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Date: 20130426

Dossier : IMM‑6187‑12

Référence : 2013 CF 436

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ANA MARIA NAVARRETE ANDRADE

CESAR ERLEY HOYOS GAITAN

SAMUEL HOYOS NAVARRETE

ISABELLA HOYOS NAVARRETE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la protection de l’État ne sauraient être maintenues. La demande est donc accueillie.

 

Les allégations

 

[2]               Monsieur Hoyos Gaitan et sa famille sont citoyens de la Colombie. Le demandeur occupait là‑bas le poste de directeur national du marketing au sein d’une entreprise de fabrication de vinyle.

 

[3]               Il affirme que, le 2 juin 2011, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) l’ont appelé au numéro de téléphone du bureau pour lui demander de verser un « impôt de guerre » de 100 millions de pesos (environ 54 000 $ US). Le 7 juin 2011, les FARC l’ont rappelé et ont exigé qu’il verse l’argent demandé l’avertissant de ne pas communiquer avec la police parce que le groupe savait où se trouvaient son épouse, Mme Navarrete Andrade, et ses enfants. Terrifié, le couple n’a pas appelé la police. Le 11 juin 2011, les FARC ont téléphoné une troisième fois. Le demandeur a été avisé de préparer la moitié de l’argent pour la semaine suivante.

 

[4]               Le couple a appelé la sœur de Mme Navarrete Andrade au Canada. Celle‑ci avait déjà obtenu le statut de réfugiée. Elle leur a conseillé de quitter le pays. Or, les demandeurs ne voulaient pas quitter la Colombie parce qu’ils occupaient des emplois stables et que leurs enfants étaient très jeunes. Ils ont choisi plutôt d’emprunter d’autres routes pour aller travailler et M. Hoyos Gaitan a décidé de vendre leur voiture pour obtenir de l’argent.

 

[5]               Le 20 juin 2011, M. Hoyos Gaitan a participé à une activité promotionnelle à Yopal, dans une région infiltrée par les FARC. Ce soir‑là, les FARC lui ont téléphoné à l’hôtel pour lui dire de les rencontrer le jour suivant. Il s’est conformé et a rencontré quatre hommes armés qui l’ont conduit à un deuxième endroit; il leur a dit qu’il n’avait pas beaucoup d’argent. Les hommes n’ont pas accepté ses explications et lui ont donné jusqu’au 1er juillet 2011 pour apporter 30 millions de pesos (environ 16 000 $ US) à l’hôtel de Yopal.

 

[6]               À son retour, il a décidé avec son épouse de quitter le pays. Le 26 juin 2011, ils sont allés se cacher chez le frère de Mme Navarrete Andrade. Le 6 juillet 2011, la famille a pris l’avion pour New York et s’est rendue par la suite à Buffalo. Ils ont pris rendez‑vous pour présenter une demande d’asile au poste frontalier de Fort Erie.

 

[7]               Le père de Mme Navarrete Andrade a reçu deux appels des personnes qui cherchaient les demandeurs. Le premier appel a été fait le 5 juillet 2011 par un inconnu. Le deuxième appel a été fait le 8 juillet 2011 par une personne qui s’est identifiée comme étant un membre des FARC.

 

[8]               Les demandeurs affirment qu’ils craignent de retourner en Colombie parce qu’ils  avaient été déclarés des cibles militaires par les FARC en raison de leur refus de se plier à leurs demandes, et que les autorités ne sont pas en mesure de protéger les personnes qui se trouvent dans leur situation.

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, compte tenu d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité et de l’existence de la protection de l’État.

 

[10]           En ce qui concerne la crédibilité, la Commission a conclu que les prétentions du demandeur étaient invraisemblables, pour les motifs suivants :

a.         La Commission n’a pas accepté le fait que M. Hoyos Gaitan aurait rencontré les FARC à Yopal, sachant qu’il y avait un risque que le groupe l’enlève et demande une rançon à sa famille. Selon M. Hoyos Gaitan, il avait l’habitude de négocier dans le cadre de son travail et avait confiance en ses capacités de traiter avec les FARC quant au montant demandé. La Commission n’a pas accepté cette explication.

b.         La Commission a estimé qu’il était invraisemblable que les FARC n’aient pas gardé M. Hoyos Gaitan en détention et que le groupe n’ait pas demandé de rançon.

c.         Les demandeurs n’appartenaient pas à l’un des groupes qui seraient particulièrement à risque selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR).

d.        Les demandeurs n’ont pas porté plainte à la police.

e.         La Commission a estimé qu’il n’était pas crédible que les demandeurs aient quitté le pays aussi rapidement en raison des menaces présumées.

 

[11]           La Commission a ensuite conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La Commission a examiné la norme applicable à la protection de l’État ainsi que la situation actuelle des FARC. Dans les circonstances, la Commission a estimé qu’il était déraisonnable que les demandeurs ne se soient pas adressés à la police.

 

La question en litige

 

[12]           La question qui se pose dans le présent contrôle judiciaire consiste à savoir si la Commission a conclu de manière raisonnable que les demandeurs manquaient de crédibilité et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par. 47.

 

Analyse

 

            Crédibilité

 

[13]           La Commission est en droit de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité fondées sur l’invraisemblance de la version des faits relatée par le demandeur, compte tenu de la preuve au dossier et de sa propre perception du comportement humain : Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 805, par. 27.

 

[14]           La Commission ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas évidents, si les allégations formulées débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire tel qu’il était allégué : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, par. 7.

 

[15]           La Commission a estimé qu’il était invraisemblable que M. Hoyos Gaitan rencontre volontairement les FARC et n’a pas accepté son explication quant à ses capacités de négociation en raison de son travail. La Commission n’a pas fait référence aux autres explications données par M. Hoyos Gaitan, selon lesquelles, s’il ne les avait pas rencontrées, les FARC auraient pu le retrouver et le tuer à son retour à Bogota, puisqu’il allait passer à proximité du lieu de rencontre.

 

[16]           À mon avis, la Commission a tiré cette conclusion d’invraisemblance sans égard à la preuve, notamment à l’explication donnée par M. Hoyos Gaitan selon laquelle, s’il n’acceptait pas de rencontrer les FARC, le groupe aurait pu le retrouver. De plus, la Commission n’a pas tenu compte du fait que le comportement de M. Hoyos Gaitan peut sembler téméraire au regard du contexte canadien, mais qu’il n’est pas si inhabituel en Colombie. La Commission doit tenir compte du contexte local dans son appréciation de la vraisemblance d’un témoignage.

 

[17]           La Commission a également émis l’hypothèse, sans référence à aucune preuve documentaire, que, si M. Hoyos Gaitan avait rencontré les FARC, le groupe l’aurait gardé en détention pour demander une rançon. En l’absence de preuve, la Commission ne peut formuler des hypothèses sur la façon dont réagiraient les FARC.

 

[18]           Il est également difficile de comprendre pourquoi la Commission a estimé qu’il n’était pas crédible que les demandeurs aient quitté le pays aussi rapidement après avoir fait l’objet de menaces. Très souvent, on présume que le retard à quitter le pays indique l’absence de crainte subjective. En l’espèce, la réaction rapide des demandeurs a été retenue contre eux et ceux‑ci se sont retrouvés dans une situation sans issue. Une conclusion défavorable est tirée si les demandeurs attendent trop longtemps après avoir fait l’objet de menaces et s’ils quittent le pays trop rapidement. Reste à savoir quel est le bon moment de quitter. Bien entendu, il n’y a pas de réponse à cette question, puisque chaque cas est un cas d’espèce et doit être évalué selon son bien‑fondé et que la décision de quitter le pays doit être évaluée selon l’ensemble des circonstances.

 

[19]           La Commission a aussi estimé que la version des faits donnée par les demandeurs était invraisemblable parce que ceux‑ci n’appartenaient pas à l’un des groupes énumérés par le HCNUR qui seraient particulièrement à risque, constitués par exemple des juges, des activistes et des autorités gouvernementales. Or, la Commission n’a pas pris en compte la preuve selon laquelle les professionnels pouvaient également être exposés à un risque accru. En sa qualité de directeur d’une entreprise manufacturière, touchant un salaire important, M. Hoyos Gaitan fait partie de cette catégorie.

 

[20]           Je conclus que la conclusion défavorable tirée par la Commission au sujet de la crédibilité était déraisonnable.

 

            Protection de l’État

 

[21]           La décision de la Commission pourrait toujours être confirmée si la conclusion relative à la protection de l’État est raisonnable.

 

[22]           Le demandeur d’asile doit réfuter la présomption que son pays de citoyenneté est en mesure de lui offrir une protection : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. En règle générale, le demandeur d’asile doit d’abord tenter d’obtenir la protection de son pays, à moins qu’il ne présente une preuve claire et convaincante que la protection de l’État ne pouvait pas raisonnablement être assurée.

 

[23]           Cette présomption est particulièrement forte dans le cas des démocraties. Cela dit, il existe un large éventail de pays démocratiques, et donc la Commission doit aller au‑delà de la simple existence d’élections, élément de moindre importance pour la question de la protection de l’État. La Commission doit porter son attention sur la force des institutions se rapportant à la protection de l’État, par exemple sur le professionnalisme des forces de police et sur l’indépendance des juges et des avocats de la défense : Sow c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646.

 

[24]           Puisque les demandeurs n’ont pas sollicité la protection de l’État en Colombie, il s’agit de savoir si la protection de l’État peut raisonnablement être assurée, eu égard à leur situation particulière.

 

[25]           La Commission a noté que les autorités civiles exercent en général un contrôle sur les forces de sécurité en Colombie, mais a reconnu qu’il y avait encore des problèmes de criminalité, de corruption et de violation des droits de la personne. La Commission a affirmé que le gouvernement poursuivait ses efforts en vue d’enrayer ces problèmes en mentionnant diverses institutions mises en place pour lutter contre l’enlèvement et l’extorsion. La Commission ne parle cependant pas de l’efficacité de ces efforts. La Commission a simplement conclu que « la protection offerte aux victimes de criminalité en Colombie est adéquate » sans mentionner aucun élément de preuve à l’appui.

 

[26]           La Commission a procédé à un long examen de la preuve documentaire concernant la Colombie, mais peu pertinent au regard de la question relative à la protection de l’État. Par exemple, la Commission mentionne que le gouvernement de la Colombie a renforcé la relation qu’il entretenait avec la communauté des droits de la personne et que le nombre d’exécutions sommaires a baissé. Bien que favorables, ces changements n’indiquent pas le caractère adéquat de la protection de l’État contre les FARC.

 

[27]           La Commission a ajouté qu’une partie des membres des FARC ont été démobilisés et d’une partie des otages ont été libérés. La Commission a cité une statistique de 2009 révélant que le nombre de meurtres commis par des groupes illégaux a diminué de 2,2 % et que le nombre d’enlèvements pour extorsion a également connu une baisse de 23 %. Non seulement ces renseignements sont quelque peu périmés, mais ils montrent aussi que la criminalité, l’enlèvement et l’extorsion constituent toujours des problèmes graves.

 

[28]           La Commission doit effectivement analyser la preuve qu’elle mentionne et se demander en quoi cette preuve concerne la question de la protection de l’État. Il ne suffit pas de résumer une preuve abondante et de conclure ensuite que la protection de l’État est adéquate. La preuve et la conclusion doivent être rattachées à un raisonnement transparent et intelligible.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il procède à un nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6187‑12

 

INTITULÉ :                                                  ANA MARIA NAVARRETE ANDRADE, CESAR ERLEY HOYOS GAITAN, SAMUEL HOYOS NAVARRETE, ISABELLA HOYOS NAVARRETE c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 26 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pamila Bhardwaj

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Teresa Ramnarine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pamila Bhardwaj

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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