Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20131114

Dossier : IMM‑11086‑12

Référence : 2013 CF 1161

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MOJTABA ESMAILI

 

demandeur

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 16 mai 2012 par laquelle un agent d’immigration a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est accueillie.

 

Contexte

[3]               Monsieur Esmaili est un citoyen iranien né en 1984. En 2004, il s’est inscrit à l’Université Azad de Shirvan. La même année, alors qu’il poursuivait ses études, le demandeur a commencé à travailler à temps partiel comme assistant technique pour la société Apasay Kish; il y a ensuite été promu au poste de conseiller technique aux ventes en 2006. Le demandeur a obtenu un baccalauréat en génie informatique en 2007, puis il a cessé temporairement de travailler pour son entreprise pour faire des études de maîtrise à l’université américaine de Girne, à Chypre. Le chef du département des systèmes d’information de gestion, le professeur Christopher Payne, a fourni une lettre de recommandation où il décrivait M. Esmaili comme étant un [traduction] « étudiant de premier ordre » et un [traduction] « homme sérieux et très intelligent » ayant acquis de vastes connaissances dans son domaine et qui avait [traduction] « régulièrement obtenu la note la plus élevée dans ses cours » et rédigé une thèse (sur les systèmes logiciels intelligents) de [traduction] « qualité publiable », en plus de [traduction] « maîtriser parfaitement l’anglais (tant à l’oral qu’à l’écrit) ». Après avoir obtenu sa maîtrise, M. Esmaili a commencé à travailler de nouveau pour Apasay Kish en 2009, à temps plein, comme directeur des systèmes d’information, et il travaille toujours pour cette société. La sœur de M. Esmaili est une résidente permanente du Canada qui vit à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

 

[4]               En 2011, M. Esmaili, alors âgé de 26 ans, a présenté une demande en vue d’être admis au Canada à titre de directeur des systèmes d’information (code 0213 de la CNP). Il a joint à sa demande des frais de traitement de 550 $, ses titres de scolarité et des documents attestant l’année d’expérience de travail minimale requise dans la profession visée. Monsieur Shahab Shariatfar, le directeur général de la société Apasay Kish, a fourni une lettre de recommandation dans laquelle il déclarait qu’il [traduction] « recommandait fortement M. Mojtaba Esmaili à toute société ou institution voulant combler un poste semblable, pour qu’il en devienne un membre du personnel capable de travailler dur à des tâches exigeantes ». Monsieur Shariatfar a décrit comme suit les fonctions exercées par M. Esmaili :

[traduction]

2009‑02/2010‑08   Directeur des systèmes d’information
(temps plein, 40 heures/semaine)

Diriger, superviser et organiser le travail d’analystes de systèmes et de spécialistes en soutien informatique de l’entreprise, coordonner les activités liées notamment à l’installation et à la mise à niveau de logiciels, de matériel et de réseaux, évaluer les risques, mettre en place de nouvelles procédures pour obtenir des avantages concurrentiels en fonction des possibilités de l’entreprise, s’occuper de questions opérationnelles et stratégiques, établir les besoins en personnel et en équipement à court et à long terme et se tenir informé des progrès en technologie et en gestion.

 

2006‑06/2007‑06   Conseiller commercial

(temps partiel, 24 heures/semaine)

Aider le directeur des ventes à effectuer des analyses de marché et à établir des plans d’activités à court terme et des plans commerciaux intégrés à long terme, procéder à des études de marché, au besoin, repérer les nouveaux marchés commerciaux et les besoins du marché et conseiller les clients dans leurs choix.

 

2004‑06/2006‑06   Assistant technique

(temps partiel, 24 heures/semaine)

Fournir aux clients les services requis, notamment corriger les systèmes informatiques corrompus, installer des logiciels, diagnostiquer et corriger les erreurs logicielles, mettre en place des réseaux et des systèmes en vue du partage de documents et d’imprimantes, réparer et mettre à niveau le matériel, remplacer les vieux systèmes par de nouveaux et assurer la satisfaction des clients en réglant de manière efficace leurs problèmes.

 

[5]               Sur le site de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, la description suivante est donnée à l’égard du code 0213 de la CNP :

0213 Gestionnaires des systèmes informatiques

Les gestionnaires de systèmes informatiques planifient, organisent, dirigent, contrôlent et évaluent les activités d’organisations qui analysent, conçoivent, mettent au point, mettent en exploitation, font fonctionner et administrent des logiciels, informatiques et de télécommunications, des réseaux et des systèmes informatiques. Ils travaillent dans les secteurs public et privé.

 

Exemples d’appellations d’emploi

directeur/directrice de centre de données, directeur/directrice de l’analyse des systèmes et du traitement des données, directeur/directrice des systèmes d’information, directeur/directrice des systèmes d’information de gestion (SIG), directeur/directrice des systèmes informatiques, directeur/directrice du développement de logiciels, directeur/directrice du développement des systèmes, directeur/directrice du traitement des données, directeur/directrice du traitement informatique, directeur/directrice en génie logiciel

 

Fonctions principales

Les gestionnaires de systèmes informatiques exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

 

           planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités des services et entreprises s’occupant de systèmes informatiques et de traitement électronique de l’information;

           élaborer et mettre en œuvre des politiques et des procédures visant le traitement électronique des données et le développement et les opérations de systèmes informatiques;

           rencontrer les clients pour discuter des caractéristiques des systèmes, des exigences, des coûts et des échéanciers;

           former et gérer des équipes de spécialistes en informatique pour concevoir, mettre au point, mettre en exploitation, faire fonctionner et administrer des logiciels informatiques et de télécommunications, des réseaux et des systèmes informatiques;

           contrôler le budget et les dépenses d’un service, d’une entreprise ou d’un projet;

           recruter et surveiller des analystes, ingénieurs et techniciens en informatique, des programmeurs et d’autres employés, et assurer leur perfectionnement professionnel et leur formation.

 

Conditions d’accès à la profession

 

           Un baccalauréat ou une maîtrise en informatique, en administration, en commerce ou en génie est habituellement exigé.

           Plusieurs années d’expérience en analyse de systèmes, en administration de données, en génie logiciel, en conception de réseaux ou en programmation, y compris une expérience en supervision, sont exigées.

 

 

[6]               Le Bureau de réception centralisée des demandes à Sydney, en Nouvelle‑Écosse, a procédé à la présélection de la demande, puis il l’a transmise au bureau des visas pour qu’il prenne la décision définitive quant à l’admissibilité. Le 5 mai 2012, un responsable de l’immigration à Ankara, en Turquie, a consigné les notes suivantes dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI] :

[traduction]

L’intéressé présente sa demande sur le fondement du code 0213 de la CNP. Je ne suis pas convaincu, de la lettre du 6 septembre de shahab shariatfar, que le dp a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal du code 0213 de la CNP, ni qu’il a exercé les fonctions principales liées à ce code. J’estime qu’ainsi, il n’est pas satisfait aux exigences des Instructions ministérielles. Demande non admissible. ecp, veuillez rédiger la lettre et rembourser les frais versés.

 

[7]               Le 16 mai 2012, une lettre rejetant la demande a été délivrée.

 

[8]               Aux termes du paragraphe 72(2) de la LIPR, la personne qui demande à la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision prise par un agent doit, lorsque la mesure a été rendue à l’étranger, présenter une demande d’autorisation à la Cour dans les 60 jours suivant la date où il a été avisé de la décision. Le demandeur a dépassé de plus de trois mois le délai prévu, et il sollicite sa prorogation pour pouvoir présenter sa demande.

 

[9]               Le demandeur avait retenu les services d’un consultant en immigration de l’Ontario pour qu’il l’aide à présenter sa demande. Après avoir été informé du rejet de sa demande, le consultant a envoyé à l’ambassade du Canada à Ankara une lettre datée du 13 juin 2012 dans laquelle il demandait qu’on lui accorde l’occasion de produire de nouveaux documents et prétendait qu’il y avait eu manquement aux principes d’équité procédurale.

 

[10]           L’ambassade n’a pas répondu. L’information suivante a été consignée dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] : [traduction] « Demande de réexamen reçue le 13 juin 2012. Aucune réponse n’a été transmise puisque l’affaire est en instance. » Dans l’affidavit qu’il a déposé au soutien de sa demande, le demandeur déclare qu’il croyait que la meilleure solution était que son consultant envoie une lettre à l’ambassade du Canada, sans savoir qu’un délai était prévu pour le dépôt d’une demande d’autorisation à la Cour. Ce n’est que lorsque son consultant a communiqué avec un cabinet d’avocats pour obtenir des conseils juridiques que le demandeur a pris connaissance de cette obligation; il a alors retenu immédiatement les services du cabinet, qu’il a chargé de présenter une demande d’autorisation.

 

[11]           Le 30 octobre 2012, un avis de demande a été déposé, auquel était jointe une demande de prorogation de délai. Le 18 juillet 2013, la juge Bédard a accordé l’autorisation, sans toutefois formuler de commentaires sur la demande de prorogation.

 

[12]           Le demandeur souligne le fait que depuis le 1er juillet 2012 le défendeur, Citoyenneté et Immigration Canada, n’accepte plus de demandes au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Pour pouvoir présenter une demande, il faut disposer d’une offre d’emploi réservé ou satisfaire à la catégorie des titulaires de doctorats. L’issue du présent contrôle judiciaire est par conséquent de grande importance pour le demandeur.

 

Décision contestée

[13]           L’agent signataire de la lettre de refus a fait part de ce qui suit à M. Esmaili : [traduction] « […] [V]ous n’avez pas fourni une preuve suffisante que vous exécutiez les tâches décrites dans l’énoncé principal qui concerne la profession, telles qu’énoncées dans les descriptions professionnelles de la CNP, et que vous exerciez la totalité des fonctions essentielles et un nombre important des fonctions principales, telles qu’énoncées dans les descriptions professionnelles de la CNP. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que vous êtes un Gestionnaire des systèmes informatiques 0213. Comme vous n’avez pas fourni de preuves suffisantes de l’expérience professionnelle que vous acquise dans l’une des professions énumérées, vous ne répondez pas aux exigences des Instructions ministérielles et votre demande ne peut pas être traitée. »

 

Questions en litige

[14]           Voici les questions soulevées en l’espèce :

a.       La présente demande est‑elle prescrite?

b.      Était‑il déraisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne disposait pas de l’expérience de travail requise?

c.       Le défaut de l’agent de motiver suffisamment sa décision équivaut‑il à un manquement à l’équité procédurale?

 

Norme de contrôle

[15]           Il est de jurisprudence constante que la raisonnabilité est la norme de contrôle qui s’applique à l’examen de la preuve par un agent et à sa décision finale quant à savoir si un demandeur répond aux critères d’une catégorie d’emploi de la CNP. (Voir, par exemple, Khan c Canada (MCI), 2013 CF 891, au paragraphe 13.) La norme de contrôle applicable au défaut de tenir compte d’un élément de preuve déterminant, et celle qui s’applique aux questions d’équité procédurale de manière générale, sont celles de la décision correcte. (Voir, par exemple, Uluk c Canada (MCI), 2009 CF 122, au paragraphe 16.)

 

Analyse

A. La présente demande du demandeur est‑elle prescrite?

[16]           Selon le défendeur, la demande présentée par le demandeur est irrecevable puisqu’il n’a pas expliqué de manière raisonnable son retard de plus de trois mois. Le fait que la juge Bédard a accordé l’autorisation de présenter une demande de contrôle sans aborder la question de la prorogation ne signifie pas que la prorogation du délai a été implicitement octroyée. Le défendeur soutient que, comme l’ordonnance d’autorisation n’a pas expressément accordé la prorogation, la Cour demeure compétente pour rejeter la demande sans avoir à l’instruire sur le fond (Villatoro c Canada (MCI), 2010 CF 705, aux paragraphes 22 et 23; Strungmann c Canada (MCI), 2011 CF 1229 [Strungmann], au paragraphe 15; Chen c Canada (MCI), 2010 CF 899 [Chen], aux paragraphes 30 à 35). Je suis du même avis et, par conséquent, il me faut décider s’il y a lieu d’accorder une prorogation en fonction des principes applicables en la matière.

 

[17]           Il me semble en outre approprié qu’il revienne au juge chargé du contrôle judiciaire de se prononcer sur les demandes de prorogation, si l’on considère que dans ces cas le poids des arguments est jugé être le facteur déterminant pour réaliser les fins de la justice. Le juge qui instruit la demande de contrôle est assurément le mieux placé pour apprécier ce facteur, et il a l’avantage de disposer d’observations écrites et verbales plus exhaustives.

 

[18]           J’estime que le juge Barnes résume bien l’état du droit en matière de prorogation de délai dans le jugement Première nation Washagamis c Ledoux, 2006 CF 1300 [Première nation Washagamis] :

23  Les facteurs que l’on applique habituellement dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de proroger un délai en vertu de l’article 8 des Règles ont été souvent analysés. Dans la décision 687764 Alberta Ltd. c. Canada, [1999] A.C.F. no 545, 166 F.T.R. 87, la juge Karen Sharlow conclut comme suit :

 

14 Il n’existe pas de règle absolue qui permette de déterminer dans tous les cas s’il y a lieu d’accorder l’autorisation de proroger le délai prescrit pour introduire une instance. La raison d’être du délai est de donner effet au principe que les procès doivent avoir une fin. En revanche, en accordant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de proroger les délais, on reconnaît qu’il peut être nécessaire de proroger un délai pour rendre justice aux parties. Il faut tenir compte de ces considérations opposées pour décider s’il y a lieu ou non d’accorder la prorogation demandée : Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), Consumers’ Ass’n (Can.) c. Ontario Hydro [No. 2], [1974] 1 C.F. 460 (C.A.F.).

 

15 C’est dans la jurisprudence que l’on trouve les facteurs dont il faut tenir compte en la matière. Le facteur le plus important est celui qui oblige le demandeur à démontrer qu’il dispose d’arguments solides lui permettant d’obtenir la réparation demandée ou, pour reprendre l’expression utilisée dans certaines décisions, qu’il a des chances raisonnables d’obtenir gain de cause. En outre, le retard doit être expliqué ou justifié et le demandeur doit présenter des éléments de preuve pour démontrer qu’il a exercé ses droits avec une diligence raisonnable. Habituellement, le demandeur essaie de démontrer qu’il avait véritablement l’intention, dans les délais prévus par la loi, de solliciter une réparation relativement à la décision contestée et il présente des éléments de preuve au sujet des démarches qu’il a accomplies pour faire les diligences nécessaires. Le tribunal doit tenir compte de tout préjudice subi par le défendeur ou les tiers.

 

24  Plus récemment, dans l’arrêt Jakutavicius c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1488, 2004 CAF 289, le juge Marshall Rothstein a confirmé les facteurs qui s’avèrent pertinents pour proroger un délai, tels que mentionnés ci‑dessus par la juge Sharlow. Il a ajouté que cette liste de facteurs n’était pas exhaustive et qu’il ne fallait pas l’appliquer machinalement. Il a confirmé aussi que l’importance qu’il convient d’appliquer à ces facteurs peut varier d’un cas à un autre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Le juge Martineau en outre fait les remarques suivantes au paragraphe 9 du jugement Strungmann, en citant Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 (au paragraphe 33) : « [U]ne prorogation de délai peut être accordée même si l’un des facteurs n’est pas respecté. »

 

[20]           S’agissant de la question de savoir si les erreurs d’avocats – un consultant en immigration dans le cas qui nous occupe – engagent la responsabilité de leurs clients, le juge Barnes a résumé comme suit ses conclusions sur ce point au paragraphe 33 du jugement Première nation Washagamis :

33  J’incline à penser que quand une partie établit qu’elle a donné clairement instruction à son avocat de procéder en temps opportun et que c’est uniquement à cause d’une erreur de cet avocat que cela n’a pas été fait, il ne faudrait pas que tenir la partie en question responsable de quelque façon de l’erreur. Une telle approche cadre aussi avec celle qu’ont adoptée d’autres tribunaux ayant eu affaire à des erreurs d’avocat ou à des délais de prescription manqués : voir Woudstra c. Piston, [2004] O.J. no 594, [2004] O.T.C. 160 (C.S.J.), Dreifelds c. Burton (1998), 38 O.R. (3d) 393, [1998] O.J. no 946 (C.A.) et Tait c. CNR (1984), 11 D.L.R. (4th) 460, 64 N.S.R. (2d) 187, [1984] N.S.J. no 398 (C.S.).

 

[Souligné dans l’original.]

 

[21]           Selon mon interprétation, la citation qui précède signifie qu’en règle générale, les erreurs commises par les représentants des clients ne doivent pas engager la responsabilité de ces derniers, pourvu qu’ils n’aient pas contribué au retard.

 

[22]           Appliquant ces principes à la présente affaire, je conclus qu’il y a lieu d’accorder la prorogation du délai. Premièrement, comme je conclus que le demandeur devrait obtenir gain de cause, le moins qu’on puisse dire est qu’il dispose d’arguments solides. Or, comme la juge Sharlow l’a souligné, ce facteur est le plus important pour établir s’il convient ou non d’accorder une prorogation.

 

[23]           Deuxièmement, j’estime aussi qu’on ne peut reprocher au demandeur de s’être fié à son consultant, étant donné particulièrement qu’il vivait à l’étranger et ne connaissait rien du fonctionnement du système juridique canadien.

 

[24]           Troisièmement, j’estime que l’agent a contribué au problème en ne répondant pas à la lettre du consultant parce que l’affaire était en instance. Il ne s’agit pas d’un motif valable pour ne pas agir avec la courtoisie pour laquelle notre fonction publique est reconnue. Le consultant, qui défendait très mal les intérêts de son client, a ainsi été laissé à lui‑même, face à une impasse et se demandant s’il allait recevoir une réponse, et cela explique en bonne partie le retard. Les erreurs du consultant ne sont devenues manifestes que lorsqu’il est allé consulter des avocats.

 

[25]           Quatrièmement, j’estime que le demandeur a toujours eu l’intention de contester la décision. Pourquoi sinon son consultant aurait‑il consulté des avocats, et les conseils de ces derniers auraient‑ils été appliqués sans délai une fois qu’il a su quelle était la bonne procédure à suivre? Dans l’intérêt de la justice, je conclus qu’il y a lieu d’accorder la prorogation.

 

B. Était‑il déraisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne disposait pas de l’expérience de travail requise?

 

[26]           J’estime premièrement que le défendeur tente de fournir des motifs additionnels, en donnant les explications qui ne figuraient pas dans la lettre de l’agent mais qui auraient dû s’y trouver, afin de rendre la décision de l’agent suffisamment motivée. L’agent n’a pas dit qu’il manquait d’information sur les fonctions visées par la CNP, mais seulement qu’il n’était pas convaincu (pour une raison quelconque) que le demandeur avait exercé ces fonctions. Deuxièmement, reconnaître l’existence de la lettre n’équivaut pas à en analyser la teneur. L’agent n’a aucunement expliqué pourquoi il estimait que la lettre ne constituait pas une preuve de l’année d’expérience de travail requise, ce qui était manifestement déraisonnable. Troisièmement, il est impossible de discerner si l’agent a confondu le nom du directeur général et celui de l’entreprise, ce qui fait douter davantage de la qualité de l’examen de la lettre. Ce point est toutefois sans importance, étant donné que l’agent n’a justifié d’aucune manière pourquoi il se disait convaincu que le demandeur n’avait exécuté ni les tâches figurant dans l’énoncé principal, ni les fonctions principales visées par la CNP.

 

[27]           Enfin, la décision semble manifestement déraisonnable à sa face même. Le demandeur avait obtenu un baccalauréat et une maîtrise dans son domaine, et il était fortement recommandé par un professeur du cycle supérieur. Il avait gravi en quatre années et demie divers échelons au sein de son entreprise et avait exercé diverses fonctions dans le domaine général de la gestion des systèmes d’information. Il disposait également de documents attestant une expérience de travail à temps plein d’une année et demie comme directeur des systèmes d’information, un poste où il dirigeait des employés ainsi que les opérations de la TI de l’entreprise. Faute de toute explication de la part de l’agent, les motifs pour lesquels l’agent a jugé la preuve insuffisante n’étaient ni transparents ni intelligibles, et la décision ne constituait pas une issue possible acceptable.

 

C. Le défaut de l’agent d’exposer des motifs suffisants équivaut‑il à un manquement à l’équité procédurale?

 

[28]           Selon le demandeur, les notes versées au STIDI peuvent certes constituer des motifs, mais uniquement si elles renferment assez de détails pour que l’intéressé puisse savoir pourquoi sa demande a été refusée (Ogunfowora c Canada (MCI), 2007 CF 471, au paragraphe 60). En l’espèce, il n’est aucunement précisé dans les notes du STIDI pourquoi la liste de fonctions exercées fournie par l’employeur ne suffisait pas pour démontrer l’exécution par le demandeur des fonctions requises aux fins du code 0213 de la CNP. L’agent avait l’obligation de fournir des motifs clairs, précis et intelligibles, mais il ne l’a pas fait (Mehterian c Canada (MCI), [1992] ACF no 545 (QL) (CAF); Saha c Canada (MCI), 2003 CF 1325, au paragraphe 8; Jogiat c Canada (MCI), 2009 CF 815, aux paragraphes 39 à 41).

 

[29]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas expliqué ce qu’il aurait dû savoir de plus, et ajoute que, les exigences liées au code 0213 de la CNP étant publiquement accessibles, la mention dans les motifs de l’agent que le demandeur n’y satisfaisait pas était claire et suffisante. La Cour a ainsi déclaré récemment au paragraphe 22 du jugement Kamchibekov c Canada (MCI), 2011 CF 1411 : « Les motifs de l’agent sont suffisants, dans la mesure où ce dernier explique au demandeur pourquoi il n’est pas admissible […]. Les motifs de l’agent sont peut‑être succincts […], mais ils sont clairs et permettent au demandeur de comprendre pourquoi sa demande a été rejetée. »

 

[30]           L’obligation de fournir des motifs suffisants n’est pas exigeante. Je reproduis des motifs qu’on contestait pour insuffisance, mais que la juge Strickland a estimé être suffisants, à l’égard de la même profession que celle en cause en l’espèce, au paragraphe 5 du jugement Khowaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 823 :

Les notes du SMGC contiennent notamment ce qui suit :

 

Les renseignements présentés à l’appui de la demande ne sont pas suffisants pour confirmer que le client satisfait à la description de la profession ou à une partie appréciable des fonctions principales de la CNP 0213. Le client a présenté une lettre de recommandation de son employeur TRG au Pakistan. La lettre décrit le client comme un gestionnaire de projet, direction de la saisie et du traitement de données. Aucune explication fournie au sujet du caractère des projets auxquels le client a participé. Aucune responsabilité en matière de budget ou de recrutement d’analystes, d’ingénieurs, de programmeurs n’est mentionnée, seulement l’embauche de superviseurs et d’employés dans les équipes de saisie et de traitement de données, qui semblent être des employés qui ne font que saisir les données dans les bases de données. La description de poste fournie ressemble plutôt à celle de superviseur à la saisie de données, au sens de la CNP 1211. Compte tenu des préoccupations susmentionnées, je ne suis pas convaincu que le client a acquis un an d’expérience pour la CNP 0213. En fonction des renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que le client a exercé les fonctions décrites à la CNP 0213.

 

 

Conclusion

[31]           Je conclus qu’en l’espèce, il était justement impossible pour le demandeur de « comprendre pourquoi sa demande a été rejetée ». Dépourvue de transparence et d’intelligibilité, la décision de l’agent est déraisonnable. Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. 

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                   ACCUEILLE la demande, et AUTORISE le demandeur à présenter une nouvelle demande, accompagnée notamment des frais requis, qui sera examinée en fonction de la législation en vigueur à la date de la présentation de sa première demande examinée par un autre agent.

2.                   Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑11086‑12

 

INTITULÉ :                                                  MOJTABA ESMAILI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.