Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20130620

Dossier : IMM-9093-12

Référence : 2013 CF 659

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

LAJOS RUTKA

LAJOSNE RUTKA

GRETA RUTKA

MARTINA RUTKA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par Ron Yamauchi, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile des demandeurs, la Commission a conclu qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Lajosne Rutka (la demanderesse principale), son époux Lajos Rutka et leurs filles Greta et Martina Rutka sont des citoyens de la Hongrie.

 

[3]               La demanderesse principale allègue qu’elle a subi de la discrimination et du harcèlement sexuel en Hongrie en raison de son origine ethnique rom. Elle allègue aussi que ses enfants ont vécu du harcèlement en raison de leur origine ethnique à moitié rom, et que son époux qui n’est pas Rom a perdu des clients potentiels et des projets de travail en Hongrie parce qu’il est lié au peuple Rom.

 

[4]               Pour la Commission, la question déterminante était la crédibilité des demandeurs. Pour les besoins de son analyse, la Commission a supposé que la demanderesse principale était d’origine rom. Toutefois, la Commission a conclu que la preuve présentée mettait en doute la crédibilité d’un certain nombre d’éléments.

 

[5]               La Commission a aussi conclu qu’en tant que témoin, la demanderesse principale n’avait pas été particulièrement franche, car elle avait parfois omis de répondre aux questions.

 

* * * * * * * *

 

 

[6]               Les questions soulevées par les demandeurs peuvent être formulées de la façon suivante :

    1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité des demandeurs?

 

    1. La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a omis de fournir une interprétation adéquate à l’audience?

 

[7]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission portant sur la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Lumaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 763, 9 ImmLR (4th) 286, au paragraphe 25; Wu c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 929, au paragraphe 17; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir); Aguebor c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4).

 

[8]               Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si les conclusions de la Commission appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse exister plus d’une issue possible, tant que le processus décisionnel de la Commission est justifié, transparent et intelligible, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[9]               Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la décision correcte, étant donné qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale (Dhaliwal c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1097, au paragraphe 12 (Dhaliwal); Sandoval c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 1273, au paragraphe 35 (Sandoval)).

 

* * * * * * * *

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité des demandeurs?

 

[10]           Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité appellent une grande retenue (Hassan c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1136, au paragraphe 11).

 

[11]           Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que l’appréciation générale de leur crédibilité faite par la Commission était déraisonnable.

 

[12]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré une inférence défavorable à partir de la conclusion qu’en tant que témoin, la demanderesse principale n’avait pas été particulièrement franche, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve psychologique relative à la demanderesse principale, à l’appui de la proposition selon laquelle la Commission aurait dû prendre en compte l’état de santé psychologique de la demanderesse principale dans l’appréciation de son témoignage. Les demandeurs invoquent les décisions Khawaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 287, et Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 228 FTR 43, à l’appui de leur argument. Cependant, ces deux décisions sont distinctes en ce sens que dans ces affaires, les demandeurs avaient présenté un rapport psychologique à la Commission, et la Cour avait conclu que cette preuve n’avait pas été adéquatement prise en compte.

 

[13]           Je ne suis par ailleurs pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a tiré une inférence défavorable à partir des nombreuses incohérences dans la preuve des demandeurs. La Commission a reconnu que l’incohérence entre l’entrevue de la demanderesse principale avec une agente des services frontaliers et son Formulaire de renseignements personnels relativement à la date de sa dernière agression peut avoir été le résultat d’une confusion légitime, mais la Commission a raisonnablement relevé que cette incohérence avait soulevé des doutes quant à l’exactitude de son souvenir. Il était aussi raisonnable que la Commission relève qu’il n’était pas clair comment la demanderesse principale aurait été empêchée de présenter une demande d’asile lorsqu’elle a tenté d’entrer au Canada en novembre 2009, étant donné qu’elle a admis qu’un interprète était accessible par téléphone. Il était raisonnable que la compréhension de la Commission n’ait pas été éclairée par l’observation de la demanderesse principale selon laquelle elle avait eu une réaction psychologique au comportement agressif de l’agente des services frontaliers.

 

[14]           Comme le défendeur l’a souligné, les demandeurs n’ont pas contesté directement les conclusions de la Commission selon lesquelles la demanderesse principale a fait des déclarations incohérentes relativement à la situation financière de sa famille. Les demandeurs n’ont pas non plus contesté les doutes de la Commission dont il ressort que la demanderesse principale et ses enfants peuvent ne pas être visuellement distinguées comme étant des Roms, ni la conclusion de la Commission selon laquelle le fait que le demandeur qui n’est pas Rom soit arrivé le premier au Canada, laissant les membres roms de sa famille en Hongrie, permettait de douter que le départ de la famille ait été véritablement motivé par des préjugés d’ordre ethnique.

 

[15]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel la Commission a conclu de façon déraisonnable que M. Rutka avait fourni des motifs incohérents pour justifier son départ de la Hongrie, je suis d’accord avec le défendeur que les doutes de la Commission sont nés du fait qu’à différents moments, la demanderesse principale a fourni différentes réponses pour expliquer pourquoi son époux avait quitté la Hongrie, et qu’à l’audience, elle n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi elle l’avait fait.

 

2.         La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a omis de fournir une interprétation adéquate à l’audience?

 

[16]           Comme le défendeur l’a souligné, l’interprétation fournie lors des audiences de la Commission doit être « continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante », mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit parfaite (Mohammadian c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CAF 191, aux paragraphes 4 à 6; Sandoval, précitée, au paragraphe 36).

 

[17]           Le seul élément de preuve contenu dans le Dossier certifié du tribunal relativement aux préoccupations des demandeurs quant à l’interprétation fournie est une note dans le Dossier de renseignements sur l’audience selon laquelle, lors du premier des deux jours de l’audience, la fille de la demanderesse qui est bilingue a [traduction] « exprimé des préoccupations » relativement à l’interprète (page 4 du Dossier certifié du tribunal). Dans leurs observations orales présentées à la Cour, les demandeurs ont dit qu’ils ont exprimé des préoccupations pendant une pause, et c’est la raison pour laquelle leur plainte ne ressort pas de la transcription de l’audience. Il n’y a pas de preuve sur la façon dont la Commission a traité les préoccupations des demandeurs.

 

[18]           Les demandeurs reconnaissent que, bien qu’ils aient exprimé des préoccupations relativement à l’interprète à la fois à la Commission et à leur conseil, ils n’ont jamais demandé à la Commission de recourir aux services d’un autre interprète. Les demandeurs disent qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient le droit de faire une telle demande.

 

[19]           En outre, même si c’est la même personne qui a servi d’interprète pendant les deux jours de l’audience, rien dans la preuve documentaire n’indique que les demandeurs se sont plaints de l’interprétation le deuxième jour d’audience.

 

[20]           La demanderesse principale affirme qu’elle devait répéter et reformuler les questions que l’interprète lui transmettait afin de comprendre son hongrois, mais je ne vois pas où dans la transcription peut trouver appui cette affirmation. Les seules questions d’interprétation dont fait état la transcription sont que, plusieurs fois au cours de l’audience, l’interprète a dû demander au commissaire ou au conseil des demandeurs de répéter une question.

 

[21]           Toutefois, les demandeurs n’allèguent aucune erreur faite dans l’interprétation qui a eu une répercussion importante sur l’instance ou la décision (Deng c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 943, au paragraphe 17). Les demandeurs semblent prétendre que la Commission aurait dû prendre acte des difficultés de la demanderesse principale à comprendre l’interprète lorsqu’elle a conclu qu’en tant que témoin, la demanderesse principale n’avait pas été particulièrement franche. L’analyse de la Commission sur ce point a été la suivante :

[18]      Tout d’abord, en tant que témoin, la demandeure d’asile principale n’a pas été particulièrement franche, en ce sens qu’elle a omis de répondre à certaines questions. Par exemple, lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer comment la Garde hongroise s’était rendu compte de son origine rom, la demandeure d’asile principale a répété la question, puis s’est tue. Elle a été poussée à répondre à la question. Il lui a été dit qu’elle pouvait simplement dire qu’elle ignorait la réponse, mais elle n’a rien dit du tout. Elle a de nouveau été poussée à répondre à la question et, cette fois, elle a déclaré que la Garde hongroise ne pouvait qu’avoir remarqué qu’elle était Rom en voyant son nom et en l’observant; en outre, son collègue savait qu’elle était Rom.

 

[19]      Cette réponse n’a pas été donnée tout de suite, et cela soulève des doutes quant à son exactitude.

 

 

[22]           Je crois que l’analyse de la Commission est fondée sur l’échange suivant entre le conseil des demandeurs, le commissaire et la demanderesse principale, échange qui a eu lieu à l’audience (pages 399 et 400 du Dossier certifié du tribunal) :

[traduction]

PAR M. BHATTI :

 

Q :       Vous avez dit que -- on vous a posé des questions sur la Garde hongroise qui avait pris pour cibles vos enfants et vous avez dit que c’était parce que vous étiez Rom. Comment -- à votre avis, comment la Garde hongroise a‑t‑elle su que vous étiez Rom?

 

R :       Quand ont‑ils su ou comment ont‑ils su que j’étais d’origine rom, Monsieur le conseil?

 

Q :       Oui.

 

COMMISSAIRE : Si vous ne savez pas, ce serait aussi une réponse. Vous prenez du temps avec ceci. S’il y a une réponse, vous pouvez prendre votre temps, mais si vous ne savez pas, vous pouvez le dire. Quelle que soit la vérité.

 

R :       Monsieur le conseil, vous avez demandé depuis quand ils savent ou comment ils savent que je suis d’origine rom?

 

PAR M. BHATTI :

 

Q :       C’est ça. Comment pensez‑vous qu’ils savaient que vous étiez Rom? Si vous le savez. Si vous ne le savez pas, c’est correct. OK. Est‑il correct de supposer du fait que vous ne répondez pas, Madame, que vous ne le savez pas?

 

R :       Je m’excuse, je ne comprends pas la question.

 

COMMISSAIRE : La question est –

 

INTERPRÈTE : Monsieur le conseil, pouvez‑vous poser la question une fois de plus?

 

M. BHATTI : Je crois que le tribunal va le faire.

 

COMMISSAIRE : Bien, comment les membres de la Garde hongroise pouvaient-ils savoir que vous étiez une personne d’origine rom? Vous avez dit que vos enfants étaient harcelés parce que vous êtes Rom. Comment savent‑ils que vous êtes Rom?

 

R :       Ils le savent en raison de mon nom, en raison de mon apparence. Cette collègue, elle savait évidemment que j’étais d’origine rom et son époux était un membre de la Garde. Ils savaient quelle école mes enfants fréquentaient.

 

 

 

[23]           Étant donné que les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi la demanderesse principale avait de la difficulté à comprendre l’interprète au cours de cet échange, et que cet échange est le seul exemple que la Commission a donné pour justifier sa conclusion selon laquelle, en tant que témoin, la demanderesse principale n’avait pas été particulièrement franche, je ne comprends pas en quoi la Commission avait une obligation de prendre acte de quelque difficulté d’interprétation que ce soit lorsqu’elle a tiré cette conclusion.

 

[24]           Par conséquent, comme les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi des erreurs d’interprétation avaient eu une répercussion importante sur la décision ou les avaient empêché de présenter leurs arguments, je ne peux pas conclure que la Commission a manqué à l’obligation d’équité procédurale (Deng, précitée, au paragraphe 17; Dhaliwal, précitée, au paragraphe 18).

 

* * * * * * * *

 

[25]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[26]           Je conviens avec les avocats des parties que la présente espèce ne soulève aucune question à certifier.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 août 2012, rendue par Ron Yamauchi, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, est rejetée.

 

 

 « Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-9093-12

 

INTITULÉ :                                            LAJOS RUTKA, LAJOSNE RUTKA, GRETA RUTKA, MARTINA RUTKA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 20 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lajosne Rutka                                           LES DEMANDEURS, POUR LEUR PROPRE COMPTE

 

Sarah-Dawn Norris                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                                                  LES DEMANDEURS, POUR LEUR PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.