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Date : 20130703

Dossier : IMM-11399-12

Référence : 2013 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B171, B169, B170

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les défendeurs B171, B169, et B170 sont des réfugiés au sens de la Convention.

 

[2]               Les trois défendeurs sont des Tamouls du Sri Lanka qui sont arrivés au Canada à bord du MV Sun Sea le 13 août 2010. Les défendeurs B169 et B170 étaient, à l’arrivée, des enfants non accompagnés et B170 est toujours mineur. B171 est un adulte et est marié à la sœur de l’autre défendeur.

 

[3]               Le commissaire qui a rendu la décision a souligné que les identités des trois demandeurs avaient été établies par des documents. B171 et B169 ont prétendu avoir été harcelés par diverses autorités cherchant à obtenir des renseignements sur les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET), alors que B170 n’a pas prétendu avoir subi de mauvais traitements, mais a prétendu par l’intermédiaire de son avocat que, à titre de mineur, il était particulièrement exposé à la persécution. Le commissaire a conclu que les demandeurs craignaient véritablement de retourner au Sri Lanka.

 

[4]               Toutefois, la décision d’octroyer l’asile découlait du fait incontestable que les trois défendeurs avaient été passagers à bord du MV Sun Sea. Le commissaire a conclu que cela équivalait à de l’appartenance à un « groupe social » au sens de la Convention. Il a précisé qu’il n’avait analysé aucun autre motif d’octroi de l’asile.

 

LA QUESTION EN LITIGE :

 

[5]               La question en litige dans la présente demande consiste à savoir si le commissaire a commis une erreur en concluant que la demande des défendeurs avait un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, c’est-à-dire l’appartenance à un « groupe social ».

 

[6]               Comme la question ne porte pas sur la définition de « groupe social », mais consiste plutôt à savoir si le défendeur appartenait à un tel groupe, une question mixte de fait et de droit, et comme la Commission interprétait sa loi habilitante et la jurisprudence connexe, je conclus que la norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité, laquelle exige une plus grande déférence (Canada (MCI) c B380, 2012 CF 1334, aux paragraphes 13 à 15). Toutefois, je souligne qu’il n’y a pas unanimité sur ce point et que la question de la détermination de la norme de contrôle applicable a été certifiée à titre de question grave de portée générale dans Canada (MCI) c A011, 2013 CF 580, au paragraphe 57 :

 

[57]  Malheureusement, l’avocat de A011 n’a pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification. Néanmoins, je certifierai la question suivante :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doit‑elle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

ANALYSE

 

[7]               Le ministre demandeur a soutenu que les motifs du commissaire ont cerné clairement le « groupe social », à savoir les passagers du Sun Sea et non pas un quelconque autre groupe, par exemple, « les personnes soupçonnées d’appuyer les TLET ». Le critère de l’appartenance à un groupe social comporte plus que l’identification d’un groupe de personnes qui ont certains points communs. Renvoyant à l’article 96 de la LIPR et à Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], le demandeur a prétendu que le fait de décider volontairement de s’embarquer pour le Canada à bord d’un navire transportant des passagers clandestins ne créait pas un groupe qui définissait ses membres d’une manière qui appelle la défense des droits de la personne et qu’inclure de telles personnes aurait pour effet de banaliser la notion. Un groupe doit être victime de quelque chose se rapportant à la discrimination ou à la violation des droits de la personne pour que puisse jouer l’un des motifs énoncés dans la Convention.

 

[8]               Le défendeur B171 a prétendu que la détermination du commissaire correspondait aux catégories énoncées par la Cour suprême dans Ward. Le périple du Sun Sea a été publiquement qualifié d’opération montée par les TLET et il ne s’agissait donc plus d’une autre opération de passage de clandestins. Tous les passagers du navire étaient des Tamouls et les autorités sri lankaises ont continué de cibler les Tamouls et les personnes soupçonnées d’appuyer les TLET. L’origine tamoule de B171 était un élément essentiel de la décision du commissaire; l’origine tamoule conjuguée au passage sur le Sun Sea et à une opinion politique imputée à titre de partisan des TLET ont constitué ensemble un lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention. B171 a prétendu que même s’il n’appartenait pas à la catégorie du « groupe social », la conjugaison des facteurs suffit pour qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution. Il a prétendu que le commissaire avait tiré une conclusion fondée sur des motifs multiples.

 

[9]               Les défendeurs B169 et B170 ont également prétendu que le commissaire a eu raison de conclure qu’ils appartiennent à un groupe social. Ils ont renvoyé à Canada (MCI) c B420, 2013 CF 321, aux paragraphes 22 à 23, et à Veeravagu c Canada (MEI), [1992] ACF no 468 (QL) (CAF) à l’appui de l’affirmation voulant que lorsqu’une personne « fait partie d'un groupe dont la race est la caractéristique déterminante (les jeunes Tamouls de sexe masculin), il est tout simplement impossible de dire qu'une telle personne n'éprouve pas une crainte objective d'être persécuté du fait de sa race ». Les défendeurs ont prétendu que l’origine tamoule conjuguée au voyage à bord du navire constituaient autant de facteurs qui, ensemble, contribuaient à créer un groupe social et une opinion politique imputée. 

 

[10]           Je conclus que le commissaire a expressément choisi de n’analyser aucun motif d’octroi de l’asile énoncé dans la Convention autre que l’appartenance au « groupe social » qu’il a cerné et que, par conséquent, seules ses conclusions sur ce sujet peuvent être examinées par la Cour. Je souligne que la jurisprudence de la Cour portant sur la question du « groupe social » applicable à l’affaire du MV Sun Sea est quelque peu mitigée, mais que cela est principalement dû aux différences qui existent entre les faits de chaque espèce et les motifs de décision invoqués par différents commissaires. 

 

[11]           Il ne fait aucun doute que la notion de « groupe social », telle qu’énoncée dans Ward, vise la défense des droits de la personne :

 

70        Le sens donné à l'expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d'établir une bonne règle pratique en vue d'atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées:

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

(2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie.

 

 

[12]           Ce ne sont pas tous les « groupes sociaux » formés par des faits historiques irrévocables qui sont victimes de persécution pour un motif discriminatoire. Le juge Harrington a déclaré ce qui suit dans une affaire similaire, soit A011, au paragraphe 40 :

[40]   Dans l’affaire concernant A011, compte tenu de la structure de la décision, les renvois à la race et aux opinions politiques imputées sont des parties intégrantes de la conclusion selon laquelle il appartenait un groupe social, c’est‑à‑dire, les Tamouls qui étaient arrivés au Canada à bord du Ocean Lady. Ces passagers ne s’étaient pas volontairement associés pour des motifs essentiels à leur dignité humaine. Leur désir commun de venir au Canada n’a pas pour effet de faire d’eux des membres d’un groupe social au sens de la Convention et de l’article 96 de la Loi. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 27 de B72 :

Les passagers du « Sun Sea » avaient une myriade de raisons de venir au Canada. Certains étaient des passeurs. Certains peuvent très bien avoir été des terroristes. Certains étaient des criminels ordinaires qui cherchaient à se soustraire à la justice. Certains avaient de sérieuses raisons de craindre la persécution au Sri Lanka, et certains, comme M. 472, étaient des immigrants économiques. Il n’y a aucune cohérence ni aucun lien aux autres motifs de reconnaissance du statut de réfugié énoncés à l’article 96 de la LIPR.

 

 

[13]           Même si on applique la norme déférente de la raisonnabilité, compte tenu de la jurisprudence existante sur la question du « groupe social » qui a découlé du voyage à bord du Sun Sea, je conclus que la décision rendue par le commissaire dans la présente affaire n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[14]           L’ordonnance de confidentialité imposée par la Cour doit être maintenue.

 

QUESTION CERTIFIÉE

           

 

[15]           Comme il y a incertitude quant à savoir quelle norme de contrôle il convient d’appliquer, je certifie la même question que dans A011 :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doit‑elle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

 

DISPOSITIF

 

 

[16]           La demande est accueillie. Il n’y a aucune adjudication de dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande est accueillie;

2.      il n’y a pas d’adjudication de dépens;

3.      l’ordonnance de confidentialité imposée par la Cour est maintenue jusqu’à ce que l’affaire soit tranchée de façon définitive ou qu’une ordonnance contraire soit rendue;

4.      La question suivante est certifiée :

Lors du contrôle d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié définit la notion d’« appartenance à un groupe social » employée dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour doit‑elle appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la raisonnabilité?

 

 

 

« Richard G. Mosley »                    

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11399-12

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                            ET

 

                                                            B171, B169, B170

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MOSLEY.

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Hilla Aharon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Warren Puddicombe

POUR LE DÉFENDEUR

 

Gurpreet Badh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WILLIAM F. PENTLEY

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

WARREN PUDDICOMBE

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

GURPREET BADH

Smeets Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

           

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