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Date : 20130508

Dossier : IMM-6116-12

Référence : 2013 CF 320

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

B377

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendus le 28 mars 2013)

 

Le juge Blanchard

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) demande le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision datée du 4 juin 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accordé le statut de réfugié au défendeur.

 

[2]               Le demandeur demande à la Cour d’ordonner, en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’annuler ou d’infirmer la décision et de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux instructions que la Cour estime appropriées.

 

I.          Les faits

[3]               Le défendeur, un jeune adulte, est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule qui vient du nord de ce pays. Il est arrivé au Canada à bord du MS Sun Sea le 13 août 2010 et a immédiatement demandé l’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[4]               Dans son formulaire de renseignements personnels, le défendeur a décrit sa situation personnelle de la manière suivante :

a)            La famille du défendeur est originaire de Jaffna, le district le plus au nord du Sri Lanka, mais elle a été déplacée trois fois durant les années 1990 à cause de la guerre civile qui faisait rage au Sri Lanka. Lorsqu’il a été séparé de sa famille en 2006, le défendeur s’est rendu dans un secteur contrôlé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Sa famille a réussi à l’y rejoindre en 2008.

 

b)             Le défendeur et sa famille ont quitté ce secteur et ont été transportés dans un camp pour personnes déplacées vers le milieu de l’année 2009. Une fois sur place, le défendeur a subi des interrogatoires sur son appartenance possible aux TLET. Lorsqu’il a présenté une lettre provenant de l’église où il avait travaillé, le défendeur a été relâché du camp pour personnes déplacées.

 

c)             Un mois plus tard, la Division des enquêtes criminelles du Sri Lanka et un groupe paramilitaire sont venus à la recherche du défendeur et, quand il s’est présenté à eux, il a été interrogé et torturé parce qu’on le soupçonnait d’être membre des TLET. Le défendeur a ensuite été relâché, à condition de se présenter à la Division des enquêtes criminelles hebdomadairement, ce qu’il a fait durant 15 semaines. Le défendeur était souvent battu lorsqu’il se présentait à la Division des enquêtes criminelles.

 

d)            Le demandeur avait été menacé de mort s’il ne se présentait pas, mais il craignait d’être torturé s’il se présentait. Il s’est rendu à Colombo dans l’intention de s’enfuir du Sri Lanka. Grâce à l’aide d’un agent, le défendeur a réussi à se rendre en Thaïlande au début de l’année 2010. Il s’est enregistré auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés peu après son arrivée. Le demandeur s’est embarqué sur le Sun Sea au milieu de l’année 2010.

 

II.        La décision contrôlée

[5]               La SPR a conclu que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social et qu’il avait donc qualité de réfugié en application de l’article 96 de la LIPR.

 

[6]               La SPR a conclu que les allégations du défendeur selon lesquelles il était persécuté au Sri Lanka n’étaient pas crédibles. La SPR a donc conclu qu’au moment où le défendeur avait quitté le Sri Lanka, il n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus à la Convention ou au risque d’être soumis à la torture, à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Néanmoins, la SPR a jugé que le défendeur avait établi le fondement d’une demande d’asile sur place parce qu’il faisait partie d’un groupe de demandeurs d’asile arrivés au Canada à bord du Sun Sea. Selon la SPR, le périple du défendeur à bord du Sun Sea vers le Canada avait fait de lui une cible pour le gouvernement du Sri Lanka, car ce dernier a accusé les passagers du Sun Sea d’avoir des liens avec les TLET et il a démontré qu’il n’hésite pas à utiliser la torture pour obtenir des renseignements de personnes qu’il soupçonne de détenir de l’information au sujet de terroristes allégués.

 

III.       Les questions en litige

[7]               La demande de contrôle judiciaire en cause soulève les questions suivantes :

            1.         La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande d’asile du défendeur avait un lien avec l’un des motifs énumérés à la définition de réfugié au sens de la Convention qui est énoncée à l’article 96 de la LIPR?

            2.         Les motifs de la décision sont-ils suffisamment intelligibles pour rendre la décision raisonnable?

            3.         La SPR a-t-elle appliqué la bonne norme de preuve?

 

IV.       Les normes de contrôle applicables

[8]               L’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention est une question mixte de fait et de droit. Cette question porte sur l’existence d’un lien entre un motif prévu à la Convention et la situation factuelle du demandeur. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53). Les questions ayant trait à la suffisance et à l’intelligibilité des motifs doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 22, et Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[9]               L’existence d’éléments de preuve suffisants pour établir un lien entre le demandeur d’asile et un groupe social ainsi que le « bien-fondé » de la crainte du défendeur sont des questions mixtes de fait et de droit, qui doivent elles aussi être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable.

 

[10]           Les questions quant à la norme de preuve applicable doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (voir République de Chypre (Commerce et Industrie) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, aux paragraphes 18 et 19, et Yang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 158, au paragraphe 6).

 

V.        Analyse

[11]           J’examinerai ci-dessous chacune des questions susmentionnées.

 

Le lien avec la Convention

[12]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il y avait un lien entre la crainte de persécution du défendeur et l’un de motifs énoncés à la Convention, à savoir l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques, au sens de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689.

 

[13]           Le demandeur soutient que les motifs de la SPR ne sont pas clairs quant au motif prévu à la Convention avec lequel elle tirait un lien. Selon le demandeur, la décision de la SPR n’est donc ni intelligible, ni transparente et elle ne permet pas à la cour de révision de comprendre les motifs sur lesquels la décision est fondée. Le demandeur avance que la conclusion de la SPR selon laquelle « un Tamoul qui a voyagé à bord du bateau MS Sun Sea » peut constituer un « groupe social » au sens de l’article 96 est incompatible avec sa conclusion subséquente voulant que cette proposition soit contraire à l’état du droit.

 

[14]           En outre, le demandeur affirme que la SPR n’a pas conclu que les autorités sri-lankaises estimeraient que le défendeur partage des opinions politiques avec les TLET. Selon lui, la SPR a plutôt conclu que les autorités croiraient que le défendeur détient des renseignements au sujet des TLET. Le défendeur soutient que le fait de « détenir des renseignements » ne constitue pas une « opinion politique ».

 

[15]           Le demandeur dit également que le fait d’être « un Tamoul qui a voyagé à bord du bateau MS Sun Sea » ne satisfait pas au critère du « groupe social » au sens de l’article 96 de la LIPR. À l’appui de cette assertion, le demandeur affirme que dans l’arrêt Ward (pages 729 et 730), la Cour suprême du Canada a rejeté la thèse selon laquelle l’appartenance à un groupe social peut être démontrée en identifiant un groupe de personnes qui ont certains points en commun. Selon le demandeur, la considération fondamentale qui permet de décider si une personne fait partie d’un groupe social est l’examen des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés (Ward, à la page 739). Le demandeur soutient que la décision de s’embarquer à destination du Canada sur un navire servant au passage de clandestins ne fait pas entrer en jeux les principes de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination, et ne correspond donc pas à l’une des catégories énoncées dans l’arrêt Ward.

 

[16]           Pour ce qui est de la conclusion de la SPR quant à l’existence d’un lien avec des « opinions politiques », le demandeur avance que l’analyse de la SPR à cet égard est également erronée. Le demandeur invoque la jurisprudence de la Cour à l’appui de la thèse selon laquelle le fait de craindre d’être persécuté parce que les autorités croient que l’on détient des renseignements sur les TLET n’établit pas un lien avec le motif des opinions politiques énoncé à la Convention (voir Levano c Canada (Procureur général) (2000), 182 FTR 153, Stefanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 704, aux paragraphes 21 à 25, et Ivakhenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1249, aux paragraphes 65 à 67). Cela est d’autant plus vrai en l’espèce, puisque la SPR a conclu que l’affirmation du défendeur selon laquelle il est perçu comme un membre des TLET en raison de sa présence sur le Sun Sea n’était pas crédible.

 

[17]           Le défendeur affirme que le demandeur a déformé l’analyse présentée par la SPR dans ses motifs au sujet des motifs mixtes et qu’il a fait abstraction des passages pertinents des motifs qui portaient sur la question du lien. Selon le défendeur, la SPR a conclu qu’à titre d’immigrant tamoul embarqué sur le Sun Sea, il serait considéré comme une personne liée aux TLET, ce qui ferait de lui un membre d’un « groupe social » ou, subsidiairement, une personne ayant des « opinions politiques » au sens de la Convention.

 

[18]           Les parties s’entendent pour dire que le simple fait d’avoir été passager sur un navire n’est pas suffisant, à lui seul, pour établir un lien avec le motif de l’appartenance à un « groupe social » que prévoit la Convention. D’ailleurs, la SPR a exprimé cette idée explicitement au paragraphe 21 de ses motifs. Dans ses motifs et sa décision, la SPR a aussi examiné la possibilité que les agents de persécution puissent avoir plusieurs motifs. La SPR a conclu que la crainte de persécution du défendeur reposait sur une combinaison de facteurs, y compris l’origine ethnique tamoule du défendeur et les opinions politiques prêtées aux passagers du Sun Sea.

 

[19]           Le demandeur invoque la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, à l’appui de son argument sur l’absence d’un lien avec la Convention. Dans l’affaire B380, la question du lien était celle de savoir s’il y avait des éléments de preuve suffisants pour justifier la conclusion de la SPR selon laquelle le défendeur en cause était membre d’un groupe social. Dans l’affaire B380, la SPR n’avait pas fait d’analyse détaillée sur les motifs de l’origine ethnique et des opinions politiques prévus à la Convention. À mon avis, cela permet de faire une distinction entre l’affaire B380 et les faits de la présente espèce.

 

[20]           Bien que la SPR ait d’abord affirmé que son analyse du lien avec la Convention portait sur l’appartenance à un « groupe social », il ne s’agit pas du seul motif prévu à la Convention dont elle a tenu compte dans sa décision. La SPR a aussi fait une analyse détaillée des « motifs divers » et elle a conclu que le défendeur avait établi le fondement d’une demande d’asile sur place. Je reproduis ci-dessous une partie de cette analyse :

Cependant, je conclus que le demandeur d’asile peut présenter une demande d’asile sur place. Cette conclusion est fondée sur la preuve sur le pays, qui indique que les agents du gouvernement du Sri Lanka ont systématiquement recours à la torture pour obtenir des renseignements ou des aveux de la part des détenus, ainsi que sur une analyse des circonstances particulières du demandeur d’asile en tant que Tamoul venu au Canada à bord du Sun Sea. Le gouvernement du Sri Lanka a accusé les voyageurs d’être liés aux TLET et a montré qu’il était disposé à avoir recours à la torture pour obtenir des renseignements des personnes qui, selon lui, possèdent de l’information sur de présumés terroristes. Cette tactique, de concert avec la discrimination contre les Tamouls qui a été observée au Sri Lanka, démontre que les passagers du Sun Sea sont exposés à un risque accru. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur d’asile est exposé à une possibilité sérieuse de persécution étant donné qu’il est un Tamoul qui a voyagé à bord du bateau MS Sun Sea.

 

[21]           Il ne fait aucun doute que la SPR s’est penchée sur l’origine ethnique du défendeur pour arriver à sa conclusion. Il est également clair que la SPR était convaincue que la crainte de persécution que le défendeur disait avoir était fondée, du moins en partie, sur son origine ethnique ou sa race tamoule. La jurisprudence de la Cour reconnaît que, lorsqu’une crainte de persécution est fondée sur plus d’un motif et que la preuve démontre que la persécution repose sur un motif prévu à la Convention, un lien peut être établi avec la Convention (voir Gonsalves c Canada (Procureur général), 2011 CF 648, au paragraphe 29).

 

[22]           Les faits de la présente espèce correspondent tout à fait à ceux qui étaient en cause dans la décision Veeravagu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 468 (CAF) (QL), où le juge Hugessen s’est prononcé implicitement sur la question du lien avec un motif prévu à la Convention :

[4]        Selon nous, il est des plus évidents que lorsqu’une personne fait face à des risques « réels et accablants », y compris un risque d’« actes fort violents », de la part de groupes parrainés par l’État (l’IPKF), parce que cette personne fait partie d’un groupe dont la race est la caractéristique déterminante (les jeunes Tamuls de sexe masculin), il est tout simplement impossible de dire qu’une telle personne n’éprouve pas une crainte objective d’être persécuté du fait de sa race.

 

Voir aussi la décision Nara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 364, au paragraphe 38.

 

[23]           Dans ses motifs exhaustifs, la SPR s’est penchée sur la question de la race et elle a conclu à l’existence d’une « tendance de discrimination contre les Tamouls de la part des autorités gouvernementales ». Elle a aussi affirmé que l’origine ethnique tamoule du défendeur est un « facteur aggravant » lorsqu’il s’agit d’examiner le traitement qui pourrait lui être réservé à son retour au Sri Lanka. La SPR a conclu qu’il y avait un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, « car le fait que le demandeur d’asile soit de race tamoule », conjugué à d’autres facteurs, sont des éléments combinés des motifs pour lesquels il peut être victime de persécution au Sri Lanka. À mon avis, cette conclusion, qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer compte tenu du dossier dont elle disposait, satisfait à l’exigence d’un lien avec un motif prévu à la Convention, à savoir la race.

 

[24]           Dans l’arrêt Ward (pages 738 et 739), la Cour suprême du Canada s’est fondée sur la jurisprudence relative à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) pour analyser l’article 96 de la LIPR. J’estime qu’il est utile d’adopter la même approche en l’espèce. Dans l’arrêt Symes c Canada, [1993] 4 RCS 695 (pages 768 et 769), la Cour suprême a conclu que lorsque l’analyse fondée sur l’article 15 de la Charte révèle qu’un sous-groupe de personnes subit de mauvais traitements, cela est suffisant pour conclure qu’il y a discrimination. Le juge Iacobucci a expliqué que « si j’étais convaincu que l’art. 63 [la disposition contestée dans l’affaire Symes] a un effet préjudiciable sur certaines femmes (par exemple, en l’espèce, les travailleuses indépendantes), je ne serais pas préoccupé par le fait que toutes les femmes ne se trouvent pas à subir cet effet préjudiciable […] un effet préjudiciable subi par un sous-groupe de femmes peut quand même constituer une discrimination […] ». En l’espèce, bien que tous les Tamouls ne soient pas susceptibles de persécution au Sri Lanka, l’application du raisonnement énoncé par la Cour suprême dans Symes permet de conclure que tel pourrait être le cas pour le sous-groupe composé des Tamouls qui ont voyagé sur le Sun Sea, compte tenu de leur situation particulière.

 

[25]           J’aborderai maintenait l’argument du demandeur selon lequel les motifs de la SPR n’expliquent pas clairement avec quel motif énoncé à la Convention la SPR fait un lien. Selon le demandeur, cela signifie que la décision de la SPR n’est ni intelligible, ni transparente et ne permet pas à la cour de révision de comprendre les motifs sur lesquels la décision est fondée.

 

[26]           Je rejette cet argument du demandeur. Bien que, au paragraphe 4 de sa décision, la SPR conclut que le défendeur a qualité de réfugié parce qu’il craint avec raison d’être persécuté à cause de son appartenance à un « groupe social », l’analyse du « groupe social » porte, dans une large mesure, sur la manière dont les Tamouls sont traités (paragraphes 20 à 25 de la décision). Comme je l’ai expliqué ci-dessus, la SPR mentionne tout au long de ses motifs l’« origine tamoule » du défendeur et le fait qu’il est Tamoul, notamment dans sa conclusion (paragraphes 39 et 41). Les motifs de la SPR font clairement explicitement état de l’analyse des motifs mixtes et du fait que cette analyse repose sur la « race » ou l’« origine ethnique ». Il est vrai que le paragraphe 4 des motifs énonce erronément le lien avec un motif prévu à la Convention, mais l’analyse de la SPR montre clairement que le défendeur craignait d’être persécuté à cause de son origine ethnique ou de sa race tamoule. Par conséquent, cette erreur n’a aucune incidence sur l’analyse en soi et elle ne nuit pas assez à l’intelligibilité de la décision pour que la Cour soit incapable de comprendre les motifs ou de contrôler la décision (voir Newfoundland Nurses’ Union, au paragraphe 16, ainsi que l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au paragraphe 164 (motifs dissidents confirmés en appel, 2011 CSC 57)).

 

[27]           Finalement, je suis d’avis que la conclusion de la SPR quant aux opinions politiques est problématique. Le fait que l’on prête des connaissances à une personne ne signifie pas nécessairement qu’on lui prête des opinions politiques. Il était loisible à la SPR de conclure que l’on prêtait des opinions politiques au défendeur, mais elle n’a pas justifié clairement cette conclusion. La SPR a plutôt conclu que « le demandeur d’asile est un Tamoul considéré comme possédant des renseignements sur une possible opération de passage de clandestins affiliée aux TLET […] ». Une telle conclusion ne permet pas d’établir un lien avec un motif prévu à la Convention. Cependant, le fait que la SPR ait établi un lien avec l’un des motifs énoncés à la Convention – la race – est suffisant. Dans les circonstances, il importe peu de savoir si, dans son analyse des motifs mixtes relativement au lien avec la Convention, l’appréciation et la conclusion de la SPR quant aux autres facteurs étaient déficientes. En l’espèce, de telles lacunes n’ont aucune incidence sur le résultat.

 

La raisonnabilité de la décision

[28]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de preuve. Plus précisément, le demandeur avance que la SPR a écarté une somme considérable de preuves documentaires selon lesquelles les Tamouls qui retournent au Sri Lanka sont interrogés, mais pas maltraités, en émettant l’hypothèse que ces preuves peuvent être viciées parce qu’elles reposent sur l’expérience d’observateurs internationaux.

 

[29]           Dans le paragraphe où elle expose sa conclusion, la SPR a jugé qu’il existe plus qu’une simple possibilité que le demandeur d’asile soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka. La SPR a présenté des motifs détaillés pour étayer cette conclusion. Considérant la décision dans son ensemble, je suis convaincu que la SPR a appliqué la bonne norme de preuve pour arriver à ses conclusions, c’est-à-dire que le défendeur était tenu d’établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, mais qu’il n’avait pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire. Le défendeur devait seulement faire la preuve d’une « possibilité sérieuse », d’une « possibilité raisonnable » ou de plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté à son retour dans son pays (voir Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 680 (CA), aux paragraphes 5 et 6).

 

[30]           Pour ce qui est de la conclusion contestée selon laquelle les Tamouls qui retournent au Sri Lanka sont maltraités, il était loisible à la SPR de préférer les rapports faisant état d’incidents précis et les rapports de certains organismes non gouvernementaux – selon lesquels les Tamouls qui retournent au Sri Lanka subissaient de mauvais traitements – à d’autres éléments de preuve au dossier selon lesquels ceux qui retournent au Sri Lanka ne sont pas maltraités. La conclusion de la SPR selon laquelle « il y aura probablement moins, et non plus, de dénonciations des cas de torture ou d’autres abus » est étayée par des éléments de preuve au dossier qui démontrent que les autorités sri-lankaises en divulguent le moins possible sur leurs pratiques internes, interdisent l’accès aux détenus et menacent les personnes qui dénoncent les traitements qu’ils subissent en détention. En outre, la conclusion selon laquelle les autorités sri-lankaises se comportent différemment en présence d’observateurs est conforme aux éléments de preuve qui démontrent que le Sri Lanka est peu enclin à révéler ses pratiques internes au reste de la planète. Compte tenu du dossier, je suis d’avis que la SPR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

 

[31]           Je suis aussi convaincu que, compte tenu du dossier dont elle disposait, la SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il existait une possibilité sérieuse que le défendeur soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka.

 

Conclusion

[32]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les dépens

[33]           Le défendeur demande les dépens relativement au présent contrôle judiciaire. Selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, « sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande de contrôle judiciaire […] ne donne pas lieu à des dépens ». Cela étant dit, j’ai un « large pouvoir discrétionnaire […] en ce qui concerne l’adjudication des dépens » (voir Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, au paragraphe 70).

 

[34]           En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il existe des « raisons spéciales » qui justifient d’accorder des dépens. Il ne s’agit pas d’une cause type ou d’une question nouvelle, il n’y a pas eu de retard déraisonnable et ni les parties ni leurs avocats n’ont agi déraisonnablement ou fait preuve d’inconduite (voir Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208, au paragraphe 7). J’estime aussi que les parties n’ont pas adopté des positions déraisonnables ou abusives lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire. Je choisis donc de ne pas accorder de dépens.

 

Les questions à certifier

[35]           Les parties sont priées de signifier et de déposer des observations quant à la certification de questions graves de portée générale, le cas échéant, dans les dix (10) jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera ensuite de quatre (4) jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Après examen de ces observations, la Cour rendra une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire et rendant une décision sur toute question grave de portée générale proposée, comme le prévoit l’alinéa 74d) de la LIPR.

 

Confidentialité

[36]           Dans les dix (10) jours suivant la réception des présents motifs, les parties devront déposer des observations écrites exposant leurs positions respectives quant à la teneur des motifs qui seront rendus publics.

 

Post-scriptum

a.       Les présents motifs publics sont une version expurgée des motifs confidentiels du jugement rendus le 28 mars 2013, conformément à une ordonnance de confidentialité datée du 23 juillet 2012.

 

b.      Dans une lettre datée du 3 avril 2013, l’avocat du défendeur a proposé que certains éléments des motifs confidentiels du jugement soient censurés. L’avocat du demandeur a accepté ces propositions.

 

c.       Je suis convaincu que la Cour peut diffuser la présente version censurée des motifs confidentiels du jugement datés du 28 mars 2013.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 mai 2013

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6116-12

 

INTITULÉ :                                      Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c B377

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 février 2013

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT :                            Le juge Blanchard

(Motifs confidentiels du

jugement rendus le 28 mars 2013)

 

DATE DES MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT :                            Le 8 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DEMANDEUR

Douglas Cannon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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