Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20130625

Dossier : T-340-99

Référence : 2013 CF 704

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 25 juin 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD)

et LE CHEF CHRIS SHADE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES

MEMBRES DE LA TRIBU DES BLOOD/KAINAIWA

 

LA NATION PEIGAN et LE CHEF PETER STRIKES WITH A GUN,

EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES

DE LA NATION PEIGAN

 

LA NATION SIKSIKA et LA CHEF DARLENE YELLOW OLD WOMAN

MUNROE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE

LA NATION SIKSIKA

 

LA NATION TSUU T’INA et LE CHEF ROY WHITNER, EN SON

PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION TSUU T’INA

 

LA BANDE BEARSPAW et LE CHEF DARCY DIXON, EN SON PROPRE

NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE BEARSPAW

 

LA BANDE CHINIKI et LE CHEF PAUL CHINIQUAY, EN SON PROPRE

NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE CHINIKI

 

LA BANDE WESLEY et LE CHEF JOHN SNOW SR., EN SON PROPRE

NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE WESLEY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs revendiquent l’intégralité du territoire albertain situé au sud d’Edmonton. Dans le cadre de l’action intentée initialement, ils allèguent que Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta ont manqué à diverses obligations fiduciales découlant de la Proclamation royale de 1793, du décret sur la terre de Rupert et le Territoire du Nord‑Ouest, des Lois constitutionnelles de 1867, 1930 et 1982, de la Loi sur les Indiens et du Traité no 7 de 1877. Ils s’inscrivent en faux contre l’affirmation selon laquelle ils ont renoncé au titre ancestral lié au territoire visé par le Traité no 7, y compris aux mines et aux minéraux que recèle ce territoire, et affirment que tant le Canada que l’Alberta continuent de détenir des ressources leur appartenant en dépit du fait que le Canada les a transférées à l’Alberta aux termes de l’Accord de transfert des ressources naturelles de 1930.

 

[2]               L’Alberta a présenté une requête en rejet de l’action intentée contre elle au motif que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande présentée par les demandeurs, et elle a obtenu gain de cause. La décision, rendue par le protonotaire Hargrave, est publiée sous 2001 CFPI 1067, 211 FTR 288, [2001] ACF no 1502 (QL). Le Canada n’a pas pris position. La décision n’a pas fait l’objet d’un appel.

 

[3]               Les trois derniers groupes de demandeurs mentionnés, souvent désignés sous le nom de bande Wesley ou Stoney, ne se sont pas désistés de l’action intentée devant la présente Cour et ont intenté une poursuite contre l’Alberta et le Canada devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Cette affaire est en cours.

 

[4]               Neuf ans plus tard, le Canada a déposé une requête en suspension de l’action intentée contre lui. Il a fait valoir que l’Alberta devait être une partie à l’instance, qu’il entendait lui réclamer une contribution ou une indemnité, mais que la Cour n’avait pas compétence pour instruire l’affaire. Si ces deux exigences sont remplies, la Cour a l’obligation d’accorder une suspension des procédures, conformément à l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales.  

 

[5]               À titre subsidiaire, il a également présenté une requête en suspension fondée sur le principe généralement désigné sous l’appellation de forum non conveniens, conformément à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. Il a soutenu que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta était un tribunal mieux placé pour entendre l’affaire, dans la mesure où elle a compétence pour entendre toutes les parties. Certains demandeurs ont d’ailleurs déjà intenté une action devant cette cour.

 

[6]               Deux autres évènements sont survenus avant que la gestionnaire de l’instance, la protonotaire Milczynski, ait entendu la requête en suspension. En fait, le Canada a intenté une action contre Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin d’être indemnisé dans l’éventualité où les demandeurs obtiendraient gain de cause à l’issue de l’action. Il a également conclu des ententes préliminaires avec ces derniers, sauf avec la nation Tsuu T’ina et le chef Roy Whitney, afin que leurs actions soient transférées à la Cour du Banc de la Reine.

 

[7]               Dans une ordonnance en date du 24 juillet 2012, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête. Elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la Cour a compétence pour entendre une requête intentée par le Canada en vue d’obtenir une contribution ou une indemnité de l’Alberta, étant donné que l’élément « entend présenter » de l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales faisait défaut. Après examen des facteurs à prendre en considération pour accorder une suspension au titre de l’article 50, énoncés dans Tractor Supply Co of Texas et al c TSC Stores LP, 2010 CF 883, 376 FTR 218, [2010] ACF n1102 (QL), et White c E.B.F. Manufacturing Ltd, 2001 CFPI 713, [2001] ACF no 1073 (QL), elle a conclu que le Canada ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que la poursuite de l’instance donnerait lieu à un préjudice ou une injustice.

 

[8]               Dans le présent jugement, la Cour statue sur l’appel interjeté par le Canada à l’encontre de cette décision. Pour les motifs énoncés ci‑après, l’appel est rejeté.

 

ANALYSE

 

[9]               L’action en cause a été intentée il y a 14 ans. Bien que j’aie été témoin de certaines accusations réciproques, l’instance a fait l’objet d’une gestion spéciale d’entrée de jeu ou presque. Pour l’essentiel, les parties semblaient s’accommoder fort bien du fait que l’affaire demeure en suspens. Je n’ai aucune intention de critiquer qui que ce soit. Cela dit, pour mettre les choses en contexte, je vais présenter une brève chronologie de la présente affaire :

a.                   26 février 1999 : l’action est déposée devant la Cour fédérale.  

b.                  10 octobre 1999 : il est décidé que l’action fera l’objet d’une gestion d’instance.

c.                   29 octobre 2001 : le protonotaire Hargrave fait droit à la requête présentée par l’Alberta en vue de faire rejeter l’action intentée contre elle pour motif de défaut de compétence.

d.                  10 décembre 2003 : les trois derniers groupes de demandeurs (bande Wesley ou Stoney) intentent une action contre le Canada et l’Alberta devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

e.                   Avril 2009 : la bande Stoney exhorte le Canada à déposer une défense dans le cadre de la présente action.

f.                   31 mars 2010 : le Canada dépose une requête en suspension de l’action devant la Cour fédérale.

g.                  9 avril 2010 : le Canada intente une poursuite contre l’Alberta devant la Cour du Banc de la Reine en vue d’obtenir une indemnité de la province dans l’éventualité où il serait conclu qu’il a des obligations à l’égard des demandeurs. Le Canada soutient que, si ces obligations – qu’il conteste – étaient reconnues, l’Alberta aurait l’obligation de verser une contribution ou une indemnité, dans la mesure où, s’il existe des fiducies, en s’appropriant des terres de la Couronne, l’Alberta est un fiduciaire constructoire ou un fiduciaire de son tort, et que, si les demandeurs avaient des droits à l’égard des terres de la Couronne, en acceptant les modalités de l’Accord de transfert des ressources naturelles de 1930, la province a accepté le transfert sous réserve de ces droits.

h.                  12 février 2012 : même si la preuve à cet égard n’est pas parfaitement claire, il se peut très bien que les demandeurs, à l’exception de la nation Tsuu T’ina et de son chef Roy Whitney, étaient prêts à consentir à une ordonnance par laquelle leurs actions auraient été transférées en Alberta; l’une des conditions tenait à ce qu’il soit fait droit à la requête présentée par le Canada en vertu de l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

i.                    17 février 2012 : la requête en suspension est débattue devant la protonotaire Milczynski.

j.                    24 juillet 2012 : la protonotaire Milczynski rejette la requête en suspension.

 

[10]           Durant l’audience qui s’est tenue devant moi, le Canada n’a pas fait valoir que l’action devrait être suspendue en vertu de l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il a expliqué que son opinion avait toujours été quelque peu ambivalente sur la question de savoir si la Cour avait compétence pour entendre sa demande de contribution ou d’indemnité visant l’Alberta, mais qu’il n’avait pas attiré l’attention de la protonotaire Milczynski sur la décision rendue par le juge Phelan dans l’affaire Lac Seul Band of Indians c Canada, 2011 CF 351, 386 FTR 265, [2011] ACF no 561 (QL), décision n’ayant fait l’objet d’aucun appel. Nous y reviendrons.

 

[11]           Le protonotaire Hargrave avait préparé le terrain en rejetant l’action intentée par les demandeurs contre Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta. Il a fait observer que le paragraphe 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales conférait à la Cour compétence en ce qui concerne les demandes contre la Couronne, mais que le terme « Couronne » renvoyait à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, et non pas à Sa Majesté la Reine du chef d’une province.

 

[12]           Le protonotaire Hargrave a également renvoyé au paragraphe 17(4) de la Loi sur les Cours fédérales, en vertu duquel la Cour a compétence en ce qui a trait aux demandes contradictoires contre la Couronne. Cependant, le dossier ne contenait aucun élément indiquant la présence de demandes de cette nature.

 

[13]           Enfin, le protonotaire Hargrave s’est penché sur la question des différends entre gouvernements. Au paragraphe 29 de ses motifs de décision, il mentionne ce qui suit :

Il s’agit ici de savoir si l’article 19 de la Loi sur la Cour fédérale, qui est ainsi libellé :

19. Différends entre gouvernements — Lorsque l’assemblée législative d’une province a adopté une loi reconnaissant sa compétence en l’espèce, qu’elle y soit désignée sous son nouveau nom ou celui de Cour de l’Échiquier du Canada, la Cour fédérale est saisie des cas de litige :

 

a) entre le Canada et cette province;

 

b) entre cette province et une ou plusieurs autres provinces ayant adopté une loi semblable.

 

 

C’est la Section de première instance qui connaît de ces affaires.

avec l’article 28 de la Judicature Act de l’Alberta, qui est ainsi libellé :

 

[traduction] 28. Conformément aux dispositions des lois du Parlement du Canada, à savoir la Loi sur la Cour suprême et la Loi sur la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême du Canada seule ont compétence :

a) dans les litiges survenant entre le Canada et la province de l’Alberta;

 

b) dans les litiges survenant entre la province de l’Alberta et toute autre province du Canada qui a adopté une loi semblable à celle-ci;

 

c) dans les procédures où les parties, par leurs actes de procédure, ont soulevé la question de la validité d’une loi du Parlement du Canada ou d’une loi de la Législature de l’Alberta, lorsque de l’avis d’un juge de la cour dans laquelle ces procédures sont en cours, la question est importante; en pareil cas, le juge doit, à la demande des parties, et en l’absence d’une demande peut, s’il le juge bon, ordonner que l’affaire soit renvoyée à la Cour suprême du Canada pour qu’elle tranche la question.

 

attribue à la Cour une compétence en l’espèce. La compétence attribuée est certes générale, puisque l’article 19 de la Loi sur la Cour fédérale parle de litiges. De fait, le terme « litige » « [...] a un sens assez général pour embrasser tout genre de droit, d’obligation ou de responsabilité qui peut exister entre les gouvernements [...] » : voir les motifs que Monsieur le juge Le Dain a prononcés dans l’arrêt La Reine (Canada) c. la Reine (Î.-P.-É.) [1978] 1 C.F. 533, à la page 583. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que les deux actions représentent précisément le genre de cas prévus à l’article 19 de la Loi sur la Cour fédérale et que les alinéas 28a) et c) de la Judicature Act facilitent.

 

[14]           Cependant, le protonotaire Hargrave ne disposait d’aucune preuve concernant l’existence d’un différend, et il a affirmé qu’il ne devait pas faire de conjectures au sujet de ce qui pourrait être mis en litige dans des actes de procédure subséquents ou au sujet des litiges qui pourraient survenir.

 

[15]           Douze années plus tard, on n’a toujours rien présenté à la Cour au sujet d’un différend entre le Canada et l’Alberta. Par conséquent, j’ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi le Canada a fait mention de l’opinion formulée par M. le juge Phelan dans la décision Lac Seul, précitée, qui concernait un différend entre le Canada et le Manitoba.

 

[16]           La décision du protonotaire Hargrave a l’effet de la chose jugée, mais ne tranche pas la question de savoir si la Cour a compétence pour entendre une demande présentée par le Canada en vue d’obtenir une contribution ou une indemnité de l’Alberta. La protonotaire Milczynski a estimé qu’il était inutile de trancher cette question, étant donné que, selon l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la Couronne doit notamment entendre présenter une demande reconventionnelle ou procéder à une mise en cause. J’attire l’attention sur le temps de verbe utilisé à cet article, à savoir le présent (« entend présenter »). La protonotaire Milczynski n’était pas convaincue que la Couronne entendait intenter une action devant la Cour en raison du temps déjà écoulé et du fait qu’elle avait déjà intenté des procédures en Alberta en vue d’obtenir une contribution ou une indemnité.

 

[17]           La Cour fédérale est un tribunal d’origine législative créé en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle. Les parties ne peuvent pas lui conférer compétence par consentement. Si le Canada poursuivait l’Alberta devant la Cour par voie de mise en cause ou d’une nouvelle action, l’Alberta aurait le droit de présenter des observations au sujet de la compétence. De toute évidence, les parties devraient se pencher sur la question de savoir s’il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui découlent des rapports sui generis entre la Couronne et les Premières nations (voir Gottfriedson c Canada, 2013 CF 546 – décision faisant actuellement l’objet d’un appel).

 

DÉCISION DE LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

 

[18]           Je ne suis tenu d’examiner que les motifs de la décision de la protonotaire Milczynski qui concernent l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, lequel est ainsi libellé :

50. (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

 

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

 

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

 

(2) Sur demande du procureur général du Canada, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, suspend les procédures dans toute affaire relative à une demande contre la Couronne s’il apparaît que le demandeur a intenté, devant un autre tribunal, une procédure relative à la même demande contre une personne qui, à la survenance du fait générateur allégué dans la procédure, agissait en l’occurrence de telle façon qu’elle engageait la responsabilité de la Couronne.

 

 

(3) Le tribunal qui a ordonné la suspension peut, à son appréciation, ultérieurement la lever.

50. (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

 

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

 

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

 

(2) The Federal Court of Appeal or the Federal Court shall, on application of the Attorney General of Canada, stay proceedings in any cause or matter in respect of a claim against the Crown if it appears that the claimant has an action or a proceeding in respect of the same claim pending in another court against a person who, at the time when the cause of action alleged in the action or proceeding arose, was, in respect of that matter, acting so as to engage the liability of the Crown.

 

(3) A court that orders a stay under this section may subsequently, in its discretion, lift the stay.

 

[19]           Il convient de souligner que la demande de la nation Tsuu T’ina n’a pas été présentée en Alberta. Par conséquent, il n’y a pas identité des parties, et le paragraphe 50(2) ne s’applique pas.

 

[20]           De surcroît, les autres demandeurs semblent avoir signé une ordonnance sur consentement devant être soumise à la Cour. Aux termes de ce document, leurs actions seraient transférées aux tribunaux de l’Alberta. Le consentement prévoyait notamment comme condition que la Cour fasse droit à la demande présentée par la Couronne au titre de l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales, selon lequel il doit être conclu que la Cour n’a pas compétence pour entendre une procédure intentée par le Canada contre l’Alberta. Je ne suis assurément pas disposé à signer une telle ordonnance sur consentement. Il s’agit d’une affaire qui doit être portée en justice en bonne et due forme.

 

[21]           Les autres demandeurs étaient tous présents à l’audience. Ils ont décliné l’offre qui leur a été faite de présenter des observations sur la question de savoir s’ils étaient toujours disposés à transférer leurs actions devant des tribunaux de l’Alberta. J’estime que la question de l’ébauche de l’ordonnance sur consentement est réglée, étant donné qu’elle ne présente aucun intérêt dans le cadre de la présente instance.

 

[22]           Se fondant sur la décision Tractor Supply Co, précitée, la protonotaire Milczynski énonce, aux pages 10 et 11 de sa décision, les facteurs qu’elle doit prendre en considération pour exercer son pouvoir discrétionnaire :

(i)                 La poursuite de l’action causerait-elle un préjudice ou une injustice (non seulement des inconvénients et des frais additionnels) au défendeur?

(ii)               La suspension créerait-elle une injustice envers le demandeur?

(iii)             Il incombe à la partie qui demande la suspension d’établir que ces deux conditions sont réunies.

(iv)             L’octroi ou le refus de la suspension relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

(v)               Le pouvoir d’accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents.

(vi)             Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont-ils les mêmes dans les deux actions?

(vii)           Quelles sont les possibilités que les deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

(viii)         À moins qu’il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d’accès d’une partie en litige à un autre tribunal.

(ix)             La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.

 

[23]           La protonotaire Milczynski a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée du fardeau de prouver qu’une suspension lui causerait un préjudice ou une injustice, et qu’une suspension occasionnerait un préjudice ou une injustice au moins pour la nation Tsuu T’ina, si ce n’est pour tous les demandeurs.

 

[24]           La protonotaire Milczynski a fait observer que l’action intentée par la bande Wesley en Alberta mettait en cause des parties différentes, et qu’il n’était pas clairement établi que les terres visées par les deux actions étaient les mêmes, même s’il existait quelques chevauchements. Elle a conclu que la requête ne laissait pas entrevoir l’existence d’un « cas [parmi] les plus évidents », comme l’exige la décision White, précitée.

 

[25]           Comme il s’agissait d’une décision de nature discrétionnaire, avant de la modifier, la Cour doit se demander si l’affaire doit être examinée de nouveau en établissant si les questions soulevées ont une incidence cruciale sur l’issue de l’affaire ou si la décision est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation – Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459, [2003] ACF no 1925 (QL).

 

[26]           J’estime que le fait d’accueillir ou de rejeter la requête en suspension n’est pas crucial. Je ne crois pas non plus que la protonotaire ait erré de quelque façon que ce soit. Il a été déclaré qu’il ne lui était pas loisible de conclure que la nation Tsuu T’ina subirait un préjudice puisque aucun affidavit n’avait été produit à l’appui de cette proposition. Cependant, le préjudice est inhérent à la requête même. Conformément à l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour et les tribunaux provinciaux ont une compétence concurrente dans les cas d’actions intentées contre la Couronne. Comme le choix de l’instance appartient aux demandeurs, le préjudice qui leur serait causé tient au fait que ce choix serait déterminé par les actions intentées par d’autres parties.

 

[27]           Bien que l’action intentée par la bande Wesley devant la présente cour recoupe en partie celle intentée en Alberta, il faut souligner que, dans la déclaration qu’elle a soumise en Alberta, la bande Wesley revendique des terres traditionnelles, mais que celles‑ci [TRADUCTION] « […] n’englobaient pas les réserves indiennes ni les ressources naturelles qui s’y trouvent et qui ont été réservées pour d’autres nations indiennes et peuples autochtones » (action numéro 0301-19586, Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, district judiciaire de Calgary, déclaration modifiée, paragraphe 10 d.).

 

[28]           Advenant que je me trompe en concluant que l’affaire ne présentait pas un caractère crucial, je rejette, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, l’appel pour des raisons semblables à celles exposées par la protonotaire Milczynski. La question de la compétence de la Cour en ce qui a trait à une demande d’indemnité n’est pas réglée. J’estime qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder une suspension relativement à une requête qui aurait pu être déposée il y a une dizaine d’années. En outre, nous ne savons pas que la nation Tsuu T’ina est la dernière bande à avoir qualité pour agir. Tous les demandeurs se sont adressés à la présente Cour. Seul un groupe s’est adressé aux tribunaux albertains.

 

[29]           Les facteurs énoncés dans Tractor Supply Co et White constituent de bonnes lignes directrices. Ils ne restreignent pas le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour. Je suis d’accord avec le principe selon lequel le pouvoir d’accorder une suspension devrait seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents. Bien qu’il demeure possible que les deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires, il n’y a aucun risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question. J’ai été informé du fait que l’action intentée par la bande Wesley en Alberta en était à l’étape de la communication préalable. En l’espèce, la Couronne n’a toujours pas déposé une défense.

 

[30]           Une nouvelle requête pourrait être examinée ultérieurement. La Cour est actuellement en présence d’un vide factuel d’une ampleur telle qu’elle se trouve dans l’incapacité d’agir. Si Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta doit s’adresser à la Cour afin que les questions en litige soient tranchées définitivement, pourquoi Sa Majesté la Reine du chef du Canada a-t-elle attendu neuf ans après la décision du protonotaire Hargrave pour intenter une procédure en Alberta? Même si l’Alberta n’est pas une partie, la Loi sur les Cours fédérales permet la production de documents par une personne autre qu’une partie, et même l’interrogatoire préalable d’une telle personne.


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS,

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté avec dépens en faveur de la nation Tsuu T’ina et du chef Roy Whitney uniquement.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-340-99

 

INTITULÉ :                                      NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD ET AUTRES c

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 18 JUIN 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 25 JUIN 2013

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Raymond Lee

David Shiroky (stagiaires en droit)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, REQUÉRANTE

Terry Braun

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION TSUU T’INA et LE CHEF ROY WHITNER, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION TSUU T’INA)

 

Johanne Crook

 

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD) et LE CHEF CHRIS SHADE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA TRIBU DES BLOOD/KAINAIWA)

 

Brooke Barett

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA BANDE BEARSPAW et LE CHEF DARCY DIXON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE BEARSPAW)

 

(LA BANDE CHINIKI et LE CHEF PAUL CHINIQUAY, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE CHINIKI)

 

(LA BANDE WESLEY et LE CHEF JOHN SNOW SR., EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE WESLEY)

 

Clarine Ostrove

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION SIKSIKA et LA CHEF DARLENE YELLOW OLD WOMAN MUNROE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION SIKSIKA)

 

Faye Morningbull

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION PEIGAN et LE CHEF PETER STRIKES WITH A GUN, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION PEIGAN)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Walsh Wilkins Creighton LLP

Avocats

 

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD) et LE CHEF CHRIS SHADE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA TRIBU DES BLOOD/KAINAIWA)

 

Rae & Company

Avocats

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA BANDE BEARSPAW et LE CHEF DARCY DIXON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE BEARSPAW)

 

(LA BANDE CHINIKI et LE CHEF PAUL CHINIQUAY, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE CHINIKI)

 

(LA BANDE WESLEY et LE CHEF JOHN SNOW SR., EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE WESLEY)

 

Mandell Pinder LLP

Avocats

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION SIKSIKA et LA CHEF DARLENE YELLOW OLD WOMAN MUNROE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION SIKSIKA)

 

Scott Venturo LLP

Avocats

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION TSUU T’INA et LE CHEF ROY WHITNER, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION TSUU T’INA)

 

Indigenious Law

POUR LES DEMANDEURS

 

(LA NATION PEIGAN et LE CHEF PETER STRIKES WITH A GUN, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION PEIGAN)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.