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Date : 20130802

Dossier : IMM-12724-12

Référence : 2013 CF 846

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ADRIANA PATRICIA GUTIERREZ INFANTE

FABIO ENRIQUE NIETO CARDENAS

JUAN CAMILO NIETO GUTIERREZ

PAULA VANESSA NIETO GUTIERREZ SANTIAGO NIETO GUTIERREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’ÉDUCATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               Mme Adriana Patricia Gutierrez Infante, accompagnée de son époux et de ses trois enfants, a demandé l’asile au Canada après avoir reçu des menaces des Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Des membres des FARC lui avaient demandé d’obtenir des renseignements au sujet d’étudiants fréquentant une école privée catholique de Bogota dont elle était administratrice. Les membres des FARC lui avaient expliqué qu’ils étaient à la recherche de renseignements concernant des familles riches, probablement à des fins d’extorsion. Ils avaient menacé Mme Gutierrez Infante de causer du tort à sa famille si elle ne se conformait pas à leur demande.

 

[2]        Mme Gutierrez Infante s’était adressée aux policiers, qui lui avaient dit qu’ils patrouilleraient davantage dans le quartier, mais qu’ils ne pouvaient pas lui offrir une protection personnelle. Les membres des FARC ont découvert que Mme Gutierrez Infante était allée au poste de police et ils l’avaient menacé de causer du tort à sa famille si elle s’adressait à nouveau aux policiers.

 

[3]        Mme Gutierrez Infante ne s’était pas conformée aux demandes des FARC; on lui proféra alors d’autres menaces. La famille avait décidé de s’enfuir aux États-Unis. C’est de là qu’ils étaient arrivés au Canada en 2011.

 

[4]        Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, et ce, même s’il croyait à son récit des incidents, au motif qu’elle n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour obtenir la protection de l’État en Colombie avant de demander l’asile au Canada. La Commission a conclu que les autorités étatiques avaient amélioré leur capacité de contenir les activités des FARC et que, par conséquent, Mme Gutierrez Infante aurait dû communiquer avec la police à plus qu’une occasion.

 

[5]        Mme Gutierrez Infante prétend que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État était déraisonnable, parce qu’elle avait omis de tenir compte de la menace des FARC de lui causer du tort si elle devait s’adresser une fois de plus à la police. De plus, la Commission a mis l’accent sur les efforts déployés par les autorités étatiques en vue de contenir les activités criminelles des FARC, plutôt que d’examiner leur réelle capacité à protéger une personne dans la situation de Mme Gutierrez Infante. Elle me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de réexaminer sa demande d’asile.

 

[6]        Je conviens que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État était déraisonnable. La Commission n’a pas expliqué pourquoi la justification donnée par Mme Gutierrez Infante à savoir pourquoi elle n’avait pas communiqué une fois de plus avec la police devait être écartée. De plus, la Commission n’a pas tenu compte de la question de savoir si les efforts déployés par la Colombie pour combattre les FARC feraient effectivement en sorte qu’une personne dans la situation de Mme Gutierrez Infante pourrait recevoir de la protection. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.        L’analyse faite par la Commission quant à la protection de l’État

 

[7]        La Commission a accepté l’essentiel de la demande d’asile de Mme Gutierrez Infante et elle a déclaré que la question déterminante était la protection de l’État. Elle a relevé que la demanderesse avait communiqué une seule fois avec la police. La police lui avait dit que les policiers feraient une surveillance accrue, mais qu’ils ne pouvaient pas en faire davantage en raison du nombre de gens qui étaient menacés par les FARC. Les membres des FARC savaient qu’elle s’était adressée à la police, ils lui ont dit qu’elles en auraient connaissance si elle devait le faire à nouveau et l’avaient menacé de causer du tort à sa famille et à elle si elle décidait de ce faire.

 

[8]        La Commission a qualifié de « minimaux » les efforts déployés par Mme Gutierrez Infante pour se réclamer de la protection de l’État. Elle n’avait pas demandé de renseignements à propos de la question de savoir si la police avait communiqué l’école où elle travaillait, elle avait continué à se rendre au travail à pied, elle n’avait pas utilisé son téléphone cellulaire pour demander de l’aide lorsqu’un homme armé l’avait approchée, elle n’avait pas communiqué avec la police à Pacho lorsqu’elle y avait reçu des menaces et elle n’avait pas tenté d’obtenir de l’aide de quelques autres organismes.

 

[9]        De plus, bien que les membres des FARC aient dit à Mme Gutierrez Infante qu’ils viendraient qu’à le savoir si elle devait se présenter à nouveau au poste de police, la demanderesse ne pouvait pas expliquer comment les membres des FARC le découvriraient. La preuve documentaire démontre que les capacités des FARC en matière de communication sont limitées. De plus, les FARC n’avaient mis à exécution aucune de leurs menaces et elles n’avaient pas causé du tort aux membres de la famille étendue de Mme Gutierrez Infante depuis son départ de la Colombie. Par conséquent, la Commission a conclu que son explication à savoir pourquoi elle n’avait pas fait d’autres plaintes à la police n’était pas convaincante.

 

[10]      La Commission s’est ensuite tournée vers la preuve documentaire, qui démontrait la présence de grandes améliorations en Colombie au cours des dernières années. Le nombre de membres des FARC ainsi que la capacité de cette organisation avaient diminué. Cependant, l’organisation toujours entre 8 000 et 10 000 membres et elle effectue des opérations à petite échelle. La Commission a relevé que la Colombie a déployé « des efforts considérables […] pour régler les problèmes avec les FARC ».

 

[11]      Compte tenu de cette preuve, la Commission a conclu que Mme Gutierrez Infante n’a pas déployé des efforts adéquats pour obtenir de la protection.

 

III.       La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État est-elle déraisonnable?

 

[12]      À mon avis, compte tenu de la preuve dont la Commission disposait, sa conclusion était déraisonnable.

 

[13]      Lorsque des questions relatives à la protection de l’État sont soulevées, la véritable question est de savoir si le demandeur d’asile répond à la définition de réfugié. Un réfugié est une personne qui a une crainte fondée d’être persécutée dans son pays d’origine et qui ne peut y obtenir de la protection, que ce soit parce que l’appareil étatique n’est pas adéquat, que les autorités ne collaborent pas ou que la personne craint d’être victime de représailles en raison du fait qu’elle a demandé l’asile. La question fondamentale à laquelle il faut répondre, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à la capacité de l’État à protéger le demandeur d’asile et les conséquences auxquelles le demandeur d’asile s’expose en raison du fait qu’il a demandé l’asile, et celle de savoir si le demandeur d’asile a démontré qu’il est vraisemblablement exposé à une probabilité raisonnable qu’il soit persécuté dans son pays d’origine. Si tel est le cas, le demandeur d’asile répond à la définition de réfugié (Muvangua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 542, au paragraphe 7).

 

[14]      En l’espèce, la Commission a accepté que les membres des FARC menaçaient de causer du tort à Mme Gutierrez Infante ainsi qu’à sa famille si elle les dénonçait à la police une deuxième fois. Cependant, la Commission a conclu que cela n’était pas un bon motif pour ne pas s’adresser à la police à nouveau, parce qu’il n’était pas évident de savoir comment les FARC découvriraient qu’elle l’avait fait et que les FARC n’avaient pas encore causé de tort à qui que ce soit dans sa famille.

 

[15]      Le fait que Mme Gutierrez Infante ne pouvait expliquer comment les FARC pourraient découvrir qu’elle s’était adressée à la police n’aurait pas dû faire en sorte que la Commission écarte sa crainte d’être victime de représailles. Les FARC avaient déjà connaissance de sa première plainte; il n’y avait pas de raison de douter que l’organisation aurait eu connaissance d’une plainte subséquente, même si ses capacités en matière de communication avaient généralement été réduites.

 

[16]      Dans la même veine, le fait que les FARC n’avaient pas encore causé du tort à qui que ce soit dans la famille de Mme Gutierrez Infante n’est pas incompatible avec le fait qu’elle craignait les conséquences de s’adresser à la police à nouveau. Le fait qu’elle n’était pas disposée à présenter une autre plainte avait bien pu mettre sa famille et elle à l’abri d’un préjudice.

 

[17]      En dernier lieu, la Commission a examiné la preuve documentaire et elle a raisonnablement conclu que la situation en Colombie va en s’améliorant. Cependant, elle ne s’était pas penchée sur la question de savoir si ces améliorations auraient pour effet d’aider une personne dans la situation de Mme Gutierrez Infante. Le fait que les capacités des FARC ont été globalement réduites ne signifie pas nécessairement que Mme Gutierrez Infante, une personne spécifiquement prise pour cible par les membres des FARC, n’était pas exposée au risque de subir un préjudice grave.

 

[18]      Une fois de plus, la question à laquelle il fallait répondre était celle de savoir si la demanderesse serait vraisemblablement exposée à une possibilité raisonnable d’être persécutée si elle retournait en Colombie. La Commission n’a pas répondu à cette question. Compte tenu de la preuve, sa conclusion quant à la question de la protection de l’État était déraisonnable.

 

IV.       Conclusion et décision

 

[19]      La justification de la Commission pour mettre en doute l’explication donnée par Mme Gutierrez Infante quant à savoir pourquoi elle n’avait pas sollicité la protection de l’État ne tenait pas compte du fait que les personnes qui lui avaient proféré des menaces savaient déjà qu’elle s’était adressée à la police et qu’elles lui avaient promis de causer du tort à sa famille et à elle si elle devait le faire une fois de plus. De plus, la preuve documentaire ne démontrait pas qu’une personne dans la situation de Mme Gutierrez Infante – soit, quelqu’un que les FARC avaient spécifiquement pris pour cible – pourrait se prévaloir de la protection de l’État.

 

[20]      Par conséquent, je conclus que la conclusion de la Commission n’appartenait pas aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit et je dois par conséquent accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n’a proposé de question de portée générale pour que je la certifie, et aucune question n’est énoncée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

            2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen;

            3.         Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-12724-12

 

INTITULÉ :                                      ADRIANA PATRICIA GUTIERREZ INFANTE et AL

                                                            c

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 2 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean Munn

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Audain

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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