Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20131025

Dossier : IMM-10722-12

Référence : 2013 CF 1085

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

B407

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision datée du 13 septembre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de Loi, ni celle de personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à la Commission pour qu’un autre tribunal rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un Tamoul originaire de Jaffna, au Sri Lanka. Entre 2002 et 2009, il exploitait une entreprise.

 

[4]               En avril 2004, il a été détenu par l’armée sri‑lankaise et interrogé sur ses liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Il a été volé et battu, et le réservoir d’essence de sa motocyclette a été vidé. Quand il exploitait son entreprise, il se faisait constamment arrêter par l’armée et était victime d’extorsion. Il se faisait aussi arrêter par des extorqueurs du Parti démocratique populaire de l’Eelam et du groupe paramilitaire Karuna.

 

[5]               En avril 2009, le demandeur a encore une fois été arrêté par des membres de l’armée, qui lui ont ordonné de leur acheter de l’alcool. Quinze jours plus tard, il s’est fait extorquer 1 000 roupies. Deux jours après, un officier de l’armée lui a ordonné de lui acheter de la marijuana.

 

[6]               En septembre 2009, le demandeur a vendu son [caviardé], mais l’extorsion a continué.

 

[7]               Le 27 mai 2010, le demandeur a quitté le Sri Lanka pour la Thaïlande, où il a pu obtenir une place à bord du MS Sun Sea. Il affirme que les militaires ont depuis questionné son épouse et son frère sur ses allées et venues et appris qu’il se trouvait au Canada.

 

[8]               Le Sun Sea est arrivé au Canada le 13 août 2010. Le demandeur a demandé l’asile à ce moment‑là. Sa demande a été instruite le 30 mai 2012.

 

Décision de la Commission

 

[9]               La Commission a rendu sa décision le 13 septembre 2012. La Commission a accepté l’identité du demandeur, résumé ses allégations et indiqué qu’elle rejetait sa demande d’asile en raison d’un manque de crédibilité et de l’absence de crainte fondée. À titre subsidiaire, la Commission a conclu que, même si le récit était vrai, le demandeur n’était pas exposé au risque d’être persécuté au sens des articles 96 ou 97 de la Loi. La Commission a aussi conclu qu’il n’existait pas de raisons impérieuses ni de situation de demande d’asile sur place en l’espèce et que, pour l’application de l’article 97, le risque était généralisé.

 

[10]           La Commission a relevé, dans le récit du demandeur, une série d’incohérences concernant ses liens avec les TLET. Le demandeur avait au départ nié tout lien avec le groupe, mais admis par la suite que les TLET lui avaient offert une formation alors qu’il était enfant. Interrogés par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le frère et l’épouse du demandeur ont indiqué qu’il avait [caviardé] des membres des TLET cinq fois par mois pendant un an. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait eu des contacts ou des liens avec les TLET. La Commission a ensuite catalogué d’autres incohérences, comme le défaut de demander protection en Thaïlande et diverses interactions avec l’État sri‑lankais qui montraient qu’il n’était pas une personne recherchée. La Commission a souligné que le demandeur n’avait pas critiqué le gouvernement du Sri Lanka quand il se trouvait à l’étranger. En s’appuyant sur ces incohérences, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la crainte du demandeur n’était pas fondée.

 

[11]           La Commission a examiné la question subsidiaire du changement de situation au Sri Lanka. Elle a analysé à fond la preuve sur la situation au pays montrant que, après la défaite des TLET en 2009, le traitement réservé aux Tamouls au Sri Lanka s’était amélioré. La Commission a examiné un rapport d’Amnistie internationale concernant les passagers de l’Ocean Lady et du Sun Sea, mais a souligné que les risques décrits touchaient seulement ceux qui étaient soupçonnés d’être membres des TLET, et que certaines sources du rapport étaient dépassées. La Commission a rejeté la possibilité de demande d’asile sur place, parce que rien n’indiquait que le demandeur avait participé à des activités en faveur des TLET au Canada. La Commission a fait remarquer qu’au moment de la décision, trois années s’étaient écoulées depuis que le demandeur avait eu des problèmes avec le gouvernement du Sri Lanka. La Commission a conclu que le demandeur ne serait pas désigné comme un membre des TLET parce que la situation s’était améliorée pour les Tamouls non soupçonnés d’appartenir aux TLET. La Commission a constaté que des réfugiés étaient revenus au Sri Lanka depuis l’Inde et d’autres pays.

 

[12]           La Commission a ensuite examiné un rapport des services d’immigration danois sur la situation au Sri Lanka concordant avec la conclusion susmentionnée selon laquelle les conditions s’étaient améliorées pour les Tamouls, sauf pour les Tamouls soupçonnés de faire partie des TLET.

 

[13]           La Commission a ensuite examiné le traitement réservé aux demandeurs d’asile déboutés à leur retour au Sri Lanka. La Commission a conclu que, à l’exception de ceux visés par des accusations criminelles en instance ou soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET, les rapatriés étaient traités comme n’importe quel autre citoyen sri‑lankais revenant au Sri Lanka.

 

[14]           Selon la Commission, le demandeur n’avait pas le profil d’une personne susceptible d’être perçue comme ayant des liens avec les TLET. Aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur, étant arrivé à bord du Sun Sea, était réputé avoir des liens avec les TLET, et rien n’indiquait que le demandeur avait participé à des activités faisant en sorte qu’il serait soupçonné par le gouvernement du Sri Lanka. Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’asile sur place.

 

[15]           La Commission a en outre analysé la demande d’asile fondée sur des raisons impérieuses et conclu que le demandeur n’avait pas été maltraité pendant sa détention en 2004 et qu’il n’y avait donc pas de raisons impérieuses d’empêcher son retour au Sri Lanka. La Commission a poursuivi en répétant ses conclusions sur l’amélioration de la situation au Sri Lanka depuis la fin de la guerre civile.

 

[16]           Enfin, la Commission a examiné le risque généralisé à titre de question subsidiaire aux termes de l’article 97 de la Loi. Le demandeur a allégué qu’il avait été victime d’extorsion et qu’il craignait d’être victime d’actes criminels à son retour en raison de l’impression de richesse se dégageant du fait d’avoir été renvoyé d’un pays occidental. La Commission a conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé auquel était exposé un sous-groupe de la population du Sri Lanka, à savoir les nantis, ou ceux qui étaient perçus comme étant riches.

 

[17]           Pour ces motifs, la Commission a rejeté la demande d’asile.

 

Questions en litige

 

[18]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions contradictoires quant au profil du demandeur?

            2.         La Commission a‑t‑elle avisé le demandeur que le délai posait problème dans le cas de sa demande d’asile?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en faisant abstraction de la preuve concernant la demande d’asile sur place?

            4.         La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte des soupçons des autorités canadiennes quant aux liens que le demandeur pouvait avoir avec les TLET?

            5.         La Commission a‑t‑elle appliqué le mauvais critère dans son analyse des raisons impérieuses?

 

[19]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile du demandeur?

            3.         La Commission a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale?

 

Observations écrites du demandeur

 

[20]           Le demandeur soulève cinq arguments à l’encontre de la décision de la Commission. Il soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique, sauf en ce qui concerne l’équité procédurale et les erreurs de droit.

 

[21]           Premièrement, le demandeur soutient qu’il était contradictoire pour la Commission de conclure que, d’une part, il avait bel et bien eu des liens avec les TLET et que, d’autre part, le gouvernement sri‑lankais ne le soupçonnerait pas d’avoir de tels liens. La Commission a clairement accepté l’existence d’un risque pour ceux qui sont soupçonnés d’appuyer les TLET. La Commission a nettement conclu à l’existence de tels liens, mais n’a pas appliqué ses propres conclusions sur le risque que ces liens entraînaient.

 

[22]           Deuxièmement, le demandeur affirme que la Commission n’a jamais indiqué que la présentation tardive de sa demande d’asile poserait problème. Le formulaire d’examen initial de la Commission ne mentionnait pas ce problème. La Commission a analysé le retard du demandeur dans sa conclusion sur la crédibilité. Le défaut d’en aviser le demandeur contrevenait au droit du demandeur d’avoir une audience équitable.

 

[23]           Troisièmement, le demandeur soutient que la Commission n’a pas examiné sérieusement son argument selon lequel le gouvernement du Sri Lanka le soupçonnerait d’avoir des liens avec les TLET parce qu’il était passager du Sun Sea. Ce risque existe, indépendamment de toute réserve que peut soulever la crédibilité. Le demandeur a présenté de longues observations détaillées sur ce point, étayées par une preuve documentaire surabondante. La Commission a rejeté l’argument dans un seul paragraphe et simplement examiné la question de savoir si le demandeur était réputé avoir des liens avec les TLET à ce moment‑là, et non s’il serait réputé avoir de tels liens à son retour. La Commission a ainsi montré qu’elle ne comprenait pas un élément essentiel de la demande d’asile.

 

[24]           Quatrièmement, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte du fait que même le gouvernement canadien l’avait soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. Lui et les membres de sa famille ont été interrogés au moins 11 fois par l’ASFC au sujet des TLET. Le demandeur a été détenu pendant des mois, et le ministre a justifié sa détention en avançant qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner une interdiction de territoire pour raison de sécurité. Il ne s’agit pas de savoir si de tels liens existent, mais de savoir si le gouvernement sri‑lankais soupçonnerait le demandeur d’entretenir de tels liens. La Commission n’a même pas examiné cet argument.

 

[25]           Enfin, le demandeur affirme que la Commission a appliqué le mauvais critère dans son analyse des raisons impérieuses aux termes du paragraphe 108(4) de la Loi. Les motifs de la Commission indiquent qu’il devait y avoir eu des traitements « atroces ou extrêmes », ce qui n’est pas le critère découlant du libellé de la Loi ou de la jurisprudence. La Commission s’est intéressée uniquement aux incidents passés et n’a pas tenu compte de l’effet psychologique que le renvoi aurait sur le demandeur. La Commission n’a pas expliqué quel poids elle accordait à l’opinion du psychiatre produite en preuve. Il s’agit d’une erreur de droit, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

 

Observations écrites du défendeur

 

[26]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission est celle de la raisonnabilité et répond à chacun des arguments soulevés par le demandeur.

 

[27]           Premièrement, le défendeur affirme qu’il n’y a pas de contradiction entre la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur avait des liens avec les TLET et sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas considéré comme un membre ou un partisan des TLET. Si la Commission avait estimé que le demandeur était partisan des TLET, elle aurait envisagé l’exclusion en vertu de la section F de l’article premier de la Convention. Le fait d’avoir des contacts ou des liens avec une organisation ne signifie pas être membre ou partisan de cette organisation. Le demandeur n’avait pas de problème dans ses interactions avec le gouvernement sri‑lankais avant de quitter le Sri Lanka.

 

[28]           Deuxièmement, le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, car la présentation tardive d’une demande d’asile est un élément qui permet d’apprécier la crédibilité. Le formulaire d’examen initial a été rempli en 2010, mais l’audience a eu lieu en 2012 seulement. Le demandeur a été questionné sur le fait de ne pas avoir demandé l’asile en Thaïlande lors de l’audience, ce qui constituait un avis adéquat.

 

[29]           Troisièmement, le défendeur affirme que la Commission a dûment examiné la demande d’asile sur place. La Commission a accordé moins de poids au rapport d’Amnistie internationale portant sur les risques auxquels étaient exposés les passagers du Sun Sea en raison de ses sources dépassées.

 

[30]           Quatrièmement, le défendeur affirme que le gouvernement du Canada a conclu, d’après la preuve, que le demandeur n’était ni membre, ni partisan des TLET. Selon l’argument du demandeur, tout individu que le gouvernement canadien garderait en détention pour en évaluer la participation à des activités terroristes deviendrait un demandeur d’asile sur place. La Commission a conclu que ce traitement n’aurait pas pour effet d’exposer le demandeur à un risque à son retour au Sri Lanka.

 

[31]           Enfin, le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son analyse des raisons impérieuses, qui constituait une conclusion subsidiaire. La Commission a bien examiné le rapport psychologique, mais il était fondé sur le propre témoignage du demandeur à propos de son expérience passée, que la Commission avait jugé non crédible.

 

Analyse et décision

 

[32]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[33]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la crédibilité, décrites comme l’« essentiel de la compétence de la Commission » sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, [2003] ACF no 162; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46, [2009] 1 RCS 339; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, au paragraphe 23, [2011] ACF no 786). De même, la pondération de la preuve ainsi que son interprétation et son appréciation sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, au paragraphe 38, [2009] ACF no 1286).

 

[34]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas justifiable, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables, compte tenu de la preuve qui lui a été soumise (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a statué dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer à la solution retenue l’issue qui serait à son avis préférable, et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[35]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (voir Khosa, précité, au paragraphe 43). La retenue à l’égard des décideurs n’est pas de mise sur ces questions (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[36]           Question 2

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile du demandeur?

            Le demandeur a relevé trois problèmes dans l’examen de fond de sa demande d’asile au titre des articles 96 et 97 fait par la Commission. Je conviens que ces vices rendent la décision de la Commission déraisonnable.

 

[37]           La Commission a conclu que le demandeur avait eu « des rapports ou des liens » avec les TLET, tout en concluant en parallèle que le gouvernement ne soupçonnerait pas le demandeur d’être « un membre ou un partisan des TLET ». L’avocate du défendeur s’est donné beaucoup de mal pour établir une distinction entre les deux concepts. Je conviens qu’il est possible en principe d’avoir des rapports sans nécessairement être partisan. Toutefois, la Commission n’a pas offert elle‑même d’analyse si subtile. Elle a tout simplement énoncé deux conclusions de fait en parallèle sans commenter davantage. Étant donné les conclusions répétées tirées par la Commission voulant que tout individu simplement soupçonné d’être partisan ou membre des TLET soit exposé à un risque accru à son retour au Sri Lanka, le fait de ne pas avoir examiné si de tels « rapports » ou « liens » pourraient éveiller les soupçons du gouvernement sri‑lankais est une grave omission.

 

[38]           En ce qui concerne la demande d’asile sur place, le demandeur a soumis plus de trente pages de rapports sur les liens avec les TLET qui étaient attribués aux passagers du Sun Sea et deux décisions rendues antérieurement par la Commission dans le cadre desquelles des demandes d’asile sur place fondées sur le même risque avaient été accueillies. L’évaluation de ces éléments de preuve faite par la Commission tient dans une seule phrase : « Rien ne permet de penser qu’il a été conclu que le demandeur d’asile, qui est arrivé à bord du Sun Sea, a des liens avec les TLET. » Bien que la Commission soit présumée avoir tenu compte de la totalité de la preuve, je conviens avec le demandeur qu’elle a commis une erreur en utilisant ce langage pour rejeter des éléments de preuve importants et pertinents.

 

[39]           Je conviens également avec le demandeur que le temps de verbe utilisé dans cette phrase donne à penser que la Commission s’est intéressée seulement à la question de savoir si le demandeur était déjà réputé avoir des liens avec les TLET en raison de son voyage à bord du Sun Sea, par opposition à la question de savoir s’il serait réputé avoir de tels liens à son retour. La définition de « réfugié » est de toute évidence de nature prospective, et la Commission a omis d’analyser adéquatement ce risque.

 

[40]           En ce qui concerne les propres soupçons du gouvernement du Canada quant aux liens du demandeur avec les TLET, l’avocate du défendeur a encore une fois présenté des arguments qui ne figurent pas dans la décision de la Commission. Dans les observations qu’il a présentées à la Commission, le demandeur faisait clairement valoir que les soupçons du gouvernement du Canada témoignaient de la façon dont le gouvernement du Sri Lanka le percevrait. La Commission n’a pas tenu compte de cet argument dans ses motifs.

 

[41]           L’argument du défendeur selon lequel une telle observation aurait pour effet de transformer en demandeur d’asile sur place toute personne détenue par le gouvernement du Canada est une hyperbole. Chaque demande d’asile doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. Le fait que le gouvernement du Canada a détenu et interrogé le demandeur est un élément de preuve pertinent lorsqu’il s’agit de savoir si le gouvernement du Sri Lanka pourrait agir ainsi. Cet élément n’est peut-être pas déterminant, mais il est assez important pour que la Commission doive en tenir compte.

 

[42]           Bien que la cour de révision soit tenue de compléter les motifs du tribunal avant de les rejeter, le cour ne doit pas pour autant se substituer au tribunal et se prononcer de sa propre initiative (voir Szabo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1422, au paragraphe 11). Accepter les arguments du défendeur sur la non‑pertinence factuelle des conclusions de la Commission sur les TLET, le voyage du demandeur à bord du Sun Sea et les soupçons du gouvernement du Canada à son égard équivaudrait à une telle substitution.

 

[43]           Si je comprends que la Commission était saisie d’un dossier substantiel et complexe dans une affaire ayant une grande visibilité publique, la décision de la Commission présente néanmoins de graves omissions qui entrent en conflit avec les valeurs de la transparence, de la justification et de l’intelligibilité énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Elle est donc déraisonnable.

 

[44]           Étant donné ma décision sur cette question, je n’examinerai pas l’argument de l’équité procédurale ni la question concernant le critère appliqué dans l’analyse des raisons impérieuses.

 

[45]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, la décision de la Commission est annulée, et la demande est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvel examen.

 

[46]           Aucune partie ne souhaitait proposer de question grave de portée générale aux fins de certification.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et la demande est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

 

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

 

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances :

 

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

 

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

(d) the person has voluntarily become re-established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10722-12

 

INTITULÉ :                                      B407

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 mai 2013

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karina Thompson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bridget A. O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karina Thompson

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.