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Date : 20130506

Dossier : T-627-12

Référence : 2013 CF 474

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

BLAINE BELLEAU

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE GARDEN RIVER

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une résolution du chef et du conseil de la Première nation de Garden River datée du 28 février 2012. Aux termes de la résolution, la bande a adopté une politique relative aux indemnités de départ des employés à temps plein à l’égard de leur emploi avant 1997. Le demandeur prétend que cette décision l’a en fait privé de son indemnité de départ qui correspondait à deux semaines de salaire pour chaque année de service de 1976 jusqu’à sa retraite en 2011. Il ajoute que cette décision a été prise en violation des principes d’équité procédurale et devrait être annulée. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

Contexte

[2]               Le demandeur était un employé à temps plein de la bande défenderesse depuis décembre 1976. Il n’y a aucun contrat d’emploi. En 1997, la bande a agréé un régime de pension obligatoire pour ses employés. Avant cette date, il y avait seulement un régime non agréé à cotisations volontaires et variables, auquel un montant minimum doit être versé.  

 

[3]               En 2004, le chef et le conseil ont adopté une résolution pour offrir [traduction] « une prestation de retraite unique » (souligné dans l’original) équivalant à deux semaines de salaire pour chaque année de service afin de réduire le déficit de la bande. L’offre a été valide pendant 90 jours et était limitée aux employés ayant dix années de service. Il était indiqué dans la requête que 10 employés, au maximum, étaient en mesure d’accepter l’offre. Le demandeur était un membre du conseil à ce moment-là et il a appuyé la requête.

 

[4]               Des prestations de retraite anticipée ont été offertes à nouveau en 2006 et en 2010. L’offre de 2006 a été valide pendant 30 jours et était aussi limitée aux employés comptant dix ans de service. L’offre de 2010 a été présentée à huit employés comptant cinq années de service et a été valide pendant 3 jours. Voici ce qui était indiqué dans la dernière requête : [traduction] « Le défaut de fournir un accord écrit d’ici le 15 octobre 2010 entraînera la nullité de la présente offre ». Encore une fois, le demandeur a appuyé les deux requêtes en sa qualité de conseiller.

 

[5]               Le 20 octobre 2011, le demandeur a donné avis de son intention de démissionner à compter du 4 novembre 2011. Il s’attendait à recevoir deux semaines de salaire pour chaque année de service depuis 1976 puisque c’est, selon lui, ce que d’autres employés avaient reçu et ce qui avait été offert en 2004, 2006 et 2010. Il a été déçu de voir que ce n’était pas ce qui lui avait été accordé. 

 

[6]               Le 23 novembre 2010, le chef et le conseil ont adopté une politique relative aux ressources humaines et aux procédures (la politique). Cette politique prévoyait la création d’un comité des ressources et des appels responsable d’examiner les questions relatives à tous les aspects de la relation d’emploi avec le chef et le conseil, y compris les indemnités, et de faire des recommandations. La politique a aussi mis en place des procédures régissant l’audition des observations des parties intéressées et le droit d’interjeter appel auprès du conseil. Le demandeur était encore un conseiller à ce moment-là et il a signé la requête.

 

[7]               La politique prévoyait également une période de transition avant le départ à la retraite, autorisant ainsi les employés à travailler à temps partiel pendant les deux années précédant leur départ. La politique ne prévoit nullement les indemnités de départ, ce qui, selon l’appelant, a eu pour effet d’éliminer le droit de recevoir une indemnité correspondant à deux semaines de salaire pour chaque année de service.

 

[8]               Conformément à la politique, l’administration de la bande a conseillé au demandeur de faire part de sa préoccupation au comité des ressources humaines et des appels. Le demandeur s’est présenté à l’audience du 18 janvier 2012 et a fait sa présentation. Il admet que l’audience était complète et équitable.

 

[9]               Le comité a conclu qu’il n’y avait aucun régime d’indemnité de départ en vigueur ni aucun régime relatif aux avantages postérieurs à l’emploi (sauf le régime de pension agréé) et que, par conséquent, il n’avait pas le pouvoir de lui verser une indemnité de départ. Le comité a néanmoins décidé, en se fondant sur les observations du demandeur, qu’il y avait une lacune en ce qui concerne la période d’emploi antérieure à 1997. Le comité a donc décidé de recommander l’établissement d’une politique qui avantagerait le demandeur et les autres employés qui ont commencé à travailler avant 1997, puisque ces années ne comptaient pas dans le calcul de l’indemnité de départ et qu’elles n’ouvraient pas droit à pension.

 

[10]           Le 19 janvier 2011, le lendemain de l’audience du comité des appels, le président du comité a écrit au demandeur pour l’informer que le comité allait recommander au chef et au conseil l’établissement d’une politique qui prévoirait une indemnité correspondant à deux semaines de salaire pour chaque année de service avant l’agrément du régime de pension, ce qui représente pour le demandeur environ 42 semaines à son taux de rémunération actuel. La politique serait rétroactive au 1er novembre 2011 afin que le demandeur puisse en bénéficier puisqu’il a démissionné en date du 4 novembre 2011. Il est indiqué dans la lettre que si le demandeur n’acceptait pas cette offre, il pouvait, conformément à la procédure énoncée dans la politique, interjeter appel auprès du chef et du conseil.

 

[11]           Le 23 janvier 2011, le demandeur a écrit une lettre au comité pour lui demander de donner suite à la décision de verser deux semaines de salaire pour chaque année de service antérieure à l’établissement du régime de pension de 1997, lui donnant droit à 42 semaines de salaire.

 

[12]           Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il [traduction] « n’était pas en désaccord » avec la décision du comité selon laquelle, sans modification de la politique, il devait refuser de lui verser l’indemnité de départ à laquelle il s’attendait. Par conséquent, il n’a pas interjeté appel de la décision du comité auprès du chef et du conseil et il n’a pas non plus participé à l’examen que le conseil a fait de la recommandation du comité.

 

[13]           Le 28 février 2012, lors de la réunion que le conseil de bande a tenue, le chef et le conseil ont accepté la recommandation du comité d’offrir une indemnité de départ aux employés à temps plein qui satisfaisaient à certains critères et qui avaient occupé un poste de façon continue depuis avant 1997. Ces employés auraient alors droit à deux semaines de salaire, à leur taux de rémunération actuel, pour chaque année de service continue antérieure à 1997. Cette politique exigeait aussi que les employés signent une renonciation totale et définitive une fois le versement effectué.

 

[14]           Dans une lettre datée du 21 mars 2012, l’administration de la bande a informé le demandeur que la nouvelle politique de retraite avait été approuvée par le chef et le conseil et qu’il avait droit à une indemnité équivalant à 38 semaines de salaire. Cependant, comme il avait choisi de ne pas signer le formulaire de renonciation, la bande n’émettrait pas le chèque. Le demandeur a été avisé qu’il recevrait le chèque seulement s’il signait la renonciation.

 

[15]           La décision du chef et du conseil va à l’encontre des mesures d’encouragement à la retraite anticipée offertes en 2004, 2006 et 2010, lesquelles prévoyaient deux semaines de salaire pour chaque année de service jusqu’à la retraite. Pour cette raison, le demandeur estime avoir été lésé par la procédure. Il prétend que la décision de limiter l’indemnité aux années de service antérieures à 1997 violait ses droits à l’équité procédurale et n’était pas conforme à la politique qui se dégageait des mesures d’encouragement à la retraite anticipée.

 

 

Question en litige

 

[16]           Un conseil de bande doit assurer l’équité procédurale à ceux dont les droits ou les intérêts sont directement touchés par ses décisions. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire soulève deux questions : celle de savoir si la requête qui est contestée a une incidence sur les conditions d’emploi préexistantes du demandeur et, dans l’affirmative, celle de savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale.

 

 

Analyse

 

[17]           Le demandeur prétend que la décision du chef et du conseil datée du 28 février 2012 éliminait le droit préexistant à une indemnité de départ pour chaque année de service. Cet argument est au cœur de sa demande. Le demandeur affirme que cette décision constituait une modification unilatérale des conditions d’emploi et que cette modification a été apportée sans tenir compte de l’équité procédurale.

 

[18]           Le demandeur s’attendait à recevoir la même indemnité de départ qui avait été offerte aux autres employés qui ont commencé à travailler avant 1997. Il prétend que les politiques de 2004, 2006 et 2010 reflètent la politique existante ou les conditions d’emploi. Cependant, la preuve démontre qu’il n’y avait aucune politique générale qui consistait à accorder l’équivalent de deux semaines de salaire pour chaque année de service lorsqu’un employé prenait sa retraite.

 

[19]           De fait, la preuve indiquait le contraire. Les offres précédentes ne présentent pas les attributs d’une politique de longue date de la bande. Chacune de ces trois offres était temporaire et visait un certain nombre d’employés. Il ressort de la preuve que les trois requêtes avaient pour objectif de corriger les déficits budgétaires de la bande, et non de prévoir une transition à la retraite, comme le fait l’indemnité de départ. De plus, les requêtes de 2004, 2006 et 2010 ne sont pas comme les autres textes relatifs aux politiques de la bande, comme la politique ou la décision du 28 février 2012 qui, à titre de comparaison, ne sont pas temporaires, sont de nature plus générale et ne visent pas des individus en particulier. La requête de 2004 est décrite comme une offre [traduction] « unique »; la requête de 2006 était intitulée « Programme d’encouragement à la retraite anticipée » et celle de 2010 était intitulée « Plan de redressement – Offres de départ ».

 

[20]           Il ne fait aucun doute que la retraite du demandeur a fait ressortir la nécessité d’une politique relative à la transition à la retraite des employés qui ont commencé à travailler avant l’introduction du régime de pension en 1997. Cependant, le demandeur n’a pas réussi à présenter une preuve permettant d’étayer sa demande. Aucune politique n’a été trouvée et aucun document n’a été déposé à l’appui de la thèse selon laquelle il existait une politique, et encore moins une pratique selon laquelle une indemnité de départ était versée à tous les employés pour chaque année de service qui pourrait être considérée comme une politique. La seule preuve d’une politique préexistante est une vague référence à la sœur du demandeur qui a reçu deux semaines de salaire pour toutes ses années d’emploi.  

 

[21]           Le témoignage de Christine Whiskeychan, directrice des finances de la Première nation de Garden River, tend sans équivoque à affirmer le contraire. Madame Whiskeychan prétend qu’il n’est [traduction] « pas vrai » que chacun des employés embauchés avant 1997 a automatiquement reçu une indemnité de départ et des prestations de retraite pour toutes leurs années de service, y compris les années postérieures à 1997. Madame Whiskeychan indique également que les requêtes de 2004, 2006 et 2010 visaient à faire face aux difficultés financières à court terme de la bande.

 

[22]           En résumé, la demande ne résiste pas à l’examen de la question fondamentale de la preuve. Aucune politique ni aucune pratique selon laquelle une indemnité était versée à tous les employés n’ont été établies. Aucune preuve documentaire n’étaye la thèse selon laquelle la politique a éliminé un droit préexistant à deux semaines de salaire pour chaque année de service. Cette conclusion établit la nature et l’étendue de l’équité procédurale.

 

[23]           Conformément à la politique établie, la bande a accordé au demandeur une audience devant le comité des ressources humaines et des appels, laquelle a eu lieu le 18 janvier 2012. Le demandeur admet que cette rencontre était équitable et qu’il a pleinement eu la possibilité de participer. Le comité a avisé le demandeur qu’il présenterait sa recommandation au conseil et l’a informé qu’il avait le droit d’interjeter appel auprès du conseil s’il n’était pas d’accord avec la recommandation. Il ne l’a pas fait, ce qui signifie qu’il a accepté la recommandation du comité.

 

[24]       Par conséquent, il convient de souligner que le demandeur a renoncé à comparaître devant le conseil et à présenter ses observations.

 

[25]           Lorsque l’équité procédurale est en cause, l’analyse de la Cour ne porte pas sur la question de savoir si la décision est correcte, mais plutôt sur la question de savoir si la procédure suivie était équitable dans les circonstances et si l’issue est raisonnable lorsqu’elle située dans le contexte juridique et factuel : Shotclose c Première nation Stoney, 2011 CF 750; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339. Comme le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) l’a affirmé dans Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142, au par 47 :

Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

 

[26]           En somme, comme la juge Gauthier l’a fait remarquer dans Orr v Fort McKay First Nation, 2011 CF 37, il est bien reconnu en droit que ces principes s’appliquent aux décisions administratives d’une bande.

 

[27]           La décision ne peut pas être contestée au motif de l’équité procédurale. Le demandeur a reçu des avis d’audience clairs, cohérents et complets. À deux reprises, il a eu la possibilité de démontrer qu’il devrait recevoir deux semaines de salaire pour chaque année de service. Il a choisi de ne pas se prévaloir de son droit d’interjeter appel auprès du chef et du conseil, qui ont la responsabilité de prendre la décision définitive. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale. J’estime que le demandeur a reçu tout ce à quoi il était possible de s’attendre par le biais des avis et des possibilités de se faire entendre.

 

[28]           Pour évaluer la raisonnabilité de la décision, il faut faire preuve de retenue à l’égard des décisions de la bande : News c Wahta Mohawks, 2000 ACF 637, et en l’espèce, alors que la décision prise par la bande accordait effectivement des prestations alors qu’aucune n’était versée auparavant, il est très difficile de contester la raisonnabilité de la politique. De plus, la politique était rétroactive de manière à ce que le demandeur puisse en bénéficier.

 

[29]           Pour conclure, je souligne qu’il y a certaines divergences dans le calcul de l’indemnité de départ du demandeur en vertu de la nouvelle politique en matière de retraite. Le comité avait estimé qu’il recevrait environ 42 semaines de salaire, alors qu’il s’est finalement fait offrir 38 semaines. La Cour ne dispose d’aucune preuve qui permettrait de résoudre le problème. Cependant, le calcul de l’indemnité de départ du demandeur ne fait pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Si les parties souhaitent avoir l’aide de la Cour pour trouver une solution dans cette affaire, elles peuvent communiquer avec le registraire.

 

[30]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.    


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Les observations sur les dépens doivent être déposées dans les dix jours suivant la date de la présente décision.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-627-12

 

INTITULÉ :                                      BLAINE BELLEAU
c LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE GARDEN RIVER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Sault Ste. Marie (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F.W. Bennett

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Tremblay-Hall

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael F.W. Bennett
Avocat

Sault Ste. Marie (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer Tremblay-Hall

Avocate

Sault Ste. Marie (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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