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Date : 20131016

Dossier : IMM-10486-12

 

Référence : 2013 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

HANY MICHEAL SAMY BOTROS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de C. Ruthven, un agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent], qui a été rendue en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. L’agent a rejeté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentée par le demandeur.

 

I.          Questions en litige

[2]               Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

A.    La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

i)        L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’examiner un risque soulevé par le demandeur?

ii)      L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui concernaient la situation dans le pays?

iii)    L’agent a‑t‑il commis une erreur en a) tirant une conclusion défavorable du fait qu’il manquait certains éléments de preuve qui, selon lui, [traduction] « auraient dû » être soumis, ou en b) rejetant la preuve du demandeur parce qu’elle ne respectait pas les règles techniques de présentation de la preuve, lesquelles ne s’appliquent pas à la prise de décisions administratives?

 

II.        Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen égyptien et un chrétien copte. Il est arrivé au Canada le 3 décembre 2002, et il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée en septembre 2003.

 

[4]               Le 2 novembre 2006, le demandeur a présenté au Canada une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a présenté une première demande d’ERAR le mois suivant. Les deux demandes ont été rejetées le 13 février 2009. Le renvoi du demandeur était prévu pour le 30 avril 2009.

 

[5]               Une deuxième demande d’ERAR, présentée le 19 mars 2009, a été rejetée le 8 décembre 2010. La date de renvoi du demandeur a été fixée au 29 janvier 2011. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la deuxième demande d’ERAR et une demande de sursis à la mesure de renvoi. Ces deux demandes ont été accueillies, et la deuxième demande d’ERAR a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

[6]               Le 16 février 2012, la deuxième demande d’ERAR a été rejetée. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, puis a abandonné la demande le mois suivant.

 

[7]               Auparavant, le 10 mars 2011, une troisième demande d’ERAR avait été présentée, et des témoignages supplémentaires ont été soumis le 27 juillet 2011. Le 16 octobre 2012, un addenda a été ajouté à la troisième demande d’ERAR [l’addenda]. Ces documents constituent le fondement de la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[8]               Dans sa troisième demande d’ERAR, le demandeur a soutenu qu’il serait victime de persécution s’il était renvoyé en Égypte. Pour étayer cette allégation, il a soumis des documents faisant état de la persécution dont sont victimes les coptes et de l’instabilité de l’appareil étatique ainsi que des lettres de corroboration signées par One Free World International (révérend Majed El‑Shafie), par l’Association des chrétiens du Moyen‑Orient, par l’Église orthodoxe copte St. Mark et par différentes personnes se trouvant au Canada. En outre, le demandeur a fourni une lettre non datée dans laquelle son épouse relate un incident au cours duquel elle et les enfants du demandeur ont été victimes d’intimidation, puis ont été blessés par des éclats de verre après avoir été ciblés par des tirs pendant qu’ils se trouvaient à bord d’un taxi. Ces blessures sont confirmées dans une lettre signée par le médecin traitant. L’agent n’a pas remis en doute la crédibilité de cette preuve.

 

[9]               L’addenda comprend des éléments de preuve documentaire supplémentaires, en particulier en ce qui concerne l’incidence du film anti‑islam The Innocence of Muslims en septembre 2012.

 

[10]           Le 31 août 2012, l’agent a rejeté la demande d’ERAR, affirmant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs permettant de casser les décisions défavorables rendues relativement aux précédentes demandes d’ERAR du demandeur et, à l’origine, à sa demande d’asile.

 

[11]           L’agent a examiné les différentes lettres présentées à l’appui de la demande, mais a conclu que ces lettres soit étaient trop vagues, soit reposaient sur des renseignements provenant de tiers, soit étaient trop spéculatives. Par conséquent, l’agent leur a accordé une faible valeur probante. L’agent a déclaré qu’il préférait se fonder sur les récits théoriques de première main provenant de membres de la famille se trouvant en Égypte ou sur les récits de première main provenant des autorités médicales ou d’organismes non gouvernementaux en Égypte, mais aucun n’a été présenté. L’agent a relevé, dans les précédentes demandes d’ERAR, différentes incohérences soulevant des doutes quant à la crédibilité et à la plausibilité de l’information selon laquelle le demandeur était greffier en Égypte.

 

[12]           L’agent a examiné la lettre décrivant l’incident vécu par l’épouse du demandeur, soulignant qu’aucun élément de preuve provenant de sources objectives n’avait été présenté pour corroborer cette histoire, et que les blessures décrites par le médecin traitant confirment seulement l’existence des blessures, et non la version de l’épouse quant aux circonstances qui y ont mené.

 

[13]           Eu égard à la situation dans le pays, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs lui permettant de conclure que la discrimination dont le demandeur pourrait être victime en Égypte équivaudrait à de la persécution si on en combinait les effets. L’agent a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit victime de persécution, que sa vie soit menacée ou qu’il subisse des traitements cruels ou inhabituels, comme il est énoncé aux articles 96 et 97 de la Loi. 

 

[14]           L’addenda à la décision relative à l’ERAR, présenté le 16 octobre 2012, faisait suite à la réception de nouveaux éléments de preuve documentaire. L’agent a conclu que le seul sujet qui n’avait pas été examiné en profondeur dans la décision du 31 août 2012 était la preuve relative au film The Innocence of Muslims diffusé par un copte en Californie. Ce film a suscité de vives réactions dans diverses communautés musulmanes, et la preuve documentaire soumise à l’agent donnait à penser que les coptes d’Égypte craignaient des représailles.

 

[15]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il courrait un risque personnalisé en Égypte en raison des tentatives de protestation contre le film ou de persécution des producteurs du film aux États‑Unis. L’agent a tiré cette conclusion en s’appuyant sur le fait que le demandeur n’a pas présenté d’élément de preuve objectif établissant qu’il a participé à la production ou à la distribution du film ou qu’il a été associé d’une quelconque autre manière au film.

 

III.       Norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 52; Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39; Ram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 548).

 

IV.       Analyse

[17]            Pour les motifs présentés ci‑après, j’accueille la demande du demandeur.

 

A.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en omettant d’examiner un risque soulevé par le demandeur?

[18]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur soutient que l’agent a omis d’examiner tous les risques qu’il a soulevés (Thiyagarajah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1015, aux paragraphes 13 à 16). Je suis d’accord. Dans l’addenda, la décision de l’agent ne tient pas compte de l’incidence du film The Innocence of Muslims sur les coptes collectivement, ne s’attardant que sur l’éventuelle implication personnelle du demandeur dans le film ou sur son lien avec le gouvernement des États‑Unis. En invoquant cet argument, le demandeur cite un extrait de la page 2 de l’addenda, où l’agent souligne que le demandeur n’a pas joué de rôle dans la production ou la distribution du film et qu’il n’a pas de liens avec le gouvernement des États‑Unis. Citant la preuve documentaire figurant à l’addenda, le demandeur fait valoir que des coptes égyptiens n’ayant aucunement participé à la production du film ont tout de même été persécutés.

 

[19]           L’agent affirme avoir [traduction] « examiné soigneusement » les extraits pertinents des observations figurant dans l’addenda, y compris les allégations du demandeur selon lesquelles le film expose le demandeur, un membre de la communauté copte, à un risque de persécution, mais là s’arrête l’analyse de l’agent concernant l’appartenance du demandeur à un groupe. Outre que les éléments de preuve soumis par le demandeur sont insuffisants, l’agent affirme ce qui suit dans son analyse :

[traduction]

Plus précisément, je ne suis pas d’avis que le demandeur a présenté des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il a participé à la production du film, à sa diffusion en ligne ou sur les médias sociaux, ou à sa distribution ou à sa promotion. En outre, selon moi, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve objectifs suffisants pour établir qu’il a une quelconque association directe avec le gouvernement des États‑Unis d’Amérique, ou une quelconque association directe avec le personnel diplomatique des États‑Unis d’Amérique dans la République arabe d’Égypte.

 

Son analyse était déraisonnable compte tenu de la preuve qui lui avait été soumise.

 

B.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui concernaient la situation dans le pays?

[20]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur soutient que l’agent a commis trois erreurs en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui lui avaient été soumis.

 

[21]           Premièrement, le demandeur affirme qu’on attend de l’agent d’ERAR qu’il analyse les documents relatifs à la situation dans le pays, et non qu’il ne fasse que citer de longs extraits (décision Ram, précitée).

 

[22]           Deuxièmement, on attend de l’agent d’ERAR qu’il analyse la preuve documentaire contredisant ses conclusions (Guzman c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 401, aux paragraphes 23 et 24).

 

[23]           Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur soutient également que l’agent n’a retenu que la preuve documentaire appuyant la conclusion selon laquelle il serait victime de discrimination et non de persécution, une erreur qui rend la décision déraisonnable (Prekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1047, aux paragraphes 26 à 31; SRH c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1271, aux paragraphes 39 à 43). Il soutient que, bien que l’agent ne soit pas tenu d’examiner chacun des éléments de preuve, l’omission d’éléments de preuve clés dans une décision rendra celle‑ci déraisonnable (Rathnavel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 564, aux paragraphes 25 et 26; Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181).

 

[24]           Enfin, la conclusion de l’agent d’ERAR est déraisonnable lorsque la preuve documentaire citée contredit en fait les conclusions de l’agent (Touma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 657).

 

[25]           Il est bien établi en droit que les tribunaux administratifs n’ont pas à mentionner chaque élément de preuve dans leur décision. Cela dit, plus la preuve est importante dans la décision, plus une cour de justice sera disposée à inférer que la preuve n’a pas été prise en considération si elle n’a pas été analysée (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 16 et 17).

 

[26]           En l’espèce, le demandeur mentionne différents éléments de preuve soumis à la Commission qui établissent que les coptes sont victimes de persécution en Égypte, et il souligne que ces éléments de preuve, bien qu’ils contredisent la conclusion finale de l’agent, n’ont pas été analysés.

 

[27]           En particulier, le demandeur souligne que la définition du terme « persécution » donnée dans le Guide des Nations Unies ne fait pas partie des extraits mentionnés par l’agent dans sa décision. De façon similaire, l’agent a omis de mentionner certaines parties du rapport de 2011 du département d’État des États‑Unis sur la liberté de religion dans le monde et du rapport de 2012 de la Commission des États‑Unis sur la liberté de religion dans le monde, qui étayent l’allégation du demandeur en décrivant différentes attaques physiques ayant ciblé des coptes en Égypte.

 

[28]           En l’espèce, l’agent a mentionné, de façon générale, l’existence de nombreux éléments de preuve faisant état de cas de persécution de coptes chrétiens.

 

[29]           Bien que l’agent ait examiné des éléments brossant un portrait général des persécutions dont sont victimes les coptes, y compris des exemples d’oppression brutale de la part de l’État, la preuve probante sur ce plan, qui avait une importance fondamentale dans la décision, semble avoir été rejetée ou ignorée (décision Cepeda-Gutierrez, précitée), ce qui est déraisonnable.

 

[30]           Lorsque l’agent d’ERAR se contente de citer de longs extraits, il est possible qu’il n’ait pas mené d’analyse en bonne et due forme ou qu’il n’ait pas tenu compte de renseignements pertinents. Cela semble être le cas en l’espèce pour ce qui concerne l’analyse de la preuve documentaire soumise, ce qui est, encore une fois, déraisonnable.

 

C.  L’agent a‑t‑il commis une erreur en a) tirant une conclusion défavorable du fait qu’il manquait certains éléments de preuve qui, selon lui, auraient dû être soumis, ou en b) rejetant la preuve du demandeur parce qu’elle ne respectait pas les règles techniques de présentation de la preuve, lesquelles ne s’appliquent pas à la prise de décisions administratives?

[31]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a rejeté la preuve testimoniale au motif qu’elle ne correspondait pas à ce qui constituerait selon lui une meilleure preuve hypothétique, et au motif que la preuve n’était pas conforme aux règles de présentation de la preuve (Ahmadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 812, au paragraphe 20; Canada (Procureur général) c Jolly, [1975] CF 216 (CAF)).

 

[32]           Eu égard à la preuve hypothétique, le demandeur soutient que l’agent ne pouvait pas rejeter des éléments de preuve au motif que d’autres éléments eurent été préférables (Mui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020, aux paragraphes 34 à 36). Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur fait à nouveau valoir cet argument, affirmant que l’agent a omis d’analyser sérieusement le témoignage écrit, mettant uniquement l’accent sur ce qui n’avait pas été présenté (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 974, au paragraphe 9).

 

[33]           Je suis d’accord. En outre, l’agent semble avoir une « notion » de la preuve qu’il aurait aimé qu’on lui soumette (preuve directe de tiers témoins), et il a décidé de ne pas tenir compte d’éléments de preuve probants qui lui ont été soumis, par exemple, les conclusions du rapport de la Commission des États‑Unis sur la liberté de religion dans le monde, selon lesquelles l’Égypte est le théâtre de violations systématiques, constantes et flagrantes de la liberté de religion, y compris à l’encontre des coptes chrétiens.

  

[34]            En raison des motifs précités, il est inutile que j’aborde la question relative à la règle technique de présentation de la preuve.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier;

3.                  Comme aucune observation n’a été présentée à cet égard, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad.a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10486-12

 

INTITULÉ :                                      Botros c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Manson

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Chantal Desloges

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Desloges

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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