Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130830

Dossier : IMM-9837-12

Référence : 2013 CF 924

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

 

WENHAN XU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision portant que le demandeur n’a qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 


Contexte

[2]               Monsieur Xu est un citoyen de la Chine. Il déclare avoir commencé à souffrir de maux de tête en janvier 2008. Les soins médicaux reçus ne le soulageaient pas. Un camarade de classe lui a recommandé l’essai du Falun Gong dans le plus grand secret, la pratique en étant illégale. Monsieur Xu a fait un essai et s’est rendu compte que ses migraines avaient diminué. En juillet 2008, M. Xu s’est joint à un groupe qui pratiquait le Falun Gong en secret dans les résidences des membres. Après six mois, sa santé s’était nettement améliorée.

 

[3]               Le 15 juin 2009, M. Xu est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant. À Toronto, il a joint les rangs d’un groupe d’étude pour adeptes du Falun Dafa. Le 30 août 2010, M. Xu a appris de sa mère par téléphone que des agents du Bureau de la sécurité publique [le BSP] étaient venus perquisitionner la maison de la famille, avaient emporté avec eux certains de ses documents et l’avaient accusé de s’adonner illégalement à des activités du Falun Gong. Les agents du BSP auraient dit aux parents de M. Xu que celui‑ci devait revenir en Chine pour qu’il se rende aux autorités. Les agents auraient ajouté qu’ils avaient déjà arrêté trois membres du groupe de M. Xu, y compris l’ami qui lui avait fait connaître le Falun Gong.

 

[4]               Se rendant compte qu’il ne pouvait retourner en Chine, M. Xu a présenté une demande d’asile au Canada. Il a appris depuis qu’on avait infligé à son ami une peine de trois années d’emprisonnement, et une peine de deux années aux deux autres membres du groupe. En mars 2012, des agents du BSP continuaient toujours de s’enquérir de M. Xu à la maison de ses parents.

 

[5]               Monsieur Xu déclare également que sa conjointe de fait, Xiholan Wang, attend leur premier enfant, et qu’il aspire à la liberté d’avoir trois enfants. Il craint d’être persécuté par les autorités de la province du Henan pour avoir eu un enfant hors mariage, et d’être stérilisé.

 

Décision contestée

[6]               La Section de la protection des réfugiés [la Commission] a instruit l’affaire le 7 août 2012, et a rendu une décision défavorable le 28 août 2012. La Commission a passé en revue le récit du demandeur d’asile. Elle a pris en compte les obstacles que celui‑ci devait surmonter pour établir le bien-fondé de sa demande d’asile, notamment les facteurs culturels, le cadre constitué par la salle d’audience et le stress causé par la nécessité de répondre aux questions par l’intermédiaire d’un interprète. La Commission a néanmoins conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité de la narration écrite et du témoignage du demandeur d’asile. Elle a conclu à ce titre que M. Xu n’était pas un témoin crédible quant à son appartenance au Falun Gong, et qu’il n’était pas recherché par le BSP.

 

Questions en litige

[7]               Les questions en litige qui ont été soulevées sont les suivantes :

         La Commission a-t-elle eu tort de tirer des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité et à la vraisemblance?

         La Commission a-t-elle eu tort de conclure que le demandeur ne serait pas exposé à la persécution dans la province du Henan?

 

Norme de contrôle

[8]               Dans Su c Canada (MCI), 2013 CF 518, la juge Gleason a formulé les explications suivantes dans une récente affaire où un autre demandeur chinois avait demandé l’asile en invoquant la pratique du Falun Gong :

7     Avant d’examiner chacune des erreurs que la SPR aurait commises selon les allégations du demandeur, il convient de revoir les principes généraux applicables aux décisions de la Commission en matière de crédibilité. Ces décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable et commandent une grande déférence (voir, par exemple, guebor c (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), [1993] ACF no732, au paragraphe 4, 160 NR 315 [Aguebor]; Frederick c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 649, au paragraphe 14). Comme je l’ai déclaré dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42 [Rahal] :

[I]l faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle.

 

8     Quant aux motifs sur lesquels la Commission peut raisonnablement se fonder pour rendre une décision défavorable relativement à la crédibilité, il est bien établi en droit que les incohérences entre les diverses versions des faits d’un demandeur constituent un fondement solide aux décisions défavorables ayant trait à la crédibilité (voir, par exemple, He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1107, 49 ACWS (3d) 562 (CA); Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1271, 135 NR 300 (CA); Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 11 [Jin]; Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 911, au paragraphe 59). Par ailleurs, l’incapacité de se rappeler certains détails – en particulier dans des circonstances où le demandeur aurait dû s’en souvenir – donne à un tribunal un motif raisonnable de rejeter le témoignage (voir, par exemple, Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 417, aux paragraphes 31 à 33; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 998, au paragraphe 18; Pjetri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 376, au paragraphe 43). La SPR est aussi en droit de se fonder sur l’invraisemblance d’une version du demandeur pour rendre une décision défavorable quant à sa crédibilité, à condition que les invraisemblances soient réelles et non illusoires (voir, par exemple, Aguebor (précité); Alizadeh c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] FCJ n11, 38 ACWS (3d) 361 (CA); Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CA)). Enfin, le comportement du témoin, ou sa manière de témoigner, peut suffire à étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais il est préférable qu’elle repose sur des faits additionnels (voir, par exemple, Rahal, aux paragraphes 42 et 45).

 

[9]               La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité pour les deux questions en litige dans la présente affaire : la conclusion contestée quant à la crédibilité et à la vraisemblance, et la conclusion de fait contestée.

 

Analyse

[10]           Le demandeur soutient que la Commission s’est livrée à une analyse microscopique qui ne cadre pas avec la jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle il convient d’évaluer la sincérité de la croyance du demandeur et non l’étendue de ses connaissances (Huang c Canada (MCI), 2012 CF 1002, aux paragraphes 12 et 15). À son avis, la Commission a mal interprété la preuve relative aux mandats et aux assignations du BSP; se fondant sur un document désuet datant de 2004, elle a conclu qu’on aurait dû remettre une assignation à la famille, alors qu’en fait la bonne procédure policière consistait à ne la remettre à personne d’autre que l’intéressé. Un document plus récent, de 2010, mentionnait que les agents du BSP laissaient rarement un mandat d’arrestation entre les mains de tiers. Le demandeur soutient que la Commission a aussi mal interprété la preuve relative aux répercussions, sur les familles, de l’appartenance d’un de leurs membres au Falun Gong; bien que le document cité décrivît une vaste gamme de mesures de harcèlement, on n’y laissait pas entendre que toutes ces mesures étaient appliquées dans chaque cas.

 

[11]           Après avoir lu la transcription relativement longue de l’audience, je ne suis pas d’accord pour dire que la Commission s’est livrée à une analyse « microscopique » en l’espèce. Le demandeur a contesté certains éléments des deux conclusions générales de non-crédibilité, soit celle qui concerne son appartenance au Falun Gong et celle qui concerne le fait qu’il serait victime de persécution de la part du BSP. L’ensemble du dossier permet de conclure que la SPR s’est prononcée de manière raisonnable sur la crédibilité du récit des événements fourni par le demandeur. Voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 12 à 15. 

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission s’est livrée en l’espèce à une analyse trop rigoureuse et microscopique de ses connaissances sur le Falun Gong. La Commission a ainsi relevé à titre d'exemple que le demandeur n’avait pu répondre aux questions posées sur l’importance du 13 mai, en tant que Journée de Falun Dafa, et sur l’enseignement exact du Zhuan Falun qui traitait de la guérison. Le demandeur doute de l’inexactitude de ses réponses mais, plus important encore, il fait valoir que le critère retenu était trop rigoureux, étant donné que la sincérité de ses croyances était le point essentiel à trancher.

 

[13]           Ces questions posées étaient liées à des éléments de preuve précis figurant dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur, et au problème de santé qui lui avait fait joindre les rangs du Falun Gong. Or, mises en contexte, les deux questions en cause comptaient parmi de nombreuses autres posées au demandeur sur le sujet. Il importe de souligner que le demandeur n’a pu nommer les quatre obligations dont tout adepte du Falun Gong doit s’acquitter quotidiennement. Je conclus en la valeur probante importante de cet élément pour établir, au vu des pratiques quotidiennes, la sincérité des croyances du demandeur. Compte tenu du reste de la preuve, notamment les importants problèmes de crédibilité concernant d’autres questions, j’estime ce point suffisant pour étayer la conclusion tirée par la Commission quant à l’engagement du demandeur envers la pratique du Falun Gong.

 

[14]           De même, je conclus qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’était pas la cible de persécution du BSP, dans la foulée de sa conclusion selon laquelle on aurait dû remettre un mandat d’arrestation ou une assignation à la famille du demandeur. Pour contester le bien-fondé de cette conclusion, le demandeur invoque des décisions où l’on a souligné qu’il serait dangereux pour la Commission de tirer « des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’hypothèses quant aux réactions probables des autorités chinoises, ou d’une présomption d’uniformité des pratiques en matière d’application de la loi » (Weng c Canada (MCI), (25 octobre 2012), Ottawa IMM-1536-12 (CF), au paragraphe 6; Zhou c Canada (MCI), 2012 CF 1252, aux paragraphes 12 à 19).

 

[15]           Là encore, il convient d’analyser cette conclusion en tenant compte de l’ensemble du dossier, qui compte de nombreux éléments permettant de conclure que la prétention du demandeur de persécution aux mains du BSP n’était pas crédible. Pour débuter, la question en cause est en lien avec le peu de crédibilité du demandeur lorsqu’il prétend être venu au Canada pour y faire des études. Le demandeur n’a produit aucun document étayant son témoignage selon lequel il a étudié au Collège Algonquin ainsi qu’à d’autres écoles de langues au Canada. Les explications données par le demandeur quant à l’absence de document à l’appui sont elles‑mêmes peu crédibles (il a perdu les documents, il n’est pas actuellement en mesure de les obtenir du collège, il a bien eu des documents mais il n’en connaissait pas la teneur en raison de sa mauvaise connaissance de l’anglais et il ne les avait plus maintenant sous la main), et ce, bien que la Commission ait offert de lui donner le temps requis pour produire tout document pouvant attester ses études effectuées dans un quelconque établissement d’enseignement au Canada.

 

[16]           Le récit par le demandeur d’actes de persécution qui figure dans la transcription manque de vraisemblance à bien des égards. Les problèmes auraient débuté au moment où des renseignements sur le Falun Gong ont été transmis à ses parents par télécopieur, afin qu’ils les communiquent à son ami résidant en Chine. Le BSP aurait appris l’appartenance du demandeur au Falun Gong de la manière suivante, tel qu’il l’a relatée à l’audience :

[traduction]

Par coïncidence, les policiers étaient venus voir mes parents à la maison lorsque j’ai envoyé […] j’ai seulement faxé deux documents, sur le Falun Gong, et ils se trouvaient toujours sur le télécopieur lorsque les policiers les y ont découverts. Les policiers ont aussi informé mes parents à cette occasion de l’arrestation de Lin Yuan, avec qui j’avais pratiqué le Falun Gong.

 

 

[17]           De même, des éléments au dossier étayent la conclusion de non-fiabilité de la preuve, examinée en regard de la question des assignations, quant au sort malheureux qui aurait été réservé aux parents du demandeur – ils auraient perdu leur emploi – en raison de l’appartenance de leur fils au Falun Gong. Le demandeur a seulement fait allusion à ce sort lorsqu’on lui a demandé pourquoi les autorités avaient bien pu se rendre sept ou huit fois à la résidence de ses parents. La Commission s’attendait à ce que « de tels renseignements convaincants et importants aient été inclus dans les modifications [au FRP] et, par conséquent, [elle a tiré] une conclusion défavorable de cette omission ». La Commission a en outre fait les remarques suivantes : « Le fait que des agents du PSB [le BSP] se soient présentés sept ou huit fois au domicile familial indique que le PSB avait plus qu’un simple intérêt à l’égard du demandeur d’asile. L’absence d’une sommation, alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre au contraire, mine la crédibilité du demandeur d’asile. » 

 

[18]           La conclusion de la Commission quant à la vraisemblance de la délivrance d’une assignation est confortée lorsqu’elle est mise en contexte. Quoi qu’il en soit, à l’exception de cette question, des éléments de preuve permettaient raisonnablement au tribunal de douter de la crédibilité du demandeur lorsqu’il a affirmé faire l’objet de persécution de la part du BSP.

 

Conclusion

[19]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le demandeur n’a pu établir le caractère déraisonnable de la décision de la Commission, tant à l’égard des conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité relativement à l’authenticité de ses croyances religieuses qu’à l’égard de la persécution aux mains des autorités chinoises. Sa demande doit donc être rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9837-12

 

INTITULÉ :                                      WENHAN XU c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.