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Date : 20130717

Dossier : T-1090-11

Référence : 2013 CF 793

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2013

En présence de madame la juge Mactavish

 

Entre :

 

FLORA BOSA et GLORIA ANGELA BOSA, LISA BIANCA DIKEAKOS,

SHANNON CHASTITY BOSA YACOUB, COLIN BOSA, exécuteurs testamentaires

de feu BRUNO BOSA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AU NOM DE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les présents motifs visent une requête présentée par les demandeurs sollicitant un procès sommaire dans une action au moyen de laquelle ils contestent la validité d’un avis d’augmentation de loyer (l’avis de loyer) que la Couronne leur a donné en vertu d’un bail conclu entre les parties.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’affaire pouvait se prêter à un procès sommaire et que le jugement devait être rendu en faveur des demandeurs.

 

Contexte

[3]               Je crois comprendre que les faits suivants ne font l’objet d’aucun litige entre les parties.

 

[4]               En 1976, le défendeur a conclu un bail avec plusieurs sociétés que les demandeurs ont remplacées (le bail de 1976). Le bail de 1976 a été cédé à Flora et Bruno Bosa en 1986. En 2008, le droit de Bruno Bosa à l’égard du bail a été transmis à ses représentants personnels : Gloria Angela Bosa, Lisa Bianca Dikeakos, Shannon Chastity Bosa Yacoub et Colin Bosa. Ces représentants et Flora Bosa sont les demandeurs dans la présente instance.

 

[5]               Le bail de 1976 visait un immeuble commercial sis aux 1441, 1443 et 1445, chemin Craigflower à Victoria (Colombie‑Britannique). Comme l’indique le préambule du bail de 1976, les terres en question font partie de la nouvelle réserve indienne de Songhees no 1A et sont administrés par la Couronne pour le compte de certains autochtones désignés, conformément à l’article 58 de la Loi sur les Indiens, LRC 1970, c I‑16.

 

[6]               L’octroi de la tenure à bail initiale avait pour objet de permettre aux locataires initiaux de construire des immeubles d’habitation sur l’immeuble loué. La durée du bail de 1976 était de 65 ans et le loyer devait être révisé tous les cinq ans. Le bail de 1976 fixait le loyer de base pour les deux premières périodes quinquennales, après lesquelles le ministre devait établir le loyer en fonction de la juste valeur locative. Le bail de 1976 accordait en outre aux locataires le droit de s’opposer aux augmentations de loyer proposées en renvoyant le différend à la Cour fédérale.

 

[7]               En 1979 et en 1981, des modifications ont été apportées au processus de révision du loyer établi dans le bail de 1976. Les modifications apportées en 1981 au bail de 1976 (le bail) sont en cause en l’espèce et les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :

[traduction]

2.09     Le ministre révise, fixe et établit le loyer annuel de base pour chacune des onze premières périodes quinquennales et pour la dernière période triennale au cours de la dernière période de location selon un montant qui, de l’avis du ministre, représente la juste valeur locative annuelle des terres qui sont réputées être assujetties aux conditions du présent bail et qui sont réputées être utilisés aux fins indiquées dans le présent bail, à la date de cette révision, mais sans tenir compte de la valeur des améliorations apportées par le locataire. Le loyer révisé, fixé et établi est fonction de deux évaluations indépendantes, dont l’une est obtenue par le ministre à ses frais et l’autre, par le locataire à ses frais. Si l’évaluation la plus élevée présente un écart de plus de 15 p. 100 par an de la juste valeur locative établie par les deux évaluations, le ministre, le locataire ou le créancier hypothécaire a alors le droit d’obtenir une troisième évaluation indépendante, mais n’y est pas tenu, dans les soixante (60) jours suivant la date à laquelle le ministre reçoit l’évaluation qu’il a demandée. Dans un tel cas, le ministre ne fixera ni ne déterminera le loyer de base avant l’expiration d’un délai de soixante (60) jours ou avant que la troisième évaluation ne lui soit présentée. Aux fins du présent paragraphe, les lots 6 et 7, section 2‑A, district Esquimalt, plan 32956, sont réputés, aux fins de l’établissement de la juste valeur locative, faire partie des terres louées par le locataire et le locataire convient de payer un loyer pour lesdits lots 6 et 7, pour toute la durée, nonobstant le fait que l’administration et le contrôle de ces lots puissent être transférés à Sa Majesté pendant la durée du présent bail.

 

2.10     Les parties conviennent que le ministre donnera au locataire, dans les quatre-vingt-dix (90) jours qui précèdent ou dans les quatre-vingt-dix (90) jours qui suivent le commencement de chacune des dernières périodes de location, un avis par courrier recommandé (ci‑après appelé l’avis de loyer) indiquant le loyer annuel de base applicable à l’égard de chacune des dernières périodes de location en question (ci-après appelé le nouveau loyer annuel de base).

 

2.11     Les parties conviennent que le paiement du loyer annuel de base n’est pas versé selon le nouveau loyer annuel de base jusqu’à ce que le locataire ait reçu l’avis de loyer à cet égard comme le prévoit l’article 2.12 des présentes et, dans le cas où la période quinquennale ou la dernière période triennale pertinente commence avant qu’un tel avis de loyer soit donné au locataire, le loyer annuel de base continue d’être exigible et versé au loyer applicable à la période de location qui précède la période quinquennale ou la dernière période triennale pertinente au jour fixé par le présent bail pour le paiement du loyer annuel de base payable à l’avance chaque mois jusqu’à ce que l’avis de loyer soit donné au locataire. Les parties conviennent qu’au premier jour après que l’avis de loyer est donné au locataire, qui est le jour désigné dans le présent bail pour le paiement mensuel du loyer annuel de base, le versement pertinent selon le nouveau prix devient exigible et est accompagné d’une somme égale à la différence entre le nouveau loyer annuel de base et le loyer de base réellement payé pour toute partie de la période quinquennale ou de la dernière période triennale applicable à l’égard de laquelle un loyer inférieur au nouveau loyer annuel de base a été versé et ce, en guise de rajustement de loyer supplémentaire.

 

2.12     Les parties conviennent que dans le cas où le locataire s’oppose à la juste valeur locative des terres indiquée dans l’avis de loyer à l’égard d’une période quinquennale ou d’une dernière période triennale, le locataire peut dans les soixante (60) jours de la réception de l’avis de loyer, SOUS RÉSERVE d’avoir payé tous les loyers alors exigibles, selon que le détermine le ministre, et qu’il n’est pas à d’autres égards en défaut de respecter les dispositions du présent bail, renvoyer l’affaire à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 17(3) de la Loi sur les Cours fédérales ou à toute autre cour compétente pour la détermination de la juste valeur locative des terres conformément aux conditions du présent bail. Les parties conviennent que si le locataire ne renvoie pas l’affaire à la Cour fédérale du Canada dans les soixante (60) jours de la réception d’un tel avis de loyer, le loyer prévu dans cet avis de loyer est le loyer applicable à la période quinquennale ou la dernière période triennale à laquelle l’avis de loyer se rapporte […]

 

[8]               Le loyer a été fixé à 160 000 $ par année pour la période du 18 mars 2001 au 17 mars 2006. Le défendeur n’a donné aux demandeurs aucun avis de loyer pendant la période de révision du loyer pour la période de location de 2006 à 2011. Par conséquent, les demandeurs ont continué à payer le loyer annuel fixé pour la période locative antérieure, soit 160 000 $ par année pour cinq années supplémentaires.

 

[9]               Conformément à l’article 2 du bail, le défendeur était tenu de fixer le loyer payable pour la période quinquennale commençant le 18 mars 2011 et se terminant le 17 mars 2016 (la période de location en cours). La présente action découle du processus suivi par le défendeur à cet égard.

 

Le processus suivi à l’égard de l’augmentation de loyer de 2011

[10]           Mario von Riedemann était un agent principal de la désignation, Affaires indiennes et du Nord canadien, et était chargé de l’administration du bail en cause. Conformément à l’article 2.09 du bail, M. von Riedemann a obtenu, le 24 mars 2011, une évaluation de Kutyn Property Services pour le compte du ministre (l’évaluation du ministre). Selon l’évaluation du ministre, la juste valeur locative des terres s’élevait à 319 950 $ par année au 15 mars 2011.

 

[11]           Le 5 avril 2011, M. von Riedemann a envoyé une lettre par courrier recommandé aux demandeurs proposant que le loyer de la période de location en cours soit fixé à 320 000 $. La lettre, que les demandeurs ont reçue le 6 avril 2011, leur rappelait qu’ils avaient le droit d’obtenir une évaluation indépendante, soulignant qu’aucune évaluation n’avait encore été reçue. La lettre de M. von Riedemann informait de plus les demandeurs que s’ils ne présentaient pas une évaluation au plus tard le 6 mai 2011, le ministre tiendrait pour acquis que les demandeurs acceptaient l’augmentation de loyer proposée. Il est admis que le défendeur n’a jamais fourni aux demandeurs une copie de l’évaluation du ministre avant l’introduction de la présente action.

 

[12]           Les demandeurs ont alors obtenu leur propre évaluation de la juste valeur locative (l’évaluation des demandeurs), laquelle établissait que la juste valeur locative des lieux loués pour la période quinquennale à compter du 18 mars 2011 s’élevait à 271 000 $ par année. Une copie de l’évaluation des demandeurs a été transmise à M. von Riedemann le 4 mai 2011 ou aux alentours de cette date.

 

[13]           Il y a lieu de souligner que l’article 2.09 du bail prévoit que dans les cas où [traduction] « l’évaluation la plus élevée présente un écart de plus de 15 p. 100 par an de la juste valeur locative établie par les deux évaluations », les parties ont le droit de solliciter une troisième évaluation indépendante dans les (60) jours de la date à laquelle le ministre a reçu son évaluation. L’article 2.09 prévoit de plus que [traduction] « le ministre ne fixera ni ne déterminera le loyer de base avant l’expiration d’un délai de soixante (60) jours ou avant que la troisième évaluation ne lui soit présentée. »

 

[14]           Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le ministre a reçu son évaluation le 24 mars 2011. Par conséquent, le délai de 60 jours visé par l’article 2.09 du bail expirait le 23 mai 2011. Le 10 mai 2011, Rick Sabiston (le superviseur de M. von Riedemann) a néanmoins écrit aux demandeurs les informant que le loyer payable à l’égard des lieux loués pour la période du 18 mars 2011 au 17 mars 2016 était fixé à 319 950 $. La lettre de M. Sabiston reproduisait les dispositions de l’article 2.12 du bail qui accorde au locataire le droit de renvoyer un différend à l’égard de la juste valeur locative à la Cour en vertu du paragraphe 17(3) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[15]           Même si M. Sabiston a signé l’avis de loyer du 10 mai 2011, il ressort à la fois de l’affidavit de M. von Riedemann et de son contre‑interrogatoire que ce dernier était la personne qui a fixé le loyer à l’égard de l’immeuble en question.

 

[16]           Dans son affidavit, M. von Riedemann explique qu’il a fixé le loyer le 10 mai 2011 parce que les demandeurs ne lui avaient communiqué aucune préoccupation relativement aux évaluations et parce que le bail exigeait que l’avis de loyer soit envoyé par courrier recommandé et que les nouvelles rapportaient l’imminence d’une grève postale. Monsieur von Riedemann ajoute de plus qu’à son avis, l’écart entre les deux évaluations n’était pas supérieur à 15 p. 100. En conséquence, il affirme que le ministre avait le droit de fixer le loyer à n’importe quel moment pendant le délai de 90 jours qui précédait ou suivait le début de la nouvelle période de location du 18 mars 2011.

 

[17]           Les demandeurs payent le nouveau loyer depuis le 18 mars 2011, sous toutes réserves.

 

[18]           Le 6 juillet 2011, les demandeurs ont produit leur déclaration dans laquelle ils sollicitent les réparations suivantes :


[traduction]

1. Un jugement déclarant que l’avis de loyer daté du 10 mai 2011, qui aurait été transmis par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien concernant le loyer annuel de base payable à l’égard de la période quinquennale commençant le 18 mars 2011 et se terminant le 17 mars 2016 conformément aux conditions du bail daté du 23 avril 1976 […] est invalide, nul et sans effet.

 

2. Subsidiairement, une ordonnance rendue en vertu de l’article 2.12 du bail établissant la juste valeur locative des terres conformément aux conditions du bail.

 

3. Une ordonnance enjoignant au défendeur de rembourser aux demandeurs tous les paiements de loyer excédant leurs obligations en vertu du bail.

 

4. Les dépens, les intérêts et autres mesures de réparation.

 

La requête des demandeurs sollicitant un procès sommaire

[19]           Le 18 février 2013, les demandeurs ont présenté une requête sollicitant un procès sommaire concernant cette affaire. Outre le jugement déclaratoire mentionné dans le paragraphe précédent, les demandeurs sollicitent également ce qui suit :

[traduction]

1. Un jugement déclarant que le loyer payable en vertu du bail pour la période du 18 mars 2011 au 17 mars 2016 (la période de location) continue d’être fixé à 160 000 $ ou à 13 333 $ par mois.

 

2. Une ordonnance enjoignant immédiatement au défendeur de remettre aux demandeurs les sommes qu’ils ont payées ou qui ont été payées en leur nom et qui excèdent les paiements de 160 000 $ par année ou de 13 333 $ par mois pendant la période de location, ainsi que les intérêts avant jugement.

 

3. Les dépens.

 

Principes régissant les procès sommaires

[20]           Les principes directeurs régissant les procès sommaires sont énoncés à l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Il convient de souligner le paragraphe 216(6) des Règles, lequel dispose :

216. (6) Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête.

 

216. (6) If the Court is satisfied that there is sufficient evidence for adjudication, regardless of the amounts involved, the complexities of the issues and the existence of conflicting evidence, the Court may grant judgment either generally or on an issue, unless the Court is of the opinion that it would be unjust to decide the issues on the motion.

 

[21]           La simple lecture de cette disposition des Règles indique que les principaux éléments qui doivent être pris en compte sont la suffisance de la preuve et la question de savoir s’il serait injuste de trancher la question dans le cadre d’un procès sommaire.

 

[22]           Les principes applicables aux procès sommaires sont résumés dans Tremblay c Orio Canada Inc, 2013 CF 109, [2013] ACF no 105, au paragraphe 24, une affaire dans laquelle la Cour a examiné une grande partie de la jurisprudence à laquelle les parties ont renvoyé, notamment : Teva Canada Ltd c Wyeth LLC, 2011 CF 1169, 99 CPR (4th) 398, infirmé pour d’autres motifs par 2012 CAF 141, [2012] ACF no 618; Inspiration Management Ltd c McDermid St. Lawrence Ltd, [1989] BCJ no 1003, 36 BCLR (2d) 202 (CAC-B); Wenzel Downhole Tools Ltd c National‑Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 966, [2010] ACF no 1195; Dahl c Royal Bank of Canada, 2005 BCSC 1263, 46 BCLR (4th) 342. La Cour a fait les remarques suivantes dans Tremblay :

Le fardeau de démontrer que le procès sommaire est un recours approprié incombe au demandeur (Teva, précité, au paragraphe 35). Afin de décider si un dossier se prête à un procès sommaire, un juge peut considérer, entre autres, la complexité d’une affaire, sa nature urgente, les coûts d’aller de l’avant avec un procès régulier par rapport aux montants en jeu (Inspiration Management Ltd [précité]), ainsi que la question de savoir si le litige est prolongé, si le procès sommaire prendrait du temps, si la crédibilité est un enjeu, si le procès sommaire comporte un risque important de gaspillage d’efforts et d’énergie ou si le procès sommaire aurait pour effet de morceler le litige (Wenzel Downhole, précité, au paragraphe 37, citant Dahl [précité, au paragraphe12]).

 

[23]           Compte tenu de ces principes, la première question à trancher est celle de savoir si les questions que soulèvent les parties peuvent être tranchées dans un procès sommaire.

 


La présente affaire peut-elle être tranchée dans un procès sommaire?

[24]           Les parties conviennent que dans la mesure où la Cour peut résoudre les questions en fonction du libellé du bail, l’affaire peut être tranchée dans un procès sommaire. Les parties conviennent également que la Cour peut prendre en compte les rapports survenus entre les parties entre mars et mai 2011 pour trancher les questions que soulève la requête des demandeurs.

 

[25]           Le défendeur s’oppose toutefois à ce que la Cour prenne en compte les rapports survenus entre les parties à l’occasion des augmentations de loyer antérieures. Plus particulièrement, le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte des éléments de preuve que les demandeurs ont présentés en ce qui a trait à l’augmentation de loyer de 1996 et, plus précisément, elle ne devrait pas tenir compte des éléments de preuve selon lesquels la Couronne avait fourni aux demandeurs une copie de sa propre évaluation à ce moment‑là.

 

[26]           Je constate que le défendeur n’a pas expliqué pourquoi des éléments de preuve en réponse ne pouvaient être présentés concernant la question des pratiques antérieures. Cela dit, il n’est pas nécessaire que j’examine l’objection du défendeur, puisque je suis convaincue que les questions que doit examiner la Cour peuvent être résolues sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte ce qui s’est passé en 1996. 

 

[27]           Il ressort également à la fois du dossier dont dispose la Cour et des observations des parties que l’affaire n’est pas trop complexe et que le dossier contient suffisamment d’éléments de preuve pour trancher les questions en litige. En outre, un procès sommaire permettrait d’apporter au présent litige au fond une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, comme le prévoit l’article 3 des Règles des Cours fédérales. Enfin, étant donné qu’un procès sommaire permettrait à la Cour de régler l’action, il ne donnerait pas lieu à un [traduction] « débat en parties détachées ». En conséquence, l’affaire peut être tranchée dans un procès sommaire.

 

La validité de l’avis de loyer de 2011

[28]           Les demandeurs ont signalé ce qui, à leur avis, constitue plusieurs irrégularités dans le processus suivi par le ministre pour fixer le loyer à l’égard de la période du 18 mars 2011 au 17 mars 2016. Ces irrégularités ont pour effet de rendre l’avis de loyer donné par le défendeur le 10 mai 2011 nul et sans effet.

 

[29]           Puisque le défendeur n’a pas donné aux demandeurs un avis de loyer valide dans le délai de 90 jours prévu à l’article 2.10 du bail, les demandeurs soutiennent que le défendeur n’a droit à aucune augmentation de loyer pour la période de location en cours et qu’ils devraient avoir le droit de continuer à payer le loyer prévu pour la période de location antérieure, soit 160 000 $ par année.

 

[30]           J’examinerai chacun des arguments des demandeurs à tour de rôle.

 

i)          L’omission de fournir aux demandeurs une copie de l’évaluation du ministre

[31]           La première irrégularité procédurale que les demandeurs ont relevée est l’omission du défendeur de leur fournir une copie de l’évaluation du ministre.

 

[32]           Dean Reed est le directeur principal, Biens et location chez Bosa Developments Corporation, qui gère les terres louées aux demandeurs. Selon l’affidavit de M. Reed, il a reçu une copie de la lettre de M. von Riedemann l’informant de l’augmentation de loyer proposée le 6 avril 2011 ou aux alentours de cette date. Monsieur Reed a téléphoné à M. von Riedemann peu après cette date et, au cours de la conversation téléphonique, M. Reed a demandé à M. von Riedemann une copie de l’évaluation du ministre. Selon M. Reed, M. von Riedemann a déclaré qu’il [traduction] « examinerait le dossier » et qu’il rappellerait M. Reed à ce sujet.

 

[33]           Monsieur Reed affirme en outre qu’environ une semaine plus tard, il s’est entretenu avec avec M. von Riedemann pour faire un suivi, et celui-ci l’a informé qu’il ne lui fournirait pas de copie de l’évaluation du ministre, car [traduction] « le ministère n’avait pas pour pratique ou politique de le faire » (affidavit de M. Reed, au paragraphe 18). Selon M. Reed, les demandeurs n’ont reçu une copie de l’évaluation du ministre qu’après l’introduction de la présente action, dans le cadre du processus de production des documents préalable au procès.

 

[34]           Je constate que l’affidavit de M. von Riedemann est tout à fait muet sur la question de savoir si M. Reed a demandé une copie de l’évaluation du ministre et l’avocat de la Couronne a expressément déclaré qu’il ne s’appuyait pas sur les parties du contre‑interrogatoire de M. von Riedemann qui portaient sur cette question.

 

[35]           Dans ces circonstances, je conclus que M. Reed a bien demandé à M. von Riedemann de lui fournir une copie de l’évaluation du ministre au début du mois d’avril 2011 et que M. von Riedemann a refusé de le faire.

 

[36]           Monsieur Reed soutient de plus que le refus de M. von Riedemann de fournir aux demandeurs une copie de l’évaluation du ministre a empêché ces derniers d’examiner la question de savoir s’ils devaient obtenir une troisième évaluation conformément à l’article 2.09 du bail.

 

[37]           Aucune disposition de l’article 2 du bail n’exige expressément qu’une copie de l’évaluation du ministre soit fournie au locataire. La question qui se pose est donc celle de savoir si la fourniture de l’évaluation du ministre au locataire est une condition implicite du contrat.

 

[38]           L’existence d’une condition implicite peut être déterminée compte tenu de l’intention présumée des parties lorsque la condition implicite est « nécessaire pour donner à un contrat de l’efficacité commerciale » ou lorsque la personne raisonnable dirait que les parties avaient évidemment tenu son inclusion dans le contrat pour acquise (voir MJB Enterprises c Defence Construction (1951) Ltd, [1999] 1 RCS 619, [1999] ACS no 17, au paragraphe 27).

 

[39]           Le refus de M. von Riedemann de fournir une copie de l’évaluation du ministre à M. Reed est déconcertant. Le bon sens veut que les parties aient voulu que le ministre fournisse tout naturellement au locataire une copie de son évaluation. Ce n’est qu’en fournissant au locataire une copie de l’évaluation du ministre que le locataire est en mesure de déterminer la façon dont le loyer proposé a été calculé par le défendeur, si le loyer proposé est raisonnable et s’il y a des problèmes concernant la méthodologie employée par l’évaluateur du ministre pour établir une juste valeur locative. Ce n’est qu’à ce moment-là que le locataire est en mesure de vérifier s’il y a quelque difficulté quant à l’équité de l’augmentation de loyer proposée, s’il doit obtenir sa propre évaluation et les questions à examiner dans cette évaluation.

 

[40]           Selon la preuve non contredite de M. Reed, l’omission du ministre de fournir aux demandeurs une copie de son évaluation les a empêchés de prendre une décision valable relativement à l’exercice de leur droit d’obtenir une troisième évaluation avant que le ministre ne fixe le loyer pour la période en cours.

 

[41]           J’accepte le témoignage de M. Reed à cet égard. Comme je l’ai déjà mentionné, le bon sens veut que l’omission du ministre de fournir aux demandeurs une copie de son évaluation limite la capacité du locataire de vérifier la nécessité d’une deuxième évaluation. Cette omission limite également la capacité de décider si une troisième évaluation était nécessaire.

 

[42]           Je souligne que la lettre de M. von Riedemann datée du 5 avril 2011 n’indiquait pas aux demandeurs la date à laquelle le ministre avait reçu l’évaluation de Kutyn Property Services. En effet, la lettre de M. von Riedemann ne mentionne aucunement que le ministre a même reçu une évaluation, bien qu’il semble que M. Reed ait plus tard appris l’existence de l’évaluation du ministre, sinon son contenu, à la suite de ses discussions téléphoniques avec M. von Riedemann.   

 

[43]           Sans savoir si l’augmentation de loyer correspondait à la juste valeur locative indiquée dans l’évaluation du ministre, les demandeurs n’auraient pas été en mesure de décider si l’écart entre leur évaluation et celle du ministre était supérieur à 15 p. 100 et s’ils avaient même le droit d’obtenir une troisième évaluation, limitant encore plus la capacité des demandeurs d’exercer leurs droits en vertu des dispositions du bail portant sur la révision de loyer.

 

[44]           Il faut également nous rappeler que lorsque l’écart entre l’évaluation du ministre et celle des locataires est supérieur à 15 p. 100, l’article 2.09 du bail prévoit que les parties disposent d’un délai de 60 jours à compter de la date à laquelle le ministre a reçu son évaluation pour obtenir une troisième évaluation. S’il est vrai que les demandeurs ont bien fourni leur évaluation au ministre en temps opportun, les renseignements qu’a donnés le ministre ne leur permettaient même pas de vérifier à quel moment le délai de 60 jours prévu à l’article 2.09 du bail commençait à courir.

 

[45]           Par conséquent, j’estime que l’omission de fournir aux demandeurs une copie de l’évaluation du ministre contrevenait à une condition implicite du bail et empêchait les demandeurs d’exercer pleinement leurs droits dans le cadre du processus de révision du loyer.

 

ii)         L’écart entre les évaluations était-il supérieur à 15 p. 100?

[46]           Comme je l’ai souligné ci-dessus, l’article 2.09 du bail prévoit que le ministre doit fixer le loyer annuel de base selon [traduction] « la juste valeur locative annuelle des terres qui sont réputées être assujetties aux conditions [du bail] ». La juste valeur locative doit être déterminée en se fondant sur deux évaluations indépendantes, une obtenue par le ministre et l’autre, par le locataire.

 

[47]           Ce n’est que lorsque [traduction] « l’évaluation la plus élevée présente un écart de plus de 15 p. 100 par an de la juste valeur locative établie par les deux évaluations » que l’une ou l’autre partie a le droit d’obtenir une troisième évaluation.

 

[48]           Les parties conviennent que l’écart entre les deux évaluations en l’espèce s’élevait à 15,3 p. 100.

 

[49]           Dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur soutient néanmoins que les demandeurs n’avaient pas le droit de se prévaloir du processus prévu à l’article 2.09 du bail, puisque l’évaluation la plus élevée ne présentait pas un écart de plus de 15 p. 100 par an de la juste valeur locative établie par les deux évaluations.

 

[50]           Le défendeur soutient que [traduction] « lorsqu’arrondis, les 15,3 p. 100 deviennent 15 p. 100 ». Cet argument est fondé sur une définition contenue dans l’Oxford Concise English Dictionary, qui, selon le défendeur, définit [traduction] « pour cent » comme étant [traduction] « une partie évaluée en fonction de cent unités ». Selon le défendeur, cela signifie que tout chiffre entre 15 p. 100 et 15,99 p. 100 équivaut à 15 p. 100.

 

[51]           Étant donné que l’écart entre les deux évaluations n’était pas supérieur à 15 p. 100, le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le délai de 60 jours permettant aux défendeurs d’obtenir une troisième évaluation a été respecté.

 

[52]           Je souligne qu’à l’audience, le défendeur n’a pas insisté sur cet argument qui, à mon avis, est sans aucun fondement. Dans un contrat, les mots doivent être interprétés selon [traduction] « leur sens ordinaire et courant et ils ne peuvent être dénaturés au-delà de leur signification réelle » (Gilchrist c Western Star Trucks Inc., 2000 BCCA 70, [2000] ACB no 164, au paragraphe 18). En outre, il faut accorder aux mots dans le contrat leur sens ordinaire [traduction] « à moins que ce faire ne donne lieu à un résultat absurde (Group Eight Investments Ltd c Taddei, 2005 BCCA 489, [2005] ACB no 2134, au paragraphe 20).

 

[53]           Il est clair que dans leur sens ordinaire et courant, 15,3 p. 100 sont plus élevés que 15 p. 100. En conséquence, les demandeurs avaient le droit d’obtenir une troisième évaluation, à la condition de le faire dans les 60 jours de la date à laquelle le ministre avait reçu son évaluation.

 

L’omission du défendeur d’attendre 60 jours avant de fixer le loyer

[54]           La question suivante consiste à déterminer les conséquences qui découlent de l’omission du ministre de respecter le délai de 60 jours mentionné dans l’article 2.09 du bail.

 

[55]           Monsieur von Riedemann était d’avis que la disposition concernant le délai de 60 jours ne s’appliquait pas en l’espèce puisque l’écart entre les deux évaluations n’était pas supérieur à 15 p. 100. Comme je l’ai expliqué plus haut, étant donné que l’écart entre les deux évaluations était de toute évidence de 15,3 %, son avis était nettement erroné.

 

[56]           Les parties ne contestent pas que l’article 2.09 du bail prévoit expressément que [traduction] « le ministre ne fixera ni ne déterminera le loyer de base avant l’expiration d’un délai de soixante (60) jours ou avant que la troisième évaluation ne lui soit présentée ». Ainsi, à la lecture même du contrat, il était interdit au ministre de fixer le loyer avant l’expiration du délai de 60 jours prévu par l’article 2.09 du bail, qui en l’espèce expirait le 23 mai 2011. Le ministre a quand même fixé le nouveau loyer le 10 mai 2011.

 

[57]           Quelles conséquences devraient alors découler de l’omission du ministre de respecter les délais prévus à l’article 2.09 du bail?

 

[58]           En droit contractuel, il existe une présomption selon laquelle le délai prévu dans un contrat ne sera pas appliqué aveuglément et rigoureusement à moins que les parties n’aient expressément prévu que les délais étaient une condition essentielle du contrat (voir Sail Labrador Ltd c Challenger One (The), [1998] ACS no 69, [1999] 1 RCS 265, au paragraphe 53). Le bail ne contient aucune disposition prévoyant que le respect des délais est une condition essentielle.

 

[59]           En l’absence d’une disposition selon laquelle le respect des délais est une condition essentielle, il est également possible de tenir compte de la nature l’immeuble en cause ou des circonstances de l’affaire pour vérifier si elles requièrent une telle interprétation (Sail Labrador Ltd, précité, au paragraphe 54). Cela signifie que la Cour doit examiner les circonstances entourant le contrat en cause pour évaluer s’il serait inéquitable de présumer que le respect des délais n’était pas une condition essentielle pour l’application des dispositions du bail concernant la révision du loyer (Sail Labrador Ltd, au paragraphe 63).

 

[60]           L’octroi de la tenure à bail initiale aux prédécesseurs des demandeurs avait pour objet de permettre aux locataires initiaux de construire des édifices à logements sur l’immeuble loué. La durée du bail était fixée à 65 ans, vraisemblablement pour accorder aux locataires une période raisonnable pour recouvrer leur investissement en capital dans l’immeuble.

 

[61]           En l’espèce, le bail permet au ministre de fixer unilatéralement la juste valeur locative des lieux loués, sous réserve du droit du locataire de s’adresser à la Cour pour faire réviser le loyer. Par conséquent, les demandeurs sont, du moins dans une certaine mesure, à la merci du ministre en ce qui concerne le maintien de la rentabilité de leur investissement.

 

[62]           Le processus énoncé à l’article 2 du bail établit le protocole à suivre pour déterminer la juste valeur locative pour chacune des périodes quinquennales de location. Certes, le ministre a le droit de fixer le loyer de façon unilatérale, mais le processus concernant les évaluations prévu à l’article 2.09 du bail permet au locataire de donner son avis et lui accorde une certaine mesure de protection. Compte tenu de ces circonstances, je suis d’avis qu’il serait inéquitable de présumer que les délais n’étaient pas une condition essentielle en ce qui concerne le délai de 60 jours prévu à l’article 2.09 du bail.

 

[63]           Le défendeur soutient que la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que les demandeurs avaient jamais eu l’intention de solliciter une troisième évaluation, de sorte que les demandeurs n’ont subi aucun préjudice découlant de l’omission de respecter les conditions du bail. J’ai cependant conclu que les actes posés par M. von Riedemann ont causé un préjudice aux demandeurs, les empêchant d’exercer pleinement leurs droits dans le cadre du processus de révision du loyer et les empêchant de prendre une décision valable quant à l’exercice de leur droit d’obtenir une troisième évaluation avant que le ministre ne fixe le loyer pour la période en cours.

 

[64]           En raison du besoin de certitude dans les opérations commerciales, le ministre doit respecter le rigoureux protocole que prévoit le bail concernant les augmentations de loyer. Il n’est tout simplement pas loisible au ministre de raccourcir unilatéralement le délai comme cela a été fait en l’espèce.

 

[65]           Je rejette également l’explication de M. von Riedemann concernant les raisons pour lesquelles il n’a pas attendre la fin du délai de 60 jours avant de fixer le loyer, y compris ses préoccupations concernant la possibilité d’une grève postale. L’affaire n’était pas urgente. Le délai de 60 jours mentionné dans l’article 2.09 du bail concerne l’obtention des évaluations, non la fixation du nouveau loyer. L’article 2.10 du bail exige que l’avis de loyer soit donné dans les 90 jours qui précèdent ou dans les 90 jours qui suivent le commencement de la nouvelle période de location. Par conséquent, M. von Riedemann avait dans les faits jusqu’au 15 juin 2011 pour donner l’avis de loyer aux demandeurs et il n’a pas fourni d’explication raisonnable concernant la raison pour laquelle il n’a pas respecté les dispositions du bail concernant l’avis.

 

[66]           Pour ces motifs, je conclus que l’omission du ministre de respecter le délai de 60 jours prévu à l’article 2.09 du bail a pour effet d’annuler l’avis de loyer donné aux demandeurs dans la lettre de M. Rick Sabiston datée du 10 mai 2011.

 

L’omission du ministre de prendre en compte l’évaluation des demandeurs

[67]           Il existe un deuxième motif pour invalider l’avis de loyer donné par M. Sabiston le 10 mai 2011. Il s’agit de l’absence de preuve indiquant que M. von Riedemann a bien pris en compte l’évaluation des demandeurs pour fixer le loyer de la période de location en cours.

 

[68]           Il faut nous rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article 2.09 du bail, [traduction] « [l]e ministre révise, fixe et établit le loyer annuel de base pour chacune des [périodes de location] selon un montant qui, de l’avis du ministre, représente la juste valeur locative annuelle des terres ». Le ministre établit la [traduction] « juste valeur locative annuelle [en] fonction de deux évaluations indépendantes », une que doit obtenir le ministre et l’autre que doit obtenir le locataire.

 

[69]           Il découle implicitement de ce qui précède que le ministre n’était pas tenu d’adopter les conclusions de l’évaluateur des demandeurs, mais qu’il devait au moins tenir compte de l’évaluation des demandeurs pour fixer la juste valeur locative. L’obligation du ministre à cet égard est par ailleurs assujettie aux exigences d’honnêteté et de bonne foi (Greenberg c Meffert (1985), 50 OR (2d) 755, 18 DLR (4th) 548, aux paragraphes 18 à 20).

 

[70]           Je commencerai en faisant observer qu’il est vrai que le défendeur a souligné l’existence de l’évaluation des demandeurs au paragraphe 6 de la défense, mais il soutient au paragraphe 4 de la défense que [traduction] « [l]e ministre a calculé la juste valeur locative en s’appuyant sur l’évaluation réalisée par Christopher M. Kutyn de Kutyn Property Services, datée du 24 mars 2011 [l’évaluation du ministre] ».

 

[71]           Je tiens également à faire remarquer que le loyer annuel de 319 950 $ fixé dans l’avis de loyer est exactement le montant de la juste valeur locative indiquée dans l’évaluation du ministre.

 

[72]           Fait plus important, le témoignage de M. von Riedemann sur ce point (à la fois dans son affidavit et en contre-interrogatoire) indique que la fixation du loyer pour la période en cours est fondée sur l’évaluation du ministre, car, selon l’affidavit de M. von Riedemann [traduction] « de l’avis du ministre, l’évaluation du défendeur reflétait la juste valeur locative » (voir le paragraphe 14 de l’affidavit de M. von Riedemann). Monsieur von Riedemann n’indique nulle part que l’analyse contenue dans l’évaluation des demandeurs a été prise en compte.

 

[73]           Fait révélateur, bien que les demandeurs aient clairement formulé dans leur mémoire des faits et du droit leur argument concernant l’omission de M. von Riedemann de prendre en compte leur évaluation, le défendeur ne conteste à aucun moment dans son mémoire des faits et du droit l’allégation des demandeurs selon laquelle M. von Riedemann n’a pas pris en compte leur évaluation pour fixer le loyer pour la période de location en cours.

 

[74]           Plus particulièrement, le défendeur relève les endroits où il allègue l’existence d’éléments de preuve contradictoires ou de problèmes de crédibilité au paragraphe 23 de son mémoire des faits et du droit. Le défendeur n’a relevé aucune contradiction dans la preuve ni aucun problème de crédibilité sur ce point.

 

[75]           Je suis donc convaincue que le ministre n’a pas établi la [traduction] « juste valeur locative des terres » en l’espèce en fonction de deux évaluations indépendantes, mais qu’il l’a établie en s’appuyant uniquement sur l’évaluation qu’il avait lui-même obtenue. Par conséquent, outre les violations des conditions expresses et implicites du bail relevées dans les sections précédentes des présents motifs, le ministre a également omis de respecter à cet égard les dispositions du bail concernant les augmentations de loyer.

 

Les conséquences des irrégularités commises dans le cadre du processus

[76]           Pour les motifs énoncés, j’estime que le ministre a contrevenu aux dispositions expresses et implicites de l’article 2 du bail en ne fournissant pas aux demandeurs une copie de l’évaluation du ministre, en ne respectant pas le délai de 60 jours accordé aux demandeurs pour obtenir une troisième évaluation et en fixant le loyer sans prendre en compte l’évaluation des demandeurs. Ces irrégularités ont pour effet d’invalider l’avis de loyer donné par le ministre.

 

[77]           L’article 2.11 du bail prévoit que jusqu’à ce qu’un avis de loyer soit donné conformément aux conditions du bail, [traduction] « le loyer annuel de base continue d’être exigible et versé au taux applicable à la période de location qui précède la période quinquennale ou la dernière période triennale pertinente ». En conséquence, en l’absence d’un avis de loyer validement donné par le ministre, il s’ensuit que le loyer pour la période de location en cours devrait être maintenu à 160 000 $ par année.

 

Enrichissement sans cause

[78]           Le défendeur reconnaît qu’il ne profite pas financièrement de cette opération, mais soutient dans son mémoire des faits et du droit que si la Cour devait fixer le loyer au montant actuel de 160 000 $ par année, les demandeurs seraient injustement enrichis aux dépens des anciens titulaires des certificats de possession qui sont les véritables titulaires du droit en vertu du bail.

 

[79]           Je souligne que l’avocat du défendeur n’a pas donné suite à cet argument dans sa plaidoirie et n’a offert aucun jugement appuyant l’enrichissement sans cause fondé sur le tort que cet enrichissement aurait causé à un tiers qui n’est pas partie à l’instance.

 

[80]           Je souligne également que les demandeurs s’opposent à cet argument qui est invoqué pour la première fois dans le mémoire des faits et du droit déposé par le défendeur relativement à la présente requête. Je conviens qu’il serait injuste pour les demandeurs d’examiner cet argument, compte tenu du fait qu’il n’a pas été invoqué dans la défense du défendeur, faisant en sorte que les demandeurs n’ont eu aucune occasion d’interroger au préalable le défendeur relativement à cette question.

 

L’argument subsidiaire du défendeur : la Cour devrait‑elle fixer le loyer?

[81]           Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucune violation importante des dispositions du bail concernant le loyer. Cependant, si la Cour devait conclure à l’existence d’une telle violation, le défendeur soutient subsidiairement que plutôt que d’invalider l’avis de loyer, je devrais plutôt fixer une nouvelle juste valeur locative en fonction du dossier dont je dispose.

 

[82]           Compte tenu de mes conclusions précédentes relativement aux conséquences des irrégularités dans le processus suivi par le ministre, il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument. Je souligne toutefois qu’il s’agit d’un autre argument qui est présenté pour la première fois dans le mémoire des faits et du droit déposé par le défendeur relativement à la présente requête.

 

[83]           Si j’avais été tenue de fixer le loyer, j’aurais conclu que le dossier dont je dispose est insuffisant pour que je me prononce sur cette question de façon sommaire. En raison du fait que les deux évaluations ont été produites en preuve au moyen des affidavits de M. Reed et de M. von Riedemann respectivement, aucune des parties n’a eu l’occasion de contre‑interroger les auteurs de l’une ou l’autre évaluation. Par conséquent, j’aurais ordonné que cette question soit tranchée.

 

Conclusion

[84]           Pour ces motifs, l’action est accueillie.

 

[85]           En ce qui a trait à la réparation, un jugement déclarant que l’avis de loyer daté du 10 mai 2011 donné par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien concernant le loyer annuel de base payable à l’égard de la période quinquennale commençant le 18 mars 2011 et se terminant le 17 mars 2016 est invalide, nul et sans effet sera prononcé.

 

[86]           Un autre jugement déclarant que le loyer payable en vertu du bail pour la période du 18 mars 2011 au 17 mars 2016 continue d’être 160 000 $ par année sera prononcé.

 

[87]           Une ordonnance enjoindra au défendeur de rembourser aux demandeurs tous les paiements de location versés au-delà de leurs obligations en vertu du bail et de payer les intérêts avant jugement et après jugement.

 

[88]           Les demandeurs ont droit à leurs dépens dans la présente action, lesquels sont fixés à 15 000 $, incluant les frais et les débours.


JUGEMENT

 

LA COUR :

           

1.         Déclare que l’avis de loyer daté du 10 mai 2011 donné par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien concernant le loyer annuel de base payable à l’égard de la période quinquennale commençant le 18 mars 2011 et se terminant le 17 mars 2016 est invalide, nul et sans effet.

 

2.         Déclare que le loyer payable en vertu du bail pour la période du 18 mars 2011 au 17 mars 2016 continue d’être 160 000 $ par année.

 

3.         Ordonne au défendeur de rembourser les demandeurs pour tous les paiements de loyer versés au-delà de leurs obligations en vertu du bail et de payer les intérêts avant jugement et après jugement. Les intérêts avant jugement sont payés au taux de 1 p. 100 par année sur la somme de 32 677,97 $ à compter du 27 mai 2011 et sur chaque montant mensuel payé en trop par la suite à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. Le taux des intérêts après jugement est fixé à 3 p. 100 par année à compter de la date du présent jugement jusqu’à la date de leur paiement.

 

4.         Ordonne que les dépens dans la présente action, fixés à 15 000 $, incluant les frais et les débours, soient adjugés aux demandeurs.

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                        T-1090-11

 

Intitulé :                                      FLORA BOSA et autres c PGC et autres

 

 

 

Lieu de l’audience :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

Motifs du jugement

et jugement :                            la juge MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 juillet 2013

 

 

 

Comparutions :

 

Herbert S. Silber

Devan P. Lucas

 

Pour les demandeurs

Brett J. Nash

Rachel Enoch

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Kornfeld LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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