatoire de l’analyse. On ne peut se contenter d’énumérer les moyens mis en place et d’évoquer la réforme de la justice criminelle et d’autres efforts semblables sans déterminer s’ils protègent effectivement la population et le citoyen particulier en cause.

 

[19]           La Cour a étoffé le principe de protection de l’État formulé dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, (1992) 99 DLR (4th) 334 (CAF), 37 ACWS (3d) 1259. En effet, dans Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421, et Meza, elle a inclus dans l’analyse de la protection de l’État l’examen de l’efficacité sur le terrain des mesures de protection prises.

 

[20]           La situation générale dans le pays influe sur la portée de l’examen et le poids à donner à la preuve. Lorsque l’existence de lacunes graves dans l’appareil de l’État est reconnue, il faut pousser plus loin l’analyse.

 

[21]           Il est établi que le Honduras est en butte aux gangs et aux autres manifestations de violence qui y sont liées, notamment la corruption et l’impunité au sein des forces de sécurité. Des documents, tels les rapports du Département d’État des États‑Unis font état de graves lacunes institutionnelles et individuelles.

 

[22]           L’omission d’évaluer les aspects concrets de la protection de l’État a amené l’agent à écarter la crainte du demandeur de s’adresser à la police. La preuve établissait que, dans le passé, une telle démarche avait entraîné des représailles. Elle indiquait aussi que la police serait intervenue relativement au meurtre du frère du demandeur, mais son action ne semble pas avoir donné quoi que ce soit.

 

[23]           Il va de soi que plus la protection de l’État est faible, plus l’hésitation des citoyens à s’en prévaloir se justifiera. Le rejet de l’explication du demandeur sans examen approprié de la protection de l’État ne peut être maintenu.

 

IV.       CONCLUSION

[24]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision, annulée, et l’affaire, renvoyée pour réexamen par un nouvel agent.

 

[25]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision, annulée, et l’affaire, renvoyée pour réexamen par un nouvel agent.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-5297-13

 

INTITULÉ :

KEVIN LANZA MELGARES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 13 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 15 NOVEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Erica Olmstead

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Bean

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Erica Olmstead

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.