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Date : 20130409

Dossier : IMM-8616-11

Référence : 2013 CF 359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 avril 2013

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

AURELIO VALDESPINO PARTIDA

VICTORIA VALDESPINO LLOYD

ESPERANZA VALDESPINO LLOYD

ISABEL VALDESPINO LLOYD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, des citoyens du Mexique, demandent le contrôle judiciaire de la décision du 27 octobre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a refusé d’accorder l’asile à Aurelio Valdespina Partida (le demandeur principal) en application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la  Convention relative au statut des réfugiés. Les demandes d’asile du demandeur principal et de ses trois filles mineures sont fondées sur la crainte du demandeur principal d’être persécuté au Mexique par des membres d’un groupe mormon intégriste. La SPR n’a pas évalué ces demandes car, en vertu de l’article 98 de la LIPR, elle a jugé que le demandeur principal avait commis divers crimes graves de droit commun aux États-Unis et qu’il n’avait en conséquence pas la qualité de réfugié.

 

[2]               La SPR a conclu que le demandeur principal avait commis de graves crimes de droit commun aux États‑Unis et qu’il n’avait par conséquent pas la qualité de réfugié. Il n’est pas contesté que le demandeur a commis ces actes en novembre 1988 dans l’État de l’Utah, actes qui ont entraîné des condamnations pour « vol dans un immeuble » et « transport entre États d’un véhicule volé ». Après avoir considéré des actes comparables considérés comme criminels au Canada, la SPR a conclu que le demandeur avait commis un vol de biens d’une valeur de plus de 5 000 $, soit une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de dix ans.  

 

[3]               La SPR a également conclu ceci en ce qui a trait à la commission de l’infraction :

Ces éléments me portent à conclure que, au minimum, le rôle que le demandeur d’asile a joué dans le crime comprenait ce qu’il a avoué avoir fait dans l’addenda, c’est-à-dire qu’il a pris part à la planification du crime avec ses amis, qu’il a joué un rôle actif en remettant les clés d’une voiture d’une personne à une autre, qu’il a en fait demandé à d’autres personnes de participer au stratagème et qu’il avait l’intention de vendre les biens volés. Les déclarations qu’il a faites à d’autres étapes du processus d’asile – soit que son crime consistait simplement à avoir omis de signaler ce que d’autres personnes faisaient, ou qu’il n’a donné que des conseils ou joué qu’un rôle secondaire – sont de fausses déclarations quant à son taux de participation et démontrent une tentative délibérée de minimiser sa responsabilité. Son manque de crédibilité ressort clairement de ses manières évasives, de son témoignage incohérent et de ses tentatives de minimiser son rôle dans le crime.

 

(Paragraphe 24 de la décision.)                       

 

[4]               Il est bien établi que l’objectif de la disposition d’exclusion consiste à « s'assurer que le pays d'accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu'il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu'il les soupçonne d'avoir commis ». (Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 CF 761 (CAF), aux paragraphes 118 et 119.

 

[5]               Dans son analyse qui est à l’origine de l’exclusion, la SPR devait se prononcer sur la « gravité » de l’infraction, un exercice de jugement et d’analyse factuelle qui revêt la plus grande importance. Dans Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 4 FCR 164, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale a énoncé les facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer la gravité d’un crime aux fins de l’alinéa b) de la section F de l’article premier :

         l’évaluation des éléments constitutifs du crime,

         le mode de poursuite,

         la peine prévue,

         les faits,

         les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité.

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Cette décision ainsi que d’autres ont permis de clarifier la façon dont les tribunaux doivent s’y prendre pour évaluer les facteurs en question. Dans Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a statué qu’on ne met pas en balance des facteurs étrangers à la condamnation et la gravité du crime. Dans un arrêt plus récent, Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’en appliquant l’alinéa b) de la section F de l’article premier, la SPR n’a pas à tenir compte du fait que le demandeur d’asile a été réadapté depuis la perpétration du crime en question. De plus, elle a affirmé que la gravité du crime doit être évaluée en fonction des circonstances qui existaient à l’époque de la commission du crime. Dans Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 384, la Cour fédérale a statué que la SPR ne pouvait se contenter d’énumérer les circonstances atténuantes et aggravantes pour tirer ensuite sa conclusion sans expliquer pourquoi les circonstances atténuantes, évaluées en fonction des autres aspects du crime, n’avaient pas suffisamment de poids pour réfuter la présomption de crime grave.

 

[7]               En l’espèce, la SPR a refusé d’accorder l’asile au demandeur principal en se fondant sur le fait qu’il avait effectivement commis un crime grave de droit commun aux États-Unis. Le demandeur fait valoir que l’évaluation de l’un des facteurs déterminants de l’analyse de la gravité des crimes – les circonstances atténuantes et aggravantes – est entachée d’une erreur susceptible de contrôle. Les conclusions de la SPR à l’égard des facteurs atténuants sont énoncées au paragraphe 43 de sa décision :

La conseil du demandeur d’asile a fait valoir plusieurs points qui seraient, à son avis, des facteurs atténuants en ce qui a trait au crime, y compris l’âge du demandeur d’asile à l’époque, soit 24 ans, son plaidoyer de culpabilité, le fait qu’il a purgé sa peine, ainsi que le fait que l’infraction n’a causé que des dommages monétaires et n’a impliqué aucune violence ni aucune arme. Toutefois, le demandeur d’asile n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel il s’est trouvé dans des circonstances démontrant qu’il était forcé de commettre le crime, et il a semblé avoir été celui qui a incité ses amis à participer au transport des biens volés. Même si j’admets qu’il a finalement purgé toutes les peines prévues, il a manqué aux conditions de sa probation en tentant de retourner aux États‑Unis avant la fin de la période de probation. Je souligne aussi que le dédommagement versé faisait l’objet d’une poursuite au civil, découlant d’une plainte déposée le 26 juin 1990, soit plus d’un an après son arrestation[1]. Cet élément démontre que le demandeur d’asile n’a donc pas immédiatement offert ce dédommagement.

 

 

[8]               La SPR a tout de même convenablement tenu compte de l’argument du conseil du demandeur selon lequel les facteurs atténuants qui suivent devaient être pris en considération :  

  • Le demandeur principal avait 24 ans lorsqu’il la commis les crimes;
  • Les crimes ont été commis il y a plus de 22 ans;
  • Les crimes n’ont eu que des répercussions pécuniaires sur la société;
  • Les crimes ont été commis sans arme et sans violence.

 

Cependant, la SPR a également tenu compte des circonstances postérieures à l’infraction, comme le défaut du demandeur de s’acquitter des paiements de dédommagement et de respecter les conditions de sa libération conditionnelle.

 

[9]               À mon avis, la SPR a commis deux erreurs susceptibles de contrôle dans sa façon de traiter les circonstances atténuant la gravité du crime.

 

[10]           Tout d’abord, rien n’indique au paragraphe 43 que la SPR a sérieusement analysé ou mis en balance les facteurs atténuants et les facteurs aggravants, comme le prescrit la décision Guerrero. La SPR s’est contentée d’énumérer les facteurs atténuants que lui a soumis le conseil du demandeur sans vraiment leur accorder de poids et sans les opposer aux facteurs aggravants. Le défaut de la SPR de faire l’analyse requise prend beaucoup de sens en l’espèce parce que l’appréciation de la gravité du crime a fait obstacle à l’évaluation de la demande d’asile du demandeur.

 

 

[11]           Ensuite, il est contraire à la loi de tenir compte des circonstances postérieures au crime, comme l’a fait la SPR. L’arrêt Febles indique clairement que les seuls facteurs à considérer sont ceux qui étaient présents à l’époque de la perpétration du crime. Bien que l’arrêt Febles ait été prononcé après la décision de la SPR, il confirme néanmoins la décision antérieure rendue dans l’affaire Jayasekura et selon laquelle le tribunal n’a pas à mettre en balance la gravité du crime et des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité.

 

[12]           Je conclus que la décision est déraisonnable.


ORDONNANCE

 

            LA COUR STATUE que :

1.         La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et la demande de protection du demandeur principal et des enfants à sa charge est renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

2.         Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-8616-11

 

INTITULÉ :                                    AURELIO VALDESPINO PARTIDA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 avril 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge CAMPBELL

 

DATE :                                              Le 9 avril 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Wolpert

POUR LES DEMANDEURS

 

Cheryl D. Mitchell

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Wolpert

Michael Golden Law Corporation

Burnaby (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 



[1]               Pièce 7, p. 40.

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