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Dossier : 20130529

Dossier : IMM‑3432‑12

Référence : 2013 CF 563

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

MONG AH SHADOW LAI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision du 28 mars 2012 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au motif que son mariage avec son répondant n’était pas authentique.

 

[2]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de la demande pour nouvel examen à un autre agent.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne chinoise. Elle est arrivée au Canada le 5 juillet 2006 avec un visa de touriste. Elle a demandé l’asile en novembre 2008 en invoquant les menaces de mort proférées à son endroit par des usuriers en Chine.

 

[4]               Le 29 janvier 2009, elle a rencontré son mari, un résident permanent du Canada. Il l’a demandée en mariage en décembre 2009 et ils l’ont célébré le 30 mars 2010. En août 2010, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente parrainée par son mari. Elle a retiré sa demande d’asile le 24 janvier 2011 pour éviter d’avoir deux demandes pendantes en même temps.

 

[5]               Elle et son mari ont été interrogés par l’agent le 26 mars 2012.

 

Décision de l’agent

 

[6]               Dans une lettre datée du 28 mars 2012, l’agent a informé la demanderesse que sa demande avait été rejetée aux termes de l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, qui exige que l’étranger qui demande l’asile soit l’époux ou le conjoint de fait du répondant et qu’il vive avec ce répondant. L’agent a constaté qu’au cours de l’entrevue, la demanderesse et son répondant avaient fourni des réponses divergentes au sujet de la relation entre la demanderesse et les enfants du répondant. La demanderesse a déclaré que les enfants n’avaient pas assisté à leur mariage parce qu’ils devaient aller à l’école alors que le répondant a mentionné que ses enfants n’étaient pas au courant du mariage. La demanderesse a déclaré que le couple avait passé du temps avec les enfants le 22 janvier 2012 tandis que le répondant a déclaré que ses enfants n’avaient jamais rencontré la demanderesse, ni visité leur résidence. La demanderesse a expliqué les divergences en disant que les enfants étaient venus à un moment où son répondant n’était pas à la maison. L’agent n’a pas été convaincu par cette explication.

 

[7]               La décision de l’agent est motivée dans ses notes. Il ressort des notes et des documents contenus dans le dossier certifié du tribunal que les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) se sont rendus à l’adresse de la demanderesse le 8 mars 2012 en se fondant sur des rapports antérieurs indiquant qu’une maison de débauche était exploitée à cet endroit. Les observations faites par les agents de l’ASFC étaient conformes à cette opinion.

 

[8]               L’agent a indiqué qu’il avait demandé à la demanderesse et à son répondant au cours de l’entrevue ce qu’ils savaient des résultats de la visite de l’ASFC. Les deux ont déclaré qu’ils vivaient dans l’unité située au sous‑sol et qu’ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait dans les étages de la maison. L’agent a observé que ni la demanderesse ni son répondant n’avaient fourni de document confirmant qu’ils résidaient bien au sous‑sol à cette adresse et que rien dans les demandes et documents précédents ne faisait état de l’existence d’un appartement au sous‑sol.

 

[9]               L’agent a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la demanderesse et son répondant n’avaient pas établi que leur mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. La demande de résidence permanente a donc été refusée.

 

Questions en litige

 

[10]           La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :

            1.         L’agent a‑t‑il fait défaut d’observer un principe de justice naturelle, l’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter?

            2.         L’agent a‑t‑il écarté des renseignements pertinents?

            3.         L’agent a‑t‑il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

            4.         L’agent a‑t‑il rendu sa décision d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

 

[11]           Je reformulerais les questions de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[12]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte lorsqu’il s’agit de décider si le décideur s’est fondé sur des critères inappropriés pour se prononcer sur la validité d’un mariage.

 

[13]           La demanderesse soutient que l’agent a violé l’équité procédurale parce qu’il n’a pas demandé qu’elle présente d’autres documents ou n’a pas averti la demanderesse avant l’entrevue que les agents de l’ASFC avaient visité sa maison. Elle n’a donc pas pu prendre connaissance de ces préoccupations et y répondre. L’agent n’a pas envoyé une lettre requise par l’équité informant la demanderesse des préoccupations que soulevait la question de savoir si elle et son mari vivaient dans le sous‑sol des lieux en question. La demanderesse n’a pas eu l’occasion d’expliquer cet élément. L’information concernant la visite des membres de l’ASFC a été obtenue le 8 mars 2012, de sorte qu’il y avait largement de temps pour lui envoyer une lettre requise par l’équité avant l’entrevue. La demanderesse soutient que, si elle avait été avertie, elle aurait fourni une liste du service interagences, une carte Google, des photos de l’édifice, une lettre du propriétaire, des lettres des voisins et d’autres documents.

 

[14]           La demanderesse soutient également que l’agent n’a pas tenu compte du fait que, dans le questionnaire de son formulaire IMM‑5285, elle avait parlé du fait que son propriétaire venait au sous‑sol lui parler. L’agent a déclaré que tous les documents dans lesquels leur adresse était mentionnée ne faisaient aucune référence à un appartement situé au sous‑sol, mais qu’il n’avait pas vu ce document.

 

[15]           La demanderesse soutient que l’agent avait un préjugé défavorable à son endroit en raison de l’information que lui avait fournie l’ASFC selon laquelle le rez‑de‑chaussée de la maison était utilisé comme une maison de prostitution, même si le rez‑de‑chaussée n’était aucunement relié aux locaux occupés par la demanderesse. L’agent s’est montré sélectif dans son évaluation des éléments de preuve comme l’indique le fait qu’il n’a pas remarqué la référence au sous‑sol, tel que mentionné ci‑dessus. Une crainte de partialité constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[16]           La demanderesse soutient que le rapport de l’ASFC est erroné, étant donné que les agents n’ont jamais visité l’appartement où elle habitait avec son mari. Ils ont interrogé un nouveau locataire.

 

[17]           La demanderesse soutient que les notes de l’agent font état d’une seule contradiction, celle qui concerne les rapports entre la demanderesse et les enfants de son répondant. L’agent n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait répondu avec exactitude et sans hésitation à toutes les questions concernant sa relation avec son répondant. Cet élément semble également indiquer que l’agent a fait preuve de partialité.

 

[18]           En conclusion, la demanderesse soutient que la décision est déraisonnable et a porté atteinte à l’équité procédurale.

 

Observations écrites du défendeur

 

[19]           Le défendeur soutient qu’il y a lieu d’examiner la décision de l’agent selon la norme de la raisonnabilité, étant donné que le caractère authentique du mariage est une question de fait. Le défendeur fait valoir que l’agent a agi de façon raisonnable lorsqu’il a rejeté la demande en se fondant sur l’absence de crédibilité.

 

[20]           Le défendeur estime que la décision de l’agent est fondée sur les incohérences constatées dans les réponses fournies par la demanderesse et son répondant concernant les rapports de la demanderesse avec les enfants de son répondant. Le défendeur soutient que la demanderesse a eu la possibilité de répondre à l’allégation concernant la visite de membres de l’ASFC, mais celle‑ci n’a fourni aucun document étayant son affirmation selon laquelle ils louaient le sous‑sol. L’exposé circonstancié de la demanderesse contenu dans le questionnaire n’expliquait pas que le répondant avait emménagé dans le sous‑sol avec la demanderesse après leur mariage. Selon le défendeur, la demanderesse conteste la décision de l’agent sur le plan de l’appréciation de la preuve, une question dont on ne peut débattre.

 

[21]           Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de demander à la demanderesse de fournir d’autres documents, ni de lui envoyer une lettre requise par l’équité. Étant donné que la demanderesse avait été informée des préoccupations qu’entretenait l’agent au moment de l’entrevue, celui‑ci n’était pas tenu de divulguer les détails de la visite.

 

[22]           Enfin, le demandeur soutient que le critère en matière de partialité est rigoureux et qu’il n’a pas été établi.

 

Analyse et décision

 

[23]           Première question en litige

      Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence énonce qu’une norme de contrôle s’applique à une question particulière dont la cour est saisie, la cour de révision peut l’appliquer (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[24]           Le caractère authentique d’un mariage est une question de fait à laquelle la norme de la raisonnabilité est applicable (voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 23, [2012] ACF no 43, aux paragraphes 16 et 17).

 

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, elle ne doit intervenir que si la conclusion tirée par l’agent n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des preuves fournies. (Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Ainsi que l’a statué la Cour suprême dans Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer l’issue qu’elle‑même juge préférable à celle qui a été retenue, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[26]           Il est aussi bien établi en droit que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’équité procédurale est celle la décision correcte (voir Khosa, précité, au paragraphe 43). Il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des décideurs sur ces questions (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[27]           Deuxième question en litige

      L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

            Les deux parties conviennent que la demanderesse avait le droit de connaître l’allégation sous‑jacente à la préoccupation de l’agent au sujet de sa résidence et d’avoir la possibilité d’y répondre. Il s’agit de savoir ici si la demanderesse a eu une possibilité raisonnable d’y répondre.

 

[28]           Les décisions invoquées par le défendeur concernent des affaires dans lesquelles les allégations avaient été mentionnées aux demandeurs, qui ont eu la possibilité d’y répondre, mais dans lesquelles le décideur n’a pas été convaincu par les explications fournies (voir par exemple, Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 812, [2011] ACF no 1013, aux paragraphes 11 à 13). C’est ce qui s’est produit ici. En l’espèce, l’agent n’a pas simplement demandé à la demanderesse de s’expliquer verbalement; il a demandé à l’entrevue des preuves documentaires, et il a demandé à la demanderesse si elle pouvait fournir une lettre de son propriétaire confirmant le fait qu’elle vivait dans un appartement situé au sous‑sol. La demanderesse n’en avait pas. Étant donné qu’elle venait tout juste de prendre connaissance de l’allégation selon laquelle elle vivait au rez‑de‑chaussée, il n’est pas surprenant qu’elle n’avait pas en sa possession ce genre de preuve documentaire.

 

[29]           Il ressort clairement de la question de l’agent que celui‑ci estimait que seule la preuve documentaire permettait d’établir l’endroit exact où vivait la demanderesse. En effet, sa décision et les observations du défendeur insistent sur l’absence de preuves documentaires fournies par la demanderesse au sujet de son logement au sous‑sol. Il a toutefois rendu sa décision sans donner à la demanderesse la possibilité d’obtenir ce type de preuve. Par conséquent, la possibilité qui a été donnée à la demanderesse de répondre à l’allégation était insuffisante. Demander de fournir une preuve par témoignage au cours d’une entrevue sans avis préalable est tout à fait équitable, comme cela a été mentionné ci‑dessus, mais demander de fournir une preuve documentaire n’est pas conforme à l’équité procédurale lorsque le demandeur n’a aucune raison d’avoir de tels documents en sa possession.

 

[30]           Je tiens également à souligner que le rapport de l’ASFC confirme qu’il y avait trois unités distinctes dans la maison et que le bordel était exploité uniquement dans l’unité du rez‑de‑chaussée. Aucune preuve au dossier n’indique que la demanderesse vivait au rez‑de‑chaussée; en fait, le seul élément concernant l’occupation d’une unité particulière était la mention dans la demande de la demanderesse selon laquelle elle vivait au sous‑sol. L’agent semble avoir déduit du fait qu’elle utilisait une adresse civique sans préciser un numéro d’unité dans sa demande qu’elle devait certainement vivre dans l’unité visée et non dans les deux autres. Compte tenu de la gravité de l’accusation, à savoir que le mariage de la demanderesse est un mariage blanc, on ne saurait dire qu’il s’agit d’une preuve convaincante.

 

[31]           Le dossier du tribunal contenait également des renseignements selon lesquels des données tirées de rapports de police remontant jusqu’en 2008 concernant la propriété en question avaient été présentées à l’agent. Ces éléments n’ont pas été divulgués à la demanderesse.

 

[32]           Étant donné que la demanderesse n’a pas eu la possibilité de fournir la preuve documentaire demandée par l’agent, il y a eu violation de l’équité procédurale. Étant donné que les éléments de preuve existants concernant sa résidence n’étaient pas convaincants, il est loin d’être certain que l’agent aurait rejeté la demande si la demanderesse avait eu la possibilité de donner suite à la demande qui lui a été faite d’obtenir une lettre du propriétaire.

 

[33]           Compte tenu de ma conclusion sur cette question, je n’ai pas besoin d’aborder les autres arguments.

 

[34]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[35]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada; …

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common‑law partner in Canada class if they

 

(a) are the spouse or common‑law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada; …

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3432‑12

 

INTITULÉ :                                                  MONG AH SHADOW LAI

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 mai 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 mai 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elena Mazinani

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elena Mazinani

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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