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Date : 20130508

Dossier : IMM‑7817‑12

Référence : 2013 CF 447

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

Entre :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B344

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

(Motifs du jugement et jugement confidentiels

rendus le 30 avril 2013)

 

 

[1]               LA Cour est saisie d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision du 19 juillet 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié accordait au défendeur le statut de réfugié.

 

I.          Faits

[2]               L’intimé est un citoyen du Sri Lanka qui est arrivé au Canada le 10 août 2010 à bord du MS Sun Sea.

 

[3]               Le défendeur a été déplacé au sein du Sri Lanka à [caviardé] et à [caviardé] jusqu’à ce que l’armée sri‑lankaise prenne le contrôle de Jaffna.

 

[4]               Le défendeur a terminé ses études universitaires à [caviardé] et a commencé à travailler à [caviardé] à Jaffna. [Carviardé.]

 

[5]               Le [caviardé], le [caviardé] interrogé. Les agents [caviardé] le défendeur a été détenu [caviardé] et torturé. Un [caviardé].

 

[6]               [Caviardé.]

 

[7]               [Caviardé.] Il a obtenu un passeport et [caviardé] a payé pour son billet à destination de la Thaïlande. Alors que le défendeur se trouvait en Thaïlande, il a rencontré un agent et a pris des mesures pour se rendre au Canada à bord du MS Sun Sea.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

[8]               En raison de problèmes de crédibilité, la SPR a conclu que le défendeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté lorsqu’il a quitté le Sri Lanka. Elle a conclu qu’il était invraisemblable que le [caviardé] et qu’il avait omis des renseignements importants dans son Formulaire de renseignements personnels. La SPR a également conclu qu’il était invraisemblable que le défendeur ait présenté une demande de passeport et ait pu quitter le pays, malgré les contrôles de sécurité rigoureux en place au Sri Lanka à ce moment‑là, plus particulièrement à l’égard de ceux qui étaient soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’était pas possible de déclarer que le défendeur craignait avec raison d’être persécuté pour le seul motif qu’il était un Tamoul du Nord du Sri Lanka.

 

[9]               La SPR a cependant conclu que la demande d’asile sur place présentée par le défendeur était fondée. En effet, elle a conclu que le gouvernement du Sri Lanka soupçonne le MS Sun Sea d’avoir des liens avec les TLET et que les passagers retournant au Sri Lanka seraient soumis à des interrogatoires. S’appuyant sur la preuve documentaire, qui établit que les autorités sri‑lankaises ont recours à la torture pour obtenir des renseignements, la SPR a conclu que le défendeur craignait avec raison d’être persécuté.

 

[10]           La SPR a examiné plusieurs éléments de preuve documentaire relatifs à la violation des droits de la personne par le gouvernement du Sri Lanka et a conclu que le défendeur était exposé à un risque à titre d’ancien passager du MS Sun Sea. Cette conclusion était fondée sur les rapports sur les droits de la personne de plusieurs organismes internationaux et du rapport du département d’État des États‑Unis, qui soutiennent également que l’utilisation répandue de la torture n’a pas diminué depuis la guerre civile et que le régime législatif antiterroriste en vigueur au Sri Lanka contient toujours des mécanismes qui permettent de violer les droits de la personne avec impunité.

 

[11]           En ce qui concerne la question du lien avec un motif prévu par la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR, la SPR a conclu que le simple fait d’être un passager à bord d’un navire n’était pas suffisant pour établir un lien et qu’il y avait une possibilité de « motifs mixtes » de la part de l’agent de persécution. La SPR a estimé que l’origine tamoule du défendeur constituait un facteur qui contribuait au risque auquel il serait exposé s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[12]           Il ressort clairement de la preuve que les autorités sri‑lankaises interrogeraient le défendeur à son retour au Sri Lanka et que son statut à titre d’ancien passager du MS Sun Sea serait découvert.

 

[13]           La preuve établit également que le gouvernement du Sri Lanka considère que le MS Sun Sea a été utilisé dans le cadre d’une opération de trafic de personnes orchestrée par les TLET, indépendamment des soupçons de liens antérieurs du défendeur avec les TLET.

 

[14]           En ce qui concerne la façon dont les autorités sri‑lankaises traitent les rapatriés, la preuve indique qu’elles ont recours à la torture et à la force déraisonnable à l’endroit des personnes soupçonnées de terrorisme, de même qu’à l’endroit de celles qui pourraient avoir des renseignements concernant des personnes soupçonnées de terrorisme. Le défendeur serait donc exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à titre de Tamoul qui avait pris place à bord du MS Sun Sea.

 

[15]           En ce qui a trait à la protection de l’État, la SPR a conclu que le gouvernement du Sri Lanka lui‑même est un agent potentiel de persécution et qu’il n’y a aucune possibilité de signaler les violations à l’État. La SPR a également conclu que le défendeur n’avait pas de possibilité de refuge intérieur, car les agents du gouvernement seraient en mesure de le retrouver à Colombo.

 

III.       Observations du demandeur

[16]           Le demandeur soutient premièrement que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la crainte du défendeur avait un lien avec un motif prévu par la Convention. En l’espèce, les motifs de la SPR concernant la conclusion qu’elle a tirée quant aux liens ne sont ni intelligibles ni transparents, car il ne ressort pas clairement de ceux‑ci lequel des cinq motifs prévus par la Convention est visé. De plus, la situation du défendeur ne devrait pas avoir été qualifiée comme un cas de motifs mixtes puisque la SPR n’a pas conclu que le défendeur serait ciblé en raison de son origine ethnique. La décision de la SPR d’accorder l’asile au motif que l’origine ethnique du défendeur était un facteur qui contribuait au risque auquel il était exposé est contraire aux principes établis dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huntley, 2010 CF 1175, 93 Imm LR (3d) (36), au paragraphe 129 [Huntley] (motifs du juge Russell), selon lesquels l’origine ethnique devrait être un facteur indépendant de persécution.

 

[17]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que le défendeur appartenait à un groupe social qui est ciblé puisqu’il était un passager du MS Sun Sea et qu’il était par conséquent soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. Le choix de voyager dans le cadre d’une opération illégale de passage de clandestins n’a rien à voir avec la défense des droits de la personne et n’a aucun lien avec l’objet de la Convention qui vise la lutte contre la discrimination et la défense des droits de la personne comme l’a établi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, 224 ACWS (3d) 177 [B380], motifs du juge en chef Crampton.

 

[18]           Troisièmement, le demandeur fait valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle la perception des autorités sri‑lankaises voulant que le défendeur possède des renseignements sur les TLET pourrait constituer des opinions politiques présumées est déraisonnable. En effet, même si les autorités sri‑lankaises interrogeaient le défendeur, aucun élément de preuve ne permet de conclure qu’il sera réputé partager les opinions politiques des TLET. Des renseignements concernant des activités criminelles ne constituent pas des opinions politiques au sens des motifs invoqués pour demander l’asile.

 

[19]           Enfin, le demandeur conclut que la SPR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas déclaré que le défendeur avait établi, selon la prépondérance de la preuve, les faits sous‑jacents à sa demande. De plus, la SPR a tiré une conclusion déraisonnable parce que sa conclusion selon laquelle le défendeur serait exposé à un risque de persécution est fondée sur des éléments de preuve périmés et il n’y a aucun élément de preuve fiable concernant le traitement des passagers du MS Sun Sea qui sont retournés au Sri Lanka.

 

IV.       Observations du défendeur

[20]           Le défendeur soutient que les motifs qu’a fournis la SPR concernant le lien avec un motif prévu par la Convention sont intelligibles et transparents. Il a été reconnu que des motifs mixtes pouvaient constituer le bien‑fondé d’une crainte d’être persécuté. Le lien est établi lorsqu’au moins une des motivations repose sur un motif prévu par la Convention. En l’espèce, la SPR a conclu que « l’origine tamoule du demandeur d’asile est un facteur qui contribue au risque auquel il est exposé ». L’arrêt Veeravagu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF 468, 1992 CarswellNat 1270 (CAF) [Veeravagu], motifs du juge Hugessen, de même que d’autres décisions de la Cour ont établi que lorsqu’une personne est exposée à des risques parce qu’elle appartient à un groupe, dont l’une des caractéristiques déterminantes est la race, cette personne a un lien avec un motif prévu par la Convention. Comme il a été reconnu que les Tamouls du Nord du Sri Lanka constituent un groupe social, outre le lien de la race, il est raisonnable de conclure que les Tamouls du Sri Lanka qui ont voyagé à bord du MS Sun Sea sont aussi visés par cette définition. En ce qui a trait à la décision B380, précitée, citée par le demandeur, le défendeur fait valoir que le raisonnement dans la décision ne tient pas compte de qui sont les passagers du MS Sun Sea et que ceux-ci se sont principalement regroupés parce qu’ils voulaient échapper à une vie dans laquelle ils sont privés des droits de la personne. La SPR a conclu de façon raisonnable que le défendeur serait exposé au risque de torture, un moyen qu’utilisent les autorités sri‑lankaises pour obtenir des renseignements sur les activités terroristes.

 

[21]           Le défendeur soutient de plus que le demandeur a tort de s’appuyer sur Huntley, précité, car cette décision ne permet pas d’affirmer que le facteur de la race doit être suffisant pour que le défendeur soit exposé à un risque, peu importe les autres aspects de l’affaire et que par conséquent, elle se distingue de l’espèce.

 

[22]           Selon le défendeur, le débat sur la question de savoir s’il a, outre le lien fondé sur la race et le groupe social, un lien fondé sur des « opinions politiques présumées » est théorique. En effet, la SPR a conclu qu’il serait exposé à la persécution au motif qu’il est d’origine tamoule et que sa présence à bord du MS Sun Sea constituait un facteur de risque supplémentaire. De plus, le gouvernement du Sri Lanka a clairement indiqué qu’il estimait que le MS Sun Sea faisait partie d’une opération de passage de clandestins orchestrée par les TLET. Peu importe si le défendeur est perçu comme un partisan des TLET ou simplement comme un détenteur de renseignements sur les TLET, il est exposé à un risque plus grand que d’autres demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka. Par conséquent, la décision de la SPR concernant le lien est raisonnable.

 

[23]           Enfin, le défendeur soutient que les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyée la SPR ne sont pas périmés. À titre d’exemple, la SPR a examiné une déclaration du gouvernement sri‑lankais faite un mois avant l’audience. En outre, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, il existe des éléments de preuve concernant un rapatrié qui était un passager du MS Sun Sea. À son arrivée, il a été détenu et torturé. La SPR a le droit d’examiner les éléments de preuve de demandeurs d’asile qui se trouvent dans la même situation, comme le cas de ressortissants sri‑lankais qui se sont enfuis en Australie et qui ont été torturés alors qu’ils étaient détenus à Boosa à leur retour au Sri Lanka. La SPR a conclu de façon raisonnable que les éléments de preuve concernant les cas où des agents gouvernementaux internationaux exercent une surveillance et où les autorités sri‑lankaises respectent les normes de procédure ne règlent pas le problème du sort réservé aux rapatriés qui ne bénéficient pas de ce degré de protection. Compte tenu des violations des droits de la personne au Sri Lanka, il est raisonnable de conclure que les rapatriés qui ne bénéficient pas de ce processus de surveillance sont exposés à un risque. Le défendeur fait valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle il est exposé au risque d’être torturé s’il était renvoyé au Sri Lanka est raisonnable.

 

V.        Réponse du demandeur

[24]           Le demandeur soutient qu’une distinction devrait être faite entre la présente affaire et l’arrêt Veeravagu, précité, parce que dans cet arrêt, la SPR n’a pas conclu que la race du demandeur était un facteur de causalité et que cet arrêt a été rendu il y a plus de vingt ans.

 

[25]           De plus, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui lui avaient été présentés et qui montraient que les Tamouls ne sont plus exposés à la persécution en raison de leur origine ethnique.

 

[26]           Le demandeur fait en outre valoir que la SPR a ignoré certains éléments de preuve. En effet, la SPR a écarté des éléments de preuve indiquant que plusieurs rapatriés de l’étranger étaient en mesure de se réinstaller dans le pays sans éprouver de difficultés importantes, mais a émis l’hypothèse que cela ne s’appliquerait pas au cas du répondeur puisqu’il était un passager du MS Sun Sea. Selon le demandeur, l’appui de la part de la SPR sur des éléments de preuve périmés et imprécis concernant des personnes détenues à Boosa ne suffit pas pour respecter le critère qui consiste à établir plus qu’une simple possibilité de risque.

 

[27]           Enfin, de l’avis du demandeur, la SPR ne s’appuie pas sur des éléments de preuve montrant que les autorités ont recours à la torture avec des témoins qui collaborent. Aucun élément de l’analyse de la SPR n’indique que le défendeur ne serait pas disposé à fournir des renseignements aux autorités sri‑lankaises. Dans deux décisions (P.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 77, 2013 CarswellNat 206, au paragraphe 21, motifs de la juge Snider, et SK c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 78, 2013 CarswellNat 207, au paragraphe 21, motifs de la juge Snider), la Cour a conclu que si les rapatriés qui avaient voyagé à bord du MS Sun Sea sont interrogés à leur retour, cette preuve était insuffisante pour établir que ces rapatriés en particulier seraient persécutés ou torturés.

 

VI.       Questions en litige

1.   La conclusion de la SPR selon laquelle le défendeur a qualité de réfugié au sens de la Convention en raison d’un lien établi avec un motif prévu par la Convention est‑elle déraisonnable?

 

2.   La SPR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme de preuve à ses conclusions de fait en fondant des éléments essentiels de sa décision sur des hypothèse et des éléments de preuve périmés et imprécis?

 

VII.     Norme de contrôle

[28]           Les deux parties conviennent que la norme de la raisonnabilité s’applique aux deux questions puisqu’elles soulèvent toutes deux des questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51 [Dunsmuir]). Je suis d’accord. Lorsqu’il évalue le caractère raisonnable d’une décision, le tribunal recherche la justification de la décision, la preuve sur laquelle elle s’appuie et l’intelligibilité du processus décisionnel. En ce qui a trait à la conclusion tirée par l’organisme administratif, une cour doit examiner si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable (voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 48).

 

VIII.    Dispositions législatives

[29]           L’article 96 de la LIPR est rédigé comme suit :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
 
 
Convention Refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

IX.       Analyse

[30]           Voici la conclusion de la SPR fondée sur l’article 96 de la LIPR :

Je suis d’avis, à la lumière de la preuve dont je dispose en l’espèce, que divers facteurs démontrent ensemble qu’il existe plus qu’une simple possibilité que le traitement qui sera réservé au demandeur d’asile à son retour au Sri Lanka constituera de la persécution en raison de son statut de Tamoul qui voyageait à bord du Sun Sea. (Voir le paragraphe 26 de la décision.)

 

[31]           Avant d’arriver à cette conclusion, la commissaire a tiré plusieurs conclusions détaillées qui se sont succédé comme le montre son analyse. Les éléments les plus pertinents sont résumés comme suit :

 

  1. La commissaire a conclu que tous les Tamouls au Sri Lanka étaient encore exposés à la discrimination sanctionnée par l’État, mais que l’origine tamoule ne constituait pas en soi un motif suffisant pour établir une possibilité sérieuse de persécution. De l’avis de la SPR, l’origine ethnique était un facteur contributif dont il fallait tenir compte avec les autres éléments pertinents. Il est important de souligner que dans sa décision, la SPR a mentionné l’origine tamoule du défendeur à plusieurs reprises pour illustrer le fait qu’elle constituait un facteur qui contribuait au risque de persécution, de même qu’un facteur aggravant en ce qui a trait au traitement que les autorités sri‑lankaises pourraient lui réserver à son retour. La SPR a souligné que l’origine ethnique du défendeur devait être prise en compte, ainsi que le fait que le gouvernement sri‑lankais pouvait tirer des conclusions concernant ses opinions politiques compte tenu de son statut d’ancien passager à bord du MS Sun Sea.

 

  1. La commissaire a conclu que la présence du défendeur à bord du MS Sun Sea constituait un facteur qui ajoutait au risque de persécution.

 

  1. La commissaire a aussi conclu qu’au retour du défendeur au Sri Lanka, les autorités sri‑lankaises l’interrogeraient. La SPR a conclu qu’il serait tenu d’expliquer la façon dont il a quitté le Sri Lanka et que par conséquent, les autorités découvriraient son statut d’ancien passager à bord du MS Sun Sea.

 

  1. Après avoir expliqué la façon dont le gouvernement du Sri Lanka considère le MS Sun Sea et qu’il le lie à une opération des TLET, le décideur a conclu qu’il existait une possibilité sérieuse que le défendeur, qui était un passager du MS Sun Sea, soit exposé à la persécution au moment de son arrivée ou par la suite, même s’il n’avait pas eu de liens avec les TLET dans son passé. En raison de l’attitude du gouvernement à l’égard du MS Sun Sea, l’associant aux TLET, les autorités considéreraient que le défendeur a des liens avec ce groupe et possède des renseignements précieux à son sujet ainsi que sur son rôle dans l’opération de passage de clandestins.

 

  1. La SPR a également examiné la preuve selon laquelle les rapatriés ne sont pas bien traités à leur retour et que la torture était une technique d’interrogatoire fréquemment utilisée par les autorités gouvernementales au Sri Lanka.

 

[32]           L’effet cumulatif de ces conclusions a amené la SPR à croire que la race du défendeur (son origine tamoule) et son statut d’ancien passager à bord du MS Sun  Sea sont des facteurs contribuant au risque de persécution. S’appuyant sur la doctrine des motifs mixtes, la SPR a conclu que la race et le statut d’ancien passager du MS Sun Sea, que le gouvernement du Sri Lanka considère être une opération organisée par les TLET, donneraient naissance à un risque de persécution de la part des agents de persécution à son retour. La SPR a de plus expliqué dans sa décision que le défendeur sera perçu comme quelqu’un qui possède des renseignements sur les TLET, qui a voyagé à bord du MS Sun Sea, et que les autorités sri‑lankaises estiment être sous l’autorité des TLET. La commissaire a donc conclu qu’il existait une possibilité sérieuse que le défendeur soit persécuté.

 

[33]           Selon le demandeur, la connaissance que le défendeur pourrait avoir au sujet des TLET ne permet pas d’établir l’existence d’un lien fondé sur les opinions politiques d’un demandeur d’asile craignant d’être persécuté parce qu’on croit qu’il possède des renseignements sur une organisation, et non parce qu’on croit qu’il partage les opinions politiques de cette organisation. Ces renseignements n’ont pas de lien avec le motif relatif aux « opinions politiques » prévu par la Convention.

 

[34]           Cet argument ne saurait être retenu. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321, au paragraphe 21, motifs du juge Blanchard ‑ une affaire portant sur une question semblable ‑, la Cour a déclaré ce qui suit relativement à la conclusion de la SPR concernant les connaissances présumées sur les TLET :

 

[21] Les conclusions de la SPR auraient pu être beaucoup plus claires qu’elles ne le sont; il est permis de penser qu’elles sont lacunaires à certains égards. Par exemple, la SPR ne pouvait invoquer la présumée connaissance des activités des TLET pour appuyer sa conclusion relative aux opinions politiques présumées. Je suis néanmoins convaincu que la preuve à laquelle le tribunal a fait référence dans ses motifs permet de conclure que le défendeur, en tant que jeune Tamoul célibataire venant du Nord du Sri Lanka, craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race et de ses opinions politiques présumées en raison de son association perçue avec les TLET. Je suis convaincu que la conclusion de la SPR est raisonnable.

 

[35]           Dans sa décision, la SPR indique clairement que sa conclusion selon laquelle le défendeur serait exposé à un risque de persécution était en partie fondée sur son statut en tant qu’ancien passager du MS Sun Sea, que les autorités sri‑lankaises associent aux TLET, comme l’indique la déclaration du secrétaire à la Défense. Par conséquent, il existe un fondement suffisant pour conclure qu’il existe un lien avec des opinions politiques, puisqu’il serait perçu comme étant associé aux TLET.

 

[36]           Le demandeur soutient de plus que la conclusion de la SPR selon laquelle l’origine tamoule du défendeur, de concert avec d’autres facteurs, était suffisante pour créer un lien valable avec un motif prévu par la Convention suivant l’article 96 de la LIPR, est déraisonnable. Selon lui, il ne s’agit pas d’une conclusion tirée en fonction de motifs mixtes fondés sur l’origine ethnique, mais plutôt une conclusion erronée selon laquelle les passagers du MS Sun Sea ont un lien avec un motif prévu par la Convention. Le demandeur soutient que pour réussir à établir des motifs mixtes de persécution, un des motifs doit être lié avec un motif prévu par la Convention. Selon le demandeur, puisque la commissaire n’a pas établi de lien entre l’origine tamoule comme telle et un motif prévu par la Convention, il n’est pas possible d’établir un lien en vertu de l’article 96 de la LIPR.

 

[37]           Je ne souscris pas à une interprétation aussi limitée de la doctrine des motifs mixtes qui va à l’encontre de l’esprit de la Convention. L’article 96 de la LIPR ne vise qu’un seul objectif qui consiste à empêcher quiconque d’être persécuté dans les situations où un lien existe avec un motif prévu par la Convention. Si l’un des motifs de l’agent de persécution est la race, mais uniquement en combinaison avec un autre facteur, comment une telle situation ne pourrait-elle pas permettre de répondre aux exigences de l’article 96 de la LIPR? Après tout, l’article 96 de la LIPR, tel que rédigé, ne doit pas recevoir une interprétation restrictive et étroite : comme je l’ai souligné, il porte sur la crainte d’être persécuté et la protection de quiconque fait l’objet de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. De plus, l’alinéa 3(2)d) de la LIPR indique clairement que l’un des principaux objets du système d’octroi de l’asile au Canada est « d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités ». L’article 96 de la LIPR doit être interprété à la lumière de cet objet.

 

[38]           L’approche fondée sur les motifs mixtes pour tirer une conclusion liée à l’article 96 de la LIPR n’est pas nouvelle. Depuis plus de 20 ans, la Cour d’appel fédérale reconnaît la validité de ce genre d’analyse. En effet, tant dans l’arrêt Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm LR (2d) 165, 73 DLR (4th) 551 (CAF), aux paragraphes 17 à 19, motifs du juge Décary, que dans l’arrêt Veeravagu, précité, la Cour d’appel fédérale a reconnu que la race pouvait être un « facteur de causalité » lorsqu’une personne est exposée à un risque de persécution de la part d’agents de l’État et que ce facteur de causalité, pris en compte avec d’autres motifs, peut établir une possibilité sérieuse de persécution :

 

Selon nous, il est des plus évidents que lorsqu’une personne fait face à des risques « réels et accablants », y compris un risque d’« actes fort violents », de la part de groupes parrainés par l’État (l’IPKF), parce que cette personne fait partie d’un groupe dont la race est la caractéristique déterminante (les jeunes Tamuls de sexe masculin), il est tout simplement impossible de dire qu’une telle personne n’éprouve pas une crainte objective d’être persécuté du fait de sa race.

(Voir Veeravagu, précité, à la page 2.)

 

La question n’est pas de savoir si la persécution peut être liée à un motif prévu par la Convention, mais plutôt de savoir si un motif comme la race peut être un facteur contributif ou un facteur de causalité.

 

[39]           La notion des motifs mixtes dans le contexte des demandes d’asile a tout d’abord été reconnue dans l’arrêt Zhu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF 80, 1994 CarswellNat 1600 (CAF), au paragraphe 2, motifs du juge MacGuigan, lorsque la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : « Les gens agissent fréquemment pour diverses raisons, et il suffit qu’un des motifs soit de nature politique pour conclure à l’existence d’une motivation politique. »

 

[40]           Depuis cet arrêt, la Cour a appliqué l’approche fondée sur les motifs mixtes à plusieurs décisions rendues suivant l’article 96 de la LIPR. À titre d’exemple, une conclusion de motifs mixtes fondés sur la race et l’âge comme facteurs contributifs a été reconnue comme un fondement valable pour un motif prévu à la Convention dans Jeyaseelan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 356, 218 FTR 221, au paragraphe 8, motifs du juge McKeown. En outre, les motifs mixtes ont aussi été associés à la manière dont les agents de l’État perçoivent les situations et à leurs motifs lorsqu’ils évaluent de telles situations. Dans une décision de 2003, la Cour a indiqué que le fait que « des opinions politiques avaient été ou auraient pu être imputées par l’autorité gouvernementale au demandeur » pouvait constituer le fondement d’une conclusion de motifs mixtes (voir Sopiqoti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 95, 34 Imm LR (3d) 126, au paragraphe 14, motifs du juge Martineau). Dans une autre décision, la Cour a souligné que si l’un des motifs pouvait être lié à un motif prévu par la Convention, un lien peut être établi (voir Katwaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 612, 62 Imm LR (3d) 140, au paragraphe 12, motifs du juge Teitelbaum).

 

[41]           Plus récemment, la Cour a examiné la question des motifs mixtes lorsqu’elle a reconnu qu’une motivation pouvait ne pas être considérée comme étant « uniquement » économique, si la preuve indique qu’elle comportait une composante raciale. Il est donc possible de conclure à l’existence de motifs mixtes si l’un des motifs est lié à un motif prévu par la Convention (voir Gonsalves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 648, 2 Imm LR (4th) 113 au paragraphe 29, motifs du juge Zinn).

 

[42]           L’avocate du demandeur s’appuie sur Huntley, précité, pour soutenir que les actes à caractère raciste constituent de la persécution uniquement si, pris isolément, ils sont suffisants pour établir un motif prévu par la Convention. En toute déférence, je n’interprète pas la décision de cette façon. À mon avis, la Cour a estimé que si, compte tenu de la preuve, on avait conclu que ce qu’avait subi le demandeur comportait une composante raciale, une conclusion de « motivation mixte [était] possible », mais cela n’était pas le cas.

 

[…] Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur qu’une telle motivation mixte est possible. Ce qui manque en l’espèce, selon moi, c’est une preuve objective que les agressions commises avaient pour but, en partie du moins, de persécuter le défendeur parce qu’il était blanc. […]

 

(Voir Huntley, précité, au paragraphe 129.)

 

[43]           Par conséquent, la question visait le caractère suffisant de la preuve concernant la motivation raciale. Si la composante raciale de l’agression avait été démontrée, il aurait été alors possible d’établir des motifs mixtes chez l’agresseur et la race aurait pu être déclarée un facteur qui avait contribué à la motivation principale qui consistait à voler le demandeur.

 

[44]           La SPR a conclu que l’origine tamoule du défendeur était un facteur qui contribuait et aggravait le risque de persécution auquel il est exposé s’il devait retourner au Sri Lanka. La commissaire a conclu que cela établissait un lien avec un motif prévu par la Convention, de concert avec le fait qu’il était un passager du MS Sun Sea, que le gouvernement sri‑lankais considère comme une opération de passage de clandestins orchestrée par les TLET. J’estime que cette conclusion quant au lien est raisonnable et compatible avec la perspective historique de la doctrine des motifs mixtes que la Cour d’appel fédérale et la Cour ont toutes deux adoptée.

 

[45]           Pour qu’il soit permis de tirer cette conclusion, il faut que l’origine tamoule du défendeur soit un facteur de première importance qui contribue à la possibilité de risque de persécution à son arrivée au Sri Lanka. Or, pris individuellement, les motifs, fondés sur l’origine tamoule du défendeur ainsi que sur son statut en tant qu’ancien passager du MS Sun Sea, que le gouvernement considère être une opération de passage de clandestins orchestrée par les TLET, ne permettent pas par eux-mêmes d’établir un lien avec le motif de la race prévu par la Convention. Cependant, pris ensemble, ils établissent de façon cumulative une possibilité sérieuse de risque de persécution au retour du défendeur. Sans l’un des facteurs contributifs, le motif prévu par la Convention ne serait pas établi de façon satisfaisante, mais pris ensemble, ces motifs constituent le fondement du motif fondé sur la race. Par conséquent, le lien avec la race était essentiel pour la conclusion de la SPR portant que le risque de persécution au retour du défendeur constituait un scénario sérieux à envisager.

 

[46]           En guise de deuxième argument, le demandeur soutient que les conclusions de fait tirées par la SPR concernant le fait que le gouvernement sri‑lankais considère que le MS Sun Sea est une opération liée aux TLET, sa conclusion selon laquelle le défendeur, en tant qu’ancien passager du MS Sun Sea ferait l’objet d’un interrogatoire et que les autorités découvriraient son statut, et sa conclusion selon laquelle la preuve indique que des agents du gouvernement torturent des rapatriés à leur retour, n’ont pas été tirées conformément aux éléments de preuve soumis ou évalués selon la prépondérance de la preuve.

 

[47]           La décision faisant l’objet du présent contrôle est très bien écrite. Elle est rédigée avec soin, est bien documentée et est conforme au droit et à la jurisprudence applicables. Il s’agit assurément d’une décision raisonnable, puisqu’elle appartient aux « issues possibles acceptables » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[48]           La SPR a bien fait l’examen de la preuve documentaire concernant toutes les questions, notamment l’attitude du gouvernement du Sri Lanka envers les rapatriés sri‑lankais, son recours à la torture, sa vision du MS Sun Sea, y compris la plus récente déclaration du secrétaire à la Défense selon lequel le voyage du MS Sun Sea constitue un exemple des activités criminelles de transport international des TLET pour faire entrer clandestinement des gens dans des pays occidentaux pour lever des fonds pour la cause séparatiste, et son examen est pondéré et les conclusions tirées sont justifiées. Je conclus que la SPR n’a fait aucune conjecture dans le cadre de son appréciation de la preuve et je conclus qu’aucune de ses conclusions n’était fondée sur des éléments de preuve périmés ou imprécis. Le demandeur n’est pas d’accord avec les conclusions de la SPR et souhaiterait que la Cour examine la preuve et arrive à un résultat différent. Les conclusions de la SPR étaient raisonnables et l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[49]           Les avocates ont été invitées à présenter des questions à des fins de certification, mais ont refusé de le faire.

 

Confidentialité

[50]           Les parties doivent présenter des observations écrites énonçant leur thèse respective relativement au contenu des motifs qui doivent être rendus publics, au plus tard dans les dix (10) jours de la réception des présents motifs.


JUGEMENT

 

Pour tous ces motifs, la cour statue que la demande de contrôle judiciaire de la décision du 19 juillet 2012 est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    IMM‑7817‑12

 

Intitulé :                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION c
B344

 

 

Lieu de l’audience :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Dagsvik

 

Pour le demandeur

 

Laura Best

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Jennifer Dagsvik

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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