Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20130610

Dossier : T‑1851‑08

Référence : 2013 CF 622

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2013

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

 

ENTRE :

 

ALI TAHMOURPOUR

 

 

 

plaignant

 

Et

 

 

 

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

la Commission

 

 

et

 

 

 

 

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

 

 

intimée

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Contexte

[1]               La partie à l’origine de la présente requête, Ali Tahmourpour, est un citoyen canadien d’origine iranienne et de religion musulmane. En 1999, alors cadet à l’École de la GRC, il fut l’objet d’une discrimination systémique. Son contrat de formation a été résilié en octobre 1999, et on lui a par la suite refusé une réadmission. Il a déposé contre la GRC une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle il allègue une infraction aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après une longue enquête suivie d’une audience, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a conclu en avril 2008 que M. Tahmourpour avait effectivement été victime de discrimination systémique, en contravention à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que c’est en partie à cause de cette discrimination qu’on avait résilié son contrat et qu’on lui avait refusé une réadmission.

 

[2]               Le Tribunal a ordonné plusieurs mesures pour mettre fin à la discrimination, prévenir toute discrimination future et indemniser M. Tahmourpour de la discrimination dont il avait été victime. Parmi les mesures ordonnées par le Tribunal, il y avait les suivantes :

 

(i)         Sauf entente contraire, l’intimée offrira à M. Tahmourpour la chance de s’inscrire au prochain Programme d’instruction des cadets de la GRC au Dépôt;

 

(ii)        Si M. Tahmourpour accepte l’offre de réadmission, l’intimée évaluera équitablement ses habiletés dès le début du programme de formation dans le but de déterminer les domaines dans lesquels il a besoin de formation;

 

 

[3]               Dès le départ, les parties ont été en désaccord sur la question de savoir si la GRC pouvait soumettre la réadmission de M. Tahmourpour à des exigences ou conditions. La GRC a tenu à préciser qu’une offre de réadmission au programme de formation de la GRC ne pouvait être faite qu’après que M. Tahmourpour aurait rempli les nombreux formulaires et subi les évaluations et examens requis pour le processus de recrutement; M. Tahmourpour, quant à lui, affirmait qu’il devrait être considéré comme une recrue déjà admissible et que la GRC devait lui présenter, sans autre préalable, une offre de réadmission prenant la forme d’un contrat de formation. Entre‑temps, la GRC avait demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Alors que les tractations s’éternisaient, la Cour fédérale fit droit, le 6 octobre 2009, à la demande de contrôle judiciaire déposée par la GRC et annula la décision du Tribunal. Le litige entre les parties concernant l’exécution de l’ordonnance du Tribunal prit fin. Monsieur Tahmourpour a eu gain de cause lorsqu’il a interjeté appel de l’ordonnance de la Cour fédérale d’octobre 2009 et, en juillet 2010, la Cour d’appel fédérale a rétabli la décision du Tribunal. Les parties ont repris leurs discussions sur l’exécution de l’ordonnance du Tribunal, pour buter à nouveau sur le même désaccord.

 

[4]               Monsieur Tahmourpour a déposé en mai 2011 une première requête visant à faire comparaître devant la Cour le commissaire de la GRC de l’époque, M. William Elliott, afin qu’il expose les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour violation de l’ordonnance du Tribunal. Sur les instances de la Cour durant l’instruction de la requête, les parties ont entrepris une nouvelle série de pourparlers, pour finalement parvenir durant l’été et l’automne de 2011 à une entente sur les points relatifs à la requête en condamnation pour outrage. Monsieur Tahmourpour s’est désisté de sa requête en janvier 2012.

 

[5]               Les parties ont eu un autre désaccord lors de l’exécution de l’entente conclue, poussant M. Tahmourpour à déposer la présente requête. Il voudrait maintenant que soit prononcée une ordonnance contraignant M. Bob Paulson, commissaire de la GRC, et Mme Monique Beauchamp, inspectrice, à comparaître devant la Cour afin d’exposer les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour non‑respect de l’ordonnance du Tribunal.

 

Cadre méthodologique

[6]               L’ordonnance que M. Tahmourpour voudrait faire exécuter est l’ordonnance du Tribunal, laquelle est devenue une ordonnance de la Cour conformément à l’article 57 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’article 57 prévoit que les ordonnances du Tribunal peuvent, aux fins de leur exécution, être assimilées aux ordonnances rendues par la Cour fédérale dès que la Commission dépose au greffe de la Cour une copie certifiée conforme de l’ordonnance.

 

[7]               L’ordonnance du Tribunal, citée plus haut, s’adresse à la GRC et non à une personne physique. Au reste, seule la GRC est désignée comme intimée dans l’ordonnance du Tribunal et dans la procédure d’enregistrement engagée devant la Cour. Par sa requête, M. Tahmourpour voudrait que soit prononcée une ordonnance contre le commissaire Paulson et l’inspectrice Beauchamp, et non contre la GRC ou l’État, au motif qu’il revenait en dernière analyse au commissaire et à l’inspectrice de donner effet aux modalités de l’ordonnance.

 

[8]               Les intimées ont fait valoir que le demandeur n’a pas établi une preuve prima facie tendant à démontrer qu’il y a eu violation de l’ordonnance du Tribunal, qu’elles se sont d’ailleurs conformées à ladite ordonnance, et que les modalités de l’ordonnance sont de toute façon ambiguës et donc inexécutables.

 

[9]               Les intimées font également valoir, à titre de question de droit préliminaire, que la procédure d’outrage n’est pas un recours qui peut être intenté contre l’État et que l’État ne peut indirectement être condamné pour outrage par l’entremise de ses préposés. J’examinerai d’abord ce premier argument.

 

Responsabilité de l’État ou de ses préposés en matière d’outrage

[10]           Monsieur Tahmourpour ne conteste pas que la GRC n’a pas d’existence autonome et qu’elle est en fait un prolongement de L’État. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi sur la GRC), ne fait pas de la GRC une personne morale, un organe ou un organisme distinct de l’État. L’article 3 de la Loi sur la GRC prévoit simplement que la GRC est « composée d’officiers et autres membres ».

 

[11]           Monsieur Tahmourpour ne conteste pas non plus que la procédure d’outrage n’est pas et n’a jamais été un recours qui peut être intenté contre l’État. L’origine de ce principe peut être constatée dans l’ouvrage de Peter Hogg, Liability of the Crown, 4e édition, (Toronto, Carswell, 2011), à la page 82 :

 

[TRADUCTION]

La procédure d’outrage n’a jamais été un recours qui peut être intenté contre l’État lui ‑même. En fait, à l’origine, la désobéissance à une ordonnance judiciaire était punissable au motif qu’elle constituait une atteinte à l’autorité du roi (ou de la reine). Il était donc impossible pour le roi (ou pour la reine) d’être condamné pour outrage. Il était également impensable que les cours de justice puissent incarcérer ou mettre à l’amende le roi (ou la reine).

 

 

[12]           L’article 29 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50 (la LRCECA), interdit également toute procédure d’exécution à l’encontre de l’État :

 Les jugements rendus contre l’État ne sont pas susceptibles d’exécution forcée.

 

 No execution shall issue on a judgment against the Crown.

 

[13]           Puisque l’État ne peut être reconnu coupable d’outrage pour une violation de l’ordonnance du Tribunal qu’il aurait commise, ses préposés, en l’occurrence le commissaire de la GRC et/ou l’inspectrice Beauchamp, pourraient‑ils être reconnus coupables d’outrage selon les mêmes principes que ceux qui s’appliquent aux dirigeants de sociétés? Monsieur Tahmourpour affirme que oui.

 

[14]           Au soutien de cet argument, M. Tahmourpour se réfère à la jurisprudence selon laquelle, lorsqu’une personne morale est reconnue coupable d’outrage pour violation d’une ordonnance judiciaire, les dirigeants compétents de la personne morale qui ont été complices de l’inobservation peuvent également être reconnus coupables d’outrage au tribunal (Manufacturers Life Insurance Co. c Guaranteed Estate Bond Corp., 2000 ACF no 172, au paragraphe 15, et Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2002 CFPI 656, au paragraphe 14).

 

[15]           Ces précédents ne permettent pas d’affirmer que les dirigeants d’une société qui exercent des responsabilités au nom de celle‑ci peuvent, en leur seule qualité de dirigeants, être reconnus coupables d’outrage pour la violation commise par la société. Les procédures d’outrage au tribunal sont en réalité des procédures qui ont une dimension criminelle, et la notion de responsabilité du fait d’autrui est inconnue en droit criminel : arrêt Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 RCS 217, au paragraphe 25. Dans la décision Telus Mobilité, la Cour fédérale précise en outre que la personne accusée d’outrage doit personnellement avoir agi d’une manière qui a conduit à la violation, ou avoir omis d’agir comme elle y était tenue (paragraphes 16 et 33).

 

Le commissaire Paulson

[16]           Les allégations dirigées contre le commissaire Paulson dans la présente affaire reposent simplement sur sa qualité de commissaire de la GRC, sur l’article 5 de la Loi sur la GRC, qui lui confère « pleine autorité sur la Gendarmerie », et sur l’admission de l’intimée selon laquelle le commissaire avait connaissance de l’ordonnance du Tribunal dès septembre 2012. Hormis ces éléments, il n’est ni prouvé ni allégué que le commissaire Paulson lui‑même devait s’occuper de la gestion courante de l’admission des cadets au programme de formation, ou de l’exécution de l’ordonnance du Tribunal. On ne saurait dire non plus que les modalités de l’ordonnance du Tribunal obligeaient le commissaire, implicitement ou non, à veiller personnellement à l’exécution de la partie pertinente de l’ordonnance, que le commissaire était la seule personne habilitée à ordonner son exécution, ou que, en sa qualité de commissaire, il avait l’obligation légale de donner effet à l’ordonnance du Tribunal.

 

[17]           Il est clair que la requête de M. Tahmourpour, pour ce qui concerne le commissaire Paulson, vise à faire reposer sur celui‑ci, en raison de sa seule qualité de commissaire, la responsabilité de l’outrage qu’aurait commis la GRC.

 

[18]           Dans ces conditions, une ordonnance de justification rendue contre le commissaire ne pourrait être fondée que sur la responsabilité du fait d’autrui. Non seulement cela irait‑il à l’encontre des principes généraux applicables à la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés en matière d’outrage, mais une partie serait en outre à même de faire condamner indirectement l’État pour outrage alors qu’elle ne peut manifestement le faire directement.

 

[19]           Monsieur Tahmourpour a tenté d’étayer sa thèse en invoquant la décision Ayangma c Canada, 2002 CFPI 79, ainsi que l’analyse qui apparaît aux pages 84 à 86 de l’ouvrage du professeur Hogg, Liability of the Crown, précité.

 

[20]           Dans la décision Ayangma, la Cour fédérale avait refusé de prononcer une ordonnance de justification à l’encontre de trois fonctionnaires, en raison de l’existence d’« autres problèmes d’ordre procédural » qu’elle résumait ainsi (paragraphe 18) :

 

18 (3) Les personnes désignées dans l’avis de requête ne peuvent faire l’objet d’une ordonnance de justification que lorsqu’il est établi qu’elles ont reçu signification en personne de l’avis de requête et qu’il y a une preuve prima facie qu’elles sont au courant de l’ordonnance de la Cour qu’elles auraient violée et que la preuve indique qu’elles ont violé personnellement l’ordonnance. À mon avis, ces questions ne sont pas établies par la preuve produite au soutien de la requête visant à obtenir des ordonnances de justification.

 

 

[21]           Monsieur Tahmourpour semble vouloir en déduire, a contrario, qu’un préposé de l’État pourra subsidiairement être reconnu coupable d’outrage si l’État néglige de se conformer à une ordonnance d’exécution intégrale, alors même que le préposé n’est pas désigné dans l’ordonnance, pour autant qu’il soit personnellement identifié dans la requête, que la requête lui ait été signifiée et qu’il soit prouvé qu’il avait connaissance de l’ordonnance qui n’aurait pas été respectée. Ce précédent n’est d’aucune assistance à M. Tahmourpour. J’observe que, dans ses motifs, si brefs soient‑ils, la Cour rappelle qu’une procédure d’outrage à l’encontre de personnes physiques requiert la preuve qu’« elles ont violé personnellement l’ordonnance », niant par là‑même l’idée selon laquelle un préposé de l’État puisse être reconnu coupable d’outrage de par sa seule qualité de préposé de l’État. Dans la décision Ayangma, la Cour ne s’étend pas sur les circonstances dans lesquelles un préposé de l’État pourrait être réputé avoir personnellement violé une ordonnance qui n’est pas directement, ou à tout le moins implicitement, dirigée contre lui.

 

[22]           Pour ce qui concerne l’analyse figurant dans l’ouvrage du professeur Hogg, il est clair que les auteurs y préconisent simplement qu’une procédure d’outrage devrait pouvoir être intentée contre l’État, tout en reconnaissant que l’état actuel du droit au Canada va dans le sens contraire.

 

[23]           Je suis donc d’avis que le commissaire Paulson ne saurait être reconnu coupable d’outrage au vu du dossier que j’ai devant moi.

 

L’inspectrice Beauchamp

[24]           L’argument de M. Tahmourpour à l’encontre de l’inspectrice Beauchamp repose sur ce qui suit : elle est l’officier de la GRC responsable de la Section centrale du recrutement, la GRC l’a désignée comme personne chargée d’assister M. Tahmourpour dans le processus de réadmission à partir du 13 mars 2012, et c’est elle qui l’avait informé, en septembre 2012, que les résultats de son évaluation médicale empêchaient la GRC d’envisager sa réadmission. Bien que la preuve démontre, et l’inspectrice Beauchamp elle‑même le reconnaît, qu’elle a participé activement au processus de réadmission, rien dans la preuve n’indique de quelle manière l’inspectrice Beauchamp pourrait, de son propre fait, avoir personnellement contrevenu à l’ordonnance du Tribunal. La preuve n’indique pas en quoi les actions de l’inspectrice Beauchamp ont pu empêcher le respect de l’ordonnance, et ne précise pas le pouvoir qu’elle a exercé pour empêcher ce respect ni, à l’inverse, le pouvoir dont elle était investie et qu’elle pouvait, ou aurait dû, exercer pour assurer le respect de l’ordonnance du Tribunal, mais n’a pas exercé.

 

[25]           Par opposition à l’argument avancé par M. Tahmourpour contre le commissaire Paulson, argument qui fait état d’un pouvoir théorique, mais sans véritable intervention de sa part, celui avancé contre l’inspectrice Beauchamp atteste simplement un rôle personnel dans les événements entourant la prétendue violation, mais sans aucun pouvoir concomitant d’influer sur l’issue du processus d’exécution de l’ordonnance.

 

[26]           Monsieur Tahmourpour n’a donc pas fait valoir de moyens susceptibles de conduire à la condamnation personnelle de l’inspectrice Beauchamp pour outrage.

 

[27]           On pourrait être tenté de croire que l’analyse ci‑dessus rend pratiquement impossible la condamnation de préposés de l’État pour outrage, assurant ainsi l’impunité à l’État lorsqu’il contrevient à une ordonnance judiciaire et laissant les citoyens dans l’incapacité totale d’obtenir de l’État qu’il s’exécute. Il faut se rappeler cependant que, dans l’état actuel du droit canadien, les procédures d’exécution forcée, qu’il s’agisse de procédures d’outrage ou autres, ne sont tout simplement pas recevables contre l’État (voir l’article 29 de la LRCECA, précitée). Il n’y a, s’agissant des personnes qui occupent un emploi ou un poste au sein de la fonction publique ou de l’administration, aucune raison d’assouplir les règles de la responsabilité criminelle pour simplement créer un recours dont le législateur ne voulait pas.

 

Violation de l’ordonnance du Tribunal

[28]           Par souci d’exhaustivité, et si j’ai commis une erreur quant aux circonstances dans lesquelles un préposé de l’État peut être l’objet d’une procédure d’outrage, je n’ai pas non plus été convaincue que M. Tahmourpour a établi une preuve prima facie démontrant que l’État n’a pas respecté les alinéas (i) et (ii) de l’ordonnance du Tribunal une fois abandonnée la première requête de M. Tahmourpour en vue d’obtenir une ordonnance pour outrage. Dans la mesure où il est allégué que l’État avait enfreint l’ordonnance du Tribunal avant janvier 2012, un point sur lequel je ne me prononce pas, M. Tahmourpour avait confirmé, par lettre de son avocat adressée à l’avocat de l’intimée en date du 19 décembre 2011, et par lettre adressée à la Cour ainsi que par l’avis de désistement en date du 31 janvier 2012, que l’affaire était officiellement résolue à sa satisfaction. La Cour admet certes que M. Tahmourpour peut se référer aux événements antérieurs à la résolution de l’affaire pour prouver un état d’esprit qui s’est poursuivi après ladite résolution, mais la résolution a pour effet d’empêcher M. Tahmourpour d’intenter une procédure d’outrage pour toute violation antérieure à la résolution. Quoi qu’il en soit, le dossier ne dit pas si le commissaire Paulson ou l’inspectrice Beauchamp occupaient d’ailleurs leurs postes actuels à l’époque.

 

L’alinéa (i) de l’ordonnance du Tribunal

[29]           L’alinéa (i) de l’ordonnance du Tribunal dispose ainsi :

Sauf entente contraire, l’intimée offrira à M. Tahmourpour la chance de s’inscrire au prochain Programme d’instruction des cadets de la GRC au Dépôt.

 

[30]           Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, les parties avaient été en désaccord sur l’exécution de ce même alinéa, plus particulièrement sur la question de savoir si la GRC pouvait subordonner la réadmission de M. Tahmourpour à certaines des conditions et exigences généralement applicables aux nouvelles recrues. Cette divergence de vues avait été explicitement évoquée dans la première requête déposée par M. Tahmourpour en vue d’obtenir une ordonnance pour outrage.

 

[31]           À la suite de pourparlers, les parties sont parvenues à une entente à propos des formulaires et accords auxquels M. Tahmourpour allait devoir se soumettre. Dans une lettre datée du 17 octobre 2011, l’avocat de M. Tahmourpour écrivait à celui de la GRC que M. Tahmourpour [TRADUCTION] « est maintenant convaincu que l’offre et les modalités proposées de réadmission sont conformes à l’ordonnance du Tribunal », et il demandait que soit finalisé et transmis le projet approuvé de lettre d’offre, auquel seraient joints un contrat de formation et les formulaires convenus. La lettre d’offre officielle, datée du 15 novembre 2011, à laquelle étaient annexés un contrat de formation dûment signé et des formulaires, ont été par la suite envoyés à M. Tahmourpour, et signés par lui.

 

[32]           Voici un extrait de la lettre :

[TRADUCTION]

Conformément à la décision de Karen Jensen, du Tribunal canadien des droits de la personne, en date du 16 avril 2008, nous avons le plaisir de vous communiquer notre offre en vue de votre réadmission au programme de formation des cadets, au Dépôt. J’ai joint à cette fin un contrat signé de formation des cadets (CFC).

 

Nous vous prions de signer et de nous faire parvenir l’AFC dès que possible pour donner effet à votre réadmission. Cependant, vous ne commencerez pas votre formation de la GRC à la Division Dépôt, à Regina (Saskatchewan) tant que nous n’aurons pas reçu une copie signée de cette lettre reconnaissant le contrat, et tant que vous n’aurez pas rempli toutes les conditions suivantes à notre satisfaction dans les délais indiqués dans le dossier de réadmission. Plus précisément, vous devrez avoir à la fois le certificat de santé et l’habilitation de sécurité, ce qui suppose que vous devrez réussir le TAPE. Les formulaires qui devront être remplis au début du processus sont donc énumérés et inclus. D’autres formulaires pourraient toutefois devoir être remplis à mesure que seront traitées les autorisations; par exemple, pour le certificat de santé, il y aura des formulaires que les médecins procédant à l’évaluation seront priés de remplir.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[33]           Cette lettre d’offre est exactement en la forme qu’a approuvée l’avocat de M. Tahmourpour au nom de celui‑ci et dont M. Tahmourpour a confirmé qu’elle était conforme à l’ordonnance du Tribunal. Cette ordonnance n’exigeait pas que M. Tahmourpour soit réadmis au programme de formation des cadets, mais qu’on lui offre une occasion d’y être réadmis. Cette occasion lui a été offerte, et les conditions fixées pour qu’il transforme cette occasion en formation effective ont été manifestement arrêtées entre les parties. À mon avis, l’État s’est conformé à l’alinéa (i) de l’ordonnance du Tribunal dès que l’offre convenue fut présentée à M. Tahmourpour.

 

[34]           La plainte de M. Tahmourpour ne porte pas en réalité sur le fait que les modalités de l’offre contrevenaient à l’alinéa (i) de l’ordonnance, mais plutôt sur le fait que la manière dont la GRC a par la suite interprété et appliqué les conditions fixées dans l’offre montrait une intention de ne pas donner suite à l’offre ou à l’alinéa (ii) de l’ordonnance.

 

[35]           Monsieur Tahmourpour affirme que, comme cadet en voie de réadmission, plutôt que comme nouveau candidat, le seul certificat de santé qu’il devait obtenir était le TAPE (Test d’aptitudes physiques essentielles), il ne s’agissait pas d’un examen médical complet, ni d’une évaluation psychologique complète. Nonobstant cette interprétation de l’offre de réadmission, M. Tahmourpour reconnaissait en fait dans sa correspondance adressée à la GRC que son contrat de formation l’obligeait à se soumettre à des évaluations périodiques de santé, qui comprenaient une évaluation psychologique, et à continuer de satisfaire au profil médical réglementaire (pièce « DD » de l’affidavit de M. Tahmourpour). Il reconnaissait aussi qu’une partie de cette évaluation psychologique intéresse les affections ou problèmes susceptibles de le rendre inapte au travail ou de l’empêcher d’exécuter les tâches et attributions d’un gendarme aux services généraux (pièce « EE » de l’affidavit de M. Tahmourpour).

 

[36]           Sur ce fondement, M. Tahmourpour s’est soumis à l’évaluation psychologique. Cependant, s’appuyant sur les observations faites et les questions posées par les psychologues qu’il a rencontrés, il croit que leur évaluation portait sur son admissibilité et l’opportunité de le recruter plutôt que sur son aptitude exigée pour le travail policier. Le 24 septembre 2012, il a été officiellement informé que les responsables des services de santé de la GRC, se fondant sur son évaluation médicale, avaient conclu qu’il ne serait pas apte à accomplir les tâches attendues d’un gendarme au sein de la GRC. La GRC a donc mis fin au processus de réadmission avant que M. Tahmourpour fût même affecté à un cours de formation au Dépôt.

 

[37]           Monsieur Tahmourpour soutient que la GRC, de mauvaise foi et en violation de ses obligations aux termes de l’ordonnance du Tribunal, s’est servie de l’évaluation psychologique comme d’un instrument d’élimination pour lui refuser une possibilité de réadmission et l’empêcher de parvenir ne serait‑ce qu’au programme de formation pour une « évaluation équitable de ses habiletés », selon les termes de l’alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal.

 

[38]           Comme je l’ai indiqué, je suis arrivée à la conclusion que la GRC s’est entièrement conformée à l’alinéa (i) de l’ordonnance du Tribunal en faisant l’offre convenue. Si, comme le prétend M. Tahmourpour, la GRC a perverti l’évaluation psychologique, à supposer que cette prétention soit appuyée par des faits, cette perversion constituerait une violation de l’offre de réadmission, non une violation de l’ordonnance du Tribunal. Je suis donc d’avis qu’il n’y a eu aucune violation de l’alinéa (i) de l’ordonnance du Tribunal.

 

Alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal

[39]           L’alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal est ainsi formulé :

(ii)        Si M. Tahmourpour accepte l’offre de réadmission, l’intimée évaluera équitablement ses habiletés dès le début du programme de formation dans le but de déterminer les domaines dans lesquels il a besoin de formation.

 

 

[40]           Monsieur Tahmourpour a accepté l’offre de réadmission et il soutient que la GRC a manqué à son obligation de faire une évaluation équitable de ses habiletés en l’empêchant de parvenir ne serait‑ce qu’au programme de formation, et cela en utilisant l’évaluation psychologique comme instrument d’élimination.

 

[41]           L’ordonnance du Tribunal n’oblige pas la GRC à inviter M. Tahmourpour à la Division Dépôt pour une évaluation de ses habiletés en dehors du contexte ou de l’objet du programme de formation. À cette fin, cette partie de l’ordonnance suppose que M. Tahmourpour sera présent au Dépôt en tant que participant au programme. On ne saurait conclure à la violation de l’alinéa (ii) de l’ordonnance en montrant simplement que M. Tahmourpour n’a pas participé au programme de formation. Ce serait là introduire dans l’ordonnance du Tribunal l’obligation rigoureuse pour la GRC de garantir la présence et la participation de M. Tahmourpour au programme de formation, obligation qui résulterait uniquement de l’acceptation par M. Tahmourpour d’une offre de réadmission, et abstraction faite d’une quelconque circonstance extérieure. Une telle interprétation ne peut tout simplement pas être faite au vu de l’ordonnance ou des motifs de l’ordonnance du Tribunal. À mon avis, pour établir que la GRC a violé l’alinéa (ii) de l’ordonnance, M. Tahmourpour devrait démontrer soit que, étant présent au début du programme de formation, la GRC n’a pas procédé à l’évaluation requise, soit qu’il a été empêché de participer au programme à cause de la conduite injustifiée de la GRC.

 

[42]           Le contrat de formation des cadets signé par M. Tahmourpour au moment de son acceptation de l’offre de réadmission prévoit notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

Plus précisément, la Gendarmerie royale du Canada se réserve le droit, à son gré et en tout temps, de révoquer la présente offre ou de mettre fin à votre formation, notamment dans les cas suivants :

 

(…)

 

           si la GRC apprend, à la faveur de ses enquêtes courantes concernant votre candidature ou par d’autres moyens, qu’il vous est impossible d’obtenir l’habilitation de sécurité Très secret ou de remplir les autres conditions de votre engagement;

 

           si votre comportement ou votre rendement révèle un état mental ou émotionnel (psychologique) qui entraverait vos capacités d’accomplir les tâches et attributions d’un gendarme aux services généraux.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[43]           Comme je l’ai indiqué plus haut, M. Tahmourpour a admis que, selon les termes de ce contrat, il était tenu de répondre au profil médical réglementaire et que des évaluations psychologiques pourraient être requises pour évaluer son aptitude à exécuter les tâches et attributions d’un gendarme aux services généraux. D’après le dossier, M. Tahmourpour s’est soumis à une telle évaluation psychologique, et les responsables des services de santé de la GRC ont estimé qu’il ne répondait pas aux normes médicales et qu’il ne serait pas en mesure d’accomplir les tâches attendues d’un gendarme au sein de la GRC (pièce « II » de l’affidavit de M. Tahmourpour).

 

[44]           Au vu de ce qui précède, la GRC était fondée à mettre fin au processus de réadmission de M. Tahmourpour, et elle n’a pas violé l’alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal.

 

[45]           Monsieur Tahmourpour conteste la conclusion selon laquelle la GRC était fondée à mettre fin à son enrôlement. Il dit ne pas croire à l’existence d’un authentique problème médical ou psychologique pouvant réduire son aptitude à travailler comme gendarme de la GRC, mais croît plutôt que l’évaluation psychologique a été utilisée comme instrument arbitraire d’élimination pour faire obstacle à sa réadmission. La seule preuve qu’il a produite au soutien de cette affirmation est le fait que la lettre de l’inspectrice Beauchamp n’indique aucun problème de santé précis, et la conviction de M. Tahmourpour selon laquelle les questions qui lui avaient été posées par les deux psychologues évaluateurs à propos de la discrimination qu’il avait subie au Dépôt ne peuvent s’expliquer que par le fait que les deux psychologues évaluaient son admissibilité plutôt que son aptitude à travailler comme gendarme. Monsieur Tahmourpour invoque aussi de manière générale le fait que la GRC avait toujours hésité et tardé à exécuter l’ordonnance, de même que le vocabulaire employé par les représentants de la GRC lorsqu’il avait affaire à eux, un vocabulaire qui, selon lui, montrait qu’ils le considéraient comme un candidat plutôt que comme un cadet en cours de réadmission.

 

[46]           La conviction subjective de M. Tahmourpour ne suffit pas à établir une preuve prima facie tendant à démontrer que les responsables des services de santé de la GRC ne sont pas arrivés avec raison à la conclusion qu’il n’était pas médicalement apte à travailler comme gendarme pour la GRC, ou à démontrer que les psychologues l’ont évalué selon la mauvaise norme.

 

[47]           Quant au fait que l’inspectrice Beauchamp a omis d’indiquer un problème de santé précis, je fais remarquer que l’information qu’elle‑même avait reçue des responsables des services de santé ne faisait état d’aucun problème de santé précis, mais uniquement de leurs conclusions (le formulaire du profil médical ne contient d’ailleurs aucun espace pour une telle mention). La lettre officielle adressée par l’inspectrice Beauchamp à M. Tahmourpour mentionne aussi que M. Tahmourpour pouvait consentir à ce que son dossier médical soit communiqué à son médecin.

 

[48]           Monsieur Tahmourpour aurait pu demander que son dossier soit communiqué à son propre médecin, ou discuté avec celui‑ci, ou qu’il lui soit remis à lui. Cela lui aurait permis de produire son dossier médical devant la Cour pour prouver qu’il ne souffre d’aucun empêchement d’ordre médical ou que son évaluation psychologique a été faite d’une manière fautive. Monsieur Tahmourpour a semble‑t‑il décidé de ne faire ces demandes. Le dossier médical, constitué par la GRC et apparemment utilisé par celle‑ci pour conclure qu’il n’est pas apte au service, n’est donc pas versé au dossier de la Cour. À première vue, rien ne permet à la Cour de dire qu’il y a eu violation de l’alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal.

 

[49]           L’avocat de M. Tahmourpour a aussi fait valoir au cours de l’audience que l’offre de réadmission n’exigeait pas que soit rempli le « profil médical », formulaire 2158, comme condition de l’offre et que, dans la mesure où un certificat de santé sous la forme de ce profil médical pouvait même être requis, il ne pouvait être requis qu’après que M. Tahmourpour se serait rendu au Dépôt pour commencer sa formation. Selon ses prétentions, du seul fait que la GRC avait insisté pour que M. Tahmourpour présente un profil médical valide avant d’être affecté à un programme précis de formation, la GRC avait abusivement empêché sa participation dès le début de la formation.

 

[50]           Il n’y a aucun bien‑fondé dans cet argument. Même si la lettre d’offre de réadmission ne fait pas état précisément du formulaire 2158, elle mentionne bien que M. Tahmourpour [TRADUCTION] « devra avoir à la fois le certificat de santé et l’habilitation de sécurité », dont le TAPE n’est qu’un élément. Il est ajouté dans la lettre que [TRADUCTION] « d’autres formulaires pourraient toutefois devoir être remplis […]; par exemple, pour le certificat de santé, il y aura des formulaires que les médecins procédant à l’évaluation seront priés de remplir ». Il n’est d’ailleurs pas établi que le profil médical n’est pas une exigence à laquelle doit satisfaire tout autre cadet avant son arrivée au lieu de formation. La thèse de l’avocat de M. Tahmourpour au cours de l’audience semble aussi contradictoire avec celle qu’il avait communiquée à l’avocat de la GRC dans sa lettre du 21 octobre 2010, (pièce « J » de l’affidavit de M. Tahmourpour), lettre dans laquelle il écrivait [TRADUCTION] « À la signature du contrat de formation des cadets, la GRC aura toute latitude de soumettre à ses normes M. Tahmourpour, en tant que cadet admis, qu’il s’agisse des normes de forme physique, de santé ou de sécurité, auxquelles doivent se plier les cadets admis ». La thèse de l’avocat au cours de l’audience ne s’accorde pas non plus avec la propre interprétation de M. Tahmourpour, pour qui tout cadet doit en tout temps avoir dans son dossier un profil médical valide. Enfin, l’argument de l’avocat privilégie la forme au détriment du fond : si l’on estime que les responsables des services de santé ont fait une évaluation équitable et justifiable de l’aptitude de M. Tahmourpour à l’emploi (et c’est ce que je crois en l’absence d’une preuve contraire), alors la question de savoir si elle a été faite avant ou après l’arrivée de M. Tahmourpour au Dépôt n’aurait rien changé aux chances de M. Tahmourpour de continuer sa formation. Il ne serait pas logique pour le Tribunal, pour M. Tahmourpour ou pour la GRC de vouloir que M. Tahmourpour subisse une évaluation des habiletés en vue d’une éventuelle formation complémentaire quand son état médical ferait de toute façon obstacle à cette formation.

 

[51]           Pour tous ces motifs, j’estime que M. Tahmourpour n’a pas établi une preuve prima facie tendant à démontrer qu’il y a eu violation de l’alinéa (ii) de l’ordonnance du Tribunal.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande du demandeur est rejetée, avec dépens.

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1851‑08

 

INTITULÉ :                                                  ALI TAHMOURPOUR c
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 décembre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 10 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Champ

Bijon Roy

 

POUR LE PLAIGNANT

 

Falguni Debnath

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Champ & Associés

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE PLAIGNANT

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.