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Date : 20130529

Dossier : T-774-13

Référence : 2013 CF 575

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 mai 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ACTION In rem EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

CONTRE LE NAVIRE M/v « broadbill I »

ACTION IN PERSONAM EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ CONTRE

William KEVIN ANDREWS ET LEONA MARY ANDREWS

 

 

ENTRE :

 

QUIN-SEA FISHERIES LIMITED

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE NAVIRE « BROADBILL I »,

WILLIAM KEVIN ANDREWS ET

LEONA MARY ANDREWS ET

TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le navire MV Broadbill I est actuellement sous saisie en l’espèce. La garantie d’exécution a été fixée par le protonotaire Morneau à 100 000 $, mais n’a pas été fournie. Les délais pour interjeter appel de l’ordonnance ne sont pas encore expirés.

 

[2]               Les défendeurs sollicitent maintenant une ordonnance suspendant l’action devant la Cour fédérale en faveur d’une action parallèle devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et demandent que la saisie du navire Broadbill I soit annulée. Bien que les défendeurs sollicitent ces réparations à titre subsidiaire, durant la plaidoirie, il est devenu évident que les deux réparations sont sollicitées. La demanderesse et M. et Mme Andrews ont conclu une entente intitulée [traduction] « entente de prêt » dans laquelle les Andrews, en contrepartie du prêt, ont consenti une hypothèque sur le navire Broadbill I et se sont engagés à offrir à Quin-Sea leurs prises de poissons pour au moins une saison complète de pêche suivant l’année durant laquelle le prêt serait remboursé. Le prêt a été remboursé plus tôt cette année, mais les Andrews vendent leurs produits à une autre entreprise.

 

[3]               La demanderesse, Quin-Sea, a d’abord intenté une action devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans laquelle elle sollicitait un redressement interlocutoire sous forme d’une injonction obligatoire enjoignant aux Andrews de lui vendre leurs poissons. La requête a été rejetée au motif qu’aucun préjudice irréparable n’a été causé puisque des dommages‑intérêts constitueraient une réparation adéquate si l’affaire était bien fondée.

 

[4]               Quin-Sea a ensuite intenté une action devant notre Cour. La seule différence est que la présente action est présentée in rem et in personam et le navire a été saisi.

 

[5]               Il existe plusieurs réparations possibles pour le propriétaire dont le navire a été saisi. L’une est de déposer une garantie d’exécution, si cela est possible commercialement, sans préjudice au droit subséquent de faire valoir que la saisie était sans fondement.

 

[6]               Pour annuler une saisie, le propriétaire du navire peut faire valoir ce qui suit :

a.       la Cour fédérale n’a pas compétence parce que la demande n’entre pas dans la catégorie législative de sujets « la navigation et les bâtiments ou navires »;

b.      l’action intentée ne vise pas le bien saisi;

c.       il n’est pas personnellement responsable;

d.      la saisie devrait être annulée et l’action devrait être rejetée sur le fondement de la règle 221 des Règles des Cours fédérales au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable ou au motif qu’elle est frivole ou vexatoire;

e.       l’action devrait être suspendue pour cause de forum non conveniens.

 

[7]               Les défendeurs ont procédé par étapes. Ils ont d’abord sollicité l’annulation de la garantie d’exécution. L’avocat semble présumer, pour l’application de cette requête, que la demanderesse avait une cause d’action valable. On ne devrait pas s’étonner que le protonotaire Morneau ait conclu, sur le fondement de la jurisprudence de notre Cour, qu’un demandeur a le droit à une garantie en capital, intérêts et dépens au montant établi selon l’indemnité maximale qu’il pourrait raisonnablement obtenir sur le fondement de la preuve déposée, jusqu’à concurrence de la valeur du navire. Il a fixé la garantie d’exécution à 100 000 $.

 

[8]               Dans la requête dont je suis saisi, les défendeurs condamnent les actions de la demanderesse. Ils prétendent que l’instance devant la Cour fédérale est vexatoire, au motif qu’il est incorrect de saisir le navire alors que la requête de la demanderesse présentée devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador en vue d’obtenir une injonction interlocutoire a été rejetée. La demanderesse, ayant choisi ce forum, devrait être tenue de l’accepter.

 

[9]               Ils prétendent également qu’il est inutile de saisir le navire parce que leur demande est déjà garantie par une hypothèque. Je peux rejeter cet argument d’emblée. Un créancier hypothécaire a le droit de saisir un navire s’il y a manquement au contrat hypothécaire. Les défendeurs ne peuvent dicter à la demanderesse comment elle devrait gérer sa cause.

 

[10]           Les défendeurs ont formulé un autre argument incomplet, qui semble avoir été fraîchement invoqué et qui est incompatible avec leur prétention selon laquelle l’hypothèque, sans la saisie, constitue une garantie adéquate. Selon eux, l’hypothèque couvrait uniquement le prêt, et non l’engagement à vendre leurs prises de poissons. Cette prétention ne peut être examinée à cette étape parce que les défendeurs n’ont pas fourni un avis suffisant.

 

DÉCISION

 

[11]           Bien que le différend ne puisse être instruit dans deux instances, il ne conviendrait pas de suspendre l’instance devant la Cour fédérale à ce moment-ci.

 

[12]           Les défendeurs font valoir que la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a compétence concurrente en matière d’amirauté et a compétence en matière réelle, ce qui aurait permis la saisie du navire Broadbill I.

 

[13]           La demanderesse ne conteste pas que la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a compétence concurrente en matière d’amirauté. En effet, l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales l’indique clairement. La question, toutefois, est celle de savoir si cette Cour a compétence en matière réelle. Les avocats des deux parties me disent qu’il n’existe aucune règle de pratique précise en matière d’amirauté; pas même une trace d’un « affidavit portant demande de mandat », d’un « mandat de saisie », d’une « garantie d’exécution » et ainsi de suite, tel qu’il est énoncé dans la partie 13 des Règles des Cours fédérales. Toutefois, il existe des règles générales portant sur la saisie et la vente de biens.

 

[14]           Il m’est inutile d’entamer une discussion fascinante sur ce que Terre‑Neuve‑et‑Labrador a apporté dans la Confédération en 1949 au moyen de la Colonial Courts of Admiralty Act. Force est de constater qu’une injonction, et l’action in rem, sont deux procédures distinctes (Armada Lines Ltd c Chaleur Fertilizers Ltd, [1997] 2 RCS 617, [1997] SCJ No 67 (QL)).

 

[15]           Quoi qu’il en soit, je ne peux m’empêcher de soulever la possibilité que l’action in rem ne soit pas une simple question de procédure, mais plutôt une question de fond qui touche au fondement même du droit maritime. Les distinctions relativement au produit de la vente d’un navire dans un tribunal maritime, comme l’occupation du rang fondée sur les privilèges maritimes, les privilèges possessoires, les hypothèques et les droits ordinaires en matière réelle, touchent au fondement même du droit maritime. La distinction fondamentale entre la vente d’un bien maritime par un tribunal maritime et la vente dans un tribunal de common law est qu’une vente maritime donne à l’acheteur un titre de propriété libre de toute charge, alors que la vente dans un tribunal de common law ne constitue qu’une vente du droit du défendeur dans la chose. Voir The Development of Admiralty Jurisdiction and Practice since 1800 par F.L. Wiswall Jr. (Cambridge: Cambridge University Press, 1970), plus particulièrement le chapitre 6 : « The Evolution of the Action in Rem [an example of the effect of the historical development of the Court upon the substantive Law of Admiralty] ».

 

[16]           Par conséquent, il faut se demander si l’action in rem fait partie du droit commun de la province, qui peut être modifié par la province, ou fait partie de la catégorie « la navigation et les bâtiments ou navires », une catégorie de sujets à l’égard de laquelle le parlement a l’autorité exclusive en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Voir Associated Metals & Minerals Corporation, et al. c The Ship Evie W Aris Steamship Company, Inc. and Worldwide Carriers Limited, [1978] 2 CF 710, confirmée par [1980] 2 RCS 322, et approuvée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe portant sur la compétence de la Cour fédérale, ITO Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752, [1986] SCJ No 38 (QL) (Buenos Aires Maru).

 

[17]           Il suffit de dire, pour les besoins de l’espèce, que la demanderesse n’a pas sollicité la saisie du navire Broadbill I à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Je ne crois pas qu’elle a agi d’une manière vexatoire en saisissant le navire même si elle n’a pas obtenu l’injonction. Évidemment, elle ne pouvait obtenir une injonction et ensuite saisir le navire de manière à empêcher la demanderesse de pratiquer la pêche.

 

[18]           Une décision intéressante, avec laquelle on peut établir une distinction, est Alpha Trading Monaco SAM c Sarah Desgagnés (Navire), 2010 CF 695, [2010] ACF no 833 (QL). La demanderesse avait saisi le navire Sarah Desgagnés au Canada et avait convenu d’accepter un cautionnement. Elle avait ensuite retiré sa demande afin de demander la saisie devant un tribunal jugé plus approprié. Comme son choix avait été d’accepter le cautionnement, elle y était liée.

 

[19]           Comme je l’ai déjà dit, ni la décision du protonotaire Morneau relativement à la garantie d’exécution, ni la présente décision ne porte sur l’argument selon lequel l’hypothèque ne couvre pas les engagements prévus dans l’entente de prêt autres que le remboursement du prêt.

 

[20]           À un certain moment, la présente action ou l’instance devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador devra être suspendue. Compte tenu de l’instabilité du moment, et du fait que les défendeurs n’ont peut‑être pas épuisé tous leurs recours en vue d’annuler la saisie, je n’accorderai pas un sursis pour l’instant.

 

[21]           Toutefois, il n’est pas inhabituel pour une partie d’intenter une action devant notre Cour simplement pour obtenir un cautionnement, alors que l’affaire est instruite sur le fond dans une autre instance. La Loi sur l’arbitrage commercial le prévoit expressément. De plus, selon le libellé du contrat d’affrètement, et si un connaissement a été émis, le bien maritime ou, espérons, la garantie d’exécution y tenant lieu, demeurera sous le contrôle de notre Cour alors que le fond est examiné ailleurs.


ORDONNANCE

            POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS, LA COUR ORDONNE que :

1.      La requête est rejetée.

2.      Les dépens sont adjugés selon l’issue de la cause.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-774-13

 

INTITULÉ :                                      QUIN-SEA FISHERIES LIMITED c

                                                            LE NAVIRE « BROADBILL I » ET AL

 

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 27 MAI 2013 À MONTRÉAL (QUÉBEC), À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE) ET À MARYSTOWN (TERRE‑NEUVE)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 MAI 2013

 

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

 

John Mate

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Donald A. MacBeath, c.r.

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nauticor Legal

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MacBeath & associés

Marystown (Terre‑Neuve‑et‑Labrabor)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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