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Date : 20130627

Dossier : IMM-6805-12

Référence : 2013 CF 722

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

BITA GHAJARIEH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Bita Ghajarieh, sollicite le contrôle judiciaire, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision rendue, le 16 mai 2012, par un agent d’immigration (l’agent) à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne. L’agent a décidé que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité au statut de résidente permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) prévues au paragraphe 76(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

Contexte

[2]               Mme Ghajarieh est une citoyenne de l’Iran qui a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF), plus précisément à titre de vérificatrice et comptable, une profession qui correspond au code 1111 de la Classification nationale des professions (la CNP). L’agent a examiné sa demande et lui a attribué 66 points, soit un point de moins que le minimum de 67 points requis pour être admissible au titre de la catégorie des TQF.

 

[3]               Lors de l’examen de la demande, l’agent a attribué des points pour divers critères, y compris 20 points pour les études de la demanderesse, lesquelles comprenaient un diplôme de premier cycle et quatorze années d’études. La demanderesse a soutenu dans sa demande que 22 points auraient dû lui être accordés en raison de son diplôme de premier cycle en physique et de son grade d’associé en comptabilité financière.

 

Questions en litige

[4]               Les deux questions déterminantes en l’espèce ont trait à l’appréciation faite par l’agent des diplômes de la demanderesse en conformité avec le paragraphe 78(2) du Règlement, et à l’application du paragraphe 76(3) du Règlement qui permet à un agent, lorsque l’attribution des points n’est pas un indicateur suffisant, d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de l’aptitude du travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada.

 

[5]               La demanderesse a fourni des preuves qu’elle a obtenu un diplôme de premier cycle en physique en 1998, lequel était l’aboutissement d’un programme de cinq années, et qu’elle a obtenu un grade d’associé en comptabilité financière en 2008, lequel était l’aboutissement d’un programme de deux années. Selon la demanderesse, les cours faisant partie du grade d’associé étaient les mêmes que ceux donnés aux personnes qui faisaient partie d’un programme menant à l’obtention d’un diplôme de premier cycle.

 

[6]               Selon la demanderesse, l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale car il a entravé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de l’examen des diplômes de la demanderesse en omettant d’aller au‑delà du titre de son deuxième diplôme pour déterminer son équivalence comme diplôme de premier cycle.

 

[7]               Selon la demanderesse, il s’agit d’une approche trop restrictive, et ce, à la lecture du Guide opérationnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), OP 6A Travailleurs qualifiés (fédéral) (OP 6A), lequel mentionne ce qui suit : « [l]’agent évalue les programmes d’études et attribue des points en fonction des normes existantes dans le pays où les études ont été faites ». L’expression « premier cycle » n’est définie ni dans la Loi ni dans le Règlement, et, par conséquent, l’agent a l’obligation d’aller au‑delà du titre du diplôme et de l’apprécier en fonction des normes existantes dans le pays où les études ont été faites.

 

[8]               La demanderesse allègue aussi que l’agent a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 76(3) de substituer à l’appréciation qui a déjà été faite, son appréciation de la possibilité pour la demanderesse de réussir son établissement économique au Canada. La demanderesse soutient que bien qu’elle n’ait pas fait référence au paragraphe 76(3) de façon précise dans sa demande de réexamen des points attribués, cette référence ressortait implicitement du libellé de la lettre présentée par son avocate qui commençait par [traduction] « compte tenu [des faits] qui précèdent, et pour des motifs d’ordre humanitaire, nous demandons humblement que notre cliente soit acceptée, étant donné qu’elle satisfera aux exigences car elle obtiendra le nombre de points exigés une fois que les ajustements seront faits […] ».

 

[9]               Le défendeur soutient que la demanderesse a omis de s’acquitter du fardeau qui lui incombait d’établir son admissibilité; elle n’a pas fourni de preuve que son grade d’associé en comptabilité financière équivalait à un diplôme de premier cycle et, par conséquent, elle n’a pas fourni suffisamment de preuves pour convaincre l’agent que ses études justifiaient l’attribution de 22 points. Il était raisonnable que l’agent conclût que la demanderesse détenait seulement un diplôme de premier cycle.

 

[10]           En ce qui a trait à la question de l’obligation de l’agent de substituer son appréciation, comme le permet le paragraphe 76(3), le défendeur soutient qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire exceptionnel qui peut être exercé lorsque l’agent est convaincu que le système d’attribution de points ne reflète pas adéquatement l’aptitude d’un demandeur de s’établir au Canada. En l’absence d’une demande précise d’un demandeur, l’agent n’a aucune obligation de substituer son appréciation. En l’espèce, dans la lettre, il était réitéré que la demanderesse détenait deux diplômes, et il n’était pas demandé que l’attribution des points soit réexaminée. La lettre ne contenait aucune demande que l’agent exerce son pouvoir discrétionnaire. Selon le défendeur, qu’une demande ait été faite ou non, comme cela ressort des motifs de l’agent, il n’y avait pas de raison justifiant l’obligation pour lui d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

Norme de contrôle

[11]           La question de savoir si l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire est une question d’équité procédurale et elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 813, au paragraphe 9. Comme je l’explique ci‑dessous, j’estime que l’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire.

 

[12]           La question consiste à savoir si l’agent a raisonnablement décidé que la demanderesse n’avait pas satisfait aux conditions d’admissibilité à la catégorie des TQF. L’agent est un décideur spécialisé dont les conclusions factuelles quant à l’admissibilité d’un demandeur à la résidence permanente au Canada commandent une grande déférence, et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), au paragraphe 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), au paragraphe 59; Hameed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 271, au paragraphe 22.

 

[13]           Comme il ressort de l’arrêt Khosa, et selon la citation souvent reprise, le rôle de la cour de révision est de « déterminer si [la solution] fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, au par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (paragraphe 59).

 

L’appréciation des diplômes de la demanderesse faite par l’agent était‑elle raisonnable?

[14]           La demanderesse a fourni des documents établissant qu’elle détenait un diplôme universitaire en physique de l’université islamique Azad, obtenu en 1998 après cinq années d’études. Elle a aussi déclaré qu’elle a obtenu un grade d’associé en comptabilité financière en 1998 de la Scientific Applied Comprehensive University, et elle a fourni un document pour établir qu’elle avait obtenu le diplôme, ainsi que des transcriptions faisant état des cours suivis et des notes obtenues.

 

[15]           Bien que la demanderesse soutienne maintenant que le grade d’associé est équivalent à un diplôme de premier cycle, qu’elle a suivi les mêmes cours que les étudiants inscrits au programme de premier cycle, et que la seule distinction entre les deux est que son programme était d’une durée de deux ans plutôt que de trois ans, la demanderesse n’a pas fourni suffisamment de preuves à l’appui de ses affirmations pour que l’agent conclue que ce diplôme était un diplôme de premier cycle.

 

[16]           Il n’est pas contesté qu’il appartient à la demanderesse de convaincre l’agent qu’elle satisfait à toutes les exigences du programme des travailleurs qualifiés (fédéral), et qu’elle doit [traduction] « présenter ses meilleurs arguments » à l’appui du nombre de points qui, selon elle, aurait dû lui être accordés pour ses diplômes (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1356, au paragraphe 32; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8). L’agent n’a pas l’obligation de demander des renseignements supplémentaires pour compléter la demande, en dehors des directives fournies dans l’OP 6A, lequel exige de prendre en compte les diplômes dans le contexte des normes existantes dans le pays où les études ont été faites.

 

[17]           Selon la demanderesse, l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en n’allant pas au‑delà du titre de son grade d’associé, comme il l’aurait dû le faire, afin de déterminer les points à attribuer quant à ses diplômes conformément au paragraphe 78(2).

 

[18]           Ce paragraphe est ainsi libellé :

78. (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

            d) 20 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant deux années d’études et a accumulé un total de quatorze années d’études à temps plein complet ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études et a accumulé un total d’au moins quatorze années d’études à temps plein complet ou l’équivalent temps plein;

 

            e) 22 points, si, selon le cas :

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complet ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complet ou l’équivalent temps plein;

           

(3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante :

 

a) ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme;

 

b) ils sont attribués :

 

(i) pour l’application des alinéas (2)a) à d), du sous‑alinéa (2)e)(i) et de l’alinéa (2)f), en fonction du diplôme qui procure le plus de points selon la grille,

 

(ii) pour l’application du sous‑alinéa (2)e)(ii), en fonction de l’ensemble des diplômes visés à ce sous‑alinéa.

 

 

[19]           La grille permet de reconnaître à la fois les diplômes universitaires et les diplômes postsecondaires autres qu’universitaires. La demanderesse prétend que, selon le sous‑alinéa 76(2)e)(ii), ses deux diplômes nécessitaient une attribution de 22 points. Je relève que ce sous‑alinéa fait seulement référence à au moins deux diplômes universitaires de premier cycle, et ne fait pas référence à la durée des études comme le fait le sous‑alinéa 76(2)d)(ii), lequel requiert un diplôme universitaire de premier cycle nécessitant deux années d’études. J’ai pris en compte l’argument de la demanderesse selon lequel les différences permettent une interprétation différente; toutefois, selon moi, les sous‑alinéas doivent être lus ensemble. Le sous‑alinéa 76(2)d)(ii) exige un diplôme universitaire de deux années d’études. La référence, au sous‑alinéa 76(2)e)(i), à au moins deux diplômes universitaires de premier cycle devrait logiquement être interprétée comme se rapportant à ces mêmes diplômes qui font référence à un diplôme universitaire de premier cycle de deux années d’études.

 

[20]           La demanderesse s’est concentrée sur la façon dont l’expression « premier cycle » devrait être interprétée, et sur la question de savoir si elle a une signification différente de baccalauréat, et elle allègue que l’agent aurait dû aller au‑delà du titre du diplôme dans son appréciation.

 

[21]           Toutefois, je relève que la demanderesse et le défendeur conviennent tous les deux que le terme diplôme signifie que le programme suivi a été complété avec succès. L’agent a fait référence à la définition du terme diplôme contenue dans le Règlement, de laquelle il ressort clairement que le programme doit être complété et qu’un diplôme ou un autre certificat doit être obtenu.

 

[22]           L’article 73 du Règlement prévoit ce qui suit :

 

 

« diplôme » tout diplôme, certificat de compétence ou certificat d’apprentissage obtenu conséquemment à la réussite d’un programme d’études ou d’un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements dans le pays de délivrance de ce diplôme ou certificat.

“educational credential” means any diploma, degree or trade or apprenticeship credential issued on the completion of a program of study or training at an educational or training institution recognized by the authorities responsible for registering, accrediting, supervising and regulating such institutions in the country of issue.

 

[23]           Par conséquent, la réussite d’un programme de premier cycle devrait mener à un diplôme de premier cycle.

 

[24]           Même si certains demandeurs peuvent estimer que la grille de points contient des lacunes et ne tient pas précisément compte de leur diplôme, l’agent est obligé d’appliquer le Règlement tel quel. En l’espèce, la demanderesse s’est vu accorder 20 points seulement. Ceux‑ci sont le reflet de son diplôme de premier cycle en physique, rien de plus. Son diplôme de deux années d’études, même s’il avait seulement été pris en compte comme diplôme postsecondaire non universitaire, conformément au sous‑alinéa 78(2)d)(i), n’aurait pas entraîné l’attribution de points additionnels.

 

[25]           La lettre de l’agent en réponse à la demande de réexamen, laquelle constitue une partie des motifs, indique qu’il a examiné le diplôme et a conclu que celui‑ci ne correspondrait à aucune des catégories du paragraphe 78(2) :

[traduction]

Bien qu’un grade d’associé soit considéré comme un diplôme universitaire, il n’est pas l’équivalent d’un diplôme de premier cycle. Il n’est l’équivalent ni d’un diplôme collégial ni d’un certificat d’une école de métier ou d’apprentissage, parce qu’il est un diplôme universitaire.

 

Comme il ressort de l’alinéa 78(2)e) du Règlement, 22 points devraient être attribués à un demandeur s’il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total de quinze années d’études.

 

Étant donné qu’un grade d’associé n’est pas un diplôme de premier cycle, une personne qui détient un diplôme de premier cycle et un grade d’associé ne satisfait pas aux critères.

 

[En gras dans l’original.] 

 

[26]           Comme le juge Roy l’a relevé dans la décision Sedighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 445, une affaire portant sur le nombre de points qui avaient été attribués à un demandeur qui affirmait être médecin :

[15]      Pour bénéficier de l’alinéa 78(2)f) du Règlement, le demandeur devait démontrer que le diplôme d’études universitaire qu’il avait obtenu était un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle. Son affirmation selon laquelle l’agent avait, d’une manière ou d’une autre, une obligation de se renseigner au sujet des exigences d’obtention d’un diplôme de médecine en Iran est sans fondement. Le fardeau n’est pas renversé; il reste sur les épaules du demandeur, et ce, tout au long du processus. Le demandeur a soulevé un argument ingénieux, fondé sur un des mots employés dans la version anglaise de l’alinéa 78(2)f) : « level ». Il prétend que l’emploi du mot « level » conjointement avec les mots « master’s or doctoral » dans la version anglaise donne à penser que ce n’est pas un diplôme en particulier qui est exigé, mais plutôt un diplôme de « niveau » équivalent. Malheureusement pour le demandeur, son argument ingénieux ne concorde pas avec la version française du même alinéa, qui établit clairement que le diplôme requis doit être un diplôme de deuxième ou de troisième cycle. Il est bien connu que les tribunaux chercheront le sens commun entre des versions bilingues et que c’est ce sens qui sera retenu (Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), [2012] 1 RCS 23). Compte tenu de la preuve dont disposait l’agent, il n’était pas déraisonnable pour ce dernier de conclure que le diplôme du demandeur n’était pas un diplôme de deuxième ou de troisième cycle.

 

 

[27]           En l’espèce, la comparaison entre les versions française et anglaise de la disposition ne permet pas de clarifier la question, étant donné que le baccalauréat constitue le « premier cycle » et que les deux diplômes de la demanderesse sont prétendument de même niveau. Toutefois, comme dans la décision Sedighi, il incombait à la demanderesse d’établir que son grade d’associé était un diplôme de niveau de premier cycle et elle ne l’a pas fait.

 

[28]           L’agent a pris en compte la nature du grade d’associé et il a conclu qu’il n’était pas un diplôme de premier cycle. Bien que la demanderesse donne à penser que l’agent a omis d’examiner ce diplôme dans le contexte du pays où les études ont été faites, rien ne permet de croire que ce fut le cas.

 

[29]           L’appréciation faite par l’agent du nombre de points à attribuer à la demanderesse était fondée sur l’application du Règlement à la preuve dont il disposait. La décision était intelligible, transparente et justifiée et elle appartenait aux issus possibles acceptables.

 

L’agent at‑il commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 76(3)?

[30]           Le paragraphe 76(3) du Règlement prévoit ce qui suit :

Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

 

[31]           Il ressort clairement du libellé de la disposition que l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus, lorsque le nombre de points ne suffit pas à déterminer si un demandeur peut réussir son établissement économique au Canada, mais il n’y a pas d’obligation de faire une telle substitution.

 

[32]           La jurisprudence étaye le libellé clair du paragraphe.

 

[33]           Dans la décision Esguerra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 413, [2008] ACF no 549, le juge de Montigny a souligné ce qui suit :

16.       Le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 76(3) du Règlement ne s’applique qu’exceptionnellement lorsque le nombre de points accordé ne reflète pas l’aptitude du travailleur qualifié à réussir son établissement économique. Le fait que le demandeur ou même la Cour aurait évalué les facteurs différemment n’est pas un motif justifiant un contrôle judiciaire.

 

 

[34]           Dans la décision Budhooram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 18, [2009] ACF no 46 (Budhooram), le juge Lagacé, faisant des commentaires similaires, a déclaré ce qui suit :

14.         Le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 76(3) du Règlement, de toute évidence, ne s’applique qu’exceptionnellement, lorsque le nombre de points accordés ne reflète pas l’aptitude du travailleur qualifié à réussir son établissement économique. Cette décision doit être traitée avec retenue et le fait que le demandeur ou la Cour aurait évalué les facteurs différemment ne suffit pas à fonder un contrôle judiciaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3, 2002 CSC 1, aux paragraphes 34 à 39; Poblano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 1424, 2005 CF 1167, aux paragraphes 4, 5 et 8).

 

[35]           Dans la décision Nehme c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 64, [2004] ACF 49, le juge MacKay a conclu qu’un agent n’a pas l’obligation d’envisager de procéder à une substitution de l’appréciation et, si son pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé, le demandeur reste soumis à l’application du paragraphe 75(3), s’il ne répond pas aux conditions de son acceptation :

25        Dans les conclusions écrites déposées après l’instruction de la demande, la demanderesse soulève un autre nouveau point, en affirmant que l’agente des visas devrait être priée d’examiner, en application du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), les chances qu’elle peut avoir de réussir son établissement économique au Canada bien qu’elle n’ait pas obtenu le nombre de points requis pour être acceptée comme résidente permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés. À mon avis, cette disposition donne à l’agente des visas le pouvoir discrétionnaire d’apprécier la capacité d’un requérant de réussir son établissement économique au Canada, mais l’agente des visas n’est pas tenue d’agir ainsi, surtout si aucune demande en ce sens n’accompagne la requête initiale. Le pouvoir discrétionnaire conféré par cette disposition appartient à l’agente des visas, et la Cour n’a aucun moyen d’ordonner qu’il soit exercé. Ainsi, à moins que ce pouvoir discrétionnaire exceptionnel ne soit exercé par l’agente des visas, la demanderesse est soumise au paragraphe 75(3) du RIPR, selon lequel, si le requérant ne répond pas aux conditions de son acceptation comme résident permanent, alors l’agent des visas est dispensé de l’obligation de procéder à une nouvelle évaluation.

 

 

[36]           Bien que l’agent ait, selon le paragraphe 76(3), le pouvoir discrétionnaire de procéder, de sa propre initiative, en l’absence d’une demande de la part du demandeur, à une substitution de l’appréciation de la preuve, l’agent n’est pas tenu de le faire. Comme le juge Mosley l’a souligné dans Eslamieh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 722, [2008] ACF no 909 :

4          Les agents des visas ont, d’après le paragraphe 76(3), le pouvoir d’appliquer, de leur propre initiative, une autre évaluation, ainsi que l’écrivait ma collègue la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FTR 1115, 26 Imm. L.R. (3d) 72. Cela dit, il ressort clairement de la jurisprudence qu’ils n’ont pas l’obligation d’exercer ce pouvoir discrétionnaire à moins d’en être priés explicitement. La demanderesse admet qu’elle n’a pas présenté une telle requête et il m’est donc impossible de dire que la décision de l’agente des visas était déraisonnable.

 

[37]           En l’espèce, la demanderesse n’a présenté aucune demande de substitution d’appréciation. Dans la lettre, datée du 15 mai 2012, envoyée par la demanderesse, celle‑ci sollicite uniquement un réexamen du nombre de points attribués, mais ne formule aucune demande de substitution d’appréciation aux termes du paragraphe 76(3) du Règlement. Il n’est pas possible d’interpréter la phrase « […] pour des motifs d’ordre humanitaire, nous demandons humblement que notre cliente soit acceptée, étant donné qu’elle satisfera aux exigences car elle obtiendra le nombre de points exigés une fois que les ajustements seront faits », figurant dans la lettre comme étant une « demande » présentée en application du paragraphe 76(3) étant donné que la demande porte essentiellement sur le réexamen du nombre de points attribués pour le diplôme d’associé. L’expression [traduction] « pour des motifs d’ordre humanitaire » semble être une expression ordinaire.

 

[38]           La décision de l’agent indique ce qui suit :

[traduction]

Vous n’avez pas accumulé suffisamment de points pour me convaincre que vous serez en mesure de réussir votre établissement économique au Canada. Je suis convaincu que le nombre de points accordés et les renseignements fournis reflètent de manière exacte votre aptitude à réussir votre établissement économique au Canada.

 

[39]           Comme le défendeur l’a relevé, l’agent a conclu que les points étaient le reflet de l’aptitude – ou de l’absence d’aptitude – à s’établir. Par conséquent, même s’il y avait une demande implicite d’envisager de procéder à une substitution d’appréciation, l’agent a conclu qu’elle ne serait pas justifiée parce qu’il était convaincu que le nombre de points attribués constituait une mesure adéquate de l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique. Le paragraphe 76(3) ne s’appliquerait donc pas.

 

[40]           Au paragraphe 31 de la décision Budhooram, le juge Lagacé a traité d’une décision rédigée de façon similaire et il a relevé ce qui suit :

Rien dans les règlements, les lignes directrices ou la jurisprudence n’oblige les agents des visas à motiver leur refus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire. Cependant, il ressort clairement des notes du STIDI au dossier que l’agente n’était pas convaincue que les points reflétaient mal l’aptitude du demandeur à réussir son établissement.

 

Conclusion

[41]           Même s’il manquait seulement un point à la demanderesse par rapport au minimum requis, il incombait à celle‑ci d’établir, à la satisfaction de l’agent, que ses diplômes justifiaient l’attribution de points additionnels, et elle n’a pas satisfait à cette obligation. L’appréciation de l’agent était raisonnable. L’agent n’avait pas l’obligation de procéder à une substitution d’une autre appréciation, même si une demande explicite avait été faite en ce sens, mais dans la présente affaire une telle demande n’a pas été faite. En outre, les motifs de l’agent indiquent qu’il n’y avait aucun fondement pour envisager de procéder à une substitution d’appréciation.

 

[42]           Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée pour certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR statue que :

 

1.      la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.      aucune question n’est certifiée.

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-6805-12

 

INTITULÉ :                                            BITA GHAJARIEH

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 27 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tara McElroy

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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