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Date : 20130620

Dossier : IMM-8624-12

Référence : 2013 CF 694

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

RICHARD FAZEKAS

EVA FAZEKAS

RICHARD FAZEKAS (fils)

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande est accueillie.

 

[2]               Les membres de la famille du demandeur sont des citoyens de la Hongrie d’origine ethnique rom. Dans leur formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans leurs témoignages devant la Commission, ils ont relaté la discrimination et les actes de persécution dont ils font l’objet depuis toujours dans leur pays d’origine. Ils ont fui au Canada parce qu’ils craignent les skinheads racistes.

 

[3]               La Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité ni conclu que les demandeurs ne risquaient pas d’être persécutés s’ils retournaient en Hongrie. La question déterminante était celle de la protection de l’État.

 

[4]               La seule référence à la crédibilité est la suivante : « Le tribunal estime que les réponses du demandeur d’asile au sujet de l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes, car ses propos n’étaient pas crédibles et ses affirmations étaient en grande partie non fondées et ne concordaient pas avec la preuve documentaire. » En résumé, la Commission a accepté les témoignages des demandeurs d’asile, sauf ceux selon lesquels la protection de l’État n’était pas efficace en Hongrie.

 

[5]               La Commission a conclu que « [l]e demandeur d’asile n’[avait] pas fourni les éléments de preuve clairs et convaincants nécessaires selon lesquels, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État est inadéquate en Hongrie ». Pour parvenir à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur les éléments du témoignage qu’elle relate comme suit :

Le demandeur d’asile a déclaré que son épouse et lui sont allés signaler à la police un incident dont son épouse a été victime le 15 juin 2008. Aucun autre incident n’a été signalé à la police.

[…]

Le demandeur d’asile n’a déposé qu’une seule plainte à la police. Il n’a pas signalé qu’il n’était pas satisfait des résultats de l’enquête, ni n’a assuré de suivi auprès du Bureau de l’ombudsman pour les minorités ou de l’IPCB.

 

[6]               Malgré les efforts admirables du conseil pour « faire un rapprochement » et expliquer en quoi ces affirmations sont compatibles avec le dossier, il me semble évident que la Commission était tout simplement dans l’erreur dans son évaluation de la preuve.

 

[7]               Le témoignage des demandeurs d’asile est le suivant. Madame Fazekas a été brutalement agressée par trois skinheads le 15 juin 2008. La police a été appelée et s’est rendue sur les lieux, mais les truands avaient déjà pris la fuite. La police a appelé une ambulance pour Mme Fazekas, et le lendemain, le 16 juin 2008, Mme Fazekas s’est rendue au poste de police pour déposer une plainte officielle. Mme Fazekas a déclaré qu’environ une semaine après avoir signalé l’incident, elle avait tenté de faire un suivi par téléphone, mais qu’elle s’était fait répondre [traduction] : « ils ne sont pas censés nous informer des progrès de l’enquête ». Elle a en outre déclaré : [traduction] : « Je leur ai demandé ce qui arriverait si je me présentais en personne, et lui ou elle m’a répondu ne pas pouvoir m’aider relativement à ce problème, mais que je pouvais bien essayer. » Vers la fin de 2009, les demandeurs d’asile ont trouvé une note dans leur boîte aux lettres sur laquelle il était écrit [traduction] « sales bohémiens, tous les membres de votre famille vont mourir ». Ils ont apporté cette note au poste de police pour la signaler et, par la même occasion, ils ont demandé où en était la plainte déposée en juin 2008. Mme Fazekas a déclaré ce qui suit au sujet de leur tentative de signaler la menace de mort : [traduction] « Je pleurais, et Richard a commencé à lui dire ce qui s’était passé, il ne nous écoutait pas, il fixait le bout de papier, il n’a même pas cherché à le prendre, il a interrompu Richard tandis qu’il lui racontait ce qui s’était passé et il nous a dit de rester calme et de rentrer chez nous, que quelqu’un essayait probablement de faire une blague, et de revenir si quelque chose de grave se produisait. »

 

[8]               En résumé, ils ont fait deux rapports à la police, l’un qui a été accepté et l’autre non, et ils ont en vain tenté d’assurer le suivi de la première plainte, bien qu’ils ne soient pas allés au Bureau de l’ombudsman pour les minorités ni à la Commission indépendante des plaintes contre la police. La Commission a pris note de l’explication qu’ils ont donnée pour ne pas être allés : « [I]l ne connaissait pas ces organismes [le Bureau de l’ombudsman pour les minorités et la Commission indépendante des plaintes contre la police]. » Peut‑on les blâmer de n’avoir pas été plus loin en de telles circonstances?

 

[9]               La partie du témoignage des demandeurs d’asile sur la protection de l’État que la Commission n’a pas jugée crédible était celle selon laquelle, en tant que Roms, ils ne bénéficiaient pas d’une protection de l’État efficace contre les skinheads. La Commission a examiné la preuve documentaire et constaté qu’elle faisait état d’une discrimination et d’une persécution généralisées contre les Roms, y compris de la part de la police. Elle a noté ensuite que « [l]a Hongrie a récemment mis en œuvre plusieurs nouveaux projets » et que « [l]a preuve documentaire ne révèle pas si ces mesures se sont révélées efficaces sur le plan opérationnel », ce qui constitue le réel critère. Après examen de la preuve documentaire, la Commission a conclu que la preuve « laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux Roms […] est adéquate » [non souligné dans l’original]. La décision est truffée de références aux « sérieux efforts » faits par la Hongrie pour protéger ses citoyens et aux « mesures pour appliquer les normes exigées des membres de l’Union européenne », mais elle en dit peut sur l’efficacité de ces mesures. 

 

[10]           À vrai dire, l’examen que la Commission a fait de la preuve documentaire ne peut être jugé [traduction] « en contradiction » avec le témoignage des demandeurs d’asile, car il est plutôt conforme avec celui‑ci. Les échecs qu’ils ont essuyés pourraient être propres à leur quartier, comme le Ministre l’a avancé, et la preuve démontre bel et bien que de tels échecs sont survenus à l’échelle locale. Leur témoignage est donc corroboré par la preuve documentaire.

 

[11]           Compte tenu des conclusions erronées tirées par la Commission sur la question du signalement et des efforts faits par les demandeurs d’asile pour signaler les incidents à la police et assurer le suivi de l’enquête, et de son point de vue selon lequel la preuve documentaire ne fait que « laisse[r] croire » que la protection de l’État est adéquate, la décision est déraisonnable et doit être annulée.

 

[12]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 3 août 2012, est annulée et que la demande d’asile doit être tranchée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8624-12

 

 

INTITULÉ :                                      RICHARD FAZEKAS ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            Le juge Zinn

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adela Crossley

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Bradley Bechard

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

THE LAW OFFICE OF  

ADELA CROSSLEY         

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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